vendredi 27 mai 2011

Toute seule, là-haut, sur la montagne...


Dans la foule, un cri s'échappe :

- Simone, on t'aime !

Simone, sur scène :

- Moi aussi je vous aime...

Puis elle devient un peu plus grave :

- Merci pour votre amour, je m'en nourris, il m'équilibre, il me rassure... Vous savez, je n'ai jamais autant pris le temps de bien m'en imprégner que ce soir. Parce que je sais qu'il ne va pas durer.

- On t'aime Simone !!! Tu ne triches pas, on ne peut arrêter d'aimer une nature aussi belle dans ses fleurs que dans ses racines !

- Oh... Il y a un poète dans la foule... Ce doit être mon mari... C'est toi Raoul ?

Rire général. Simone reprend :

- C'est vrai, je ne triche pas. Mais ça ne vous empêchera pas d'arrêter de m'aimer un jour. Chacun connaît ce sentiment, dans sa carrière comme dans sa vie. Tout est question de mesure... J'ai adoré jouer la comédie, vous émouvoir, chanter pour vous pendant toutes ces années, vraiment. Mais là, je n'ai plus envie. Plus envie de sentir ces regards qui commencent à me dire "bon allez, on te connaît par cœur maintenant, on voudrait voir la petite brune du dimanche" ou encore "Et si cette femme était insupportable finalement ?"

- On est tous comme ça Simone, mais toi, tu es nous tous dans un seul cœur, c'est pour ça qu'on t'aime !

La foule commence à scander "Simone, Simone, Simone !!!"

Simone poursuit, après avoir difficilement obtenu le silence, une larme sur sa joue ayant achevé la dernière mouche qui volait :

- C'est gentil. Mais je ne suis pas quelqu'un qu'on aime finalement. Je suis quelqu'un qu'on n'aime plus. Toute ma vie j'ai croisé des gens qui ont été profondément et, croyaient-ils, définitivement séduits, puis ils m'ont tourné le dos, me reprochant ce pour quoi ils me remerciaient, une fois le temps de la surprise et de la nouveauté passé. Alors voilà, puisque je suis une promesse non tenue, j'assume, et je tire le rideau sur cette scène tant aimée. Certains d'entre vous sont persuadés que j'ai plus besoin de vos regards sur moi que du mien sur vous. Ceux-là me renieront bientôt, même s'ils semblent émus ce soir...

Oui, j'ai besoin de votre lumière, mais je ne suis rien sans l'énergie que je vais chercher dans vos yeux, vos mains, vos mots. Vous ne me voyez jamais vous regarder, vous observer, mais je passe ma vie à ça. Je suis curieuse de vous, je n'ai jamais arrêté de l'être, parce que je vous aime, bien plus que je ne m'aime moi-même probablement, et si mon plaisir d'être aimée est visible, n'en concluez jamais que c'est un plaisir égoïste, c'est tout le contraire. J'aime qu'on m'aime, parce que c'est la preuve que j'existe, parce que c'est la preuve que mon existence est utile, parce que c'est la preuve que tous les espoirs placés en moi depuis l'enfance ont donné quelques fruits. J'aime qu'on m'aime parce que je meurs de ne pas être aimée, de ne pas être comprise, ou pire, d'être mal jugée. Je meurs de n'être pas moi-même dans le miroir de l'autre. Le seul qui m'a renvoyé une image de moi aussi idéale que profondément authentique, je l'ai épousé. Je t'aime Raoul... Voilà. Je décide de partir avec mes idéaux, avec mes espoirs, avec mes certitudes, nées de vos sourires, de vos accolades, de vos lettres. Je reviendrai peut-être un jour, mais ce soir, j'ai senti une force indescriptible. J'ai immédiatement su que jamais je ne ressentirai cette force, cet amour que vous n'avez jamais cessé de me donner. Ce soir, vous m'avez offert mon Everest. Alors pardonnez-moi, mais je reste en-haut. Je ne veux pas redescendre. Je vous aime. Merci.


Dehors, une petite fille regarde cette foule qui sort lentement du Carnegie Hall, comme une procession. Elle demande à son papa :

- Papa, pourquoi ils pleurent tous ces gens ?

- Je ne sais pas ma chérie...

- Ils sont tristes ?

- Pas sûr, les larmes viennent sécher sur des sourires. Ils ont peut-être vu quelque chose de rare. Du bonheur, ou de l'amour...

- C'est rare l'amour ?

- C'est assez rare finalement, oui... Mais toi, tu le trouveras, parce que ton cœur c'est le plus beau du monde...

- Merci Papa... Toi aussi il est beau ton cœur...




© Franck Pelé – 2011

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