lundi 26 septembre 2011

Sucré salé



- Bonsoir Simone, excusez-moi de vous déranger, auriez-vous un peu de sel s'il vous plaît...

- Raoul, c'est la troisième fois cette semaine.

- Oui je sais, pardonnez-moi mais c'est que... voilà, j'essaie toujours de bien doser pour que le goût soit idéal mais c'est toujours un peu fade dans ma cuisine...

- Il faut savoir mettre son grain de sel, c'est vrai, c'est là que toute chose prend de la saveur. N'ayez pas peur d'insister. Mais pensez à en acheter demain matin.

- Mon problème c'est que c'est votre grain qui donne du goût à toute chose, j'essaierais bien d'ignorer cette évidence mais il faudrait vraiment que j'en aie un grain pour refuser le bon goût ! Et comme vous le savez, j'en en ai pas. Voilà pourquoi je viens le chercher chez vous.

- Levez les yeux Raoul, ce que vous regardez est très épicé, vous pourriez avoir des problèmes de digestion...

- Oh non Simone, vous vous méprenez, je regardais votre médaillon... On dirait une étoile filante...

- C'est un soleil qui se lève.

- Comment sait-on qu'il n'est pas en train de se coucher ?

- C'est le vôtre qui se couche Raoul, votre regard vous le propose comme un soleil couchant. Mais ici, il se lève...

- Quelle chance de se lever sur un tel paysage, tous les matins...

- Raoul, vous me semblez perdu...

- Un peu oui, c'est vrai... Je suis comme égaré dans une nuit profonde, celle qui pourrait séparer nos deux astres, votre levant et mon couchant, mais à l'instant, devant vous, mon chemin s'éclaire d'une magie solaire. C'est exactement cela... Il fait nuit loin de vous, et tous les matins d'un nouveau monde se lèvent quand vous baignez mon obscurité de votre soleil naissant.

- Il n'y a pas d'étoiles dans votre nuit ?

- Jusqu'à vous, aucune étoile ne brillait assez fort pour être sûr de son existence, mais chaque étoile filante laissait une trace. Comme un chemin lumineux. Je fais souvent le vœu de suivre le chemin le plus lumineux, celui qui aura laissé la plus belle empreinte dans cette nuit infinie...

- Il ne faudrait pas confondre ces traces avec les lumières de la ville...

- Entre la réalité d'une ville et la possibilité d'une île, vous ne pouvez pas vous tromper. Tout comme vous ne pouvez vous tromper entre un soleil qui se couche sans couleurs et un autre qui se lève dans la magie d'un nouveau monde.

- Vous savez Raoul, parfois, un éternel sourire a besoin de se reposer, une flamme qui ondule a besoin de s'éteindre quelques instants, et même le plus sensible des gourmets a besoin de moins de sel pour retrouver le goût...

- J'ai compris... Je retourne à ma fadeur alors... Pardonnez-moi.

- Non, vous n'avez pas compris. Je parlais de moi. Redonnez-moi le goût des choses sans l'artifice de l'épice, couchez votre soleil sur le mien, emmenez-moi dans votre nuit, mettez-moi des étoiles dans les yeux...

- Simone, je vous aime.


Simone, en passant sa main derrière le cou de Raoul, juste avant de l'embrasser :

- Et du sucre, il vous reste du sucre ?

- Je crois oui...

- Tenez, goûtez le mien...




© Franck Pelé - Septembre 2011

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