- Pardonnez-moi Madame mais nous discutons depuis maintenant presque deux heures et je ne peux m'empêcher de vous dire que je suis troublé par votre attitude...
- Pourquoi donc Monsieur ?
- Je ne sais pas... Je vous sens séduite, et en même temps, complètement fermée.
- Vous n'avez pas tort.
- Mais si l'état séduit est une des clés de votre épanouissement, pourquoi luttez-vous pour empêcher son processus ?
- J'ai connu quelques soleils Raoul. Vous permettez que je vous appelle Raoul ?
- Je vous en prie. Si vous me dites votre prénom...
- Simone.
- Ravissant.
- Merci. J'ai donc connu quelques soleils mon cher Raoul, et entre ceux qui brûlent, ceux qui aveuglent, ceux qui ne font pas bronzer qu'une seule peau et ceux qui réchauffent le climat mais sont dangereux pour votre planète, j'ai appris à ne plus m'ouvrir aussi facilement.
- Vous savez, l'homme peut aussi attendre d'une femme qu'elle soit sa lumière, sa flamme, sa chaleur, lui aussi a besoin de s'ouvrir.
- Oui, peut-être, mais vous admettrez qu'à notre époque, nous, les femmes, pouvons plus facilement tomber sur des tordus que vous sur des grandes malades. Quoique...
- Vous me l'enlevez ! Quoique ! Un jour, je suis tombée sur une femme qui était médecin, elle voulait que je lui fasse une ordonnance avant de lui faire quoique ce soit !
- Vous voulez dire... dans l'intimité ?
- Oui ! Tout était écrit. Je devais tout mettre sur papier. Et ensuite, respecter le traitement prescrit ! Caresser le dos deux fois par jour, l'embrasser à pleine bouche juste avant les repas, prendre la température avant d'entamer un traitement de fond... Et je devais mettre une blouse et des gants !
Simone partit dans un formidable éclat de rire :
- Ah oui, elle était joliment cintrée celle-là... Je ne vais pas vous raconter mes expériences, ça vous ferait peur...
- Je vous en prie Simone...
- Bon. C'est vrai que si chaque homme est un voyage, toutes les destinations ne font pas forcément rêver... J'ai remarqué que les hommes étaient très conditionnés par leur métier. Et pendant l'amour, certaines habitudes étaient particulières. J'ai connu un chauffeur de taxi qui n'arrêtait pas de me demander mon itinéraire préféré jusqu'à ce que j'arrive à destination. Un docteur, un généraliste, qui me demandait de faire aaaaaaaah avant de m'embrasser, la première fois j'ai dit oui, mais quand il m'a demandé la même chose au moment où je commençais à monter vers l'extase, alors que j'étais en plein ooooooooh, je lui ai dit que j'étais assez grande pour choisir les voyelles de mon plaisir ! Vous imaginez ? En plein "oooooooh" il me dit "non, faites aaaaaaaah je ne vois rien là !" Quel con ! Je peux vous dire que lui, il a descendu très très vite mon escalier. Je me souviens aussi de ce navigateur qui me demandait souvent sa position préférée mais il fallait que je réponde en latitude et longitude. Ou ce restaurateur asiatique qui me caressait les seins avec des baguettes pendant qu'il préparait un improbable nem. Tu m'étonnes qu'on ne puisse pas être autrement qu'aigre-douce pour accompagner un truc pareil ! Pardon... Je dois vous choquer...
Raoul pleure de rire, il sert à nouveau le vin dans les deux verres qui se vident avec toujours plus de complicité.
- Ah non... Vous êtes absolument divine de franchise et d'esprit...
- Mais ne me laissez pas parler toute seule. Racontez-moi aussi vos aventures avec vos cintrées, je suis sûre qu'il n'y a pas eu que la grande perchée du stéthoscope...
- Ah non... J'ai eu la banquière qui voulait toujours me baiser sans que je me déshabille. Enfin me faire l'amour, pardonnez-moi...
- Ah oui ? Et pourquoi donc ?
- Elle ne supportait pas les hommes à découvert.
- Et les découverts autorisés ? Elle aurait pu vous déshabiller elle-même ?
- Elle disait que les découverts autorisés étaient impossibles à gérer...
- Je me souviens de cet homme politique qui ne tenait jamais ses promesses... De ce grand patron qui écoutait les podcasts de Jean-Pierre Gaillard pendant que je m'activais à réveiller son capital. Oh, et celui-là... Un chef d'orchestre qui exigeait que je prenne mon pied en fa dièse !
- Moi j'ai connu une réalisatrice qui me disait "moteur" au moment de me mettre en condition, puis "action" quand elle s'allongeait, et "coupez" quand elle avait fini ! Aucun de ses films n'a marché...
- Vous voudriez tourner un film avec moi Raoul ?
Raoul figea un instant son sourire, son visage devenait légèrement grave, pas loin d'être bouleversé :
- Pardon ?
- Je voudrais tourner un film avec vous, de longs plans, nous laisserions tourner la caméra aussi longtemps que nous exprimerions nos frissons... Je vous autoriserai tous les découverts, je vous soignerai sans ordonnance, faites-moi chanter toutes les notes, crier toutes les voyelles...
- Simone, ne jouez pas avec moi, si vous m'invitez à voyager avec vous, je sais déjà que je ne reviendrai jamais, si vous m'invitez, je pars immédiatement. Votre destination sera la mienne.
- Vous ne voyez pas comme je suis ouverte à présent ? Comme je me suis épanouie en votre présence ? Regardez mes yeux, ma peau, sentez mon parfum, tout est vivant, doux, frais, comme jamais... Vous êtes ma naissance Raoul. Vous venez de me faire fleur.
Franck Pelé
Novembre 2012 - Textes déposés à la SACD - Paris 9ème.
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