samedi 27 octobre 2012

Le port de l'angoisse




- Je ne suis pas quelqu'un pour toi Simone, tu me l'as dit toute la soirée...

- Mais pas du tout ! Je t'ai juste dit que ce n'était pas facile d'être la femme d'un acteur qui ne tourne pas, je n'ai jamais dit que tu n'étais pas pour moi !

- Tu as peut-être raison, je ne suis pas assez ancré à la réalité de ta terre, je ne suis pas assez rassurant pour toi...

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je suis un port, un charmant petit port, je suis quelqu'un qu'on quitte. On vient amarrer ses envies, on mouille le temps du bonheur, puis on largue les amours, et on quitte le port pour un endroit plus grand.

- On mouille le temps du bonheur ? T'es en course pour l'oscar de la métaphore mon chéri ! Et ça veut dire quoi ça ? Tu me prends pour qui là ? En gros, tu dis que je pourrais te quitter pour aller jeter l'ancre ailleurs ?

- Pas forcément pour jeter l'ancre ailleurs, mais quand tu me dis que tu as besoin d'une base ferme pour te reposer, te sentir rassurée, je me dit que tu ne seras jamais vraiment sereine dans le monde que je te propose, pas toujours calme, qui fait souvent tanguer les rêves. Si tu ne t'habitues pas à mes vagues, tu finiras par avoir le mal de mer. Si tu me quittais, ce serait parce que je n'aurais pas su être une terre d'accueil, parce que je n'aurais pas pu être une autre nature que celle du joli petit port dans lequel on vient définitivement s'attacher.

- Mais je n'ai jamais dit que je voulais te quitter, j'ai dit qu'il y a des femmes qui t'auraient quitté dans une situation similaire !

- Il y a aussi des femmes qui seraient restées. Mais je ne t'en veux pas. Tu as le droit d'avoir peur parce que je ne suis pas un grand financier...

- Je n'ai jamais voulu que tu sois financier ! Un banquier... c'est bien le dernier port dans lequel je voudrais rester...

- Je suis pourtant sûr d'être une idéale fin de voyage, un autre départ, sans bouger, pour une vie pleine d'écume, quelqu'un qui retient, qui fait battre les voiles mais je comprends qu'on puisse me voir comme une étape, comme la promesse d'une île que je ne suis pas, c'est vrai, je ne suis que l'endroit où l'on se repose avant de repartir...

- Dis donc, tu serais pas en train de me dire que t'as besoin de place toi ? Y'a des vedettes qui attendent pour mouiller au ponton ?

- Simone ! Arrête ! Là c'est vulgaire, moi tout à l'heure, j'étais dans la sémantique marine !

- Et alors ? Moi aussi je suis dans la sémantique marine ! C'est quoi ton problème Raoul ? Ça te donne des vapeurs toutes ces copines à voile qui crèvent d'envie de souffler dans ta corne de brume pour te dire qu'elles sont bien arrivées ? Arrivées à bon port !!!

- Mais pourquoi faut-il toujours que tu retournes la situation !!! C'est toi qui me dis que des femmes pourraient me quitter parce que je ne suis pas célèbre et que je ne promets rien de solide et tu me parles de copines alors qu'il n'y a que toi qui profite de mon ponton !

- Je retourne ce que je veux ! C'est toujours mieux que de retourner les naufragées en détresse !

- Les naufragées en détresse ? Mais de quoi tu parles là ? Allez, allonge-toi, je crois que tu as un peu trop bu...

- Tu crois que je le vois pas ton charmant petit port avec son phare à paupières ? C'est un vrai piège à quilles ! Tu fais ton atmosphère tranquille et prometteuse, idéale pour une embarcation faite pour toi, mais dès que tu vois une voile gonflée de désir, t'as les yeux à la coque et les doigts comme des mouillettes ! Y'a plus qu'à les beurrer !

- Simone, y'en a qu'une qui est beurrée pour l'instant, alors sers-toi un grand verre d'eau, puis quinze autres, et viens te coucher !

- Excuse-moi mais j'ai besoin d'une base ferme pour me reposer, tu l'as dit tout à l'heure. Alors je vais retourner à la soirée, je viens bien finir par me trouver un acteur plein aux as qui saura me rassurer ! Ou même un producteur tiens ! Parce que pour moi, la célébrité et l'argent, c'est une base très ferme sur laquelle je saurai m'asseoir longtemps sans avoir le moindre vertige !

- Simone, tu deviens aussi artificielle que ces ports de riches sans âme pleins de yachts qui viennent agiter leur fortune sous le nez des badauds...

- Fais attention de ne pas trop t'ouvrir aux vedettes qui cherchent à s'attacher Raoul, ce serait dommage que le charmant petit port devienne un gros port !

- Aucun risque ! Je resterai toujours celui que je suis ! Un petit port dans lequel on vient vivre parce qu'on l'a cherché très longtemps, pas parce qu'il est connu ! Va te vautrer là où tout le monde veut aller, va te faire offrir une coupe de champagne et du rêve en couchette, une vie de palace et du caviar en fourchette ! Moi, je suis là, je ne bouge pas, mais j'ai mille couleurs et mille horizons à offrir !

- Et moi j'ai des factures à payer ! Elles sont bien jolies tes couleurs mais elles n'empêchent pas les bateaux entretenus par le seul rêve de couler !

- Comme quoi un bateau de fortune peut être charmant mais instable, et un autre très solide mais froid comme un voyage sans émotions !





Franck Pelé - Octobre 2012

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