En voiture Simone
Toutes les femmes du monde en une seule. Simone est une femme française à l'élégance rare, sensuelle et lumineuse, parfois insupportable, très souvent délicieuse. Entrez dans le monde de Simone et Raoul, vous n'en reviendrez pas, c'est le vôtre. Le principe ? Une photo m'inspire et j'invente des textes, des dialogues, librement inspirés de ces photos, trouvées au hasard sur la toile. Bon voyage...
mardi 10 mai 2022
L'amour flou
lundi 2 août 2021
L'avenir nous le dira
- Tu es pour ou contre Louis de Funès ?
- Pardon ?
- Tu es pour ou contre Louis de Funès dans Rabbi Jacob ?
- Comment ça pour ou contre Louis de Funès ?
- Soit tu es pour et tu n'es plus mon amie, soit tu es contre et je t'adore.
- Mais qu'est-ce que tu me racontes Odile ?
- Simone, tu n'es pas sans savoir que le dernier Gérard Oury est sorti il y a un mois, qu'une énorme polémique agite les réseaux concernant "Salomon est juif" et qu'un comité de soutien à Henri Guybet a été mis en place avant la grande manifestation contre l'antisémitisme au cinéma samedi en huit.
- Hein ? Les réseaux ? Mais quels réseaux ? Les P et T ? Je dois rejoindre Raoul, la 504 est en panne et je ne comprends rien à ce que tu me dis...
- Simone tu réponds bordel !
- Mais tu perds tes bas Odile ou tu fais une crise d'épilepsie là ?
- Est-ce que tu es POUR Louis de Funès ou CONTRE ?
- Mais pourquoi on serait contre Louis de Funès ???
- Parce qu'il est dangereux ! Il a dit à Henri Guybet dans Les aventures de Rabbi Jacob "Comment Salomon vous êtes juif ? Rrrroooo Salomon est juif..." ce qui est absolument choquant et intolérable !
- Mais c'est à mourir de rire ! C'est comme si tu disais "Comment Mohammed vous êtes arabe ? Rrrrooo Mohammed est arabe..." c'est de l'ironie, c'est évident ! C'est drôle c'est tout !
- Faux ! On n'a pas du tout assez de recul pour savoir si ça va être drôle ! 7873 personnes sont mortes depuis la sortie du film, certains suite à des cancers foudroyants et le rapprochement avec le choc causé par une telle phrase n'est pas écarté ! De plus, Louis de Funès n'est JAMAIS allé en Israël, quand il danse en rabbin on voit bien qu'il bâcle la danse et on est beaucoup à penser cela ! On défilera samedi pour demander le retrait du film et la condamnation de Louis de Funès ! Et attention hein, y'a eu des gens choqués, va y'avoir des violents si certains veulent rire de ça. Qu'on croise UN clown dans la rue tiens, UN seul soutien au funèste louis, il sera vu comme un collabo !
- Et pourtant y'en aura des clowns dans votre manif...
- Et l'autre Oury là... Ouryra bien qui Ouryra le dernier !
- Mais Gérard Oury EST juif ! Il s'appelle Max-Gérard Houry Tannenbaum ! Tu imagines bien que c'est tout sauf antisémite !
- On ne sait pas ! Tu as vu ses papiers toi ? Personne ne le sait s'il est vraiment juif ! Il est peut-être utilisé par Pompidou ! C'est un coup du gouvernement pour que les petits commerces rachètent les banques !!! Tu verras que si ça continue comme ça, toutes les agences bancaires seront remplacées par des petits commerces dans le futur !!
- Mais t'es complètement déjantée ma pauvre...
- Tiens, regarde là, encore un corbillard, les gens se suicident Simone !! C'est grave ce qu'il a fait le petit dégarni ! Déjà dans le Corniaud je le trouvais louche avec sa façon d'incarner Léopold Saroyan avec autant de désinvolture ! Un sale coup porté au peuple arménien !
- Ok, t'es vraiment touchée là Odile, et salement... Je vais retrouver Raoul...
Le samedi suivant, Simone arrive place de la Bastille, un Louis de Funès en carton pâte est pendu dans le port de l'arsenal, des pancartes disent "de Funès Collabo !", "La grande Magouille !", "Salomon tiens bon !", "Qui sera la prochaine victime ? Bourvil ?", "Réveillez-vous ! de Funès est un fou !"
Simone s'approche d'une femme au sein de la manif qui hurle "de Funès, en Espagne !" :
- Mais pourquoi vous dites des choses pareilles ? Et comment vous avez pu vous réunir aussi nombreux en si peu de temps ?
- T'as qu'à regarder Facebook, tu verras que tout le monde sait ce que tu ne veux pas voir !!!
- Regarder quoi ?
- Oh là tu débarques toi ! Facebook ! Le réseau où tout le monde peut dire ce qu'il veut !
- Mais Odile me parlait déjà de réseau... C'est quoi un réseau ?
- Dis donc petite, on est en 2021 là, réveille-toi...
- Pardon ? Mais on est en 1973 !
- Ah non, on est en 2021 ma jolie, là on s'occupe de Louis de Funès et demain on va lyncher un type qui vend une voiture à injection sur le Bon Coin.
- Mais pourquoi ? C'est interdit ?
- Le moindre type pro-injection, on lynche.
Au même moment, quelqu'un saisit fortement le bras de Simone et l'appelle par son prénom :
- Simone ! Simone !!! Chérie !!
Elle se réveille en sueur et en hurlant "nooooon ! Je ne suis pas Louis de Funès et je n'ai pas de voiture à injection !!! Et je ne sais pas ce qu'est Facebook !!!!"
- Mais chérie, tu étais où là...
- Oh mon amour... quel cauchemar... jure-moi que le futur ce ne sera pas ça...
- Mais quoi ?
- Des réseaux où tous les gens peuvent dire n'importe quoi même quand ils n'ont rien à dire, tu vois Ginette et Georges ? Bah c'est comme si tout ce qu'ils disaient au bar ils le disaient à tous les français...
- Je ne comprends pas grand chose chérie...
- On va voir Rabbi Jacob ?
- Quoi aujourd'hui ?
- Oui... c'est peut-être le dernier film de Louis de Funès...
Franck Pelé
vendredi 26 mars 2021
Petite annonce en temps de Covid
Pendant longtemps elle avait espéré sa perle mais elle ne tombait que sur des huîtres, plutôt vides. En ce matin de printemps 2021, elle se décide à rédiger une petite annonce sur un site de rencontre.
Elle ne fera aucune concession, il n'y aura aucun filtre, ce sera elle, dans toute sa splendeur :
Femme masquée cherche homme qui n’aura pas peur d’être démasqué pour que je lui inocule le virus rare de l’amour vrai (possibilité de lui chanter la fameuse chanson « tu avances et je recule, comment veux-tu, comment veux-tu que je t’inocule »).
J’aime les cinémas ouverts, les théâtres ouverts et pleins de monde, les restaurants bruyants et les grandes tablées, j’aime embrasser et enlacer, j’adore être un cas contact, être sous oxygénation renforcée par le souffle pénétrant de mon mec sain traitant, j’aime le gel hydro-alcoolique non gras à base d’eau, j’aime qu’on me tienne la porte et c’est moi qui choisis celui qui me soulève la jupe, sinon ce sera bourre-pif façon puzzle parfum bactéricide, je ne suis pas une tata mais je suis plutôt flingueuse.
J’aime rouler vite, fumer un peu d’herbe en écoutant Barbara ou Radiohead, si tu me tires les cheveux je ne porterai pas plainte mais si tu me les abîmes tu prendras dix ans, et faudra penser à te faire refaire le nez, j’aime porter des bas sans que tu me regardes de haut, j’aime les réunions de plus de six personnes en intérieur mais uniquement pour des jeux de société ou des dîners entre amis.
Je suis vegan ascendant côte de bœuf, un mec c’est comme le gluten, c’est pas bon pour la santé mais on peut pas s’empêcher de vouloir vivre avec, j’aime changer les ampoules et je déteste que tu ne sois pas une lumière, j’aime ne pas mettre de gants, si tu me manques de respect je peux te mettre minable en public, genre tu seras livid-19, en revanche si tu me traites comme une princesse, une reine, bref tout sauf une pouf de table ou une plante verte, je te ferai roi, indéboulonnable.
J’aime crier, hurler, surtout quand on marque dans les arrêts de jeu, je suis loin d’être une quiche et je ne fais jamais de salade mais je suis sensible des pattes arrière alors on évite de me prendre pour une buse sinon l’aile peut partir aussi vite que la cuisse, j’ai le bassin homologué donc tu viens uniquement si tu sais nager et le caleçon de mauvais goût est proscrit, si tu as le matériel pour nager tu restes dans ton couloir.
J’ai eu la fibre maternelle mais je suis passée à la fibre optique, si tu ajoutes des conneries à ma playlist Netflix je peux vider ton shampooing antipelliculaire dans tes fringues mais je me mets rarement en colère, sauf si je me rends compte que je ne peux jamais compter sur toi, si tu ne fais jamais ce que tu dis et si t’es un lent.
Tu auras le droit de perdre tes cheveux mais pas ton élégance ni tes idées généreuses, tu auras le droit de prendre du ventre mais ne gonfle jamais de l’ego, et si je porte les courses plus que toi sur une année fiscale tu seras expulsé juste avant l’hiver.
J’ai les extrémités sensibles alors pendant les auditions à l’aveugle on n’appuie pas sur le buzzer comme un malade sinon y’a peu de chance que le fauteuil se retourne, de la finesse, de la précision, comme avec la langue, c’est très important pour moi que tu maitrises la langue, si tu fais trois fautes par mot tu peux déjà passer à l’annonce suivante, en revanche si tu aimes la lettre je serai ta plus belle enveloppe.
Je déteste qu’on m’écarte sans me demander d’un projet intéressant, qu’on m’infantilise ou qu’on me caricature, je suis, au minimum, au même niveau que toi, si tu me vois donc plus volontiers dans la cuisine qu’en bout de table ou au volant, merci de t’acheter un bon magnétoscope et de vivre avec ton temps.
Si tu remplis toutes ces cases, tu auras alors toutes les chances du monde d’être la clé de cette éternité à laquelle je croirai quand je la verrai.
Et je te rappelle qu’il n’y a qu’une seule serrure pour cette clé, essaie d’ouvrir une autre porte, une seule, et tu auras une vue imprenable sur tes regrets éternels.
Si tu ne tournes que dans la mienne, si tu es fait pour m’ouvrir, vers les horizons les plus infinis, je serai la plus loyale, la plus aimante, la plus fidèle de toutes les femmes du monde.
Merci de bien relire, si tu restes c’est que tu es sûr de toi.
Toute sortie est définitive.
Franck Pelé
mardi 14 juillet 2020
Sixties Covid & boules pour le chat
lundi 6 avril 2020
Tomber les masques
- Vous savez que je suis tombé amoureuse de vous en vous lisant ? Vous devez me prendre pour une folle...
- Absolument pas. Parce que je suis moi aussi tombé amoureux de vous en vous lisant. Et puis j'ai entendu votre voix au téléphone. Je suis alors tombé éperdument amoureux de vous. À présent vous êtes ici, à mon bras, je ne vois que vos yeux, et ils me disent déjà tout de votre bouche.
- Pourquoi m'avoir demandé de mettre ce masque ? Et pourquoi en portez-vous un ?
- Parce qu'il nous faut nous protéger. Nous ne devons pas nous embrasser.
- Je n'embrasse pas au premier rendez-vous vous savez.
- Et vous prenez souvent le bras de votre premier rendez-vous ?
- Non... Jamais.
- Je vais vous raconter une histoire. Vous savez les hommes sont parfois durs, mais les femmes peuvent se révéler incroyablement dures. Elles peuvent tout vous donner, vous amener au plus haut point de votre sensibilité amoureuse et de votre capacité à faire confiance, et en une seconde tout vous reprendre. Parce qu'elles estimeront que ce sera la clé de leur équilibre à ce moment-là. Même si elles vous auront juré quelques heures plus tôt que c'était vous la clé.
- Vous n'aviez qu'à choisir une femme moins instable...
- Non ça n'a rien à voir avec l'instabilité. En fait peut-être un peu oui, parfois, mais vous avez surtout ce pouvoir de nous faire croire en un visage, en une voix, une douceur, un amour énorme, ce pouvoir de nous promettre la lune et de la décrocher quasiment devant nous, dont le coeur n'aura jamais été aussi battant. Puis de nous enterrer en deux phrases si ce que vous vivez ne vous arrange pas à un moment clé de votre réflexion. Les compliments se transforment alors en mots durs, presque insultants, et on ne sait plus qui a été travesti du compliment ou de l'insulte.
- C'est vrai. Oui c'est vrai. Nous avons cet égoïsme là. Peut-être parce que nous portons notre lutte en nous, peut-être parce que c'est notre force d'avoir ce pouvoir sur vous. Nous possédons ce pouvoir, en quelques tirades, avec une tonalité de voix, une intensité de regard et quelques mots choisis, de vous emporter. Et nous avons malheureusement celui de tout éteindre en quelques secondes, avec une froideur à glacer les plus grandes flammes. Nous savons trouver autant de raisons de tout éteindre que nous savions trouver mille raisons de vous laisser nous allumer toutes nos ampoules intérieures.
- Mais pourquoi vous autoriser un comportement si violent ?
- Je ne sais pas... L'amour est violent parfois. Il arrive si fort, de façon si imprévisible, si on n'y est pas préparée, si on n'a pas le place à ce moment-là, il prend quand même toute la place et alors tout peut exploser. On peut alors avoir l'indicible audace de sacrifier cet amour-là en l'habillant comme il ne le mérite pas pour le perdre et retrouver le déséquilibre d'avant. Ce déséquilibre avec lequel on avait l'habitude de vivre. Celui qu'on sait maîtriser. Un amour fou qui arrive sans prévenir c'est comme un camion sans frein qui descend les rues de San Francisco jusqu'en bas. On ne sait pas ce qu'il y aura en bas. On ne sait pas comment il va finir.
- Alors vous préférez étouffer cet amour et le précipiter dans un océan de douleur plutôt que de laisser la chance à l'exceptionnel ?
- Ce serait quoi l'exceptionnel ?
- LA rencontre. Ce serait laisser l'homme qui déclenche cet amour fou sauter dans ce camion et le maîtriser. À un point d'équilibre que vous ne soupçonnez pas.
- C'est exactement la raison pour laquelle je suis là aujourd'hui, près de vous, à votre bras. Je sais que vous êtes celui qui allez m'amener à ce point d'équilibre. Pourtant quand on vous voit, on ne jurerait pas de vos talents de pilote...
- L'habit ne fait pas le moine ma chère Simone, même si la légende vous dit adroite au volant... J'espère vous conduire aux quatre coins de notre monde exactement comme vous en rêvez, au rythme de votre ivresse.
- Je n'en doute pas une seule seconde. Et alors pourquoi ce masque vous ne m'avez pas dit ?
- Parce que la dernière fois que j'ai souri à une femme avec tout l'amour du monde, elle m'a dit "je suis folle de toi" puis elle m'a dit qu'elle rêvait que je l'emmène jusqu'à son rêve de robe blanche, puis elle a eu des mots magnifiques sur mon honnêteté, ma loyauté, ma générosité amoureuse, et quelques jours, quelques heures plus tard, je n'étais plus rien, le timing n'était plus bon, les chansons que je lui chantais n'étaient plus les plus beaux cadeaux d'amour du monde, j'étais imposteur, manipulateur, ou pire, elle disait on ne peut pas s'aimer sans se vivre, alors qu'elle jurait tout le contraire depuis des jours et des nuits, vous connaissez l'expression, quand on veut tuer son chien on dit qu'il a la rage.
- S'il y a bien un homme qui ne prend la place de personne c'est bien vous. Vous êtes à votre place et pas un seul ne saurait y rester. N'écoutez pas les impostures. Lisez les vraies postures. Vous pouvez tomber le masque Raoul, je sais bien que vous n'avez pas la rage, à part peut-être celle d'aimer comme aucun autre...
- Simone. Je vous aime. J'ai trop souffert de l'avoir dit et d'y avoir cru sans avoir jamais imaginé que le masque cachait autre chose que la bouche de ma vie. Comme je vous l'ai déjà écrit la semaine dernière, l'exceptionnel existe, j'en suis convaincu. Mais il faut deux volontés exceptionnelles pour qu'il dure. Vraiment. Si l'un des deux lâches prise, tout s'écroule. L'amour rare est un édifice qui demande une architecture comme on n'en fait plus, une formidable mécanique de précision. C'est d'ailleurs pour cette raison que les couples ne tiennent plus, on ne peut pousser les murs qu'à deux. Alors voilà, si vous êtes d'accord, je voudrais que pour la première fois de ma vie, la femme que j'aime le plus au monde tombe le masque devant moi. Et je voudrais être le premier témoin, à jamais, de la qualité de son sourire, de son bonheur d'être là, avec moi, de son éternité radieuse. Avoir la chance et le bonheur de voir que sous le masque c'est votre âme qui m'attend.
- Raoul, je vous préviens, je n'ai jamais été aussi sûre de vouloir le tomber ici, avec vous, devant vous, pour vous. Vous ne verrez rien d'autre que ce que vous sentez depuis la première seconde. Je ne vous ferai jamais faux bond, je resterai la même, mon amour sera constant, même si je vous volerai quelques fois dans les plumes, je ne suis pas de celles qui crient "j'ai tout de suite su" et qui disparaissent, ni de celles qui vous enterrent juste après avoir vous avoir dit quel trésor vous étiez, je serai la même, je ne déguise aucun mot, je les assume tous, ce que je suis est l'exact reflet de ce que je vous dis, de ce que je vous écris, je ne serai instable que si je me casse un talon. Mais je vous préviens, en enlevant ce masque, je prends le risque d'être contaminée par votre amour s'il est dangereux, alors soyez vous aussi fidèle à ce que vous me dites ressentir pour moi, sans jamais trahir votre intensité et la beauté de votre intérieur.
- Je vais tomber le masque Simone. Et je vais vous embrasser des heures. Des semaines. Puis des années. Sans jamais être immunisé contre ce virus dont je veux bien mourir un jour tellement je l'aurai embrassé à pleine bouche. Votre amour.
- Maintenant que je suis démasquée, comment me trouvez-vous ?
- Tellement belle. Belle comme une promesse tenue...
Franck Pelé
mercredi 26 février 2020
Une énigme à résoudre
Si elle avait elle-même connu le sentiment interdit, celui qui fleurit à un moment où le cœur est censé être pris, elle n’avait jamais menti avec le cœur, elle avait tu les choses, mais les maquiller jusqu’à mentir effrontément, jamais.
Ce jour où tout a basculé, un jeudi pluvieux, elle était rentrée plus tôt d’un séminaire à Francfort.
En rentrant dans leur appartement, elle a remarqué une chemise qu’elle ne connaissait pas, une cravate qu’elle ne connaissait pas et une boîte, vide, portant la même marque que la cravate.
Elle s’est demandé si sentir une chemise était un réflexe féminin en la portant à son nez.
Elle a respiré profondément le col, l’intérieur des pans de la chemise, elle aurait juré qu’un parfum de femme flottait encore sur ce tissu qu’elle détestait déjà mais elle n’était sûre de rien.
Quand son homme est rentré, il s'appelait Pierre, elle n’a pas pu tenir bien longtemps après leur étreinte officiellement heureuse pour lui demander à qui appartenait cette chemise et d'où sortait cette cravate neuve.
Il lui a montré son visage le plus étonné devant cette question, lui a dit qu’il s’était effectivement fait un petit plaisir en s’achetant une chemise et une cravate et a tourné les talons pour aller prendre une douche.
Alors qu’il se prélassait sous l’eau chaude, Simone restée dans la chambre, a enlevé son haut, enfilé la chemise, noué la cravate, ajusté le tout puis en regardant le miroir, elle a senti qu’il y avait quelque chose d’anormal.
Alors qu’elle venait de dénouer la cravate et de retirer la chemise, en posant le tout sur le lit, soudain elle comprit. Ivre de colère silencieuse, elle a ravalé un océan de déception et a quitté la scène.
Quand Pierre est sorti de sa douche, Simone avait disparu, jamais il ne la reverrait.
Ce n’est pas une question de taille de chemise qui a fait comprendre à Simone qu’elle avait été trompée, Pierre était aussi fin qu’elle, mais un détail qu’elle avait d’abord remarqué sans vraiment y faire attention, en faisant un geste qu’on fait des milliers de fois dans une vie.
Puis en se regardant dans le miroir, qui reflétait toute la pièce, allez savoir si cette dernière précision est une diversion, elle a compris. En fixant son regard à un endroit, et en prenant conscience de ce geste familier qui avait eu soudain une douloureuse signification.
Franck Pelé – Février 2020
jeudi 28 novembre 2019
Les nouveaux sauvages
- Chérie, je n'arrive pas à légender cette photo viens m'aider !
- Oh Facebook !
- Pardon ?
- Non rien, ça me fait penser à Facebook ta photo... Officiellement c'est une jolie jungle où chaque animal a envie de raconter sa vie à tous les autres dans une formidable atmosphère de bienveillance mais en fait tout le monde se bouffe à la première posture un peu trop affirmée...
- C'est le léopard qui te fait penser à ça ?
- C'est un guépard Raoul...
- Tu es sûre ?
- Ah oui je suis sûre oui, mais forcément toi tu n'as connu que de la MILF à string léopard et aucune à string guépard donc tu ne sais pas faire la différence.
- Alors ça c'est totalement gratuit... Je n'ai connu aucune milf déjà, pour commencer, enfin à part toi je veux dire...
- Tu retires ça tout de suite !
- Ah tu vois ? Quand tu cherches c'est normal il ne faut pas s'offusquer, mais si on te cherche alors là c'est tout à fait inadmissible. Bon je retire. Quelle est la différence alors ? Les tâches sont plus grosses sur l'un que sur l'autre ?
- Non ce n'est pas tout à fait ça, c'est vrai qu'il y en a un qui est plus costaud, plus lourd que l'autre, le léopard est plus massif que le guépard qui lui est tout en muscles, très sec, comme un lévrier, un peu comme si je te comparais à mon frère.
- Et bien sûr je suis le plus lourd des deux...
- Raoul enfin, ne fais pas ta victime, on ne va pas non plus tout prendre comme une attaque personnelle, évidemment que tu es plus lourd que mon frère c'est une réalité.
- Remarque, plus sec que ton frère c'est compliqué, un saucisson peut-être, qui aurait séché douze ans au soleil...
- Gratuit...
- Pas plus que ta comparaison à deux balles Simone... Si je te dis que la lionne et la tigresse se ressemblent, un peu comme ta sœur et toi et que c'est toi la lionne parce qu'elle est plus lourde et plus touffue tu sautes de joie ?
- Moi je suis plus touffue que ma sœur ?
- Ah oui largement !
- Et comment tu sais ça ? Tu y connais quelque chose à la touffe de ma sœur ?? Tu as quelque chose à me dire Raoul ?
- Mais je parle de ta crinière chérie enfin !
- Quoi ma crinière ? Elle ne te plaît pas ma crinière ?
- Mais pourquoi dès qu'on fait un constat particulier il faut absolument que ce soit une critique, que ce soit contre quelqu'un ou contre quelque chose ???
- Et ben voilà, exactement comme Facebook c'est ce que je disais. Oui c'est ça, on ne peut plus rien dire, et on n'accepte plus rien de l'autre si ça ne va pas dans notre sens.
- Merci de le reconnaître !
- Oui c'est vrai pardon...
- Pincez-moi je rêve... tu as dit pardon immédiatement sans sortir quinze arguments gonflés de mauvaise foi ?
- Oui Raoul je sais ça va, j'ai dit pardon mais si tu commences à me titiller on peut y passer la nuit si tu préfères...
- Non non c'est bon... Bon donc c'est un guépard attaqué par des hyènes...
- Non des chiens sauvages... ce sont des "wild dogs" qui attaquent en meute...
- Et pourquoi tu me parles de Facebook sans arrêt, quelque chose t'a contrariée sur ce réseau ?
- Franchement ça devient un tribunal d'une violence inouïe, en fait quand les gens sont choqués ou simplement contrariés par ce qu'ils perçoivent comme de la violence ou juste une idée contraire à la leur, ils te font ton procès en te reprochant une position jugée malveillante avec une malveillance extrême ! C'est le royaume du faites ce que je dis mais pas ce que je fais...
- Ah oui je vois... moi aussi je me suis rendu compte de cette évolution...
- Tu crois que c'est une évolution ? C'est tellement faux-cul depuis toujours... Déjà il y a dix ans je me souviens de l'hypocrisie qui régnait... Quand Evelyne mettait une photo d'elle tout le monde commentait "trop belle", "magnifique", "superbe" ! Attends, je veux bien qu'on soit à l'époque de la bienveillance et du karma que l'univers te renvoie mais Evelyne elle a une tête de pilier de bar, elle a des poches sous les yeux tu pourrais y ranger ton gloss, elle a des cheveux on dirait de la laine de verre et un double menton plus épais qu'un triple cheese, alors superbe, magnifique, les gens qui disent ça, soit ils sont sur son testament, soit ils veulent lui emprunter du blé, soit ils font partie du Rotary Club des Faux-Culs de l'année ! Et vu ce qu'elle envoie à l'univers, elle ne devrait pas tarder à se prendre un frigo sur la tronche lors d'une innocente promenade en ville !
- Tu es dure là...
- Mais non je ne suis pas dure, ce n'est pas méchant, ce n'est pas contre elle, c'est la réalité ! Si je mets une photo de mon intestin grêle on va dire "superbe", "magnifique" ! J'exagère mais à peine...
- C'est vrai que si je dis que je me trouve moche ou vieux on va me dire "il faut s'aimer soi-même avant de pouvoir aimer les autres", et si je poste une photo de moi que je trouve pas mal, on va dire que je suis narcissique.
- Moi si je dis ce que je pense avec force et conviction, il y aura toujours un donneur de leçon ou un juge de paix foireux pour me dire ce qu'il faut penser, et le pire c'est que ces je-sais-tout te font la morale avec une agressivité qui tutoie la prétention, et si tu oses te défendre, donc juste répondre, on te sort le diptyque ego sur-dimensionné/narcissique, ah non je ne peux plus...
- C'est marrant juge de paix foireux... tu l'écris comment ?
- Quoi ?
- Non rien... et donc ? Pourquoi tu restes ?
- Mais comme tout le monde, pour dire ce que j'ai à dire ! Mais surtout pour partager, pour me nourrir, par curiosité, et puis on est tous pareil hein, c'est notre petit côté voyeur... On jure en claquant la porte mais on mate à travers toutes les fenêtres ouvertes, à l'affût de la faute, ou du truc intéressant... M'enfin surtout de la faute quand même. T'as l'impression de passer le code quand tu postes un truc, si y'a une erreur, t'as un jury composé de gens dont tu ne savais même pas qu'ils étaient là qui te disent "coupable" ! Et comme t'as pas passé le code, ils te refusent le permis de poster.
- Si tu vas voir J'accuse tu soutiens Polanski, si tu ne vas pas le voir tu es féministe extrémiste, si tu y vas juste pour le sujet du film, on dit qu'il ne faut pas dissocier l'homme de l'artiste, et les mêmes qui vocifèrent sur le cas Polanski lisent Céline ou vont à une expo Gauguin, si tu es juif tu te sens presque obligé de soutenir un film qui défend la mémoire d'une victime de l'antisémitisme, si tu n'es pas juif et que tu appelles au boycott certains te traiteront d'antisémite, si tu appelles une femme mademoiselle tu veux forcément la mettre à genoux, si tu es galant tu montres une forme de supériorité, si tu ne l'es pas tu es macho, si tu veux acheter un chien on te hurle dessus parce que tu n'adoptes pas, si tu en adoptes un on te dit quelle race il faut prendre et quel refuge a besoin de toi, si tu dis que tous les hommes ne sont pas violents on te chope par le statut et on te dépose sous la guillotine parce que ça sous-entend la négation de la femme battue, si tu dis que certaines femmes sont violentes, certaines femmes te regardent de haut, comme le faisaient ces hommes qui niaient l'évidence, ceux que ces mêmes femmes combattent aujourd'hui, donc oui, c'est vrai que c'est le siège social de l'ironie nauséabonde ces réseaux...
- Ce sont les nouveaux sauvages... Nous sommes les nouveaux sauvages...
- Par contre on peut toujours écouter Claude François et danser sur Alexandrie, Alexandra... alors que la moyenne d'âge de ses conquêtes était encore assez loin de la majorité... Artiste officiellement clean, fans officiellement innocents.
- Si tu manges de la viande, t'es une meurtrière, tu es LA responsable de la planète qui se barre en sucette, si tu mets une fessée à ton fils il faut aller voir un psy parce que tu le traumatises, tiens j'ai raconté ça à ma copine du Sénégal tu sais, elle m'a dit "mais vous les blancs vous êtes graves avec vos règles et vos petites séances d'auto-flagellation psycho machin truc, en Afrique, le gamin, il s'en prend une, et il est pas traumatisé je te promets, il file droit, et il prend pas d'anti-dépresseurs de sa vie !" Si tu te justifies de quoi que ce soit tu n'as pas le droit, si tu dragues t'es une fille de joie, si tu mets une photo de tes seins en photo de couverture on te traite de chienne
- T'as mis une photo de tes seins en photo de couverture ???
- Non c'est pour voir si tu dormais. Bref, mon Raoul, on ne sait plus communiquer. On a envie de tout et de rien, on veut donner et on ne sait plus recevoir, on veut recevoir et on ne sait plus donner, on veut aimer mais on veut tellement que l'autre nous aime à la perfection qu'on tapisse le chemin du bonheur de peaux de banane, ça consomme, ça zappe au premier accroc, les femmes ne veulent plus du sexe faible mais on va tellement vite qu'on a allègrement dépassé la parité et le sexe faible a changé de camp, les hommes se sentent castrés, ils prennent du viagra, ils fument ou ils boivent pour oublier tout ce qui les inhibe, ils n'osent plus mettre le moindre doigt dans l'engrenage de peur de freiner la révolution féminine, tu vois d'ailleurs, là normalement tu aurais dû répondre "moi j'aime bien freiner ta révolution chérie..." ou "ça dépend de l'engrenage..." mais tu n'oses plus...
- C'est vrai j'y ai pensé... Et c'est vrai qu'on en vient à réfléchir avant d'aller sur ce terrain... c'est moins spontané...
- Raoul, je t'ordonne, je te supplie, je te conjure de ne jamais renoncer à ton élan naturel à l'endroit de mon engrenage, si tu devais changer c'est toute ma machine qui en serait grippée.
- Tu ne m'as pas dit la différence entre guépard et léopard...
- Le guépard n'a pas de taches sur la tête, ou très peu, le léopard est couvert de taches, corps et tête.
- Tu en sais des choses mon amour...
- Raoul...
- Oui chérie...
- Tu veux bien mettre ta tenue de mécanicien ? J'ai besoin d'une petite révision je crois...
- Tu n'as pas peur que ça fasse un peu rustre issu du patriarcat et femme objet soumise ce tableau ?
- Tu vas voir si elle va être soumise la femme objet... Et puis on n'est pas obligé d'en parler sur Facebook...
Franck Pelé - Novembre 2019 - Textes déposés SACD
mardi 26 novembre 2019
L'ivresse de la chute
En bas de l'escalier, un homme regarde dans le vide, assis sur la première marche, sa tête posée sur ses mains, ses coudes sur ses cuisses, il n'a pas entendu cette femme arriver.
- Monsieur ? Tout va bien ?
- (silence)
- Monsieur ? (Elle lui pose la main sur l'épaule)
- Oui pardon ! Pardon je... j'étais ailleurs... Vous me disiez ?
- Je vous demandais si tout allait bien.
- Je ne sais pas... Je croyais que tout allait mieux mais après l'ivresse de la descente, la chute semble difficile... C'est.. c'est ma décision. Je l'assume.
- Quelle descente ? Quelle décision ?
- La décision de redescendre toute une vie à cheval sur la rampe... là je lève les yeux et je mesure le nombre de marches patiemment construites qui ont défilé... et je me dis que je n'aurai jamais la force d'en reconstruire un aussi long... J'aurais peut-être dû rester là-haut et faire semblant d'aimer, d'avoir du désir pour une femme devenue une autre à force d'être le buvard de toutes les influences les plus toxiques...
- Vous venez de quitter votre femme ?
- Oui. J'ai choisi l'honnêteté de lui dire que je ne l'aimais plus, que nos chemins ne se ressemblaient plus, il paraît que les hommes trompent et que les femmes ont le courage de quitter, j'ai voulu remonter les statistiques... Le prix à payer est très cher Madame. Je n'ai plus de mère, elle a choisi de défendre la pauvre petite victime parce qu'elle revit son divorce à travers le mien, je pensais qu'une mère devait être un soutien inconditionnel...
- Elle devrait oui. Envers et contre tout.
- Elle fait pourtant tout à l'envers et contre moi. Et ma femme a osé mentir, elle a voulu me faire passer pour quelqu'un de violent, vous imaginez ? Avec ce qu'on entend partout à ce sujet ? C'est abject...
- Ne restez pas comme ça... Et puis vous allez attraper la mort ici dans ce froid, allez prenez ma main.
- La mort... Et si on l'attrapait parce qu'on descend trop vite tout ce qu'on a monté ?
- Ne dites pas de bêtises... J'ai quitté un homme il y a six mois, j'étais avec lui depuis douze ans. Pendant douze ans j'étais sûre que c'était lui. Et je pense vraiment que pendant ces douze ans, c'était lui. Mais je suis une autre aujourd'hui, et lui est resté celui qui aurait dû changer. Je suis seule, je ne sais rien de l'avenir, j'ai un appartement trois fois plus petit que le précédent, je ne sais pas comment je vais payer mon loyer, mes parents ne me parlent plus, ils l'adoraient le gendre idéal... Moi aussi j'ai connu l'ivresse de la chute, on peut attraper froid oui, grelotter de peur devant le vide, mais croyez-moi, c'est la vie qu'on attrape, pas la mort.
- Mais regardez le nombre de marches, ces marches ciselées une par une, le temps qu'il a fallu pour que l'œuvre soit belle ! Ici, tomber à genoux pour demander sa main, ici l'annonce d'un enfant à venir, là le ventre rond, la poussette, les biberons, là un travail qui va avec la situation, là un voyage, et les vacances, chaque marche est une année de souvenirs, un projet réalisé, rêvé, et on redescend tout sans se retourner... Et puis on se retourne. Et on se dit qu'on aurait peut-être dû continuer de plaire à tout le monde et de...
- ... de s'oublier ? C'est ça ? Vous regrettez d'avoir quitté cette vie qui n'avait pas de place pour vous ? Cette vie où il fallait plaire à tout le monde, votre femme, votre mère et tous les autres ? Et peu importe si le cœur ne battait plus chez vous ? Non Monsieur ! Pardon mais non ! Vous savez ce qu'on va faire ?
- Non...
- Vous allez remonter cet escalier, vous allez le reprendre marche par marche en prenant le temps de repenser à chaque étape, vous aurez de la fierté pour ce que vous avez accompli, vous ne regretterez rien, vous arriverez au sommet gonflé à bloc, ravi du monde que vous avez construit. Puis vous lui direz au revoir, verbalisez cet au revoir, dites distinctement "au revoir", avec le sourire, des larmes si vous voulez, ajoutez "merci" si c'est mieux, enfourchez la rampe et descendez avec la certitude d'aller vers votre route, vers votre liberté d'être !
- Mais... qui êtes-vous Madame ? Vous vivez ici ?
- Je vais revivre ici. Je m'appelle Simone.
- Enchanté Simone, Raoul... Vous allez revivre ici ? Parce que vous avez déjà vécu ici ?
- Non. Mais je sais maintenant pourquoi je suis là. Je suis rentrée par hasard par cette cour et je vous ai vu la tête dans les mains. En vous disant ma dernière phrase à l'instant, j'ai senti que chaque mot était évident, comme lorsqu'on sait... vous allez remonter votre temps, votre vie d'avant, et vous allez redescendre, si vite que vous effacerez tous les vents mauvais...
- Mais pour aller où ? Je l'ai fait une fois et le vertige est terrible passée l'ivresse !
- Cette fois je serai en bas. Pour vous attendre. Et je vous promets d'autres vertiges, des ivresses aux sourires indélébiles, remontez Raoul, je vous attends. Vous n'imaginez pas comme votre chute sera douce. Je suis ici. Et avec vous, je vais revivre. C'est précisément ici que je vais revivre...
Franck Pelé - Novembre 2019 - Textes déposés