mercredi 2 novembre 2011

La petite entreprise


Raoul était resté à la maison ce matin-là. Une vilaine toux précédée d'une forte fièvre l'ayant dissuadé d'aller travailler. Il lisait les journaux du jour en prenant son café quand on sonna à la porte :

- J'ai une lettre recommandée pour Madame Langlois Simone !

- Oui, je prends, je vais signer pour elle...

Raoul ferma la porte, posa la lettre sur la table, reprit sa tasse de café et l'article là où il les avait laissés. Puis il fronça les sourcils, comme lorsqu'on réfléchit à quelque chose inconsciemment et que l'inconscient vient frapper à la porte du conscient.

Il regarde la lettre, et reconnaît l'écriture sur l'enveloppe adressée à sa femme. C'est celle de son patron. Il hésite. Se dit qu'il ne peut pas l'ouvrir, Simone le verrait, et il se ferait engueuler comme jamais. Le week-end serait pourri d'avance. Mais il se demande bien pourquoi son patron écrit à sa femme. Il ne tient plus, il ouvre :

"Simone, vous ne pouvez plus tricher, vous ne pouvez plus masquer vos sentiments plus longtemps. Vendredi dernier, pendant le dîner, vous avez laissé mon pied vous caresser de l'entrée jusqu'au dessert. Vous m'aimez, j'en suis sûr. Raoul est un mec bien, mais il n'est pas un entrepreneur, un leader comme je le suis. C'est un sous-fifre. Brave, mais sous-fifre. Ce soir, je vais au dancing, j'aimerais vous y voir, et danser avec vous. A ce soir..."

Au même moment, Simone fait irruption dans la maison. Raoul, dans un réflexe malheureusement tout sauf discret, cache la lettre dans la corbeille à pain. Simone le regarde méchamment. Elle avance vers lui, il déglutit difficilement, elle soulève la baguette, prend la lettre et la lit. Elle sent comme une perle de sueur sur son front. C'est elle qui déglutit maintenant... Elle tente le tout pour le tout :

- Je ne te dérange pas à ouvrir mon courrier ?

- Tu plaisantes là ?

- Oui... Bon, je vais t'expliquer...

- Si tu t'en sors, tu es géniale.

- Mais je n'ai pas à me sortir de quoi que ce soit, je te protège depuis le début, je nous protège ! Depuis trois dîners, ton patron me fait du pied sous la table, et moi je mets de fausses jambes entre les miennes, et c'est ces fausses jambes qu'il caresse, moi je ne sens rien ! C'est pour ça que j'emporte un sac de sport à chaque fois, tu crois que j'ai besoin d'un sac de sport pour transporter les couches du petit ? Tiens, viens voir...

Elle l'emmène dans le sous-sol, elle ouvre la pièce du fond, et lui montre les paires de jambes. Elle lui explique tout. Lui, comprend, s'excuse auprès de sa femme d'avoir douté d'elle, puis fulmine, le Bernard, il veut le faire danser...

- Comment ça le faire danser ?

- Tu vas me maquiller, me préparer, fais de moi une femme.

- Tu es sûr ?

- Certain. Réponds-lui et dépose ta lettre dans sa boîte. Dis-lui que tu n'es pas libre ce soir, mais que ta sœur est très sensible à son charme, et qu'elle meurt d'envie de danser avec lui.

- Paulette ?

- Oui Paulette !

- Mais elle n'est pas du tout sensible à son charme...

- On s'en fout, puisque ce sera moi ! Allez, maquille-moi...

Après deux heures de préparation, Raoul devint Paulette. En un poil plus rustique, mais la pénombre du dancing serait une alliée... Le soir venu, Raoul, élégante comme jamais, reconnaît Bernard au bar. Il passe derrière lui, et lui souffle à l'oreille, Bernard sourit, la fausse Paulette se présente, ils parlent un peu, puis Bernard invite Paulette à danser.

- Vous sentez très bon...

- Merci Bernard...

- Vous êtes sensible à mon charme m'a dit votre sœur ?

- Très ! J'adore les entrepreneurs, les leaders, les fifres...

- Les fifres ?

- Oui, les chefs des sous-fifres quoi...

- Ah... Et... Vous aimeriez que je vous entreprenne ?

- J'adorerais ! J'adore qu'on m'entreprenne... D'ailleurs, quand je suis entreprise, je deviens très administrative, très rigoureuse, je fais tout pour aider mon patron à combler mes déficits...

- Vous excitez ma curiosité Paulette...

- Oui, je sens ça...

Bernard commence à caresser les seins de Paulette. Raoul commence à tousser, d'une voix grave, puis immédiatement d'une voix très fluette, et en profite pour reculer.

- Pardon... Je pensais que...

- Que quoi Bernard ? Que je vous laisserais toucher mes seins, comme ça, alors que vous faites du pied à ma sœur depuis trois semaines ?

- Ah c'est donc ça...

- Quoi ?

- Vous êtes jalouse.

- N'importe quoi...

- Je l'aime votre sœur, et je crois qu'elle aussi.

- Permettez-moi d'en douter, elle aime son mari passionnément. D'ailleurs, vous n'avez pas peur qu'il l'apprenne ?

- Et alors ? Les temps sont durs vous savez, je ne crois pas qu'il ait une énorme envie de pointer au chômage... Il ne fera rien. Et puis sa femme ne lui dira rien.

Raoul, à l'idée de perdre son emploi, se jette à nouveau dans les bras de Bernard, et reprend la danse. Bernard revient à la charge, il lui caresse à nouveau les seins, puis il avance sa main droite sur sa cuisse et remonte doucement vers son entrecuisse. Au moment précis où il arrive à l'endroit fatidique, Bernard sourit et lui dit :

- C'est marrant cette habitude que vous avez les femmes de toujours planquer des trucs dans votre culotte... C'est votre petit baise-en-ville ?

- Heu... Oui... Enfin petit... Il contient bien plus qu'il ne le laisse supposer...

- Vous êtes riche à ce point ?

- Disons que mon patron prend bien soin des bourses de la famille...



Franck Pelé - octobre 2011

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