jeudi 6 décembre 2012

Simone gagne à l'extérieur


 
- Tu peux m'expliquer pourquoi on est dehors ?

- On regarde le match en terrasse

- Oui d'accord mais il fait moins deux là, on est obligé de le regarder en terrasse le match ?

- Bah oui, puisque la télé est sur la terrasse.

- Mais pourquoi ils mettent la télé sur la terrasse en hiver ?

- Quand l'équipe locale joue à l'extérieur, ils mettent la télé à l'extérieur, c'est une coutume.

- C'est complètement con comme coutume, y'a personne qui regarde...

- Et pourquoi à ton avis ?

- Parce qu'ils sont moins fous que nous ! Enfin que toi, parce que moi, je suis là seulement pour t'accompagner et regarder le paysage. Qui vaut le détour d'ailleurs...

- Mais non, personne ne regarde parce qu'ils sont tous au stade !

- Le stade qu'on a vu tout à l'heure ?

- Mais non, je t'ai dit qu'ils jouaient à l'extérieur aujourd'hui...

- Et alors, il n'était pas couvert le stade à ce que je sache ?

- Non, il n'était pas couvert mais il était ici, donc si l'équipe y avait joué, elle aurait joué à domicile, et pas à l'extérieur, jouer à l'extérieur, ça veut dire jouer dans une autre ville, pas dans son stade.

- Et quand ils jouent à domicile, y'a du monde sur la terrasse ?

- J'imagine que oui.

- C'est vraiment complètement con Raoul ! Si y'a personne quand ils jouent à l'extérieur, pourquoi y'aurait du monde sur la terrasse quand ils jouent à domicile alors qu'ils auraient encore moins loin à aller pour voir leur équipe dans leur propre stade ?

- Oh mais je ne sais pas Simone, tu me gonfles à la fin !

- Je te gonfle ? Mais c'est toi qui me gonfles avec ton foot ! T'es chiant avec ton foot Raoul !

- C'est du foot américain

- Et bah t'es chiant pareil ! You're boring ! Tu comprends là ? Et ce serait du foot polonais, tu serais chiant dans une autre langue !

- Sack ! Dernier essai et 10 !

- Bon, moi je rentre...

- Si il ne trouve pas un receveur ils sont morts...

- Raoul, je rentre !!!

- Oui, vas-y, je te retrouve à l'intérieur...

- Non, je rentre, en France, chez moi.

- N'importe quoi... Vas-y, débrouille-toi Madame jamais contente... Moi je reste là, je ne vais pas gâcher nos vacances pour un caprice !

- Nos vacances ? TES vacances ! Prendre l'avion pour regarder un match de foot sur une terrasse gelée face à la route, je te promets que j'ai souvent rêvé mieux ! Ah il est beau le rêve américain !! Je vais me débrouiller oui, ne t'inquiète pas pour moi mon chéri...

- Et comment tu vas faire pour rentrer sans argent ?

- Je vais aller à l'intérieur, là où il fait bien chaud, je vais lancer un message qui va rendre l'endroit encore plus chaud, et même s'il me reste un paquet de yards à faire, je suis sûre de trouver un receveur !

- Mais...

- Prends ton temps Raoul, profite bien de tes vacances, et ne t'inquiète pas si tu ne me vois pas tout de suite en rentrant.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que si tu ne vois personne sur notre terrasse en rentrant c'est parce que je joue à l'extérieur !




Franck Pelé - Décembre 2012 - Textes déposés

Rapide comme l'éclair



Finale du 100 mètres féminin des Jeux Olympiques en 1952 à Helsinki. On a retrouvé la bande-son :



- Je vais te vriller la choucroute Simone... Tu vas pleurer mille ans sur tes bigoudis...


- Garde ton souffle Marie-Olga, tu vas en avoir besoin pour appeler ta mère au secours... Quand tu passeras la ligne d'arrivée j'aurai déjà pris ma douche...

- Pfff... Arrête de te croire toujours plus forte que moi, j'ai plus d'argent que toi, plus de fringues, plus de pouvoir et j'ai eu plus d'amants que tu n'en auras jamais. J'ai tout de plus que toi. Donc forcément plus de vitesse...

- T'as surtout plus de rides, de bourrelets, de vulgarité et beaucoup plus de problèmes que moi. Plus d'argent ? Avec les tarifs que tu pratiques c'est possible, par contre, tu devrais dire clients, pas amants, ce serait plus honnête...

- Retire ça tout de suite où je t'arrache la mise en plis !

- Bah... Marie-Olga ? Tu perds tes bas ou quoi ? Tu ne gâcherais pas une finale olympique sur un défaut de maîtrise nerveuse... si ?

- J'ai couché avec plus d'hommes que tu n'en auras jamais !

- Ah ça c'est plus que probable ! Je ne suis même pas sûre que tu aies vu le visage de tous ces chercheurs en bas de gamme. Tu te retournais parfois quand tu sentais que tu avais de la visite ?

- Je vais t'exploser le chignon la française...

- Tu vois, moi, j'ai toujours privilégié la qualité à la quantité. Et d'ailleurs, comme c'était aussi la philosophie de mes amants, ils n'ont tous connu que moi. Forcément, quand tu as porté une fois du Simone, tu n'as pas très envie de défiler en Marie-Olga... Tu noteras la chance que tu as, j'ai hésité avec "enfiler" mais je me suis dit que tes nerfs étaient assez tendus comme ça...

- Je vais t'enrhumer à un point... Tu n'as pas idée de la préparation est-allemande...

- Oh mais si je la connais parfaitement, tiens, pas plus tard que la semaine dernière j'ai passé une nuit délicieuse avec ton préparateur physique. je te savais déjà artificielle sur beaucoup de plans mais alors là, tu es une vraie éprouvette ambulante ma chérie ! D'ailleurs, il faut que je te dise, l'injection que tu as reçue cette semaine, c'était du thym, j'ai échangé les ampoules pendant que ton médecin dormait donc tu ne t'inquiètes pas si tu cours comme un être humain, c'est normal. Par contre, tu vas sentir bon des veines.

- Parce que tu crois que j'ai besoin de ça pour te mettre la honte sur 100 mètres ?

- Heu... franchement ? Oui, je crois même qu'il t'en aurait fallu un camion-citerne de tes saloperies. Et même avec ça, je ne t'aurais pas laissé l'ombre d'une chance. Si... Peut-être une seule. Celle de voir mes fesses, pour que tu puisses avoir une idée de la qualité dont je te parlais tout à l'heure. Quand on y pense, c'est même assez dingue que tu puisses avoir une médaille avec un tel cul à trimballer sur cent mètres...


Simone gagna avec plus d'une seconde d'avance sur une américaine et une russe. Maria-Olga se prit les pieds dans ses propres cheveux au départ et chuta au bout de cinquante centimètres. Elle fût emmenée au poste après qu'elle eût tiré dans le genou du starter avec son pistolet parce que celui-ci refusa de donner un nouveau départ. Elle devint complètement folle et resta cloîtrée pendant vingt-huit ans dans un asile psychiatrique où, tous les matins, elle se rasait le crâne et hurlait qu'elle était prête pour un nouveau départ.




Franck Pelé - nov 2012 - textes déposés à la SACD

A l'ombre des jeunes filles en fleurs



- Pardonnez-moi Madame mais nous discutons depuis maintenant presque deux heures et je ne peux m'empêcher de vous dire que je suis troublé par votre attitude...

- Pourquoi donc Monsieur ?

- Je ne sais pas... Je vous sens séduite, et en même temps, complètement fermée.


- Vous n'avez pas tort.

- Mais si l'état séduit est une des clés de votre épanouissement, pourquoi luttez-vous pour empêcher son processus ?

- J'ai connu quelques soleils Raoul. Vous permettez que je vous appelle Raoul ?

- Je vous en prie. Si vous me dites votre prénom...

- Simone.

- Ravissant.

- Merci. J'ai donc connu quelques soleils mon cher Raoul, et entre ceux qui brûlent, ceux qui aveuglent, ceux qui ne font pas bronzer qu'une seule peau et ceux qui réchauffent le climat mais sont dangereux pour votre planète, j'ai appris à ne plus m'ouvrir aussi facilement.

- Vous savez, l'homme peut aussi attendre d'une femme qu'elle soit sa lumière, sa flamme, sa chaleur, lui aussi a besoin de s'ouvrir.

- Oui, peut-être, mais vous admettrez qu'à notre époque, nous, les femmes, pouvons plus facilement tomber sur des tordus que vous sur des grandes malades. Quoique...

- Vous me l'enlevez ! Quoique ! Un jour, je suis tombée sur une femme qui était médecin, elle voulait que je lui fasse une ordonnance avant de lui faire quoique ce soit !

- Vous voulez dire... dans l'intimité ?

- Oui ! Tout était écrit. Je devais tout mettre sur papier. Et ensuite, respecter le traitement prescrit ! Caresser le dos deux fois par jour, l'embrasser à pleine bouche juste avant les repas, prendre la température avant d'entamer un traitement de fond... Et je devais mettre une blouse et des gants !

Simone partit dans un formidable éclat de rire :

- Ah oui, elle était joliment cintrée celle-là... Je ne vais pas vous raconter mes expériences, ça vous ferait peur...

- Je vous en prie Simone...

- Bon. C'est vrai que si chaque homme est un voyage, toutes les destinations ne font pas forcément rêver... J'ai remarqué que les hommes étaient très conditionnés par leur métier. Et pendant l'amour, certaines habitudes étaient particulières. J'ai connu un chauffeur de taxi qui n'arrêtait pas de me demander mon itinéraire préféré jusqu'à ce que j'arrive à destination. Un docteur, un généraliste, qui me demandait de faire aaaaaaaah avant de m'embrasser, la première fois j'ai dit oui, mais quand il m'a demandé la même chose au moment où je commençais à monter vers l'extase, alors que j'étais en plein ooooooooh, je lui ai dit que j'étais assez grande pour choisir les voyelles de mon plaisir ! Vous imaginez ? En plein "oooooooh" il me dit "non, faites aaaaaaaah je ne vois rien là !" Quel con ! Je peux vous dire que lui, il a descendu très très vite mon escalier. Je me souviens aussi de ce navigateur qui me demandait souvent sa position préférée mais il fallait que je réponde en latitude et longitude. Ou ce restaurateur asiatique qui me caressait les seins avec des baguettes pendant qu'il préparait un improbable nem. Tu m'étonnes qu'on ne puisse pas être autrement qu'aigre-douce pour accompagner un truc pareil ! Pardon... Je dois vous choquer...

Raoul pleure de rire, il sert à nouveau le vin dans les deux verres qui se vident avec toujours plus de complicité.

- Ah non... Vous êtes absolument divine de franchise et d'esprit...

- Mais ne me laissez pas parler toute seule. Racontez-moi aussi vos aventures avec vos cintrées, je suis sûre qu'il n'y a pas eu que la grande perchée du stéthoscope...

- Ah non... J'ai eu la banquière qui voulait toujours me baiser sans que je me déshabille. Enfin me faire l'amour, pardonnez-moi...

- Ah oui ? Et pourquoi donc ?

- Elle ne supportait pas les hommes à découvert.

- Et les découverts autorisés ? Elle aurait pu vous déshabiller elle-même ?

- Elle disait que les découverts autorisés étaient impossibles à gérer...

- Je me souviens de cet homme politique qui ne tenait jamais ses promesses... De ce grand patron qui écoutait les podcasts de Jean-Pierre Gaillard pendant que je m'activais à réveiller son capital. Oh, et celui-là... Un chef d'orchestre qui exigeait que je prenne mon pied en fa dièse !

- Moi j'ai connu une réalisatrice qui me disait "moteur" au moment de me mettre en condition, puis "action" quand elle s'allongeait, et "coupez" quand elle avait fini ! Aucun de ses films n'a marché...

- Vous voudriez tourner un film avec moi Raoul ?

Raoul figea un instant son sourire, son visage devenait légèrement grave, pas loin d'être bouleversé :

- Pardon ?

- Je voudrais tourner un film avec vous, de longs plans, nous laisserions tourner la caméra aussi longtemps que nous exprimerions nos frissons... Je vous autoriserai tous les découverts, je vous soignerai sans ordonnance, faites-moi chanter toutes les notes, crier toutes les voyelles...

- Simone, ne jouez pas avec moi, si vous m'invitez à voyager avec vous, je sais déjà que je ne reviendrai jamais, si vous m'invitez, je pars immédiatement. Votre destination sera la mienne.

- Vous ne voyez pas comme je suis ouverte à présent ? Comme je me suis épanouie en votre présence ? Regardez mes yeux, ma peau, sentez mon parfum, tout est vivant, doux, frais, comme jamais... Vous êtes ma naissance Raoul. Vous venez de me faire fleur.






Franck Pelé



Novembre 2012 - Textes déposés à la SACD - Paris 9ème.

Baby blues



Simone et Raoul étaient invités à dîner chez Solange, une amie d'enfance de Raoul. Enfin c'est Raoul qui l'a toujours présentée comme une amie d'enfance, parce que Simone a toujours pensé que Raoul avait continué de jouer au docteur avec la dame bien après l'âge de raison. Ils étaient douze à table, Solange avait invité plusieurs couples d'amis, plus la grand-mère qui mangeait à la cuisine, la superstition de Solange ayant eu raison de l'horrible bombe à retardement qu'eût été une treizième présence à table.

Après le savoureux saumon fumé sur blinis séparés par un petit lit de crème fraîche, le tout arrosé d'un Pouilly Fuissé 1999, puis le gigot haricots verts frais relevé d'un inoubliable Saint-Estèphe de la même année, vint le moment des photos. Solange passait chaque photo à son voisin de gauche, qui faisait la même chose, en racontant quelques anecdotes. Simone, la tête posée sur sa main, pour lui éviter de tomber d'ennui, les passait directement à sa gauche en jetant un très rapide coup d’œil sur chacune, histoire de s'intéresser un minimum. On ne pouvait pas faire moins que ce minimum.

Quand la photo du bébé arriva, elle ouvrit d'abord les yeux en grand, puis sentit une extraordinaire énergie monter en elle et la laissa exploser en un gigantesque hurlement de rire.

Raoul demanda, le sourire déjà dessiné par le rire de sa femme :

- Qu'est-ce que tu as chérie ?

- T'as vu cette tête de connard en puissance ? Ouuuuuuuuuhouuuuhouuuu !!! On dit toujours que les bébés sont beaux mais alors lui, c'est l'exemple parfait qui prouve que le beauf a été bébé un peu plus tôt ! Ahaaaaaa ahahahahahahaaaa ! Oh merde.... Le pauvre... Excusez-moi.... (elle renifle, essaie de se calmer, puis explose à nouveau) Mais c'est pas possible une tête de connard aussi jeune ! Il est déjà tout gras ! Je le vois déjà dans son survêtement du dimanche ! Un vrai petit magret de connard !

Solange :

- C'est mon fils.

Un blanc. Un long silence. Simone regarde tout le monde, un par un. Puis explose à nouveau :

- Aaaaaaaahahahahahaha Ouhouhouhouuuuuuuu... (Elle est complètement morte de rire) Tu lui as acheté une Fuego à pédales ? Tu lui a mis de la Kro dans son bib ? Il sort le bras par la portière quand il conduit ? Oh putain... Pardon je suis un peu vulgaire mais c'est la photo qui m'inspire...

Elle se reprend, regarde encore l'assistance et ajoute :

- Excusez-moi... Oh que c'est bon de rire comme ça...

Raoul :

- Simone, je crois que c'est à Solange que tu dois des excuses...

- Pardon ? M'excuser de quoi ? De se taper ses photos qui gonflent tout le monde à chaque repas ? De se taper les conversations aussi ridicules que ses photos avec ses faux amis qui sont d'accord avec moi mais ne le diront qu'une fois dans leur voiture ? De voir ses pieds très proches des tiens sous la table à chaque fois que je fais tomber ma serviette ? M'excuser de quoi Raoul ? De peiner à la voir distinctement galérer sur la premier barreau de l'échelle de l'élégance tellement elle est minuscule ? N'y voyez aucune prétention Mesdames et Messieurs mais seulement l'expression de la distance qui nous sépare. M'excuser de quoi ? De la caricature d'un bébé né pour devenir un gros con ?

- Mais enfin Simone, il est adorable son fils sur cette photo !

- Toi Éveline, je connais très bien ton esthéticienne alors soit tu fais museau dans ton gigot, soit je balance la taille exceptionnelle du sac poubelle qu'on doit utiliser après ton passage ! Bien sûr que non il n'est pas adorable ! On dirait un futur touriste de Bangkok, un gros lard vicieux, un facho qui appelle sa femme maman et hurle si c'est trop cuit ! Arrêtez tous d'être béats d'admiration dès que c'est un bébé ! Si parmi les adultes, on trouve autant de gens bien que de gros cons, y'en a forcément autant chez les bébés, c'est mathématique ! Et lui là, pardonnez-moi d'insister mais il n'a pas vraiment la tête du César du meilleur espoir masculin !

Raoul, à Solange :

- Je suis profondément confus et désolé Solange, elle n'est pas dans son état normal...

- Ah mais si mon loulou, je suis tout à fait bien, lucide, et même parfaitement détendue grâce à cette bonne crise de rire, merci Solange… Pour une fois que tes photos servent à quelque chose… Par contre, dis-moi, quand tu as fait ce bébé toi, tu avais bu de la bière en rotant ? Tu étais dans une tribune populaire d’un stade de foot ? Tu regardais TF1 en lisant la presse people ? Tu étais dans un camping à Argelès dans une caravane trop petite qui empestait le Ricard ?

- Simone !

- J’y vais Raoul, ne te dérange pas, je vais te laisser aider la dame à ranger son petit intérieur, ce ne sera pas la première fois que tu lui ranges… Tu sais ce qui me rassure ? C’est que tu ne sois pas le père de cet avorton, maintenant, j’en suis sûre…

Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, au plaisir ! Solange merci pour tout, c’était très bon. Dis donc, j’y pense, je peux avoir l’intégrale du Big Dil en DVD par ma concierge, je te les garde pour le petit ? Il va adorer…



Règle n°59 : Les enfants des autres sont toujours moins beaux que les siens. Surtout quand la mère aurait pu porter celui de votre mari.


Franck Pelé - Nov 2012

Simone est éternelle




- Tu as bien dormi mon amour ?

- Oh... Je viens de faire un rêve tellement... c'était tellement vrai... J'étais jeune, je devais avoir vingt-cinq ans, on était sur une route de campagne, l'été, je conduisais une de tes belles voitures, la Jaguar je crois, j'avais ma petite robe blanche à motifs violets, tu te souviens ?

- Très bien oui... Je me souviens surtout des moments où je la déboutonnais.
..

- J'ai vieilli Raoul... Regarde-moi ça... Dans mon rêve, ma peau était belle, ferme, douce, claire, comme neuve, et là, on dirait un vieux sac en croco.

- Pfff... n'importe quoi... Tu es toujours aussi belle, et si ta peau accueille quelques petits dessins du temps, c'est parce que le temps est jaloux de ton éternité.

- Quelle éternité ?

- Celui de ton charme, de ta classe, de ta jeunesse que je vois tous les jours dans tes yeux, dans tes mots, dans tes rires, dans tes petites habitudes, dans tes doutes aussi.

- Tu es gentil mon chéri, mais ton amour ne va pas suffire à me convaincre que je ne vieillis pas... Mes seins tombent doucement, eux qui étaient si fiers, mes épaules suivent le même chemin de ce lent déclin, j'ai des rides à tous les coins de rue, si je me maquille je fais vieille et si je ne me maquille pas je fais morte...

- Mais tu es folle ou quoi Simone ?

- ...

- Simone !!!

- Quoi...

- Tu es absolument divine, splendide, sensuelle comme jamais, tes seins ont la même sensibilité, la même élégance, le même goût, et je me fous de savoir où ils regardent ! Tant qu'ils ne regardent que moi... Tes petites rides sont des passerelles entre toutes les époques où j'ai eu la chance de t'avoir comme femme, quand tu te maquilles, tous les hommes deviennent fous, à la limite de l'état sauvage, et quand tu ne te maquilles pas, tous les hommes ratent la plus délicieuse beauté naturelle qui soit, celle que je vois tous les matins !

- C'est toi qui me rends belle mon amour...

- Arrête avec cette compétition que chaque femme veut livrer à son image... On s'en fout. Et puis c'est idiot, si tu le vois comme un combat, il sera perdu, le temps est plus fort, toujours. Accepte-la ton image, et surtout, arrête de voir les gens qui ne voient les autres qu'à travers ce prisme ridicule de la compétition physique, de la perfection, de l'idéal. Va voir les gens qui t'aiment, ceux qui savent qui tu es, qui ont toujours été sous le charme, jamais jaloux, jamais envieux, jamais méchants, passe du temps avec eux, ils le méritent. Parce que ce sont ces gens-là qui rendent beau.

- C'est vrai... Quand je pense à mes amis, à ceux qui ont cette nature dont tu parles, je me souviens que je suis toujours bien avec eux, que je ne fais jamais attention à mon allure, ma façon de m'habiller, de me coiffer ou de me maquiller, je suis simplement bien, moi-même, et je me sens belle... Parce que je sais qu'ils me trouvent belle... Et puis surtout parce qu'ils sont plus vieux que moi...

- Simone...

- Je plaisante ! Non... Bien sûr que je sais la richesse de ces gens-là... Quel que soit mon âge, ils me trouveront toujours charmante, ils le penseront, je le sentirai, à chaque fois, comme une cure de jouvence... Je sais mesurer la différence de qualité entre la beauté qu'ils voient et celle après laquelle on court comme des aveugles... Et cette beauté-là, quand on vous l'offre, qu'est-ce qu'on est bien... Qu'est-ce qu'on est beau...

- Tu vois que tu n'as aucune raison de t'inquiéter... A moins que tu ne sois déçue de ne plus faire fantasmer les jeunes trentenaires dans la rue...

Simone regarde le visage de Raoul, encore éclairé d'un sourire complice et légèrement ironique, elle attrape un coussin et le lance soudainement dans sa direction. S'en suit une folle bataille de tout ce qui se trouve à portée de main, et quand Raoul immobilise enfin sa femme en lui tenant les poignets, plaqués sur le lit, allongé sur elle, elle lui chuchote :

- Je les fais toujours fantasmer les jeunes trentenaires... Autant que leurs pères et leurs grand-pères... Mais je ne suis jamais aussi belle que dans tes yeux mon amour... Et si c'est le plus beau cadeau que tu me fais chaque jour depuis trente ans, tu m'en fais un autre, tout aussi beau, depuis toujours...

- Lequel ?

- C'est grâce à tes yeux que je n'ai jamais cessé de voir la vie aussi belle, même quand les miens ne voulaient plus y croire.

- Je n'ai aucun mérite. Tu as toujours été dans mon champ de vision...




Franck Pelé -Novembre 2012 - textes déposés à la SACD

Hair



- Tu ne remarques rien Raoul ?

- Tu as repris la cigarette ?

- Non, je parle de mes cheveux...


- Tu as changé de coupe ! Je me disais aussi... tu étais moyennement expressive... C'est fou comme ça te change les cheveux longs... Tu as dû passer la matinée chez le coiffeur... Enfin chez le coiffeur-tailleur parce qu'une écharpe en cheveux, un châle en cheveux, une robe en cheveux, t'as un forfait illimité au niveau capillaire ?

- Je n'ai pas changé de coupe, j'ai changé de coiffure ! Tu ne vas pas chez le coiffeur pour avoir les cheveux longs mais pour les couper ou les coiffer Raoul, ils sont aussi longs qu'hier, ils n'ont pas poussé de cinq mètres dans la nuit...

- Forcément, sinon tu aurais passé ta matinée chez Jardiland.

- Tu veux toujours que je les attache, alors voilà, je les ai attachés... mais différemment. Tu aimes bien ?

- Heu... disons que c'est un peu égoïste comme coupe mais c'est...original. On dirait un lévrier afghan hyper timide.

- Égoïste ? Pourquoi égoïste ?

- Parce que tu gardes tout pour toi, ton regard, ton sourire, ta bouche... Et vous vous mettez à plusieurs pour te laver les cheveux ? Comment ça se passe ? Et pour les sécher ? Tu vas au pressing ?

- Non, j'ai une carte lavage chez Total. Les rouleaux ça va encore même si ça fouette un peu les flancs, mais le séchage, Sandy à côté c'est un léger courant d'air ! Quand je sors on dirait les Jackson five puissance douze. Après je passe à l'atelier où des centaines de petits enfants clandestins me lissent les cheveux.

- Ah bon ? Mais c'est illégal ça non ?

- C'est ta naïveté qui devrait être illégale mon chéri ! Évidemment que je fais tout toute seule ! Comme d'habitude d'ailleurs ! Tu devrais être content de ne pas voir mon visage, au moins quand je fais la tête tu ne vois rien.

- Tu fais la tête là ?

- Non je fume.

- Mais tu vas t'enfumer toute seule derrière ton rideau de crin si tu n'as pas de bouche d'aération !

- Et ta sœur, elle a une bouche d'aération ?

- Oui, et son mari a une colonne sèche figure-toi, c'est dingue non des gens autant faits l'un pour l'autre ?? Allez, éteins ça, tu vas te foutre le feu à la touffe...

- Ça en fera au moins une qui connaîtra la flamme...

- Pardon ?

- Rien


Raoul enlève la cigarette de la bouche de Simone :



- Raoul, remets cette cigarette tout de suite !!!



Raoul s'exécute.



- Aïe !!! Tu me la mets dans le nez là !

- Mais forcément, je vois rien avec ta coupe de schizo !

- Raoul !!! Regarde-moi !

- Quoi ?

- Dans les cheveux ! Regarde-moi dans les cheveux !

- Oui... quoi ?

- Tu me traites encore une fois de schizo quand je m'occupe de MON corps, je te jure que je me laisse pousser le maillot aussi longtemps que j'ai laissé pousser mes cheveux ! Et si tu veux que ton désir tutoie le trait d'union, il va falloir que tu tailles la route façon Koh-Lanta ! Il va falloir qu'il s'enfonce méchamment dans la forêt le grand méchant loup si il veut choper le petit chaperon ! Et vu la difficulté d'accès, il se pourrait que tu rebrousses poils en hurlant ta frustration sous la pleine lune !

- On dit rebrousser chemin...

- C'est parce que tu n'as jamais pris ce chemin-là ! Pour une fois, si tu me cherches, je te jure que tu ne me trouveras pas. Je vais mettre de faux panneaux, des sens interdits, des pièges à loup, des tavernes à whisky, tu vas tomber dans tous les panneaux, dans tous les pièges, tu vas astiquer tous les bars, appeler les secours complètement bourré, les pompiers te surnommeront l'ivre de la jungle tellement tu seras défait comme une loque, mou comme de la pâte à Mowgli ! Tu ne pourras plus jamais mettre un pied dehors tellement la honte te couvrira !

- Ça y est ? T'as fini ? Tu devrais ouvrir un peu parce que j'ai l'impression que tu es en surchauffe là... T'as pas une tringle sur le côté pour ouvrir les rideaux ?

- Oooooh non, rassure-toi, je vais très bien, et j'en ai encore beaucoup sous la pédale ! Estime-toi heureux que la schizo freine sinon c'était le choc frontal ! Si je lâchais les cheveux, tu n'en sortirais pas vivant !

- Bon, bah là, je crois qu'on l'a perdue...

- Dis donc Raoul, t'as jamais pensé à te laisser pousser le compliment ?

- Si, très souvent, mais il faut une terre fertile, arrosée régulièrement par un soleil généreux. Mais comme je vis avec une tonne de cheveux qui me prend pour un miroir, un miroir qui ne doit réfléchir qu'une seule réponse, celle qui la rend belle, rien ne pousse.

Au même moment, on sonne à la porte d'entrée.

- Oui ?

- Bonjour Monsieur, j'ai une commande pour Madame Langlois.

- Oui, qu'est-ce que c'est ?

- Ce sont les cinquante colis que vous voyez sur votre pelouse là.

- Mais... Qu'est-ce que c'est que ça ? Vous avez dû vous tromper.

- Des bigoudis.

Raoul, se retournant vers Simone :

- Mais tu es complètement attaquée ma pauvre chérie !

- Et voilà ! Donne-moi encore de l'amour ! On veut se faire une petite permanente et on est attaquée ! Excuse-moi d'avoir les cheveux longs !!!






Textes Franck Pelé (déposés à la SACD)

samedi 27 octobre 2012

Le port de l'angoisse




- Je ne suis pas quelqu'un pour toi Simone, tu me l'as dit toute la soirée...

- Mais pas du tout ! Je t'ai juste dit que ce n'était pas facile d'être la femme d'un acteur qui ne tourne pas, je n'ai jamais dit que tu n'étais pas pour moi !

- Tu as peut-être raison, je ne suis pas assez ancré à la réalité de ta terre, je ne suis pas assez rassurant pour toi...

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je suis un port, un charmant petit port, je suis quelqu'un qu'on quitte. On vient amarrer ses envies, on mouille le temps du bonheur, puis on largue les amours, et on quitte le port pour un endroit plus grand.

- On mouille le temps du bonheur ? T'es en course pour l'oscar de la métaphore mon chéri ! Et ça veut dire quoi ça ? Tu me prends pour qui là ? En gros, tu dis que je pourrais te quitter pour aller jeter l'ancre ailleurs ?

- Pas forcément pour jeter l'ancre ailleurs, mais quand tu me dis que tu as besoin d'une base ferme pour te reposer, te sentir rassurée, je me dit que tu ne seras jamais vraiment sereine dans le monde que je te propose, pas toujours calme, qui fait souvent tanguer les rêves. Si tu ne t'habitues pas à mes vagues, tu finiras par avoir le mal de mer. Si tu me quittais, ce serait parce que je n'aurais pas su être une terre d'accueil, parce que je n'aurais pas pu être une autre nature que celle du joli petit port dans lequel on vient définitivement s'attacher.

- Mais je n'ai jamais dit que je voulais te quitter, j'ai dit qu'il y a des femmes qui t'auraient quitté dans une situation similaire !

- Il y a aussi des femmes qui seraient restées. Mais je ne t'en veux pas. Tu as le droit d'avoir peur parce que je ne suis pas un grand financier...

- Je n'ai jamais voulu que tu sois financier ! Un banquier... c'est bien le dernier port dans lequel je voudrais rester...

- Je suis pourtant sûr d'être une idéale fin de voyage, un autre départ, sans bouger, pour une vie pleine d'écume, quelqu'un qui retient, qui fait battre les voiles mais je comprends qu'on puisse me voir comme une étape, comme la promesse d'une île que je ne suis pas, c'est vrai, je ne suis que l'endroit où l'on se repose avant de repartir...

- Dis donc, tu serais pas en train de me dire que t'as besoin de place toi ? Y'a des vedettes qui attendent pour mouiller au ponton ?

- Simone ! Arrête ! Là c'est vulgaire, moi tout à l'heure, j'étais dans la sémantique marine !

- Et alors ? Moi aussi je suis dans la sémantique marine ! C'est quoi ton problème Raoul ? Ça te donne des vapeurs toutes ces copines à voile qui crèvent d'envie de souffler dans ta corne de brume pour te dire qu'elles sont bien arrivées ? Arrivées à bon port !!!

- Mais pourquoi faut-il toujours que tu retournes la situation !!! C'est toi qui me dis que des femmes pourraient me quitter parce que je ne suis pas célèbre et que je ne promets rien de solide et tu me parles de copines alors qu'il n'y a que toi qui profite de mon ponton !

- Je retourne ce que je veux ! C'est toujours mieux que de retourner les naufragées en détresse !

- Les naufragées en détresse ? Mais de quoi tu parles là ? Allez, allonge-toi, je crois que tu as un peu trop bu...

- Tu crois que je le vois pas ton charmant petit port avec son phare à paupières ? C'est un vrai piège à quilles ! Tu fais ton atmosphère tranquille et prometteuse, idéale pour une embarcation faite pour toi, mais dès que tu vois une voile gonflée de désir, t'as les yeux à la coque et les doigts comme des mouillettes ! Y'a plus qu'à les beurrer !

- Simone, y'en a qu'une qui est beurrée pour l'instant, alors sers-toi un grand verre d'eau, puis quinze autres, et viens te coucher !

- Excuse-moi mais j'ai besoin d'une base ferme pour me reposer, tu l'as dit tout à l'heure. Alors je vais retourner à la soirée, je viens bien finir par me trouver un acteur plein aux as qui saura me rassurer ! Ou même un producteur tiens ! Parce que pour moi, la célébrité et l'argent, c'est une base très ferme sur laquelle je saurai m'asseoir longtemps sans avoir le moindre vertige !

- Simone, tu deviens aussi artificielle que ces ports de riches sans âme pleins de yachts qui viennent agiter leur fortune sous le nez des badauds...

- Fais attention de ne pas trop t'ouvrir aux vedettes qui cherchent à s'attacher Raoul, ce serait dommage que le charmant petit port devienne un gros port !

- Aucun risque ! Je resterai toujours celui que je suis ! Un petit port dans lequel on vient vivre parce qu'on l'a cherché très longtemps, pas parce qu'il est connu ! Va te vautrer là où tout le monde veut aller, va te faire offrir une coupe de champagne et du rêve en couchette, une vie de palace et du caviar en fourchette ! Moi, je suis là, je ne bouge pas, mais j'ai mille couleurs et mille horizons à offrir !

- Et moi j'ai des factures à payer ! Elles sont bien jolies tes couleurs mais elles n'empêchent pas les bateaux entretenus par le seul rêve de couler !

- Comme quoi un bateau de fortune peut être charmant mais instable, et un autre très solide mais froid comme un voyage sans émotions !





Franck Pelé - Octobre 2012

Conseil d'en haut sur le bas




- Qu'est-ce que tu fais Maman ? Je vais être en retard là...

- La vie est faite de hauts et de bas ma chérie. Plus les hauts seront solides, mieux ils sauront soutenir les bas.

- C'est à dire ?

- Quand on est en bas, on a toujours besoin de soutien. Sinon, on se retrouve vite à poil. Pour arriver tout en haut, il faut partir du bas, s'en servir pour remonter, et retrouver le sourire.

- Tu parles de quel sourire là ?

- Celui dont les côtés ressemblent plus à des cuisses qu'à des joues, le sourire que tous les hommes veulent voir.

- C'est bien ce que je pensais... Je ne suis pas sûre d'avoir envie de lui offrir mon sourire maman... Je veux juste être belle, et désirable, sensuelle, me sentir irrésistible, lui accrocher le désir tout en haut, mais je n'ai pas forcément envie qu'il m'emmène en bas, enfin pas ce soir, je veux prendre mon temps, être sûre de lui, je ne souris pas à n'importe qui...

- Alors fais très attention, parce que là, si tu pars sans vouloir sourire mais que tu proposes un élastique qui détendrait le mec le plus sérieux du monde, tu prends le risque qu'il tire dessus. Et après, on ne sait jamais ce qui peut se passer. J'ai fait pareil avec ton père pour notre premier dîner, avant le grand saut. Il était beau mon Raoul... Et moi j'avais vraiment préparé le dessert, j'avais empaqueté le sourire avec du beau ruban, tout en me disant que je ne lui laisserais aucune chance d'ouvrir le paquet.

- Et alors ?

- Il m'a séduite, comme personne avant lui. On a ri, on a parlé, on a partagé nos bonheurs, nos défaites, nos certitudes. Puis on a tremblé aussi, d'impatience, comme des enfants le soir de Noël, on crevait d'envie d'ouvrir nos cadeaux...

- Et tu lui as offert ton sourire.

- Ah tu peux le dire ! Beaucoup mieux que ça ! Il était très doué pour me faire rire à gorge déployée ton père !

- Maman !!!

- Oui, bon, bah tu me demandes, je te réponds !

- Alors je fais quoi ? Parce que moi je n'ai pas vraiment envie de déployer autre chose que mon charme ce soir...

- Ah bon ? Ah bah c'est pantalon et chemisier alors ma cocotte ! Et boutonné jusqu'en haut ! Parce que si tu te promènes avec le sourire à l'air, faudra pas t'étonner d'avoir mal à la gorge !

- Maman !!!

- Ma chérie, quand on tire trop sur l'élastique c'est là que le bas blesse !





Franck Pelé - oct 2012 - textes déposés SACD

Le lendemain matin



Hier soir, elle m'a trouvé beau, elle a dit qu'elle adorait ma voix, mes mains, ma peau. On a ri, on a raconté mille vies, on a volé au-dessus du temps, du monde, des gens. Quand ses yeux plongeaient dans les miens, j'avais l'impression qu'elle voulait que je sente qu'elle voulait y plonger, toute entière.

On a bu, on a chanté, pleins d'âme, de frissons, de toutes ces braises qui font les volcan
s vivants. Depuis la seconde où elle m'a ouvert la porte, je l'ai trouvée belle. Terriblement belle. Plus tard, je lui ai dit que j'adorais sa voix, ses mains, sa peau. Dès que je croisais son regard, j'avais la sensation d'être éclairé par toutes les lumières du monde, aucune idée noire n'aurait résisté.

J'étais transpercé par la moindre de ses expressions, de son visage, de son corps, sa façon de se mouvoir, de m'émouvoir, elle ne pouvait pas vivre pour quelqu'un d'autre que moi, parce qu'elle ne pourrait rendre un homme plus heureux que celui fondait sous sa flamme à l'instant. Et si elle pouvait me rendre si amoureux, alors elle allait être la femme la mieux aimée du monde.

Elle m'a dit qu'elle adorait que je sois si doux, si dur, la voir s'étendre, si tendre, se tendre et dans un cri d'extase se détendre dans un sourire qui ressemblait à l'équateur, parce qu'il était chaud, parce qu'il coupait le monde en deux, nous, et les autres.

Attendre, impatiemment, avec la souffrance sucrée qui accompagne le sel de la peur, attendre... La regarder se réveiller, doucement, la voir toujours aussi belle, n'avoir rien oublié, être marqué, parfumé à vie par son existence et prier pour que son sourire vous rassure autant que le vôtre l'inonde.

Son sourire était de ceux-là. Un sourire fait d'eau, de pierre et de feu. De cette eau qu vous désaltère, qui vous purifie, de ces pierres dans lesquelles on peut graver la suspension du temps, éternelles et solides, de ce feu qui saura vous embraser mieux que personne. Près d'elle je n'aurai jamais froid. Sa flamme me fera rêver, la mienne la fera danser.



Hier, déjà, je savais que c'était elle. Ce matin, elle était sûre que c'était moi.


Si c'est le soir qui couche un amour, c'est le matin qui le rend éternel.


Elle s'appelle Simone.






Franck Pelé - oct 2012

Simone plane à 15.000



- Tu vois Simone, là, on est juste au-dessus de la maison...

- C'est fou... c'est splendide... Mais tu es sûr qu'elle vient du volcan cette fumée ?

- J'imagine oui, toutes les chaînes de télé disent que le volcan est entré en éruption.


- Non parce que je ne savais pas qu'on habitait à côté d'un volcan...

- Et bien moi non plus, je l'ai appris grâce à la télé.

- Et puis comme l'éruption dont on parle concerne un volcan islandais, je ne savais pas même pas qu'on avait une maison en Islande... Il faut que tu arrêtes d'écouter les infos à moitié Raoul !

- Mais alors... cette fumée... Tu as éteint le gaz sous la friteuse avant de partir Simone ?

- Mais non tu m'as dit que tu le faisais !

- Mais n'importe quoi ! Je t'ai dit que je fermais tout pas que j'éteignais le gaz !

- Et alors ? Dans "fermer tout" y'a "fermer le gaz" non ?

- Mais non y'a pas "fermer le gaz" dans "fermer tout", y'a fermer les portes, les fenêtres, mais la cuisine c'est ton domaine, si tu t'occupes de mettre l'huile sur le feu tu t'occupes aussi d'éteindre le feu !

- Et allons-y, la cuisine c'est mon domaine ! Mais alors qui s'occupe de la connerie si je suis dans la cuisine ?? Comme j'étais habituée à ce que tu mettes régulièrement de l'huile sur le feu, je pensais que tu gérais la situation ! Mais c'est vrai, j'aurais dû penser que tu n'éteignais jamais le feu... enfin sauf le mien mais ça c'était quand tu avais envie de moi, dans les années 80...

- Pardon ?

- On en parlera un autre jour, déjà que la maison part en fumée, on va essayer de sauver notre couple...

- Mais qu'est-ce que ça veut dire ça Simone ? Tu ne savais peut-être pas qu'on habitait à côté d'un volcan mais moi non plus figure-toi ! Je croyais habiter à côté d'un champ de bigoudis sur lequel rien ne repousse et dont le sous-sol est plus froid que le permafrost !

- Ah oui ? Bah tu devrais venir plus souvent parce que la banquise fond plus vite que prévu ! J'imagine que c'est dû à l'activité humaine ! C'est marrant d'ailleurs ces peurs écolo là, moi je suis plutôt excitée par la montée des océans...

- Fais attention à ce que tu insinues Simone... On ne joue pas là... Et ne joue surtout pas avec mes nerfs à plus de 1500 pieds !

- 1500 pieds ? Dis donc, et moi qui n'en avais plus pris un seul depuis des années, c'est pour ça que je me sens si bien, merci mon chéri !

- Bon, tu m'emmerdes, puisque tu te sens si bien en altitude, je te laisse, moi je saute !

- Pfff... Tu ne le feras jamais... Il faut un sacré courage pour sauter, et....

Raoul ouvre la porte et hurle juste avant de sauter :

- Salut !!! N'oublie pas de sortir les roues pour atterrir !

- Raoul !!! Mais t'es malade !!! Raouuuuuuul !!!!!!

Après une longue chute, Raoul et son parachute touchent le sol, sur une colline d'où on peut apercevoir un immeuble en feu.

Il reste bouche bée devant ce spectacle terrible. Soudain, un sifflement sourd l'invite à se retourner et il se prend Simone et son parachute en plein thorax, ce qui le fait rouler sur vingt mètres. Il a à peine le temps de se relever qu'il se prend une volée de baffes sous les cris stridents de sa femme :

- Mais t'as voulu me tuer salaud, t'as voulu me tuer !

- Mais pas du tout, je savais que tu allais savoir ramener l’avion, j’avais parfaitement confiance, Madame a quand même quelques heures de vol !

Puis il réalise que Simone a sauté :

-Mais...qu’est-ce que tu fous avec ce parachute ? Ne me dis pas que… Mais Simone t’es malade ? Qu’est-ce que t'as fait de l’avion ???

- Je lui ai dit de rentrer tout seul, je l’ai mis sur pilote automatique, j’ai bien fait ? Moi tu sais, ma place c’est dans la cuisine, pas dans un avion, j’avais trop peur de l’abîmer…





Franck Pelé - octobre 2012 - textes déposés.

lundi 1 octobre 2012

De l'arbre la feuille est tombée



- Simone, tu as une baguette magique et tu peux changer trois choses dans le monde, tu changes quoi ?

- Je transforme le pommier au fond du jardin en arbre à billets de 500, et puis là c'est l'automne, ça tombe très bien, je mets l'Argentine et le Kenya à la place du Portugal et de l'Allemagne, ça nous fera moins loin et ça nous changera et je nous installe la météo de la Californie pendant dix m

ois sur douze.

- Et les deux autres mois ?

- De la neige à gogo ! Et toi ?

- Je recrute une gouvernante pour qu'elle s'occupe de la maison, de la cuisine et des enfants, je me réserve une voie sur toutes les autoroutes et routes du monde avec vitesse illimitée sur autoroute et une place de parking par rue dans les villes, et je nous redonne les corps et les énergies de nos 25 ans.

- C'est quoi ton problème avec mon corps et mon énergie ?

- Mais aucun Simone... c'est juste qu'on commence à fatiguer un peu, on met une semaine à s'en remettre quand on se couche après une heure du mat', on a les yeux cernés, on a pris un peu de ventre, tes seins commencent un peu à regarder ton nombril et...

- Pardon ? Alors attends Raoul... Attends, attends, attends... MES seins commencent à regarder mon nombril ? Mes seins regardent droit devant, comme celle qui les porte fièrement ! Et les hommes les regardent droit dedans ! Pas lassés pour un sou, EUX ! TU as pris du ventre, au point que ton désir, lui, n'a aucune chance de voir ton nombril ! D'ailleurs, même sans ta petite bouée de sauvetage, pas sûr que le bout de ton désir ait eu la moindre chance de le voir ton nombril vu qu'il passe sa vie la tête en bas ! TU as les yeux cernés parce que TU es mort de fatigue dès qu'on a passé minuit, ça doit être psychologique, et puis tu ronfles comme un sanglier qui a vidé trois tonneaux de vodka pomme ! Moi qui rêvais de vivre dans le sud pour m'endormir avec les grillons, j'habite à Bagnolet avec un bûcheron qui passe ses nuits à me faire siffler pour qu'il arrête sa déforestation !

- Et toi tu passes tes nuits à me faire scier avec tes sifflements ! C'est pire ! J'ai l'impression que c'est toi qui la rythmes ma déforestation !

- Mais depuis le temps que je te fais scier, comment ça se fait que tu es encore là ? Ce devrait être morne plaine avec tout ce que t'as descendu mon grand ! Moi je rêvais de prince charmant qui m'emmène au soleil, et finalement je suis la princesse sans grillons !

- Parlons-en de la princesse ! Parce que si l'image est belle, personne ne voit la citrouille qui sort de la salle de bain après minuit ! Moi au moins, je n'ai peut-être plus vingt-cinq ans, mais je n'ai pas besoin de me maquiller pour séduire !

- Non, tu as besoin de mentir, c'est pire ! Elles ont déjà vu ta tête au réveil tes fantasmes ? Ah non, je suis bête, elles sont déjà reparties à cette heure-là, en train de raconter à leurs copines à quel point les hommes se la racontent !

- Pas du tout, elles ne sont jamais déçues !

- Ah bon ? Mais on parle de quoi là Raoul au juste...

- De rien... Je voulais juste dire que lorsque des femmes qui me plaisent me regardent, à la piscine ou à la plage par exemple, je vois bien qu'elles ne sont pas déçues.

- Mouais... Fais attention Raoul...

- Quoi ?

- Tu sais très bien. Et la gouvernante, tu la voudrais comment physiquement ?

- Heu.... cheveux gris, forte plante, généreuse, une grand-mère de province à l'ancienne tu vois ?

- Une vieille et forte femme inoffensive avec les seins sur les genoux quoi, le genre de femme qui n'existe plus que par l'intérieur. Une femme au cœur magnifique mais au corps perdu, à la féminité disparue. Le genre qui fait rêver un homme comme toi quoi...

- Mais je sais que tu me poses la question pour voir si j'ai envie d'une femme plus...

- Plus quoi Raoul ? C'est la dernière fois que tu me rends vieille avec tes mots, tu m'entends ? La dernière fois ! Moi je te vois avec l'amour, toujours, je ne te vois pas vieillir à l'intérieur, et c'est ce qui m'intéresse, me séduit, me nourrit. Mais là, quand tu dis des choses aussi affreuses, là tu vieillis à l'intérieur, à l'endroit de ta flamme, de ton cœur, de ton charme. Ne vois plus jamais rien qui tombe chez moi, sinon c'est toi qui tomberas. Et mon amour avec.

- Excuse-moi mon amour... Si j'avais une baguette magique qui pouvait exaucer trois vœux, je demanderais trois fois à te garder toute ma vie. Et toutes celles d'après.

- Demande-le une seule fois, pour les vies d'après. Garde les deux autres vœux pour arrêter de ronfler et pour que tu n'arrêtes jamais de me faire jouir de la vie qu'on s'est promis.




Franck Pelé - Octobre 2012 - textes déposés

vendredi 28 septembre 2012

Entre les lignes




- Pourquoi es-tu venue si tu n'as pas confiance ?

- Je ne sais pas encore si j'ai confiance ou pas, je suis venue parce que j'ai lu tes mots, parce que personne ne m'avait encore touchée à ce point, personne ne m'avait autant donné envie de baisser la garde, d'y croire une nouvelle fois. Je suis venue parce que tu sais me lire comme on ne m'a jamais lue.

- Alors pourquoi cette arme ?


- Parce que je pourrais tuer l'auteur de tels mots s'ils n'étaient pas écrits avec la même force, la même vérité, la même bouleversante profondeur que celles qui m'ont emportée pendant la lecture...

- Pourquoi t'écrirais-je ces mots si je les écrivais comme on achète du pain ?

- Je ne sais pas... pour séduire jusqu'à la dernière miette ? A combien de femmes as-tu écrit ces mots ? Combien ont vibré devant tes douceurs, tes caresses, combien de serrures se sont offertes à ta clé Raoul ?

- D'accord. Je vais tout te dire, comme je l'ai toujours fait dans mes écrits, en toute transparence, avec mes rondeurs et mes failles. Oui, j'ai déjà écrit de tels mots à d'autres femmes. Mais jamais les mêmes. Et si certains se ressemblaient, ils prenaient tellement la couleur de celle à qui ils étaient destinés qu'ils s'inventaient un nouveau destin. Pourquoi avoir peur des mots que tu lis ? Pourquoi se demander s'ils sont neufs ? S'ils sont exclusifs ? Bien sûr qu'ils le sont ! Mais si amour ne s'écrit que d'une seule façon, si lèvres, cuisses, courbes, envies, frissons, nuit, romance, matin, séduction ne s'écrivent que d'une seule façon, ils se déclinent à l'infini ! Pourquoi demander si j'ai écrit ces mots avant toi ? Pourquoi ne pas demander à l'homme qui embrasse avec un regard profondément amoureux à combien de femmes a-t-il déjà offert ce regard ? Il l'aura déjà offert autant de fois qu'il a aimé. Mais il aura toujours aimé avec autant de vérité, sans tricher.

- Si tu trichais avec moi Raoul, je ne m'en relèverais pas. Si je me donne à toi, et que tu pars demain matin, ou la semaine suivante, je te chercherai jusqu'à la fin des temps, pour que tu ne sèmes plus jamais d'amour sur d'autres matins.

- J'ai aimé avant toi Simone. Et je vais même te provoquer un peu, je pourrais aimer pendant toi, le temps d'un regard, d'une conversation, d'un souvenir, d'un regret, sans jamais que mon amour pour toi ne soit trahi. Parce qu'il sera entier, complet, accompli, jusque dans ses imperfections.

- Ah mais je ne partage pas mon bon Monsieur !

- Non, ne réagis pas sans prendre de recul. Je veux juste te dire que si l'amour peut être pluriel, il n'est total qu'au singulier, et au plus-que-parfait. Je te dis ici ma transparence, je veux qu'elle soit la terre de ta confiance. Je ressentirai forcément des sentiments amoureux, précis ou flous, offerts par ces hasards qui n'existent pas. Mais si je te choisis, c'est parce que tu es exceptionnelle, unique, celle pour laquelle je suis fait. Et je me contrefous de l'exceptionnelle d'avant ou de l'exceptionnelle d'après, si tu me choisis, tu seras mon éternité. Mieux, mon exception dans l'éternité. Tu me figeras dans cette éternité qui sera la nôtre.

- Merci d'oser me dire ce que nous savons toutes mais que nous refusons d'entendre. J'aime ça. Et je dois te rendre cette sincérité. J'aurai moi aussi des moments où l'amour me frôlera, où la fièvre fera brûler mon corps. Mais si je suis celle que tu décris, que tu écris, si je suis celle qui te bouleverse autant que je le lis entre tes lignes, aucun amour ne saura être plus fort que le nôtre. Le mot alchimie sera bien trop faible, il faudra en inventer un autre. Tu l'inventeras pour moi ?

- Simone... La première fois que je t'ai vue, sur cette photo, j'ai su. Je ne savais rien de toi, je ne connaissais ni ta voix, ni ton caractère, ni la force de ton regard, mais j'ai su. Une femme est comme un livre. Une femme exceptionnelle sur votre route, c'est LE livre que vous devez ouvrir, vous le sentez, vous en brûlez. Ne me demande pas combien de livres j'ai eu envie d'ouvrir.

- J'y ai pensé mais non... répond Simone en souriant et en baissant doucement son arme.

- Quand je me suis retrouvé face à ton existence, plus rien d'autre ne m'intéressait que te lire, tout savoir de toi, ouvrir ton livre et tourner les pages, comme on fait tourner le monde. Un livre, on le lit, on le dévore, on le comprend, il vous fait rêver, il vous transporte, il vous bouleverse, il vous excite, il vous fait fantasmer, réfléchir, il vous fait vous remettre en question, il vous nourrit. Vous savez lire entre ses lignes, vous le protégez, vous le respirer, ses pages sont élégantes, parfumées, pleines de toutes les empreintes qui font les belles histoires. Oui, j'ai lu d'autres livres, mais je n'ai pas lu tous les livres, et votre chair est heureuse.

- J'adore quand tu me vouvoies... J'ai l'impression d'être une héroïne, d'être la femme la plus élégante, sensuelle, désirable du monde...

- Vous êtes mon héroïne Madame, et vous êtes tout cela. Et mille choses encore. L'histoire que vous allez me raconter chaque jour pourrait m'enivrer de bonheur pour plusieurs vies. Je vous regarde, et j'ai envie de vous lire, encore, et toujours...

- Vous voudriez écrire mes frissons sur plusieurs volumes encore ?

- Je vous lirai, je vous écrirai, nous nous écrirons ensemble, j'ajouterai votre voix aux chapitres les plus doux, je graverai vos promesses comme vos cris d'amour dans le cuir de la reliure, je soufflerai sur vos peurs et vos larmes pour qu'elles sèchent bien avant qu'on les lise, je passerai les doigts sur vos secrets pour que mes yeux aveugles connaissent l'immense plaisir de la lecture du cœur...

- Je te sens Raoul, je te ressens, définitivement. Ces mots-là, je sais qu'ils sont pour moi. Je sais que tu en aurais trouvé d'autres pour une autre, et je suis absolument à ma place avec ces mots-là. Je n'en aurais pas voulu d'autres. Et je n'aurais pas voulu être la femme d'avant ni celle d'après. Parce que tu m'aimes parfaitement, magnifiquement, délicieusement. Parce que tu es ma réponse. Mon cadeau.

- Tu es la plus belle histoire qu'on puisse offrir à un amoureux des couleurs de l'âme...

- Voudriez-vous laisser votre signature sur ma quatrième de couverture pour que je garde un souvenir de cette merveilleuse conversation ?

- Je préfère la laisser en pages intérieures Madame, je ne voudrais pas marquer votre cuir...

- Marquez mon cuir Monsieur, et feuilletez-moi sans jamais vous arrêter...





Franck Pelé - Septembre 2012

mercredi 26 septembre 2012

Let the sun shine




Simone et Raoul étaient voisins depuis qu'ils étaient enfants. Adolescents dans les années 70, en plein mouvement hippie, ils fumaient de l'herbe dès que leurs copains venaient jouer de la guitare dans le salon.

Odette, la mère de Simone, et Jeannine, la mère de Raoul, étaient aussi très amies. Elles avaient d'abord immédiatement mis leur véto à de telles pratiques, mais, seules à la maison avec
leur ado, l'autorité paternelle ne rentrant que tard le soir, elles avaient fini par baisser la garde :

- Salut Odette... Alors toi aussi t'es obligée de mettre un masque pour ne plus respirer leur truc là ?

- Ah non, pas du tout, c'est Simone qui a mis de l'herbe dans le filtre du masque et elle m'a dit de faire le ménage avec. Elle m'a dit que ça me détendrait. Et ben tu me croiras si tu veux mais je me sens légère comme jamais ! J'ai même composé une symphonie alors que j'ai jamais fait de solfège !

- Mais c'est quand même interdit ! Et puis c'est dangereux !

- Parce que respirer tes produits ménagers toute la journée là, sans savoir avec quoi ils sont faits, tu crois pas que c'est dangereux ? Je suis sûre que dans trente ans on nous dira que tous les immeubles étaient bourrés de matière toxique. Tiens, regarde l'amiante, la matière qu'ils ont posée dans les combles hier, qui te dit que c'est bon ce truc-là finalement ?

- Ah non non non... pas de ça chez moi...

- Ah bon ? Mais alors le nuage dans ton salon-là... Tu t'es acheté un cumul-nimbus pour l'étudier chez toi ?

- Non mais moi je n'en prendrai jamais de ce truc-là !

- Jeannine... La dernière fois que tu as crié de plaisir c'est quand tu as trouvé le même napperon que celui que ton chat avait déchiqueté... Tu ne bois pas, tu ne fumes pas, tu respectes toutes les règles, tous les codes...

- Et alors ? C'est valeureux non ? Et puis c'est sain, c'est de l'éducation, du respect, si tout le monde respectait tout comme je le fais on n'en serait pas là à écouter du Johnny Hallyday ou à regarder des films avec la Bardot là ! Tu les aimes mes fesses... Mais on s'en fout de ses fesses oui ! Est-ce que je montre mes fesses à la télé moi ?

- Je ne sais pas si ça ferait de l'audience...

- Le noir et blanc enjolive !

- Mais l'ivresse Jeannine, l'ivresse... Le lâcher prise... c'est bon parfois, tu ne crois pas ? Et Raoul, comment vous l'avez fait Raoul avec ton mari... Tu es tombée sur lui par hasard en allant faire pipi une nuit ?

- Pas du tout ! C'est un miracle... Je n'ai rien compris. Je me souviens que je rêvais, tu sais ces rêves où tout recommence sans arrêt, comme quand on te poursuit et que tu n'arrives jamais à échapper à tes poursuivants, et bien moi je rêvais que j'aidais Raoul à ranger sa canne à pêche dans son étui, et à chaque fois, il ratait. Et je n'arrivais pas à l'aider. Quand il a réussi, c'était fou, j'étais ivre de bonheur, comme pénétrée d'une joie intense, et il lui il était...

- Raide dingue d'avoir enfin pu ranger son matériel ?

- Oui, c'est ça... C'était vraiment incroyable. J'ai compris ce que nous avions fait en tombant enceinte quelques semaines plus tard. J'ai eu honte d'avoir fait une chose pareille... mais j'étais tellement heureuse d'avoir Raoul...

- Tu veux dire que depuis tu n'as... enfin... ton mari n'a plus jamais pêché avec toi ?

- Ah non ! Il va pêcher avec ses copains, je ne suis pas une fille de joie non plus !

- Jeannine... Tu as déjà vu tes parents s'embrasser ?

- Haaaann ! Malheur... Mais tu es folle ?

- Tu les as déjà entendus faire l'amour ?

- Odette arrête, tu es immonde !

- L'amour est immonde Jeannine ? C'est ça que t'ont appris tes parents ?

- Je ne veux pas en parler...

- Jeannine... Il est des drogues plus dures, plus dangereuses que toutes celles qui se fument réunies, et l'éducation en est une si elle n'est pas intelligemment appliquée. Si on t'apprend pendant des années à détester quelque chose de doux, à trouver mal quelque chose de bon, à mettre des verrous à toutes tes fenêtres, tu deviendras dépendante de tous ces interdits. Tu en seras même le fruit. Tu ne crois pas que le fruit des interdits doit manquer de goût ? De saveurs ? De jus ? Tiens, mets ce masque...

- Ah non.

- Mets ce masque Jeannine...

Deux heures plus tard, les deux mères entrent dans le salon enfumé, très élégantes, très sensuelles aussi. Jeannine s'adresse à son fils :

- Chéri, on va danser avec Odette. Tu ne vas pas dans la cuisine parce qu'elle sèche, je l'ai repeinte en rouge, je ne supportais plus ce papier peint à fleurs là... J'ai jeté toutes tes chaussettes qui traînaient depuis plus d'une semaine, je t'ai emprunté ton livre sur Bardot, et tu diras à ton père que je vais rentrer tard mais qu'il garde sa canne à pêche à portée de main parce que je sens qu'il va y avoir du goujon au petit matin, il comprendra. Et on t'emprunte ta moto aussi. Bonne soirée les amoureux, bonne soirée Simone.

- Bonne soirée Jeannine...


Odette prend les clés de la moto de Raoul, quelques feuilles, un peu d'herbe, une bouteille de vodka, met tout dans son sac à main et dans celui de Jeannine, embrasse sa fille sur le front, installe Jeannine sur la selle de la moto, et s'installe devant elle, au guidon. Elles partent en roue arrière en riant aux éclats.

Simone regarde Raoul, en train de rouler son pétard :

- Raoul... Je me demande si c'est bien de fumer finalement... Tu nous vois partir en roue arrière à cinquante piges ?

- Ce serait pas mal oui... non ?

- Attends... ta mère est en jupe là ! C'est la première fois que je vois ses genoux depuis dix ans ! Je n'étais même pas sûre qu'elle en avait !

- Oui, tu as raison, il y a d'autres moyens de se sentir bien... Qu'est-ce qu'on fait ?

- Je ne sais pas... On va pêcher ?





Franck Pelé - Septembre 2012

Ce qui fait tourner le monde



- C'est vraiment petit... Avec tout ce qu'on disait sur le sujet, je pensais que c'était un peu plus gros que ça...

- Oui mais regarde, si tu mets tes doigts comme ça, et que tu fais ce mouvement, tu peux changer la taille.

- Et tu peux toucher beaucoup de femmes avec ça ?


- Toutes celles que je connais. Elles sont toutes dessus.

- Et elles aiment vraiment ça ?

- Toutes celles qui y ont goûté ne peuvent plus s'en passer, les autres y viendront un jour ou l'autre. Sauf les coincées ou les vieilles filles, mais ça, c'est une question de caractère. Ou d'habitude.

- Je peux essayer ?

- Bien sûr, mais fais attention à toi en t'approchant, avec la pipe tu pourrais prendre feu.

- C'est vraiment tout fin... Et donc là, si je mets mes doigts comme ça... ah ouiiiii je peux l'agrandir ! C'est dingue ! On dirait qu'il manque un peu d'énergie non ?

- Il est bientôt vide, c'est normal... Enfonce-le dans une source électrique et il va se recharger très vite. Il a une autonomie assez impressionnante, il faut l'astiquer régulièrement pour qu'il reste performant et s'il vibre c'est qu'il t'appelle.

- Ça a un nom ce truc ?

- Un iPhone.






Franck Pelé - Septembre 2012

Frissons dans l'obscurité



Raoul et Simone avaient besoin de mettre du piment dans leur couple. Raoul avait proposé à Simone de la rejoindre au cinéma, dans le cadre idéal d'une salle obscure, pour se redécouvrir, comme s'ils étaient étrangers à toute expérience qui les liait.

Il lui avait dit : "Tu viendras prendre place au huitième rang, au septième siège en partant du couloir, je viendrai m'asseoir à ta droite, tu port

eras une jupe et un chemisier sans rien en-dessous, et je m'occuperai de tes frissons pendant deux heures."

En sortant de la salle, ils se retrouvent au bar, Raoul est ravi de sa petite mise en scène mais Simone semble déçue :

- Je ne comprends pas Simone... Tout s'est passé à merveille et tu fais encore la tête... Je ne comprends pas ce qu'il te faut pour que tu sois contente. Pourtant, pendant le film, tu semblais plutôt ravie de ce que je te faisais non ? C'est quoi le problème ? Encore une histoire de pudeur ?

- Ravie de ce que tu me faisais ? J'étais comme une cocotte minute et la seule chose que j'ai sentie c'est ton manteau sous mes fesses quand je suis arrivée. Tu m'as dit pardon, tu as mis ton manteau sur tes genoux et plus rien. Tu parles d'un piment !

- Hein ? Mais mon manteau je l'ai mis à ma droite, pas à ma gauche ! Je t'ai dit "je viendrai m'asseoir à ta droite, donc tu étais à ma gauche !"

- Oui et bien j'étais en retard alors j'ai demandé à ma mère de garder ma place mais comme le film était commencé et que je ne voulais pas que tu m'engueules parce que j'avais dit à ma mère de venir, je lui ai dit de ne rien dire, que tu ne la reconnaîtrais pas dans le noir, et comme elle est miro, elle n'aurait rien vu de notre petit jeu.

- C'est ta mère qui était à ma gauche ???

- Et alors ? Arrête avec ma mère ! Elle n'a rien dit, elle était dans son coin, tranquille ! Elle t'a pas empêché de voir le film non ? Alors lâche-la un peu !

- C'est ta mère qui a eu l'idée de te garder ta place ?

- Oui.

- Et quand je t'ai proposé le scénario de notre petit jeu, hier soir, à table, tu es sûre qu'elle était couchée ?

- Oui, je crois, pourquoi ?

- Parce que ça m'étonne que ta mère vienne au cinéma en jupe et en chemisier sans rien en dessous !

Simone, horrifiée :

- Quoi ??? Oh p..... c'est pas vrai... Raoul... C'est pas vrai ? Qu'est-ce que t'as fait avec ma mère... qu'est-ce que t'as fait avec ma mère???

- Mais comment je pouvais savoir que c'était ta mère !!!

- Mais je sais pas moi, la texture, l'excitation, les réactions ! Le parfum !

- Et bien figure-toi qu'elle est très étonnante ta mère, elle réagit au quart de tour, comme sa fille !!! Et vérifie qu'il ne te manque pas un peu de parfum dans ton flacon parce que sa peau sentait comme la tienne !

- Mais ne me parle pas de la peau de ma mère !!!

- Et toi, quand j'ai mis mon manteau, tu n'as pas trouvé bizarre que je dise "excusez-moi" ?

- Tu m'as dit qu'on était comme des étrangers, je croyais que tu me vouvoyais pour le jeu !! T'es allé jusqu'au Raoul ???

- On est restés deux heures dans le noir, je suis allé jusqu'au bout du jeu... Comment tu voulais que je sache ?? Mets-toi à ma place !

- Si je pouvais revenir en arrière et me mettre à ta place, on aurait encore une famille unie et normale ! Mais c'est horrible !!! Non mais tu te rends compte Raoul ??? Tu as mis du piment dans la vie de ma mère au lieu d'en mettre dans notre couple !!!

- Mais c'est elle qui a tout prévu ! Elle a entendu notre petit jeu, elle s'est habillée comme tu devais t'habiller, elle a mis ton parfum et elle a proposé de te garder ta place parce que tu étais en retard !

- Mais elle ne ferait jamais une chose pareille !

- Ah oui ? Et pourquoi tu étais en retard tiens ? Raconte...

- ......... ma mère avait oublié son sac et m'a demandé d'aller lui chercher...

- Voilà !

- Mais de quoi suis-je le fruit ??? De quoi suis-je le fruit ???

A ce moment-là, Simone se réveille, secouée dans tous les sens par Raoul, et la mère de Simone fait irruption dans la chambre, affolée par les cris de sa fille. Simone se redresse dans le lit, regarde Raoul, puis sa mère, et hurle à sa mère :

- Qu'est-ce que tu fais dans notre chambre toi ? Tu es en manque de piment ? Tu viens pour la séance de minuit ?

Raoul :

- Mais qu'est-ce que tu racontes chérie...

- Toi tu ne me touches pas ! T'es même pas capable de faire la différence entre une pêche et une vieille pomme ! Mais tu t'en fous hein, tant qu'il y a des fruits, tu cueilles toi !

La mère :

- Simone, je crois que tu viens de faire un cauchemar...

- Maman, tu vas souvent au cinéma sans rien en dessous ? Faut que tu fasses attention, on s'enrhume vite à ton âge... Tu as aimé le film ? C'était bien hein ? Les personnages étaient vraiment bien fouillés ! Les natures formidablement mises à nu ! On sent que la réalisateur voulait qu'on aille au fond des choses avec lui !

Raoul secoue Simone :

- Simone, mais comment tu parles à ta mère ?? Tu es devenue folle ???

- Ah ça y est, tu as toujours détesté ma mère, tu as toujours été à deux doigts de l'insulter mais maintenant qu'elle les connaît, c'est le grand amour !

- Simone !!!!!!! Arrête !!!

Simone halète, regarde Raoul, puis sa mère, et demande :

- On est quel jour ?

- Vendredi

- C'est aujourd'hui qu'on devait aller au cinéma n'est-ce pas ?

- Oui...

- Oh merci mon Dieu.... Merci !

- Je ne savais pas que ça te faisait autant plaisir...

La mère :

- Vous allez au cinéma ? Je peux venir avec vous ?

- Naaaan !!!!!!!








Franck Pelé - Septembre 2012

Toujours prendre le temps d'ouvrir l'enveloppe



- Monsieur, acceptez-vous de prendre pour épouse.....

- Ouiiiiiii !!!

- Mais attendez, je n'ai pas fini !


- Je m'en fous ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui à tout !

- Et votre discours sur l'enveloppe et la beauté de la lettre à l'intérieur, vous êtes sûr de bien la connaître cette lettre ? Vous me semblez guidé par le seul critère physique là...

- Mais pas du tout ! Allez, on y va là ! Je peux lui mettre le doigt ?

- Pardon ???

- Je peux lui proposer mon doigt pour l'alliance ?

- Mais attendez enfin ! Elle n'a pas encore répondu !

- Mais elle va dire oui, forcément ! Sinon on ne serait pas là ! Tu connais beaucoup de femmes qui se préparent pour le jour de leur vie et le transforment en cauchemar au dernier moment ?

- Peut-être qu'elles l'évitent le cauchemar, en changeant d'avis pendant qu'il est encore temps...

- Dis donc le Père Saint-Emilion, faut que t'arrêtes le sang du Christ parce que t'as les plaquettes qui s'affolent là ! T'es venu pour nous contrarier ou pour nous marier ?

- Bon. Mademoiselle, acceptez-vous de prendre pour époux Monsieur ici présent.

Elle se tourne vers lui :

- C'est vrai que tu ne sembles motivé que par ce que je représente... mais ma beauté intérieure, en es-tu convaincu ?

- Mais je la referai ta déco intérieure si elle est pas au niveau. Tiens, dès qu'on sort, on va goûter le miel de la lune là et j'irai voir.

- Non.

- Bon, bah demain alors si tu préfères.

- Non. Je n'accepte pas d'épouser Monsieur.

- Hein ??? Mais t'as le papier peint qui se décolle ou quoi ? Attendez Monsieur, c'est l'émotion... Hey ! Chérie ! Tu as déjà tout oublié ? Toutes nos lettres pendant tout ce temps ! Nos promesses ! Toutes ces évidences !

- Non, je n'ai rien oublié, mais tu n'as vraiment pas l'enveloppe de ce que tu m'as écrit... Et je crois que je viens de sauver mon couple.

- En me disant non ?

- Oui. Je sauve le prochain. Celui qui sera le bon.

- Putain mais quelle conne ! T'as de la chance qu'il y ait du monde, y'a vraiment des baffes qui se perdent ! Et moi qui ai passé des heures à recopier les lettres que mon pote écrivait pour que je puisse te séduire !

A ce moment-là, un bon gros nounours, avec des bras comme des cuisses, meilleur ami de la mariée, tape avec son index sur l'épaule du goujat :

- Qu'est-ce que tu veux Groquik ?

- Monsieur, acceptez-vous de prendre pour épouse cette grosse mandale ici présente ?

- Heu... non...


La belle se mariera l'année d'après, avec un homme aussi élégant que ses mots, un prénommé Raoul. Le salaud ne se mariera jamais, enfin jamais avec une femme. Il n'en méritera aucune. Mais il épousera quelques baffes. Dont certaines en même temps. On peut dire qu'il était polybaffe oui.


Règle n°26 :

Toujours prendre le temps d'être sûr de ses choix.

Prendre le temps de lire, d'écouter, de regarder, de sentir, de ressentir, prendre le temps de l'absence, du manque, du retour, de la folie douce, des certitudes profondes, des torrents de vie qui secouent le ventre, de la douceur de les calmer ensemble.

Toujours prendre le temps d'ouvrir l'enveloppe. Et à la lumière de la magie qui en sort, relire la lettre.




Franck Pelé - Septembre 2012

mardi 11 septembre 2012

Plongée en eaux troubles



- Je peux vous aider ?

- Je veux bien merci, je n'arrive jamais à fermer cette combinaison...

- Vous ne mettez rien en-dessous ?


- Pourquoi vous mettez un slip sous votre maillot de bain vous ? C'est une combinaison de plongée !

- Je me disais aussi...

- Quoi ?

- Votre décolleté était déjà très plongeant, ça m'a mis sur la voie... Vous devez être très bonne en apnée dites-moi.

- Pourquoi dites-vous ça ?

- Non pour rien.

- Ceci dit vous avez raison, je dois être assez bonne parce que mon professeur me le dit très souvent.

- Bah tiens...

- Vous voulez bien remonter la fermeture s'il vous plaît ?

- On devrait faire une loi sur les fermetures, interdiction de les fermer, une fermeture, ça se baisse sinon ça emprisonne, ça cloisonne, ça claque la porte au nez du plaisir !

- Si on ne pouvait plus fermer les fermetures ça s'appellerait des ouvertures.

- Pas faux...

- Allez-y, pendant que je rapproche les deux parties vous remontez la fermeture.

- Stooooop !!! Comment vous voulez que je tire le rideau sur un spectacle pareil ?

- Que se passe-t-il ?

- Une bombe à air comprimé... Vous êtes une bombe à air comprimé Mademoiselle ! Pardon, mais je ne peux pas ne pas vous le dire ! Si vous ouvriez votre combinaison à quarante mètres de profondeur, vous savez ce qui se passerait ?

- Non...

- Les requins seraient marteau, les baleines bleues, les poissons rouges, votre charme abyssal ferait pleurer les sirènes, vous exploseriez chaque palier de décompression, parce que vous n'êtes pas le genre de femme à rester sur le palier, et la pression libérée vous propulserait directement dans la stratosphère !

Un peu plus loin, une voix résonne :

- Raoul ! Raaaaaaoul !!!

- Ah je crois qu'on vous appelle...

- Où ça ?

- Là-bas, sur le ponton, derrière vous, une jolie femme brune.

- Oh la la... Il faut absolument refermer cette fermeture, vite, vite !!!

- Je n'y arrive pas ! Il y a un coup à prendre avec cette fermeture, on va faire le contraire, vous rapprochez les deux parties et je ferme la combinaison.

- Mais vous êtes inconsciente ou quoi ? Vous ne connaissez pas ma femme ! Je suis censé être au marché là, en train de choisir des melons pour midi, vous imaginez ce que je vais prendre si elle me voit avec les vôtres dans les mains ?

- C'est élégant...

- Remontez, remontez cette putain de fermeture !

Simone arrive, essoufflée :

- Raoul, ça fait une heure que je te cherche j'ai fait deux fois le tour du marché ! Qu'est-ce que tu...

Devant le spectacle proposé par la jeune femme, elle change de regard, de ton, elle fulmine, mais garde son calme :

- Ah d'accord...

- Quoi ? Mais c'est rien, ça va... Mademoiselle n'arrivait pas à fermer sa combinaison, moi je passais par là et elle m'a demandé de l'aider, ce n'est pas non plus LA faute grave de l'année...

La fille :

- Ah non pardon mais c'est vous qui avez demandé si vous pouviez m'aider.

Raoul :

- Elle est gonflée celle-là ! Ah bah si j'avais su, je vous aurais laissée avec vos problèmes !

Simone :

- Ce ne sont pas SES problèmes ce sont les tiens mon chéri. Elle, ce sont SES seins, et toi, ce sont TES problèmes.Tu as raison, elle vraiment gonflée, et c'est probablement ce qui t'a poussé à l'aider dans ce superbe élan de générosité... n'est-ce pas mon grand serviable ?

- Mais chérie...

- Dès qu'il y a une ouverture, tu fonces toi, un vrai radar mobile le Raoul ! Tu le mets au bord d'une plage, y'a pas une paire qui ne se fait pas flasher par le spécialiste !

- Mais ce n'est pas une histoire d'ouverture c'est une histoire de fermeture ! Je venais justement pour fermer la combinaison de Mademoiselle qui semblait vraiment avoir du mal !

- Ah bon ? Pourquoi ? Tu ne trouves pas ça beau ? Une fermeture ça ne devrait jamais se fermer...

La fille :

- C'est exactement ce que disait votre mari tout à l'heure !

Simone :

- Je vais vous aider Mademoiselle...

- Vous n'allez pas me faire mal ?

- Non... Je vais faire mal à mon mari, uniquement.

Simone s'approche alors doucement de la jeune femme, passe sa main droite sous sa combinaison, prend son sein gauche à pleine main et tout en le caressant, propose sa bouche, magnifiquement douce. La jeune femme ne peut résister, elle embrasse Simone follement, langoureusement, profondément, l'atmosphère est brûlante, Raoul déglutit avec peine, les deux femmes s'embrassent de longues minutes avec fougue et passion, puis Simone recule, rapproche les deux parties de la combinaison en comprimant les seins de la jeune femme avec ses deux mains, et avec les dents, elle remonte la fermeture jusqu'en haut, son regard de feu terminant sa course dans celui de la plongeuse, totalement subjuguée.

- Merci Madame...

- Je vous en prie Mademoiselle, tout le plaisir était pour moi.

Puis elle revient vers Raoul, encore figé :

- C'est exactement comme ça que tu rêvais de l'aider non ?

- Mais enfin Simone, ça ne se fait pas de faire une chose pareille... Et devant moi en plus...

- C'est mieux que dans ton dos non ? Tu vois Raoul, ta faiblesse m'a offert une délicieuse ouverture, tu t'es puni tout seul et tu m'as autorisé un interdit, tu as bien fait d'avoir voulu aider cette femme, ta générosité me touche mon amour... Tu fantasmais de toucher une de ces somptueuses rondeurs, même dans tes rêves les plus fous tu n'aurais pas pu imaginer embrasser cette sirène et moi, j'ai fait les deux, avec un plaisir dingue, sans que tu puisses me le reprocher. Merci chéri...

- Tu sais très bien que j'adore tes seins et que ça ne change rien à mon amour pour toi.

- Ah mais moi non plus ça ne change rien ! Je t'aime toujours autant que je ne te fais pas confiance ! Je sais bien que tu ne peux pas t'empêcher de plonger dans les courbes ! Mais tu aurais dû aller au bout de tes envies, j'aurais eu la même image de toi finalement... Sauf que j'aurais eu, en plus, l'image de quelqu'un qui sait prendre une décision, et qui l'assume. Mais ça, c'est un truc de femme, vous ne pouvez pas comprendre vous...

- Ah non, pas de généralités hein ! Ne me fais pas le coup de "vous les hommes" !

- N'empêche que lorsqu'on va au bout des choses, on prend beaucoup de plaisir, et je peux te dire qu'au bout de cette jeune femme, c'était tendu, très excitant, tu as raté...

- Bon, ça va Simone, j'ai compris ! La prochaine fois je resterai sur le quai !

- Mais non pourquoi ? La prochaine fois, assume, aide-la, plonge avec elle, fais juste attention à la profondeur, si tu vas trop loin, tu pourrais ne plus remonter...

- Arrête Simone, tu n'es pas crédible dans ton costume de grande prêtresse de la liberté amoureuse, je sais très bien que tu es jalouse à mort et que c'est ça qui t'a fait faire cette folie.

- La folie la plus douce de ces dernières années... Jalouse ? Je crois surtout que c'est toi qui es jaloux mon amour là... Tu aurais vu ta tête... On va choisir les melons ? Je me sens forte là... Je vais forcément tomber sur du sucré...




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés SACD

La fin des temps. Et le début d'un autre.


J'avais remarqué, depuis plusieurs semaines déjà, peut-être même des mois, que l'herbe ne repoussait plus. Plus personne ne tondait son jardin. Tout paraissait figé, triste, éteint. Les gens ne s'aimaient plus. Probablement parce qu'ils ne sortaient plus. Ils s'ignoraient, ils préféraient ignorer que l'amour n'était plus possible dans ces regards pleins du silence de leur cœur. Les ruches ne bourdonnaient plus depuis longtemps, on ne mangeait plus de fruits, seules les soupes en sachet étaient là pour nous rappeler le goût des légumes, les branches des arbres étaient nues, les couchers de soleil n'étaient plus colorés parce qu'on ne le voyait plus vraiment, on le devinait, comme une lumière au bout d'un tunnel. Quand il se levait le matin, c'était comme si un néon s'allumait au-dessus d'un couvercle de fumée. Les ventres des femmes ne s'arrondissaient plus puisque les hommes ne creusaient plus leurs désirs. Parfois, au détour d'une rue, on entendant un rire, probablement quelqu'un qui lisait les lignes d'un auteur qui avait vécu au temps de tous les possibles, de l'insouciance heureuse. Les rues étaient désertes, décorées de voitures rouillées par la rareté de l'essence. On entendait jamais de musique, nulle part, on entendait plus les poules de la ferme d'en face depuis qu'on ne mangeait plus d’œufs, et ça faisait un bail. Tous les rideaux des magasins étaient baissés, les gens n'avaient plus d'argent. Seul le grand hypermarché était ouvert, jour et nuit, il fallait faire la queue deux heures avant de pouvoir entrer douze minutes chrono et prier pour trouver quelques trésors qui nous feraient tenir une semaine sans s'inquiéter. Du beurre, de l'huile, des pâtes, de l'eau, du pain. Les jours ne duraient plus vingt-quatre heures mais quatorze. Parce que la Terre tournait de plus en plus doucement, comme si elle allait bientôt s'arrêter.

Et puis je l'ai vue. Comme une naissance divine. Un antidote à l'apocalypse. Ses incomparables yeux verts m'avaient fixé alors qu'elle sortait du grand magasin et que j'attendais pour y entrer. Plus personne ne regardait personne dans les yeux depuis que les gens les avaient baissés en même temps que le rideau sur l'espoir. Elle, les avait levés. Sur moi. Pourquoi ? Et pourquoi avais-je levé les miens à l'instant où elle me croisait ? J'ai quitté la file d'attente, elle a fait tomber son petit sac en papier avec ses quelques courses, j'ai pris sa main, j'aurais juré que la lumière se faisait plus forte. J'ai passé mes doigts entre les siens, nos mains se serraient, comme pour hurler la fin de leur calvaire d'avoir vécu les unes sans les autres, et on a couru. Plus on courait, plus les couleurs revenaient, partout, et plus les couleurs revenaient, plus on riait. Il était quatorze heures, la nuit allait tomber, mais elle ne venait pas. Plus on courait, plus le jour durait, comme si nous redonnions de la vitesse à la rotation terrestre, l'envie de tourner encore.

Près de ce vieux moulin, sous un arbre atone, je m'allongeai près d'elle. Je lui demandai son prénom. Simone me répondit-elle avant d'avancer ses lèvres vers les miennes. La sensation ressentie pendant ses lèvres était comme le cadeau d'une vie, la folie d'une ivresse, la découverte de tous les trésors de toutes les histoires du monde en même temps, la réponse à toutes les questions d'une âme. Pendant que la douceur de sa langue me faisait revivre, sur une branche, au-dessus de nous, un bourgeon commençait à éclore.




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés SACD

Une bête dans la salle de bains


Quand Simone arrive à la porte de la salle de bains, il est impossible d'entrer. La porte est verrouillée de l'intérieur. Elle aperçoit alors de la fumée qui s'échappe sous la porte :

- Raoul ? Raoul tu es là ?

- Simone, appelle la police ! Ou plutôt non les pompiers ! Merde, je sais pas, appelle quelqu'un, vite !

- Pourquoi ? Que se passe-t-il ?

- Y'a une bête énorme dans la salle de bains !

Simone se met à rire.

- Oh mon pauvre amour, il veut appeler la police pour écraser une petite bête qui lui fait peur... Allez ouvre, je vais m'en occuper.

- Mais non, elle est énorme !!! Avec une tête de pas contente et des palmes de dingue !

- Faut que tu arrêtes de fumer mon chéri... Ouvre...

- Mais ce n'est pas moi qui fume, c'est ma fusée de détresse ! Je vais lui enfoncer dans la glotte à cette saloperie de racaille ! Je vais le fumer le golgoth des profondeurs !

- Mais tu es protégé là ? Tu es habillé ?

- Je suis en combinaison de plongée ! Pour lui montrer que moi aussi je connais son milieu !

- Fais attention à ne pas te faire piquer, c'est peut-être une raie !

- Appelle la police !

- Tu ne peux pas sortir ? Ou lui planter ta fusée dans le dos ?

- Non ! Elle est en plein milieu, et elle bave ! C'est immonde ! On dirait qu'elle a envie de me bouffer !

- Bon, ne bouge pas, je reviens ! Je vais appeler du secours !

....

Oui allô ? Oui bonjour Monsieur... Pourriez-vous envoyer des renforts le plus vite possible au 33 rue la faisanderie, mon mari est enfermé dans la salle de bains avec une énorme chose qui veut le dévorer !

- Madame, nous n'intervenons pas pour les problèmes de couple.

- Mais ça n'a rien à voir avec mon couple ! Je vous dis qu'il est enfermé avec une bestiole palmée qui a une tête de défaite à la Rochelle et la bave d'une tweeteuse jalouse ! Je lui ai conseillé de la prendre par derrière mais c'est impossible, il m'a dit qu'il ne pouvait pas bouger parce qu'il avait la raie au milieu ! Il faut envoyer des renforts là ! Parce que s'il plante sa fusée dans la raie, vu le morceau, enfin d'après ce que me dit mon mari, je ne suis pas sûre que ça la calme !

- Il faut qu'il essaie de la forcer à se mettre sur un côté et qu'il fonce vers la sortie. C'est une technique bourgeoise, parfait pour votre quartier.

- Une technique bourgeoise ? Je ne comprends pas...

- Retournez voir votre mari et criez-lui : "En fait, la raie au milieu ça va pas, il faut que tu mettes la raie sur le côté pour pouvoir t'en sortir !"

Et le policier de rire gras avec ses collègues en écho.

Ce qui mit Simone dans une colère irréelle. Elle insulta tellement son interlocuteur et la police dans son ensemble que trois voitures et un fourgon débarquèrent au 33 rue de la faisanderie, Simone passa la nuit en garde à vue, et Raoul resta trois heures à expliquer comment il avait finalement planté sa fusée dans la raie.

Quant à Charles, le mari de Paulette, la sœur de Simone, il était en soins intensifs à l'hôpital Lariboisière, il n'allait plus pouvoir s'asseoir pendant quatre mois, et allait payer très cher son idée de faire une blague à son beau-frère avec ce costume de monstre des mers. Un costume tellement moulant qu'il vous empêche de parler distinctement, tellement moulant que vous ne pouvez l'enlever seul.




Franck Pelé - Septembre 2012 - textes déposés

Plus beau vu d'en haut



Raoul vient d'inviter Simone au restaurant. Après quinze refus, elle a enfin accepté. Au pied des buildings, dans une avenue bordée d'arbres majestueux, juste derrière l'immense baie vitrée du "Tiffany's", il lance la conversation :

- Vous êtes absolument divine.

- Merci. Je n'aime pas trop la couleur de votre costume mais vous le portez assez bien. Par contre, votre nœud de cravate, ce n'est pa
s possible... Vous l'avez serré à plusieurs comme on serre un lacet ?

- Simone, je dois vous dire quelque chose.

- Moi d'abord. Permettez ? Écoutez Raoul, je sais pourquoi vous voulez m'inviter depuis des mois mais vous n'êtes pas mon type d'homme, vous écoutez de la musique que je n'aime pas, vous lisez les journaux et moi des livres, vous avez des habitudes à mille lieues des miennes, je n'aime pas votre nez, vos chaussures, votre humour est parfois gras, vous regardez le foot à la télé, bref, pardonnez-moi si vous me trouvez désagréable mais je préférais vous prévenir avant que vous ne me demandiez quoi que ce soit.

- Vous ne voulez pas qu'on passe une bonne soirée ? Qu'on essaie la complicité sans faux-semblants ? Prenons le risque d'un bon moment. S'il vous plaît. Vous ne me connaissez pas, dans votre esprit je ne suis fait que de généralités et de caricatures qui arrangent vos a priori, et je ne vous connais pas vraiment non plus. Ce restaurant est le meilleur de la ville, et j'aimerais que vous en gardiez un très bon souvenir.

- Je ne suis pas matérialiste, ce qui m'intéresse ce sont les choses simples, les valeurs, et le bon goût.

- Simone... S'il vous plaît...

- Oui... Bon, allez-y... Je vous écoute. Qui êtes-vous Raoul...

- Je suis un businessman, j'ai du succès dans mes affaires, pas vraiment dans mes amours, j'ai mon bureau en haut d'une tour d'où je vois la ville à l'envers. Et au-dessus de mon bureau, j'ai mon appartement.

- Vous vivez en haut d'une tour ?

- Oui.

- Je ne pourrais jamais vivre en haut d'une tour...

- Encore un a priori...

- Mais non ! J'aime l'air, la campagne, l'herbe, voir le soleil se coucher, sentir l'air pur, entendre les oiseaux, aller chez mon petit boucher, mon petit boulanger, je n'ai rien à faire en haut de votre prétention !

- Rien à voir avec de la prétention, c'était une opportunité exceptionnelle, et juste au-dessus de mon bureau, vous imaginez le temps que je gagne ? Je mets trente secondes pour aller bosser ! Jamais de bouchons ! Une terrasse gigantesque qui domine toute la ville, une piscine intérieure sauna-jacuzzi, un petit hammam, un salon avec cheminée, de l'ancien, du neuf, du contemporain, un ascenseur privé, je peux diffuser la musique dans toutes les pièces de l'appartement y compris les toilettes, j'ai une petite salle de sport, et un grand vidéo-projecteur numérique qui me permet de voir les films dans un vrai confort de cinéma. J'ai aussi un cuisinier nutritionniste qui travaille toute la semaine à la maison, et une femme de ménage.

- Et ?

- Je voudrais vous proposer de boire un dernier verre, après notre dîner, en regardant cette ville d'en haut.

- Pour pouvoir me regarder de haut ?

- Vous vous trompez Simone. Je vous regarde le plus simplement du monde, comme une femme que j'aime profondément depuis la première seconde où je l'ai vue. Et si je dois construire une cabane au Canada pour vous plaire, je suis prêt à partir demain.

Après le dîner, Raoul propose son bras à Simone, qui le prend. Ils montent dans l'ascenseur privé, et arrivent directement dans le salon. Quand Raoul guide son élégant rêve jusqu'à la terrasse, Simone ouvre des yeux d'enfant. Le spectacle est absolument magique. Elle visite l'appartement, critique deux trois choses, par pièce, puis revient s'installer sur la terrasse. Au bout de la troisième coupe de champagne, elle demande à aller dans le hammam. Dans la moiteur de l'endroit, elle se laisse aller jusqu'à la bouche de Raoul.

- Vous étiez très beau dans votre costume tout à l'heure. Je me suis trompée sur vous. Ce dîner était somptueux, vous avez été fin, raffiné, élégant. Et mon Dieu que vous embrassez bien...

- Vous m'auriez dit la même chose si nous avions été dans une cabane au Canada ?

- Oui. Mais j'aurais peut-être mis un peu plus de temps. J'ai changé d'avis sur une chose, je pense que la vie en haut d'une tour peut être très agréable.

- Je croyais que vous n'étiez pas matérialiste ?

- Non. Mais je ne suis pas conne non plus !

- J'ai quand même l'impression que cet endroit me rend soudain plus séduisant...

- Je ne vais pas vous mentir, l'endroit a joué, mais vous êtes très séduisant Raoul. Il faut parfois un écrin particulièrement exceptionnel pour révéler la vraie valeur d'un diamant. Je ne vous voyais pas, et maintenant, je vous vois, grâce à un filtre tout à fait matériel, comme quoi, les certitudes et les a priori...

- Embrassez-moi encore...

- Faites-moi voir à quel point la vie en haut d'une tour peut être agréable...

- Rrrrrooooooo Simone....




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés à la SACD