mercredi 30 novembre 2011

Quand Raoul perd la boule


- Simone !

(pas de réponse)

- Simooooooooone !!!!!!

- Rrrrooo... arrête de hurler... quoi ?

- T'as téléphoné dans le jardin...

- Oui, et alors ?

- Et tu as téléphoné longtemps...

- J'ai un peu papoté avec Paulette oui, pourquoi ?

- Parce que quand tu téléphones, il faut toujours que tu émiettes quelque chose...

- Et alors ?

- Alors tu n'étais pas dans la cuisine, avec un morceau de pain à portée de main mais dans le jardin...

- ET ALORS ??? Tu me le dis ton problème ou j'ai le temps de prendre un bain pendant que tu additionnes les indices ?

- Alors tu m'as défoncé l'arbre du milieu !!! Tu lui as explosé la boule !!! Ce n'est plus un jardin, c'est un cimetière !

- Ah parce que toi quand toutes les boules étaient bien rondes, tu trouvais que c'était la fête de l'année ton jardin ? Tu ne vas quand même pas me faire acte II scène 3 parce que j'ai UN PEU touché ta boule en téléphonant alors que c'est la seule occupation possible dans ce trou paumé à 2000 mètres d'altitude ! Le monastère du Nom de la Rose, c'est le Carlton de la Croisette à côté !

- Tu ne connais rien à l'art topiaire...

- L'art topiaire ?

- C'est l'art de tailler les arbres et les arbustes dans un but décoratif, leur donner des formes précises, comme ces boules, qui étaient absolument parfaites avant que tu viennes t'en occuper.

- Je sais très bien ce qu'est l'art topiaire. Comme si je ne connaissais rien à l'art de tailler moi...

- Oh je t'en prie hein, n'en rajoute pas ! Tu as déjà rendu mon jardin vulgaire, ça suffit largement.

- Je parlais de tailler des costards ! Parce que pour le reste, il va se passer quelques automnes avant que tu aies l'occasion d'évaluer mon art ! Il n'y a pas que les boules de ton jardin qui vont connaître une ambiance de cimetière, et encore j'exagère, dans un cimetière, y'a des visiteurs... Alors que moi, même à la Toussaint, je laisserai ton jardin reposer en paix, ne compte pas sur moi pour venir le fleurir ! Je suis vulgaire là ? Tant mieux ! Ça te donne une idée de la vulgarité de me faire vivre dans un endroit pareil ! Tu as cru que je voulais me retirer du monde ou quoi ? Oh ! Frère Tuck, Tu pourrais me regarder quand je te parle !

Le téléphone sonne. Raoul décroche.

- Oui ? Ne quitte pas, je te la passe... C'est Paulette, elle veut savoir ce qu'on fait dimanche.

- Allô ! Excuse-moi ma chérie mais je ne vais pas pouvoir te parler là parce que sinon je pourrais me mettre à émietter Raoul... vu que je n'ai plus le droit de toucher à ses boules...

- Jamais il ne t'interdirait une chose pareille. Vous me faites marcher...

- Ah non, non, je te promets, je n'ai plus le droit. Remarque, vu que je ne connais rien au fait de tailler quoi que ce soit, elles ne vont pas s'en plaindre...

- Mais pourquoi tu n'as plus le droit ?

- Parce que je lui en ai défoncé une... Celle du milieu en plus, celle qui se voit le plus...

- Du milieu ??? Mais... comment c'est arrivé ?

- Tout à l'heure là, pendant que je te téléphonais.

- Il a dû souffrir horriblement... non ?

- Bien sûr qu'il a eu mal, ça fait une heure qu'il hurle ! Mais moi quand je téléphone, tu sais ce que c'est, j'ai besoin de m'occuper...

- Oui enfin quand même, lui émietter sa fierté pour occuper tes mains, t'aurais pu trouver autre chose.

- Paulette, tu ne vas pas t'y mettre toi aussi !

- Excuse-moi Simone mais c'est quand même assez grave, tu ne crois pas ?

- Non, ce n'est pas grave ! On peut vivre avec une boule abîmée au milieu du jardin, je ne vois pas ce qu'il y a de dramatique ! Surtout qu'il n'y a jamais personne qui vient les voir...

- Parce que tu aimerais qu'il y ait du monde qui vienne les voir ?

- Mais oui. Ça me ferait très plaisir qu'il y ait du monde dans son jardin, il met tellement de cœur à rendre ses boules bien lisses. Mais faut quand même pas pousser, je n'ai abîmé qu'une petite surface sur la boule, je n'ai pas touché au tronc, y'a plus qu'à attendre que ça bourgeonne et le trou sera comblé comme avant.

- Bon. J'imagine que pour Dimanche, vous allez rester au chaud... Tu l'emmènes consulter ?

- Quelle idée ! C'est pas une maladie non plus l'art topiaire ! Tu veux qu'on vienne à quelle heure ?

- Non, non Simone, vraiment... Je préfère que vous veniez quand tout ira mieux. Et puis j'ai acheté des rognons, il pourrait mal le prendre.



Franck Pelé - novembre 2011

Le jour où Raoul a failli se viander



Raoul avait pris rendez-vous à la mairie pour s'inscrire sur les listes électorales et pour satisfaire à la question annuelle du recensement. Deux jolies fonctionnaires, qui le connaissent de vue depuis longtemps, l'invitent à les rejoindre dans la salle du fond. Après quelques minutes, l'entretien commence à devenir plus précis que prévu.

- Vous devez être un homme exceptionnel pour séduire une femme aussi exigeante que Simone...

- Oh non, non... Je suis... (Raoul sent le pied de sa voisine de droite lui caresser doucement la jambe...)... je suis tout à fait normal vous savez...

Sa voisine de gauche commence elle aussi à prendre son pied en silence pour toucher du doigt la sensuelle réalité de son voisin :

- Arrêtez votre modestie... Vous êtes une bombe d'amour... Vous avez beaucoup trop à donner pour une seule femme... Vous l'aimez à quel point votre femme ?

Raoul déglutit :

- On ne peut aimer davantage.

- Bien sûr, mais vous pourriez vous détendre un peu dans votre jardin sans forcément que ça mette le bazar à la maison non ? Si vous adorez le gigot et que vous goûtez un bon tournedos, votre amour pour le gigot reste le même... vous comprenez ?

- Peut-être, mais si j'ai épousé le gigot, et que je goûte un tournedos, je le trompe jusqu'à l'os mon gigot !

- Non... Votre morale judéo-chrétienne vous étouffe... Ma collègue a raison, d'ailleurs, si votre femme était témoin de cette scène, elle verrait bien que vous êtes sage, que nous sommes les seules à vous inviter au plaisir, et si vous étiez le héros d'un film, elle voudrait probablement que vous lâchiez un peu de lest... D'ailleurs, pourquoi un sentiment naturel devrait-il être frustré ?

- Mais parce que nous avons signé un contrat ! Physique et moral ! Et qu'un contrat avec des dessous de table n'est pas moral ! Et je ne suis pas le héros d'un film mais le héros de sa vie ! Et dans ces cas-là, une femme n'attend pas la même chose des deux figurez-vous !

- Les meilleurs contrats sont pourtant ceux qui ont eu les meilleurs dessous de table vous savez... Voire les meilleurs dessous tout court...

- Raoul, si vous n'arrivez pas à le dire, prenez cette feuille blanche, et écrivez votre réponse à notre question : "Voudriez-vous venir avec nous dans le jardin étudier les différentes positions que nous savons prendre face à la crise qui secoue notre société ? " Ma collègue se penchera sur votre dossier pendant que vous me proposerez tous les arguments susceptibles de me séduire...

Raoul regarde chacune de ses voisines dans les yeux, sans aucune expression, puis il saisit la feuille blanche, prend le stylo et réfléchit :

- Écoutez Raoul, vous pouvez écrire toutes vos doléances, nous ferons tout pour vous rendre ce séjour très agréable...

Raoul commence à écrire sa réponse quand soudain, Simone surgit dans la pièce ! Raoul fait une boule avec la feuille de papier et la range dans sa poche. Les deux femmes retirent immédiatement leur pied, mais trop tard pour que ce soit discret :

- Dites donc les poufs podologues, c'est comme ça que vous inscrivez les citoyens sur les listes électorales ? Alors moi j'ai confiance, je vous laisse cinq minutes et quand je reviens, je me rends compte que vous êtes en cheville avec mon mari ?

- Simone, je n'ai rien fait ! Je te promets...

- T'as bien fait de mettre des chaussettes quand même, sinon t'aurais pu sentir deux femmes te caresser les jambes sous la table...

- Madame, ce n'est pas ce que vous croyez...

- Ah bon ? C'était quoi ? Vous avez des problèmes de vue et vous avez besoin de lire en braille les poils du tibia de mon mari pour bien comprendre ses réponses ?

- Mais non nous ne sommes pas aveugles mais...

- Et bien moi non plus ! Alors vous allez me faire un petit chèque et je ne dirai rien à Monsieur le Maire !

- Mais enfin... vous ne pouvez pas nous proposer une chose pareille !

- Ah non ? Je croyais que vous étiez maîtresses ès dessous de tables ! Je laisse à votre bon sens le choix du montant, sinon j'en réfère à votre chef, et croyez-moi, une mairie trompée peut être bien plus violente qu'une femme bafouée !

- Simone...

- Raoul, va m'attendre dans la voiture s'il te plaît.

Raoul se lève, salue l'assistance, gêné, puis descend les escaliers de la mairie en se demandant encore ce qu'il venait de lui arriver. Simone regarde par la fenêtre, elle voit Raoul sortir du bâtiment et s'engouffrer dans la voiture. Elle se tourne alors vers les deux femmes :

- Alors ?

- Alors tu peux être tranquille Simone, comme tous les ans, il n'a pas craqué.

- Il est incroyable ton mari... Par contre, évite "les poufs podologues" la prochaine fois, c'était moyen...

- Oui, pardon, j'ai dit ce qui me venait sur le moment, j'ai hésité avec les poufs pédicures, mais j'ai trouvé que ça sonnait mieux podologue, y'a un côté scientifique qui vous rendaient encore plus détestables.

- Il faudrait que tu trouves autre chose pour l'année prochaine parce qu'au bout d'un moment il va se douter de quelque chose...

- D'accord, merci les filles, à bientôt.

- Bonne journée Simone...

Deux semaines plus tard, Simone demande à Raoul où il a mis la liste des courses. Il lui répond, Simone part au marché, et quand Raoul revient du garage, sa femme lui a préparé une magnifique table dans le jardin avec de superbes pièces du boucher et des pommes dauphine bien dorées... Raoul semble surpris :

- Tu ne m'avais pas parlé de lotte à l'armoricaine ?

- Ah moi j'ai suivi ta liste, elle était là où tu m'as dit, dans la poche de ta veste, un peu en boule mais bon... et c'était bien écrit "...d'accord pour deux tournedos dans le jardin, et j'espère que les pommes seront bien rondes..."



Franck Pelé - novembre 2011

samedi 26 novembre 2011

Les 400 coups

Je m'invite exceptionnellement dans ce petit prologue pour vous remercier, d'aimer Simone, Raoul, et les mots qui les font vivre. Merci d'être là, fidèles, généreux et partageurs, j'espère ne jamais vous décevoir et porter Simone vers les plus hauts sommets ! L'épisode qui suit est le numéro 400. Le premier a été écrit en mai 2010.

Que vos routes soient fleuries !

Franck Pelé



- Tu sens bon ma chérie...

- Arrête Raoul, j'ai vraiment pas le temps là... Je dois retaper toutes les corrections des cours de géographie de mes élèves à la machine, et ça prend un temps fou...

- Ils sont doués ?

- A part quelques-uns qui me mettent la pointe bretonne dans l'estuaire de la Gironde, ils sont plutôt bons oui.

- Que j'en chope un essayer de te mettre la pointe bretonne dans l'estuaire de la Gironde tiens...

- Raoul...

- Tu ne veux pas réviser ta géo avec moi ? Allez viens... J'ai envie de te mettre le Cap Ferret dans le bassin d'Arcachon... Le pic du Midi dans le Golfe de Gascogne... Le Jura dans le Creuse !

- Mmmmm... Vous ne perdez pas le Nord mon jeune ami... Mais avez-vous assez d'atouts dans votre Manche ?

- Je vois que Madame est joueuse... Oh oui maîtresse, largement assez pour avoir la Mayenne !

Simone ne peut empêcher un sourire plein d'envie.

- Il vous faut être sûr jeune homme, parce que si vous réveillez le Bas-Rhin, je vous conseille d'être prêt dans l'Eure...

- Je vous promets de vous emmener au sommet de mon Puy-de-Dôme et de réveiller tous vos volcans.

- Ne prenez pas de tels risques... Si mes volcans venaient à entrer en éruption, il vous faudrait bien plus que la Seine et Marne et la Loire réunies pour m'apaiser... alors dans le Doubs, abstenez-vous...

- Je suis sûr de moi ! J'irai à votre rythme... Vous préférez la Nièvre ou la tortue ?

- Bon, allez, stop ! Ouste ! Je ne vais jamais pouvoir finir là, allez, va prendre ta douche !

- Mais j'en sors !

- Prends-en une autre ! Ça va te calmer...

Raoul embrasse longuement Simone dans le cou, puis regarde par-dessus son épaule pour lire une correction de copie.

- C'est qui cette Audrey ? Elle a une jolie écriture... Mignonne ?

- Raoul dégage !

- Rrrrroooo... allez... Détendez-vous de l'Aisne ma Sœur...

- Elle a vingt ans, elle est adorable et très douée en géographie si tu veux savoir... et elle sort avec un beau petit mec de la classe. Bon, lui est peu moins doué, mais il la fait rire avec ses fautes... Et tu sais ce qu'on dit des hommes qui font rire les femmes... Hier, je leur ai demandé de se mettre par deux et de placer certaines villes françaises dans plusieurs départements. Il a mis Aurillac près de Marseille, et ça l'a fait fondre. Elle est comme ça Audrey, très simple, hyper nature...

Raoul éclate alors de rire en partant vers la salle de bains :

- Quoi ?

Raoul s'appuie contre le mur et hurle de rire, le front plaqué contre son avant-bras. Il aurait préféré ne pas penser à cette répartie qui lui est venue immédiatement, mais parfois, que voulez-vous, on ne peut rien faire face à l'humour aussi douteux qu'efficace.

- Raoul ! Dis-moi !!!

- Ah non, désolé ma chérie mais je ne peux vraiment pas te dire... Ouhhhhhhouuuuuhhouuuuhouuu
u.... Oh put... j'en pleure...

- Attends, ça va Raoul, je n'ai plus quinze ans... Allez...

- Ton Audrey là... Elle a des goûts douteux quand même non ?

- Pourquoi tu dis ça ?

- Non... Je peux pas...

- Bon Raoul, t'es énervant là...

- Je pensais juste que... (il souffle doucement pour reprendre ses esprits) ... Je pensais juste à la prise de risque de ces jeunes filles naïves qui veulent absolument connaître l'amour sans penser aux conséquences de certains mauvais choix... Certains choix adulescents peuvent te traumatiser une vie sexuelle future tu sais...

- Mais encore ?

Raoul sent alors monter la deuxième salve nerveuse de cette formidable crise de rire qui ne veut plus le lâcher. Et juste avant de partir, avec la voix aiguë de ceux qui peinent à sortir quelques mots entre deux larmes joyeuses, il lance :

- Elle est quand même amoureuse d'un mec qui lui met le Cantal dans les Bouches-du-Rhône ! Tu parles d'un côté nature toi !

- Raoul !!! Tu es immonde !!!

- Il lui aurait mis la Somme dans les Deux-Sèvres encore... mais le Cantal dans les Bouches-du-Rhône ! Oh malheur... Il a pas peur le môme !

Et Raoul explosa de plus belle...

- Ouuuuuh... attends... il faut vraiment que je prenne une douche immédiatement là...

Pendant que Raoul était emporté par l'extraordinaire fou rire que son esprit lui proposait, un esprit qu'il trouvait aussi fin que d'autres, comme sa femme à l'instant, trouvaient tordu, Simone relisait la copie et ne pouvait s'empêcher de sourire en pensant à l'interprétation de son mari, dans le contexte de leur petit jeu érotico-géographique... Elle se leva alors doucement, se déshabilla complètement, et son corps de rêve rejoignit son mari sous la douche... Il se pinça les lèvres pour ne plus rire et lui demanda pardon. Puis, devant la beauté de sa femme, le fou rire laissa la place à un sourire fou d'amour... Simone lui glissa alors à l'oreille :

- Raoul... Fais rugir l'Yonne qui est en moi...

- Vous avez eu chaud Mademoiselle... Le train allait partir...

- Faites-le entrer en Gard...
 
 
 
Franck Pelé - novembre 2011 - tous les textes sont déposés à la SACD

jeudi 24 novembre 2011

Un goût de Paradis


- Pourquoi tu me regardes comme ça Raoul ?

- Parce que je t'aime comme au premier jour... Tes jambes mon amour... Tes jambes...

- Qu'est-ce qu'elles ont mes jambes ?

- Je les regarde et je me dis que j'ai épousé les plus belles jambes du monde... Les jambes d'une femme semblent donner l'élan de leur beauté. Plus elles sont belles, plus l'ascension sera inoubliable. Tu as les mêmes jambes qu'à dix-sept ans...

- Tu te souviens de nos dix-sept ans ?

- C'était hier ! C'est fou parce que le temps passe, mais les instants suspendus restent éternels, ils ne vieillissent pas. C'est probablement la raison pour laquelle, un matin, on n'arrive pas à croire à la différence entre l'image qu'un miroir nous propose et aux éternités qui dansent dans notre mémoire.

- C'est vrai... Mais on a encore le temps, t'es gonflé ! Tu veux me saper le moral avec ta mélancolie là ? Laisse-toi plutôt porter par l'élan de mes jambes tiens...

- Je me souviens très précisément de notre premier regard... Quand on est adolescent, on amplifie tout, un regard posé sur vous c'est comme une décharge d'adrénaline, une énorme boule d'énergie qui vous bouleverse le rythme cardiaque, la première fois que tu m'as regardé, c'était comme si je comprenais le sens de la vie...

- C'était exactement pareil pour moi. Ton regard, c'était une invitation à entrer au Paradis.

- Puis on quitte l'adolescence, on fait des choix, ou on les subit. Il y aura ceux qui ne trouveront finalement jamais le Paradis, et ceux qui ne l'auront jamais quitté.

- Je lui trouve comme un goût de pomme à notre Paradis subitement...

- Y'en a...

- On en croque un bout ?


Franck Pelé - novembre 2011

Simone montre les dents



- Bonjour Docteur, je viens vous voir pour un problème très délicat et on m'a dit que vous étiez le meilleur dentiste de la région pour ce problème...

- Je vous en prie Madame, entrez, installez-vous. Que vous arrive-t-il ?

- Voilà, je suis très amoureuse de mon mari mais j'ai beaucoup de mal à être exclusive, psychologiquement je veux dire, parce que je suis une femme fidèle. Ma liberté d'expression, je parle de l'expression de mes sentiments là, et même de mes sens, est telle que les hommes ressentent ma féminité généreuse sous mon élégance classieuse, et si l'un d'eux parvient à me séduire, avec un regard, une allure, un esprit, une voix, je ne peux me résoudre à l'ignorer. J'ai même envie de courir avec lui sur une plage et de l'embrasser pendant des heures, sans jamais le faire évidemment, ni même lui avouer.

- Je comprends bien mais... en quoi cela me concerne-t-il ?

- Et bien Raoul, mon mari, doit se douter de quelque chose parce que le mois dernier, après qu'il m'ait vu poser mes yeux sur le charme d'un ami, il m'a dit qu'il trouvait que j'avais les dents longues. Je pensais qu'il plaisantait, et ce matin, en me regardant dans la glace, j'ai trouvé que ça se voyait un peu...

- Un peu oui... Écoutez... J'ai été moi-même un homme à femmes avant d'être l'homme d'une seule femme, mes dents rayaient tellement le parquet que j'ai déposé un brevet...

- Ah bon ?

- Oui, j'ai inventé le parquet pré-découpé. C'est un peu grâce à moi si on le vend par lattes aujourd'hui...

- Chapeau Docteur. Et comment avez-vous réussi votre métamorphose ?

- Je suis allé voir un collègue dentiste, il m'a dit qu'il fallait polir les dents jusqu'à ce qu'elles atteignent un niveau raisonnable. Il ne fallait plus que je morde, il fallait que j'embrasse sans crainte...

- Il n'a pas dû s'économiser sur la fraise votre collègue...

- Il s'est même bien refait la cerise, avec l'émail qui est tombé, il s'est fabriqué un lavabo !

- Ah quand même...

- Alors voilà ce que je vous propose, je vais m'occuper de votre bouche jusqu'à ce que vous atteignez le niveau souhaité, puis ensuite, si vous êtes satisfaite, je vous invite à dîner.

- Vous m'invitez à dîner ? Pourquoi donc ?

- Pour me faire pardonner de rogner votre appétit naturel...

- Je peux voir votre bouche Docteur ?

- Ma bouche ? Pour quoi faire ?

- Pour voir l'état de vos dents, celles qui rayaient le parquet avant d'être soignées et remises à niveau.

- Mais bien sûr Madame.

Le docteur ouvre la bouche en grand, Simone regarde à l'intérieur, consciencieusement, puis recule, regarde le dentiste droit dans les yeux et lui lance :

- Et après le restaurant, vous me ramenez chez moi et je rentre seule ?

- Et bien... Pas forcément, non... Vous n'aurez plus les dents longues mais vous aurez toujours la flamme vive... Si vous souhaitez que je vous borde, je veux bien me sacrifier, et si vous aimez que la situation déborde, alors nous nagerons ensemble dans des eaux délicieusement troubles...

- Je croyais que vous étiez l'homme d'une seule femme ?

- Oui mais... bien sûr... mais... je ne comprends pas... pourquoi ne pourrait-on pas aimer sans limites ? Pourquoi brider ce sentiment naturel ?

- C'est bien ce que je pensais, pour décrypter votre identité profonde vous, pas besoin de votre ADN, il suffit de regarder vos dents...

- Que voulez-vous dire ?

- Que vous êtes trop poli pour être honnête !


Franck Pelé - novembre 2011

Surréaliste Simone


- Et il faut que je reste combien de temps comme ça ?

- Le temps qu'il faudra Mademoiselle. Si vous voulez devenir modèle pour le maître, apprendre la patience vous sera indispensable...

- Par contre, si vous continuer à écrire à cet endroit, je risque de devenir bien plus surréaliste que votre art...

- Que voulez-vous dire ?

- Que si vous continuez à faire glisser votre plume sur ce point sensible, on va finir par faire des Dalipettes !


Franck Pelé - novembre 2011

Le nœud de l'histoire


Simone et Raoul sont assis à la terrasse d'un café. Le temps est magnifique, les couleurs sont aussi éclatantes que les parfums.

- Raoul...

Il ne répond pas. La bouche légèrement entrouverte, il ne peut s'empêcher de poser ses yeux sur cette passante et d'y laisser toute sa concentration.

- Raoul !!!

Il se redresse brusquement et remonte ses lunettes de soleil sur son front :

- Quoi ?

- Tu veux que je t'aide ?

- Mais quoi ?

Simone prend un air complice dans un sourire tellement vicieux qu'on aurait pu la prendre pour un homme :

- Allez, tu peux me le dire... Tu regardais le nœud de la dame...

- Pas du tout ! Je regardais sa robe et je me disais qu'elle t'irait très bien.

- Mais pourquoi vous ne dites pas la vérité les mecs sur ce sujet ?!! Fais-moi confiance, j'ai envie de savoir moi, quel genre de femme te plaît... Allez, parle-moi comme si j'étais ton meilleur ami...

- Simone, arrête... Si tu étais mon meilleur ami, ça se saurait... Tu sais très bien que si je te dis ce que je pense tu vas me faire une crise de jalousie...

- N'importe quoi. Je suis ta femme, c'est sur moi que tu t'allonges, pas sur celles que tu regardes, ce sont elles qui devraient être jalouses ! J'ai quand même assez de psychologie pour comprendre qu'on puisse aimer regarder une belle femme, qu'on puisse être séduit par elle, voire même...

- ... excité par elle ?

- Bien sûr !

- Je ne te crois pas.

- Et bien ne me dis rien alors ! Je vais regarder le charme des hommes que le hasard me réserve...

- Oui, je la regardais...

- Et tu la regardais en pensant à quoi ?

- J'imaginais ses fesses, ses seins, la douceur de son ventre... Je regardais ses mains aussi...

Simone finit son Martini blanc d'un trait, Raoul poursuit :

- ... en fait, j'aurais adoré lui défaire son nœud...

Simone fait alors exploser le verre qu'elle avait encore en main sous la pression phénoménale de la crispation de ses doigts et hurle :

- Si jamais tu penses encore UNE SEULE FOIS à défaire le nœud d'une autre, je vais tellement faire de nœuds marins au tien que tu vas rester un bout de temps amarré au quai des désirs !!!

- Et voilà... Voilà !!! Tu vois, je te fais confiance, et bam ! Les deux pieds dedans ! Tu peux pas t'en empêcher hein... Ne me demande pas alors ! T'es nulle comme meilleur ami...

Simone se lève, part toute la journée se calmer en ville, elle se promène, elle regarde tous les hommes charmants, en imaginant leurs fesses, leur torse, leurs mains, tout en maudissant son mari d'oser faire la même chose et en se persuadant que lui, quand il fait ça, c'est pas pareil... Puis elle rentre chez elle, se fait couler un bain, se caresse doucement avec la mousse, et réveille son désir. Un désir tellement brûlant qu'on se demande quelles sont les véritables origines des vapeurs de la salle de bains... Raoul entre à ce moment précis. En voyant sa femme réviser ses courbes avec tant d'application et réciter une leçon apprise depuis si longtemps, il sait que la note sera forcément maximale. Il se déshabille en souriant. Simone le regarde, arrête ses caresses et lui dit :

- Puis-je savoir ce que tu fais ?

- Bah... je viens...

- Ah non, désolée cher Monsieur mais je m'occupe de moi toute seule...

- Mais enfin Simone...

- En fait, telle que tu me vois, je couche avec ton meilleur ami là, et contrairement à toi, je trouve que je le fais très très bien ce meilleur ami... On sent ton influence d'ailleurs, ta science du dénouement a offert un frisson unique à la fin de mon histoire d'eau... J'avais quelques nœuds dans le ventre et là, en me mettant dans la peau de ton confident, j'ai su les défaire, un par un, et maintenant, je suis apaisée, détendue comme jamais... Merci mon chéri... T'es vraiment un super pote... Tu vas me chercher une bière ?


Franck Pelé - novembre 2011

Hier encore



- Excusez-moi Mademoiselle, la viande de votre hamburger là, elle vient d'un élevage certifié ?

- D'un élevage certifié ? Je ne sais pas Madame, c'est du bœuf quoi... Du bon bœuf de nos campagnes !

- Et dans le plastique de vos flacons de mayonnaise et de ketchup, il n'y a pas de bisphénol des fois ?

- Il n'y a pas quoi ?

- D'ailleurs, vous distribuez toujours les mêmes flacons à tous les clients... sans jamais les nettoyer ?

- Pardonnez-moi mais vous venez manger ou faire une enquête ?

- Et le coca, c'est du coca light ?

- Light ?

- Oui, du coca avec moins de sucre, parce que c'est meilleur pour la santé, mais avec plus d'un autre produit qui est lui très mauvais pour la santé.

- Mais ça sert à quoi de mettre moins de sucre si c'est pour ajouter quelque chose qui n'est pas bon pour la santé ?

- Ah... ça... c'est la loi du marché ma petite...

- Mais vous venez d'où exactement ?

- Du futur ma chère, du futur...

- Ah... Et on va tous être comme vous dans le futur ?

- Pire ! Vous savez, la moindre chose que vous allez manger ou boire va être analysée, et on va trouver une bonne raison de vous dire que tout ce que vous faites, enfin ce qu'on nous a dit de faire depuis des années, est une catastrophe pour la santé des gens. Et puis on va vous donner des conseils pour mieux vivre. Qui s'avèreront alarmantes dix ans plus tard.

- Mais pourquoi est-ce qu'ils veulent tout rendre parfait ?

- Pour qu'on vive longtemps.

- Et vous êtes heureux ?

- ........

- Madame... On sera heureux à votre époque ?

- Disons que... On vivra plus longtemps qu'avant... avec plus de connaissances sur les choses...

- ...je vois... on aura trouvé plein de réponses à des questions qu'on ne se posait pas...

- Exactement. Et on rajoutera des questions à celles qui nous séparent du bonheur...

- Mais alors ce sera dangereux de vivre dans le futur ?

- Je ne veux pas vous faire peur.

- Dites-moi.

- C'est difficile pour moi de vous mettre des volets sur la jolie fenêtre que vous semblez avoir sur le monde !

- Mais je ne vivrai que dans le présent moi Madame, allez dites-moi !

- Ah bon ? Et demain alors, vous n'avez rien prévu ?

- Quand on sera demain, il sera temps d'y penser !

- Jolie philosophie...

- Allez !

- Oui, ce sera très dur !!! On vous dira de ralentir parce que vous polluez l'air avec votre voiture, et de toutes façons, vous n'aurez pas besoin de ralentir puisque vous serez bloquée, comme les millions de moutons malheureux qui se rendent à l'abattoir de leurs illusions, et vous passerez des heures à écouter la radio qui vous donnera un état du monde à rendre athée le plus fidèle des croyants, on vous donnera des leçons en tout genre, vous n'aurez plus le droit de rouler à 140, vous pourriez tuer quelqu'un, vous n'aurez plus le droit de bien gagner votre vie, vous pourriez déstabiliser l'équilibre budgétaire de votre société, vous ne saurez plus pour qui voter puisque l'homme politique ne comprendra plus lui-même les choses de la politique et sera plus occupé à choisir la robe de sa femme, voire à enlever celle d'une autre, pour nourrir la presse à scandales, vous devrez vous déshabiller aux portiques des aéroports pour pouvoir prendre l'avion, mettre des oreillettes pour téléphoner avec votre téléphone portable sous peine de griller doucement votre cervelet, vous ne pourrez plus boire un verre au stade ni fumer dans un restaurant, vous changerez votre monnaie pour pouvoir acheter moins de choses, mais plus cher, tout augmentera sauf votre salaire, on s'ennuiera dans sa famille, et on s'ennuiera en voyage, on saura plus profiter de commentaires d'inconnus sur nos photos de vacances que de nos vacances elles-mêmes avec un mari qu'on aura épousé parce qu'il ressemblait à cet acteur qu'on adore, et on aura remplacé le film du dimanche soir par des séries et de la pub !

- Attendez ! C'est bon... ça va... je ne veux pas savoir...

- Mais si ! Je suis lancée, je finis ! Votre pays sera moins puissant que la Chine et...

- Les États-Unis d'Amérique ? Moins puissants ? Mais enfin, nous sommes les plus forts, vous plaisantez ?

- Vous étiez ! Parce qu'on vous enverra des avions dans vos buildings et des présidents à chapeau de cow-boy qui adorent tellement jouer à la guerre qu'ils dépenseront tout l'argent du pays pour avancer leurs pions sur des cartes sanglantes qui ne tâchent pas ceux qui jouent avec !

- Mais... et la télé ? La télé ne dénoncera pas toutes ses choses ? Les gens ne diront rien ?

- La télé ? Mais c'est elle qui aura appris aux uns à reproduire les pires horreurs des autres ! Vous voulez que je vous dise le sommaire du journal télévisé d'hier soir ? On a retrouvé le corps d'une jeune fille martyrisé, je vous passe les détails, par un élève de 17 ans qui avait déjà fait de la prison quelques mois plus tôt ! Ça n'arrête pas, quelqu'un disparaît, et à chaque fois, on découvre l'horreur. Et plus on en parle, plus ça arrive ! En ce moment, c'est une fois par mois ! Dès qu'une femme va courir en forêt ou une petite fille traverse la rue pour aller chez un voisin, aucune ne revient !

- Alors pourquoi on en parle ?

- Parce qu'il faut prévenir que voulez-vous ! Il faut mettre en garde ! Donner des leçons ! Le bonheur est tellement à ce prix... Je continue. vous aurez aussi un petit bilan sur la crise économique qui secoue les puissances économiques occidentales, les marchés financiers seront plus forts que les états, le chômage jamais aussi élevé, on vous dira que la canicule sera toujours plus forte l'été, et les inondations toujours plus fortes l'hiver, parce que trop de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, il ne faudra plus boire l'eau du robinet, les légumes seront bourrés de pesticides et auront un goût aseptisé, on vous dira que le vainqueur du Tour de France est dopé, que fumer peut tuer, que les généraux et les extrémistes ont profité des révolutions arabes pour asphyxier encore un peu plus la démocratie, on vous dira qu'on n'aura plus jamais de Lino Ventura et de Romy Schneider, que vos enfants pourraient se faire racketter à 12 ans et que la grippe pourrait tuer la moitié du pays selon des études très poussées. On vous dira aussi que

- Stop !!! Arrêtez !!! Arrêtez... Je vous en supplie...

- Pardonnez-moi.

- C'est fou... Moi, je suis bien dans mon époque... Je suis heureuse de manger sans me poser de questions, de courir dans les champs en disant bonjour à ma voisine, de boire du lait et de manger de la viande sans me demander si la vache est folle, je suis heureuse d'embrasser mon amoureux sans penser qu'il pourrait me contaminer, ou même me tuer ! Vous entendez ? Je suis heureuse de voir l'herbe toujours plus verte, de laisser ma fille jouer dans la rue ! J'adore boire du coca ! Je fume pendant que je vous prépare votre hamburger, et je n'ai jamais vu un client arrêter de me sourire pour ça ! Et ma planète est belle, avec des saisons splendides ! Qu'est-ce que ça veut dire vos salades ? Que ce sont mes enfants qui vont faire ce que vous décrivez ? Et mes petits-enfants ? Alors quoi ? On n'en fait plus ? On attend tranquillement que nos rêves gorgés d'illusions sèchent et craquellent sous un soleil trompeur ?

- Non... au contraire... Faites des enfants, et transmettez-leur tout votre amour... toujours... Parce que si la société est malade, seuls les enfants pourront la soigner... Ils sauveront le monde avec de l'amour ! De l'amour !

- Mouais... Si on les laisse vivre sereinement... Votre bisphénol là, y'en aurait pas dans les tétines des biberons des fois ? Au point où on en est...

- Oubliez tout ça... La vie est belle aujourd'hui... Combien je vous dois ?

- Un dollar cinquante pour le plateau, et cinq dollars pour le carburant.

- Oh oui elle est belle... Bonne journée mon petit... Profitez de tout. Et ne vous inquiétez pas. Les couleurs resteront belles, les émotions fortes, et les parfums inoubliables, même dans un avenir incertain.

- Vous repartez quand ?

- Demain matin.

- Vous voulez venir avec nous au Drive-In ce soir ? Ils jouent "Autant en emporte le vent".

- Avec grand plaisir. Oui... J'adorerais ça...


Le lendemain matin, Simone croise Raoul sur le chemin de la salle de bains :

- Tu es rentrée ? Alors, tu as fait bon voyage ?

- Excellent...

- Tu as l'air perplexe... Tu as été déçue, c'est ça ? Je te l'avais dit, la nostalgie est un sentiment menteur, le "c'était mieux avant", ça ne veut rien dire ! Ce soir, on se fait une soirée écran plat HD ? Histoire de remettre les choses à leur place et de te faire oublier la télé noir et blanc ! Le bonheur, c'est aujourd'hui ma chérie ! Au fait, j'ai pris 100 euros sur le compte commun, j'ai fait le plein d'essence pour aller chez ta mère.

Simone souffle et marmonne :

- Mmmmm... le bonheur d'hier, c'était pas mal non plus...

- Qu'est-ce que tu dis ?

- Rien !
 
 
Franck Pelé - novembre 2011

Raoul voit clair dans le jeu de Simone


- Chéri, tu m'emmènes au restaurant ?

- Au restaurant ? Tu ne veux pas rester à la maison tranquille ? Attends, je finis un chapitre de mon roman et je te fais un somptueux dîner.

- Raoul, tu vois où je suis assise là ? Exactement à ma place. Entre ta machine à écrire, la porte de ton monde, dont je fais partie certes, et le téléphone, seul contact avec le monde extérieur, dont je fais AUSSI partie. Alors j'aimerais beaucoup sortir de tes pages et m'aérer la tête dans le monde réel UNE fois cette semaine. Et voir tes yeux me désirer dans la lumière d'une chandelle et pas dans la flamme de ta plume... Emmène-moi chez Maxim's...

- Chez Maxim's ? Mais c'est hors de prix !!!

Simone compose le numéro de Chez Maxim's :

- Bonsoir Madame, je souhaite réserver une table pour deux personnes s'il vous plaît...

Raoul, chuchotant, énervé :

- Raccroche !

Simone décroise alors ses jambes et repousse le fil du téléphone en dehors du champ de vision de Raoul avec une ouverture lente mais franche de sa cuisse droite. Puis elle lui lance, dans un sourire à rallumer la nuit des temps :

- Excusez-moi, je demande à mon mari... Chéri, 21 heures ?

Raoul, déglutit, encore hypnotisé par la magie de ce qu'il venait de voir :

- Heu... Oui...

- Parfait pour 21 heures, merci Madame, à tout à l'heure. Au revoir...

Elle se lève dans un élan soudain, prend son sac à main au vol, s'arrête net devant son homme, et lui dit, nez à nez :

- Tu vois Raoul, quand je te dis que je suis une femme moderne... C'est la première fois que je te parle avec un téléphone sans fil, et tu ne m'as jamais entendue aussi clairement...


Franck Pelé - novembre 2011

Le cadeau de Raoul


- Que tu es belle mon amour...

- Pourquoi t'arrêtes-tu maintenant ?

- Pour contempler ce moment délicieux, cette frontière sublime...

- Quelle frontière ?

- Celle entre deux mondes, le suggéré et le dévoilé. Si je remonte ta bretelle, c'est comme si je faisais demi-tour après avoir découvert le Nouveau Monde, si je la baisse complètement, je bascule déjà dans ce monde, je tue le désir, je suis déjà dans la possession, j'ai mis fin à mon plus grand bonheur, te découvrir. Mais si je la laisse comme elle est à l'instant, je cultive un plaisir inouï, je suspends la seconde qui précède la plus belle conquête de ma vie, une seconde éternelle... Tu es comme un cadeau que je ne veux pas ouvrir. Je trouverais que le temps passe trop vite... Tu te souviens quand nous étions enfants ? Nous ne pouvions attendre, on déballait tout, sans profiter, et puis on jouait, on se lassait, et on regrettait ce moment magique de l'attente...

- D'accord mais là, on n'est plus enfants, et le moment magique de l'attente ça va deux minutes ! Maintenant j'aimerais passer au moment magique d'après, alors tu vas ouvrir ton cadeau et tu vas jouer avec, sinon c'est moi qui vais me lasser !

- Tu ne veux pas nager un peu dans les eaux de la poésie romantique ?

- Raoul... Découvre-moi, bascule dans mon monde, possède-moi, je veux être ta plus belle conquête...

- Aaaaah... tu vois quand tu veux... Je cherche le lagon au trésor...

- Vous le trouverez dans la vallée, mais il vous faudra d'abord passer quelques sommets...

- C'est de la haute altitude...

- Vous verrez, une fois en haut, vous aurez l'impression d'avoir le souffle coupé... mais un peu plus tard, lorsque vous descendrez et trouverez mon trésor, c'est moi qui manquerai d'air...


Franck Pelé - novembre 2011

Les ailes du désir


Ce 17 novembre était une date insupportable pour elle. C'était le jour où Raoul avait cessé d'être. Aujourd'hui, c'est le troisième anniversaire de sa disparition. Montmartre est triste, et le Moulin ne tourne plus. Seul le visage de Simone, plein de lignes gravées par le temps, pouvait témoigner de la quasi centaine de printemps vécus. Si vous pouviez voir l'allure de son cœur, vous seriez surpris par sa jeunesse, aussi fringant que sa mémoire. Dans trois ans, Simone sera centenaire. Elle a fini par s'habituer à ce corps qui n'est plus le sien, seulement la preuve irréfutable que l'amour s'occupe des corps quand il a le temps. Lorsque la terre devient trop aride, il pénètre les cœurs, définitivement, et coule dans les veines comme autant de rivières nées d'une même source. C'est le tarissement de cette source auquel elle était incapable de s'habituer. Raoul ne s'était pas réveillé d'un sommeil qui devait être bien plus court, et depuis cette nuit infinie, tout était devenu obscur dans la vie de sa femme. A quoi bon voir le jour sans le soleil qui le magnifie ? Pourquoi sentir une fleur si elle n'a plus de parfum...

Ils habitaient cet appartement depuis 1889, l'année de leur rencontre et celle de la construction du Moulin. La légende veut que lors de leur premier baiser, leur fougue fut si gourmande que le Moulin en rougit. Le lendemain matin, il avait gardé sa couleur. Et trouvé son nom historique.

C'était le début de la Belle Époque, Paris bruissait de tous les élans artistiques et novateurs qui allaient enchanter le monde et les siècles suivants. On préparait les festivités du centenaire de la Révolution et la présentation de la Tour Eiffel, majestueuse érection métallique qui rendait la Seine brûlante de fierté.

Montmartre, en ce temps-là, n'accrochait pas encore ses lilas sous ses fenêtres, mais des sourires. Le caractère délicieusement bucolique de ce petit village perché au-dessus de Paris en faisait un endroit exceptionnel. Toulouse-Lautrec se frisait les pinceaux du bonheur d'avoir rencontré le japonisme, un courant oriental qui allait connaître son apogée en cette fin du XIXème, les gens sortaient d'une grande dépression économique et les années de paix, qui n'avaient jamais été aussi longues, avaient favorisé le progrès, et surtout, le sens de la fête.

Pendant que Proust trempait ses madeleines dans un thé près du Sacré-cœur, un sacré corps ondulait sur les pavés au bras de Raoul. Simone avait une jupe très courte, elle partait pour une audition au Moulin Rouge. Le déjà célèbre cabaret travaillait sur une nouvelle revue affriolante : le French Cancan. Elle sera prise, et deviendra une des danseuses les plus connues de Paris sous le pseudonyme de Nini pattes en l'air, avec ses amies Jane Avril, la Goulue, La Môme Fromage et Grille d’égout. On viendra du monde entier pour voir Paris lever ses jambes.

Puis ils connaîtront les magnifiques années d'après-guerre, les cabarets toujours plus fous, Le Chat Noir, Le Lapin Agile, les hommes déguisés en femme, dès que Simone et Raoul entraient quelque part, c'était l'effervescence, la fête, on leur donnait la meilleure table, on leur offrait le meilleur champagne, Raoul se mettait au piano, et Simone dansait sur le bar, les gens riaient, chantaient, ils étaient tellement heureux. Ils fêtaient le bonheur contagieux de ce couple extraordinaire. Montmartre était artiste, Montmartre était bohème. Comme un village de gaulois résistants au capitalisme naissant de la grande ville qu'ils voyaient changer de leur balcon.

Plus tard, beaucoup plus tard, au siècle suivant, le XXIème, la rue Lepic avait perdu la plupart de ses moulins, ne subsistait, en bas, que le grand rouge dont les ailes ne tournaient plus, comme pour dire aux touristes qu'ils s'étaient trompés d'adresse, ou d'époque. Les peintres de la place du Tertre étaient comme des macs qui profitent de leur butte, les magasins de souvenirs avaient remplacé ces cabarets qui en avaient tellement offert, mais l'esprit était toujours là. Les vignes poussaient encore malgré une ivresse moins joyeuse et les bars jouaient toujours du jazz.

En pensant à ces jours heureux, Simone souriait. Puis très vite, elle se disait qu'une belle histoire ne devrait jamais avoir de fin. Raoul était parti, avec tous ses souvenirs. Et c'était le plus dur à accepter pour elle. Comment peut-on passer une vie à apprendre tant de choses, à aimer aussi joliment, à se connaître tellement soi-même, à découvrir les autres avec envie, à lire les plus grands auteurs, à être témoin de magnifiques naissances, comment une vie riche de tant de leçons peut-elle s'évaporer et ne laisser derrière soi que ceux qui ont su la qualité d'un être ? Jusqu'à ce qu'ils disparaissent eux aussi. Alors, qui pourra raconter les amours extraordinaires d'un couple magnifique ?

Les mots. Il faut écrire ses amours, ses larmes, ses joies, sa vie. Un jour, quelqu'un les lira. Et les fera revivre.


Franck Pelé - novembre 2011

Votez Simone !


- Mais Simone, qu'est-ce que tu fais ?

- Tu n'as pas envie de faire l'amour au bureau ? J'en rêve depuis que je travaille avec toi...

- Mais si quelqu'un arrive ?

- Ils sont tous en salle de réunion pour le vote du conseil de surveillance...

- Oui mais moi aussi je dois aller voter !

- Je sais Raoul... Je sens ton bulletin qui commence à prendre forme... Tu ne voudrais pas voter pour moi plutôt ?

- Simone enfin...

- Mets ton bulletin dans mon urne... Mon programme est sans égal... Et puis avec moi au moins, tu ne seras pas déçu, mes promesses seront tenues. Sois mon peuple, je serai ton gouvernement...

Simone commence à déboutonner doucement Raoul :

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je vais commencer par prendre des mesures... radicales... Puis je vais inviter le peuple à entrer au gouvernement pour instaurer une confiance nouvelle, je vais même le laisser creuser mon déficit... et quand il touchera le fond, je pousserai un triple aaaah à faire pâlir d'envie toutes les agences de notation...

C'en est trop pour Raoul, n'en pouvant plus, il saute sur Simone, et au bout de quelques minutes d'intenses tractations, après un long râle de plaisir, il s'affale sur sa belle en expirant un :

- ... a voté...

- Déjà ??? Tu aurais pu prendre le temps de réfléchir ! C'est ça le problème avec le peuple, dès qu'on lui donne un peu de pouvoir, il s'en sert n'importe comment !


Franck Pelé - Novembre 2011

Simone a le titre sur le bout de la langue


- Qu'est-ce que tu fais Simone ?

- Je prends goût à la musique vintage...

Rendez-vous en terre inconnue (3ème et dernière partie)



Alors qu'ils attaquaient leur quatrième heure d'ascension à pied pour arriver au village des Lolos noirs, perché tout en haut des magnifiques montagnes nord-vietnamiennes, Simone pestait, entre deux pauses consacrées à la difficile reprise de son souffle :

- Tu me rappelleras de ne plus jamais partir en vacances avec toi Raoul ?

- Profite un peu... C'est un cadeau exceptionnel... Tu n'auras plus jamais un cadeau pareil...

- J'espère bien ! Tu parles d'un cadeau ! La prochaine fois, c'est avion - taxi - lieu de vacances ou je reste à la maison !

- On arrive... Regarde, ils nous attendent...

- Je vais te prendre un bain moi... Et demain, tu expliqueras à tes nouveaux amis que personne ne vienne me réveiller avant midi... J'ai fait autant d'efforts que si j'avais fait une année de shopping en une seule journée...

- L'endroit est préservé de tout... Ça valait tous ces efforts non ?

- Mais ça sert à quoi d'habiter si haut franchement ? En plus c'est con, ils sont plus près du soleil et c'est dangereux pour la peau. Et aussi pour les yeux ! Après ils ont les yeux bridés et ils s'étonnent...

- Arrête de te plaindre un peu... Dis-leur bonjour avec la main, et souris, on croirait que tu vas mourir là.

- Je ne suis pas loin figure-toi ! Je viens de me taper l'Himalaya en tongs et je suis à 279 pulsations minute donc oui, c'est possible que je finisse ici, bouffée par les vers d'Orient !

Les présentations furent chaleureuses, les sourires généreux faisaient presque oublier les efforts consentis pour découvrir ce peuple dont les valeurs de cohésion et de travail représentaient une extraordinaire leçon de vie. Mais quand le chef annonça le programme du lendemain, avec lever à 4 heures pour travailler dans les champs, Simone tiqua :

- Heu... attends chef... Quand tu dis 4 heures, tu parles du goûter là...

- Ah non non, il faut se lever à 4 heures pour être à 5 heures dans les rizières, on travaille toute la journée et on rentre à 7 heures du soir. Mais l'après-midi, seules les femmes travaillent, nous les hommes, nous nous occupons des enfants. Et toute la journée suivante c'est pareil.

- Bien sûr... Bien sûr... Et les salaires suivent ?

- On partage tout pour la communauté.

- Évidemment... Vous les avez bien élevées vos femmes dites donc ! Bravo grand chef Lolo ! Et si y'a embrouille au village, une voiture qui démarre pas ou la plomberie à changer, c'est toujours les femmes qui s'en occupent pendant que vous jouez à Pandi Panda avec les petits ?

- Nous n'avons pas de voiture, pas de plomberie, tout est en bois, nous faisons tout à la main, venez, je vais vous montrer où vous allez dormir.

- Vous pouvez me montrer les toilettes avant s'il vous plaît, j'ai une envie pas possible...

- Vous voyez le haut-plateau là-bas, sous la lune ? Vous verrez, il y a une fosse près des bœufs, vous pourrez vous soulager sans problème...

- Raoul !!! Laisse-moi résumer... Donc, tu m'emmènes en vacances dans une tribu où on dort par terre au-dessus des cochons, où les femmes bossent comme des esclaves pendant que les hommes se la coulent douce, où il faut prendre un vaisseau pour se vider la vessie et où on va manger du riz pendant quinze jours ? C'est ça ?

- Arrête de voir les choses comme ça, tu t'en souviendras toute ta vie de cette expérience...

- Oui. Toi aussi je pense... Tiens, y'a la grand-mère qui veut te parler. Pourquoi elle a les dents aussi noires ? Elle est au courant que c'est pas joli ou personne ne lui dit rien ?

- Arrête Simone ! C'est une femme adorable, elle est de l'ancienne génération, depuis toute jeune, elle mastique des feuilles locales qui rendent les dents noires. Elle le sait mais elle ne peut pas s'en empêcher...

La grand-mère s'adresse à Raoul :

- Ma fille aimerait vous épouser.

- Madame, je suis très honoré mais je suis déjà marié...

- Ce n'est pas grave, vous viendrez quand vous voulez...

Simone à la grand-mère :

- Oh dis donc Ultra Brite, t'as pas l'impression d'imposer tes coutumes là ? Il est marié Raoul, à une femme formidable ! Et bien dites-moi, vous êtes chaudasses dans la région, vous n'astiquez pas que des feuilles locales hein !

- Simone, arrête un peu s'il te plaît ! Pour elle, c'est une preuve d'amour et de confiance. Elle réagit comme une mère. Tout au fond d'elle, ce n'est que plaisir et générosité. Une mère aimante. Une femme idéale, un cœur pur.

- Bah vas-y ! Allez, va au fond des choses, j'ai compris ton petit jeu ! "Rendez-vous en mère inconnue"... allez hop ! Enchaîne Raoul ! Et moi qui croyais que tu allais m'offrir du rêve... C'est même pas du tourisme culturel, c'est du tourisme sexuel !

- Mais t'es complètement dingue ma chérie...

- Voilà, je suis dingue ! Je refuse une expérience où Koh Lanta à côté c'est le Four Seasons Bora Bora, j'en suis consciente, mais je vous quitte !

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je me barre !

- Mais tu vas où ?

- A Stockholm !

- Simone reviens tout de suite !

- Et fais attention aux jeux de la grand-mère ! A mon avis, le noir, ça part pas !

Rendez-vous en terre inconnue (2ème partie)


- Mais qu'est-ce que t'as mis dans ta valise chérie ? Elle pèse une tonne !

- Le strict nécessaire.

- Mouais... Je suis curieux de voir la nature de ton strict nécessaire...

Raoul pose la valise, s'agenouille et l'ouvre :

- Du sable ? Ta valise est pleine de sable ?

- Je me doutais que tu me ferais le coup du tourisme culturel, et j'ai eu raison parce que tes lolos noirs ils sonnent moyennement "coquillages et crustacés", alors j'ai tout prévu, j'ai emmené ma plage.

- ... elle a emmené sa plage...

- Oui, j'ai emmené ma plage oui ! Pour moi, la plage en vacances c'est le strict nécessaire.

- Mais comment tu vas te laver, te changer, te préparer ??

- Les lolottes me prêteront bien des fringues.

- On dit les lolos.

- Je parle de leurs femmes là. Et puis au Viet-Nam, ils ont des salles des bains quand même non ?

- Simone, je crois qu'il faut que je te précise deux trois choses finalement...

- Ah non ! Tu m'as dit que c'était une surprise, je veux que ça reste une surprise ! Je ne serai pas déçue au moins ? Tu me fais peur là...

- Non, non... Ce sera une grosse surprise, tu peux en être sûre...

Rendez-vous en terre inconnue


- Bon, je peux enlever mon bandeau Raoul ?

- Attends encore un peu... Qu'est-ce que t'es impatiente, c'est fou ça...

- Mais ça fait onze heures qu'on roule, j'adore ton jeu de m'emmener dans un endroit où je ne suis jamais allée mais si c'est au bout du monde et qu'il reste encore le triple autant que je vois un peu la route !

- Bon, d'accord... Alors voilà, je t'emmène chez les Lolos noirs...

- Les Lolos noirs ?

- Oui, tu as une idée de l'endroit où ils vivent ?

- Les Lolos noirs... Une tribu d'Afrique où ils s'appellent tous Laurent ?

- Non

- Des polonaises qui ont fait seins nus trop longtemps sous le soleil aborigène et qui se sont regroupées pour vivre recluses ?

- Pfff...

- Comment tu veux que je trouve... Allez, dis-moi...

- C'est une tribu qui vit au nord-est du Viet-Nam.

- Du Viet-Nam ???

- Quoi ? T'aimes pas ?

- C'est pas ça mais on est en caravane et on est à Stockholm là !

- Et alors ?

- Et alors ? Tu comptais me l'enlever à quelle heure le bandeau ? T'as pas trouvé plus long comme chemin ???

- Oh merde Simone !!! Tu voulais que je passe par New-York Madame je-sais-tout ?

- Non, t'as raison Bison Futé, par la Suède, c'est bien...

- Et bien oui, par la Suède c'est bien figure-toi ! Finlande, Russie, et hop, on arrive par le Nord !

- Génial... t'as emmené un radiateur quand même ?

- T'es jamais contente...

- J'ai une autre question Raoul.

- Quoi encore...

- Tu comptes arriver en quelle année pour voir tes potes ? Non parce que, à ce train-là, c'est les Lolos gris qu'on va rencontrer !

samedi 5 novembre 2011

Que la montagne est belle



- Bonjour Monsieur, je cherche Simone Langlois...

- Oui, c'est la maison rouge, là-bas, vous la voyez ? Il n'y en a qu'une.

- Ah oui, je la vois, merci... Dites donc, il vaut mieux ne pas oublier le pain hein ?

- Monsieur ?

- Oui ?

- Vous n'êtes pas un ancien amant ni même un futur n'est-ce pas ?

- Mais enfin, je vous en prie Monsieur ! Je travaille à la pharmacie en ville, je viens pour lui donner son vaccin contre la grippe.

- Non, pardon, mais je préfère vous prévenir parce que certaines rumeurs courent dans la région depuis quelques années...

- Ah ? Comme quoi par exemple ?

- Et bien, à chaque fois qu'un homme est venu s'installer ici, dès que ça tournait au vinaigre, Simone lui demandait d'aller déneiger le jardin avec une grosse pelle.

- Et alors ?

- Bah alors il se trouve que le jardin derrière la maison est tellement pentu que si vous commencez à descendre, vous ne remontez jamais... Et avec la neige, les hommes, souvent venus de la ville, ne se rendaient pas compte de ce qui les attendait.

- Mais que sont devenus ces hommes ?

- On ne sait pas. Ils ne sont jamais remontés. Et s'ils ne sont jamais remontés, c'est qu'ils sont probablement descendus.

- Elle a eu beaucoup d'amants Simone ?

- ... à la pelle...

- Et elle vit seule aujourd'hui ?

- Oh non, ces histoires datent d'il y a quelques années, quand elle était une jeune célibataire, depuis elle a trouvé l'homme de sa vie... Tenez, le voilà !

L'homme montre un point noir dans le ciel, on devine un homme, qui porte un engin assez lourd, sous une toile gonflée par le vent.

- Qu'est-ce que c'est que ça ???

- C'est Raoul, avec sa tondeuse !

- Mais pourquoi il fait du parapente avec une tondeuse ???

- Il jardine sans risque ! C'est comme ça qu'il a séduit Simone, la première fois qu'elle lui a demandé de déneiger, il l'a fait avec son parapente, et quand il est rentré, avec un grand sourire fier et une pointe d'ironie complice dans le regard, elle a été tellement surprise, puis admirative, qu'elle en est tombée follement amoureuse. Et lui pareil. Il en parle souvent du jour où il a séduit Simone avec une grosse pelle...

- Ah ? Et ça intéresse les gens ?

- Les gens aiment beaucoup parler bricolage par ici. Alors quand on est dans le bricolage de la gente féminine, vous pensez... Enfin voilà, depuis, il a gardé l'habitude de faire tous les travaux de jardin avec sa toile.

- Il n'a pas confiance ?

- Si, bien sûr, mais Simone, quand elle est fond du gouffre, il faut quelqu'un de solide pour la remonter, alors Raoul fait tout pour s'assurer de ne pas tomber au fond du sien ! Parfois, il l'emmène avec lui, on les voit survoler le village.

- Ils s'aiment ?

- Oh oui... La montagne résonne beaucoup vous savez, et ici, on connaît l'écho du plaisir qui les unit...

- Je vois... En somme, ils passent leur temps à s'envoyer...

- Ah non, ne le dites pas !!!

- Je ne l'ai pas dit.

- Mais vous avez failli....

- Simone a trop de classe pour la caricaturer de la sorte...

- Trop de classe ? Allez le dire à ceux qu'elle a poussés vers une mort tragique !

- Mais non... C'est pentu, mais il y a un plat trois mètres plus bas, juste avant le grand vide. En gros, ce n'est pas assez pentu pour mourir mais largement assez pentu pour comprendre le message et ne pas tenter de revenir à la charge.

- De toutes façons, pour remonter par le même endroit, il faut y aller à mains nues, c'est de la vraie varappe, il faudrait vraiment être costaud pour y arriver...

- Personne ne s'y est jamais risqué.

- Pourquoi ?

- Sinon c'est l'escalade...

- Ah oui, forcément...



Franck Pelé - Novembre 2011

Un train nommé désir


Bonjour mon amour,

Demain matin, vous vous rendrez à la gare Saint Charles, vous prendrez le train pour Paris, celui de 09h37. Vous aurez cette robe dont vous m'aviez envoyé la photo et ce chapeau qui gardera un peu de votre beauté secrète. Quand vous arriverez à Paris, je vous attendrai sur le quai. J'avancerai jusqu'à vous, le sourire aussi difficile à exprimer que tout l'amour que j'aurai pour vous. Vous croirez sans doute que je ne suis pas si heureux de vous retrouver enfin, alors qu'en vous voyant, le bonheur m'inondera, comme un soleil intérieur, une lumière définitive. Je vous prendrai par la taille, je vous serrerai dans mes bras, vous poserez votre tête, doucement, sur mon épaule, je passerai ma main dans vos cheveux, nous resterons ainsi le temps que nos braises s'épousent, puis nous nous regarderons dans les yeux, dans les âmes, là où personne ne va, et nos sourires reconnaissants détendront assez nos lèvres pour qu'elles s'approchent. Je prendrai le temps d'avancer vers elles, de les effleurer, de sentir la naissance d'un de mes plus beaux souvenirs. Vous savourerez ce moment avec le même plaisir. Puis nos bouches se caresseront, dans une délicatesse inouïe, s'ouvriront enfin et inventeront un sentiment sur le sommet duquel aucun aventurier du frisson ne pourra jamais planter son drapeau. Nous serons seuls au monde, tout en haut. Et aucune neige ne saura défier notre éternité.

Je vous aime Simone.


Raoul.



Franck Pelé - Novembre 2011 - Photo Cecil Beaton

mercredi 2 novembre 2011

Pour cent balles, t'as plus rien



- T'as entendu Simone ? Claude François est mort !

- Hein ?? Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Il a changé une ampoule dans sa salle de bains et il est mort électrocuté...

- Haaaaan... Il était déjà électrique quand il dansait mais alors là, il a dû enflammer le dance-floor comme jamais...

- Simone ! Un peu de respect quand même !

- Mais non mais Raoul, franchement, tu y crois toi à une mort aussi con ? Ils nous prennent pour des abrutis les journalistes ? Et pourquoi pas "il est mort en se séchant les cheveux dans son bain" ou "il est mort en s'enfermant dans la machine à laver après avoir mis un programme long avec essorage à 1500 tours" ? Ok, il aimait la lumière le Claude, mais c'était quand même plus un papillon le blondinet, il n'aurait pas brûlé ses ailes aussi naïvement ! Tu crois une chose pareille Raoul ? A son âge, s'il ne sait pas qu'on ne touche pas une ampoule quand on a les mains mouillées...

- Tu ne l'aimais pas ?

- Si je l'aimais beaucoup, moins que toi, mais j'ai aimé le personnage, et puis j'ai un peu grandi avec lui. J'ai beaucoup aimé certaines chansons aussi. J'ai toujours eu la hantise d'être la femme du "Téléphone pleure". Je ne l'imaginais pas heureuse cette femme. Même si le père de sa fille était revenu, plus tard, elle n'aurait pas été heureuse. Et puis alors, bonjour le danger public en bricolage ! T'imagines ? Elle se fait larguer une fois, elle élève seule sa fille, le téléphone pleure, le mec revient, il change les ampoules avec les mains mouillées et la nana, il faut qu'elle refasse sa vie et sa salle de bains !

- Simone !!!

- Rrrrrooo ça va... Oui, j'aimais bien Claude François !

- C'était un homme très généreux. Dur, angoissé, nerveux, égocentrique, mais très généreux. Il paraît qu'il laissait cent francs de pourboire au restaurant...

- Cent francs de pourboire ? Mais c'est énorme !

- Oui. Un mec bien je te dis.

- Tu te rends compte la valeur de l'argent... Il y a cent ans, avec cent francs, tu mangeais pendant un mois, peut-être deux...

- Et peut-être que dans trente ans, avec cent francs, on ne pourra même pas s'acheter un disque...

- Quand même pas... Si on ne peut pas s'acheter un disque avec cent francs, alors on ne pourra pas s'acheter une chemise, un pantalon, un pull, des chaussures, c'est impossible.

- Et pourquoi pas ?

- Tu imagines ce monde de fou ? Tu ne pourrais pas t'acheter un 33 tours avec cent francs ? Et ben j'espère que les artistes dans trente ans seront quinze fois plus marquants que Brel, Aznavour ou Brassens ! Et si tu ne peux pas t'acheter un disque avec cent francs, ça voudrait dire que pour remplir ton frigo pour la semaine il te faudrait plus de 500 francs ?

- Va savoir... Remarque, si un disque coûte quinze fois plus cher dans trente ans, ça voudrait dire qu'on gagnera quinze fois plus !

- Comme disait ma grande-tante de Tarbes : "...t'as qu'à croire que le saucisson ça pousse sur les arbres !"



Franck Pelé - Novembre 2011

Heure d'hiver



- Raoul, tu m'avais dit que tu rentrais à deux heures et tu es encore chez Charles ?

- Je rentre dans une heure promis !

- Dans une heure ?? Mais tu m'avais promis de rentrer à deux heures du matin, là, il est deux heures pile, et tu joues encore au poker !

- Mais à trois heures, il sera deux heures, c'est l'heure d'hiver, on va pouvoir dormir une heure de plus !

- Ah non Monsieur, parce que moi, je viens de prendre ma douche, et je comptais justement sur cette heure éphémère pour la fêter dans tes bras, qu'elle s'évapore au bord brûlant de nos corps !

- C'est pas grave chérie, reprends un bain, j'ai la main chaude là... Je viens d'aligner un carré et un brelan sur les deux dernières parties !

- Ah t'as la main chaude... Bah tu sais ce qu'on va faire ? Tu vas continuer à brûler de désir pour tes cartes et tu vas rester dormir chez Charles. Parce que moi aussi j'ai la main chaude et je sens que je vais enchaîner les full, les suites royales, puis quand j'aurai la bonne couleur, je crierai ma victoire si fort que le voisin en aura les jetons !

- Arrête Simone... Bon, je rentre...

- Ah non ! Si tu rentres, de toutes façons, pour toi, c'est tapis ! Et je te promets que sur celui-là, il n'y aura rien à gagner.

- Mais enfin... Tu sais bien que je suis toujours là pour toi...

- Tu l'as été ! Été ! Alors rentre dans une heure, tu as raison, pour toi, il sera toujours deux heures, mais pour moi, il sera trois heures. Je reste à l'heure d'été ! L'heure où tu t'occupais de moi !!!



Franck Pelé - Novembre 2011

Embrasse-moi idiot !


A chaque fois que Simone embrassait Raoul, c'était une incroyable alchimie des sens, c'était un fleuve de plaisir, de désir, un bouche à bouche qui pouvait ranimer les souffles perdus. A chaque fois que Raoul embrassait Simone, c'était un voyage magnifique, la découverte du beau, la caresse de la genèse, une telle expression, parfumée d'un tel sentiment, ne pouvait que donner la vie. A tous les frissons du monde, des plus délicats aux plus interdits. Quand ils s'embrassaient, c'était comme manger un fraisier pour la première fois, c'était boire de l'eau fraîche après une traversée du désert, c'était voler vers une légèreté inconnue, c'était regarder fleurir les plus belles couleurs de l'autre.

Ce soir-là, Raoul demandait à Simone si elle se souvenait de son premier baiser :

- Oh la la... Oui... Parfaitement. J'avais 16 ans, je me demandais depuis plus d'un an ce que pouvait vouloir dire "rouler une pelle". Et dans ce bal, près de chez mes grand-parents, dans le Var, un jeune homme me regardait danser avec insistance, j'ai su qu'il serait mon premier baiser.

- Et alors ?

- On s'est retrouvés derrière un camion, et il m'a embrassée...

- C'était bien ?

- Horrible ! Il tournait sa langue tellement vite que j'avais l'impression d'être un biberon avec un goupillon dans la bouche ! Je me demandais même si on n'allait pas s'emmêler les langues avec ses conneries ! Un malade...

- Tu l'as revu ?

- Ah non ! Je l'ai croisé une fois, des années plus tard. Il était devenu dentiste ! Tu m'étonnes, question détartrage, il était précoce ! Tu vois, il faut se méfier des expressions... Ce petit là, il a dû être beaucoup plus marqué par "rouler" que par "pelle"... Raoul, embrasse-moi encore... Tu es le seul au monde capable de m'embrasser avec autant de justesse, si ton baiser exprime mille choses, je ressens les mille choses... Je t'aime Raoul... 



Franck Pelé - Octobre 2011

La petite entreprise


Raoul était resté à la maison ce matin-là. Une vilaine toux précédée d'une forte fièvre l'ayant dissuadé d'aller travailler. Il lisait les journaux du jour en prenant son café quand on sonna à la porte :

- J'ai une lettre recommandée pour Madame Langlois Simone !

- Oui, je prends, je vais signer pour elle...

Raoul ferma la porte, posa la lettre sur la table, reprit sa tasse de café et l'article là où il les avait laissés. Puis il fronça les sourcils, comme lorsqu'on réfléchit à quelque chose inconsciemment et que l'inconscient vient frapper à la porte du conscient.

Il regarde la lettre, et reconnaît l'écriture sur l'enveloppe adressée à sa femme. C'est celle de son patron. Il hésite. Se dit qu'il ne peut pas l'ouvrir, Simone le verrait, et il se ferait engueuler comme jamais. Le week-end serait pourri d'avance. Mais il se demande bien pourquoi son patron écrit à sa femme. Il ne tient plus, il ouvre :

"Simone, vous ne pouvez plus tricher, vous ne pouvez plus masquer vos sentiments plus longtemps. Vendredi dernier, pendant le dîner, vous avez laissé mon pied vous caresser de l'entrée jusqu'au dessert. Vous m'aimez, j'en suis sûr. Raoul est un mec bien, mais il n'est pas un entrepreneur, un leader comme je le suis. C'est un sous-fifre. Brave, mais sous-fifre. Ce soir, je vais au dancing, j'aimerais vous y voir, et danser avec vous. A ce soir..."

Au même moment, Simone fait irruption dans la maison. Raoul, dans un réflexe malheureusement tout sauf discret, cache la lettre dans la corbeille à pain. Simone le regarde méchamment. Elle avance vers lui, il déglutit difficilement, elle soulève la baguette, prend la lettre et la lit. Elle sent comme une perle de sueur sur son front. C'est elle qui déglutit maintenant... Elle tente le tout pour le tout :

- Je ne te dérange pas à ouvrir mon courrier ?

- Tu plaisantes là ?

- Oui... Bon, je vais t'expliquer...

- Si tu t'en sors, tu es géniale.

- Mais je n'ai pas à me sortir de quoi que ce soit, je te protège depuis le début, je nous protège ! Depuis trois dîners, ton patron me fait du pied sous la table, et moi je mets de fausses jambes entre les miennes, et c'est ces fausses jambes qu'il caresse, moi je ne sens rien ! C'est pour ça que j'emporte un sac de sport à chaque fois, tu crois que j'ai besoin d'un sac de sport pour transporter les couches du petit ? Tiens, viens voir...

Elle l'emmène dans le sous-sol, elle ouvre la pièce du fond, et lui montre les paires de jambes. Elle lui explique tout. Lui, comprend, s'excuse auprès de sa femme d'avoir douté d'elle, puis fulmine, le Bernard, il veut le faire danser...

- Comment ça le faire danser ?

- Tu vas me maquiller, me préparer, fais de moi une femme.

- Tu es sûr ?

- Certain. Réponds-lui et dépose ta lettre dans sa boîte. Dis-lui que tu n'es pas libre ce soir, mais que ta sœur est très sensible à son charme, et qu'elle meurt d'envie de danser avec lui.

- Paulette ?

- Oui Paulette !

- Mais elle n'est pas du tout sensible à son charme...

- On s'en fout, puisque ce sera moi ! Allez, maquille-moi...

Après deux heures de préparation, Raoul devint Paulette. En un poil plus rustique, mais la pénombre du dancing serait une alliée... Le soir venu, Raoul, élégante comme jamais, reconnaît Bernard au bar. Il passe derrière lui, et lui souffle à l'oreille, Bernard sourit, la fausse Paulette se présente, ils parlent un peu, puis Bernard invite Paulette à danser.

- Vous sentez très bon...

- Merci Bernard...

- Vous êtes sensible à mon charme m'a dit votre sœur ?

- Très ! J'adore les entrepreneurs, les leaders, les fifres...

- Les fifres ?

- Oui, les chefs des sous-fifres quoi...

- Ah... Et... Vous aimeriez que je vous entreprenne ?

- J'adorerais ! J'adore qu'on m'entreprenne... D'ailleurs, quand je suis entreprise, je deviens très administrative, très rigoureuse, je fais tout pour aider mon patron à combler mes déficits...

- Vous excitez ma curiosité Paulette...

- Oui, je sens ça...

Bernard commence à caresser les seins de Paulette. Raoul commence à tousser, d'une voix grave, puis immédiatement d'une voix très fluette, et en profite pour reculer.

- Pardon... Je pensais que...

- Que quoi Bernard ? Que je vous laisserais toucher mes seins, comme ça, alors que vous faites du pied à ma sœur depuis trois semaines ?

- Ah c'est donc ça...

- Quoi ?

- Vous êtes jalouse.

- N'importe quoi...

- Je l'aime votre sœur, et je crois qu'elle aussi.

- Permettez-moi d'en douter, elle aime son mari passionnément. D'ailleurs, vous n'avez pas peur qu'il l'apprenne ?

- Et alors ? Les temps sont durs vous savez, je ne crois pas qu'il ait une énorme envie de pointer au chômage... Il ne fera rien. Et puis sa femme ne lui dira rien.

Raoul, à l'idée de perdre son emploi, se jette à nouveau dans les bras de Bernard, et reprend la danse. Bernard revient à la charge, il lui caresse à nouveau les seins, puis il avance sa main droite sur sa cuisse et remonte doucement vers son entrecuisse. Au moment précis où il arrive à l'endroit fatidique, Bernard sourit et lui dit :

- C'est marrant cette habitude que vous avez les femmes de toujours planquer des trucs dans votre culotte... C'est votre petit baise-en-ville ?

- Heu... Oui... Enfin petit... Il contient bien plus qu'il ne le laisse supposer...

- Vous êtes riche à ce point ?

- Disons que mon patron prend bien soin des bourses de la famille...



Franck Pelé - octobre 2011

Le jeu de jambes de Simone


- Qu'est-ce que c'est que toutes ces jambes Simone ?

- Ah ma Paulette... Tu ne trouveras jamais...

- Allez...

- C'est pour manger tranquille.

- Pour manger tranquille ?

- Oui, chez le patron de Raoul. A chaque fois qu'on va dîner chez lui, il me fait un pied pas possible sous la table. Il me l'a fait deux fois, à la deuxième, je me suis dit "j'ai deux solutions, soit je le dénonce devant sa femme et mon mari, et va y avoir du sport, et surtout on oublie la promotion de Raoul, soit je trouve un moyen d'ignorer son manège tout en préservant les intérêts de chacun".

- Et alors ?

- Un ami qui travaille au théâtre comme régisseur m'a donné cette idée géniale. Et depuis, je dîne dans un confort absolu pendant que l'autre s'excite sur ma jambe comme un caniche hystérique !

Rires complices et sonores des deux sœurs.

- Mais comment tu les caches ?

- Je prends un grand sac de sport et je dis que c'est les affaires du petit.

- Ah oui, tiens, comment il va Maxence ? Je ne l'ai pas vu depuis au moins deux mois mon petit chéri avec les vacances...

- Parfaitement bien, merci. Il va avoir un an, c'est fou... Bref. Pendant qu'ils prennent l'apéro, je vais mettre les jambes en place sur la chaise, leur nappe est très longue, on ne voit rien. Quand je m'assois, je mets mes vraies jambes en retrait, derrière les barreaux de la chaise, je mets les fausses entre mes cuisses et le tour est joué !

- Il ne se rend compte de rien ?

- Rien du tout ! Il me caresse le pied, il remonte jusqu'au tibia, presque jusqu'au genou, mais il le fait avec sa chaussure, donc il ne peut sentir l'absence de peau. Et puis ce caoutchouc est très tendre, l'impression de chair est parfaite. Pendant qu'il se fait son film, il me lance des œillades en pensant que je ressens tout ce qu'il me fait, et que j'adore ça puisque je le laisse faire ! Alors qu'en fait, pendant ce temps-là, je fais du pied à Raoul, assis à côté de moi.

- Mais tu n'as pas peur de te faire prendre ? C'est quand même très risqué.

- Je suis hyper attentive à la moindre serviette qui tombe. Je me jette dessus pour la ramasser ! Une fois, j'ai vraiment eu peur, Raoul m'a écrasé le pied involontairement, j'ai exprimé un petit cri de douleur et lui et son patron ont dit "pardon" en même temps. Raoul n'a pas percuté, la femme du boss était plongée dans l'analyse de son choix de vaisselle pour nous recevoir, et son mari m'a regardée, affolé, pendant cinq secondes. Il n'avait rien compris non plus et moi j'étais prête à prendre mes jambes à mon cou !

- Finalement, le patron de Raoul est persuadé qu'il est irrésistible, d'une discrétion rare et que son charisme te fait fondre...

- Il faut toujours faire croire aux patrons qu'ils maîtrisent tout.



Franck Pelé - Octobre 2011