Raoul commençait à sentir la tendinite gagner
son bras, près du coude. Après plus de trois heures d'attente, une
voiture s'arrête enfin :
- Ah merci Madame...
- Je suis désolée, je ne m'arrête pas pour vous prendre mais pour vous donner un conseil. Personne ne s'arrêtera jamais pour emmener quelqu'un qui ne va nulle part... Vous comprenez ?
- Quelqu'un qui NE va nulle part, probablement, mais moi j'y vais !
- Mais nous allons tous quelque part !
- Mais moi aussi ! Aller nulle part c'est, quelque part, aller quelque part, non ?
- Pardon ?
- Je veux dire... quand on va nulle part, on n'est pas immobile, on bouge, on voyage, même si l'issue est incertaine.
- J'entends bien ! Mais là, l'issue, elle n'est pas incertaine, elle est inconnue, on ne sait même pas où elle est, c'est donc compliqué de vous y emmener !
- Vous pensez que tous ces gens savent où ils vont ? Certains vont retrouver une famille qui n'en est plus une depuis longtemps, d'autres ont un rendez-vous de boulot dont ils ne savent rien et qui ne leur rapportera rien, d'autres encore roulent pour oublier, sans savoir où ils vont, très peu de gens savent où ils vont !
- Et vous, vous voulez aller avec eux là où ils vont, c'est ça ?
- Ah non, moi je veux aller là où est ma femme.
- Mais elle est où votre femme ?
- Justement, je ne sais pas, elle est partout, elle est nulle part...
- Bon, écoutez-moi Monsieur, allez vous reposer dans la station-service là-bas, prenez un café, et discutez avec les employés, eux, ils vous comprendront.
- Pourquoi ils me comprendraient ? Ils ne trouvent plus leur femme ?
- Parce qu'ils ne vont nulle part, ils travaillent là !
- Mais vous êtes bouchée ou vous le faites exprès ???
- Oh ça va hein ! Je m'arrête pour vous aider et vous m'envoyez paître !
- Vous ne vous arrêtez pas pour m'aider puisque vous allez quelque part où je vais et vous ne voulez pas m'y emmener !
- Mais comment vous pouvez savoir que je vais là où vous voulez aller puisque vous allez nulle part !
- Parce que ça se voit que vous êtes malheureuse... Si vous étiez aimée comme vous le méritez, vous ne vous seriez pas arrêtée, vous n'auriez pas eu le temps, vous auriez dévoré la route qui vous sépare de votre ailleurs, les yeux rivés sur l'horizon, quelque part au bord de l'amour...
- Mais qu'est-ce que c'est que ce mec ??? Vous sortez de nulle part et vous vous permettez de me juger comme si vous me connaissiez depuis toujours !!! Faut mettre de la crème hein, ça tape depuis ce matin !
- Ah excusez-moi mais je ne sors pas de nulle part, j'y vais. Vous pensez bien que si je m'y étais réveillé, je ne l'aurais pas quitté pour y retourner. C'est déjà assez compliqué de le trouver ! Allez... Vous m'emmenez ?
- Je ne peux pas Monsieur... Je suis désolée. Je vais quelque part moi...
- Vous allez où ?
- Récupérer mes enfants chez mon ex-mari.
- Vous êtes divorcée ?
- Oui.
- Et vous avez retrouvé l'amour ?
- Pas encore. Mais j'en ai retrouvé le goût.
- Vous savez donc où je vais !!!
- Pourquoi ?
- Parce que vous êtes revenue de nulle part ! Vous avez réussi ! Vous vous souvenez forcément de la route !
- Ah oui mais non... non, non... Cette route, je ne la reprendrai pas dans l'autre sens. J'avance maintenant. Vers cet horizon dont vous parliez tout à l'heure.
- Pourtant, quand vous allez vers votre ex-mari, vous reprenez bien un peu cette route en sens inverse non ?
- Pas tout à fait, c'est presque la même route, mais il n'y a plus de ligne blanche, plus de feux rouges, plus de radars, je suis beaucoup plus libre, et le voyage est plus serein.
- Comment peut-on laisser une femme aussi belle que vous au bord de la route...
- Arrêtez... Je ne vais pas où vous allez.
- Emmenez-moi...
- Comment voulez-vous que je vous emmène dans un endroit qui n'existe pas ???
- Mais il existe ! Ma femme m'y attend.
- Elle vous a quitté ?
- Non, elle est partie se ressourcer un peu...
- Oui... donc elle vous a quitté... Et elle est où votre femme là ?
- Elle a écrit à une amie commune qu'elle était dans la nature, perdue au milieu de nulle part.
- Ah... je comprends... A-t-elle écrit autre chose ?
- Oui. Qu'elle ne m'aimait plus.
- Comment vous appelez-vous ?
- Raoul.
- Votre sensibilité me touche Raoul. Et ma sensibilité de femme doit vous conseiller de ne pas perdre votre temps à essayer de la retrouver, arrêtez de vouloir aller nulle part. Même si vous la retrouviez, ce serait là-bas que vous iriez, et y aller à deux, c'est probablement encore pire.
- Je crois que vous avez raison... Et vous comment vous appelez-vous ?
- Simone.
- Est-ce que, si je renonce à aller là-bas, vous voulez bien m'emmener quelque part ?
- Où ça ?
- N'importe où. Depuis dix minutes que je suis dans vos yeux, je sais que je pourrais aller n'importe où avec vous.
- Montez...
Franck Pelé - Mars 2012
- Ah merci Madame...
- Je suis désolée, je ne m'arrête pas pour vous prendre mais pour vous donner un conseil. Personne ne s'arrêtera jamais pour emmener quelqu'un qui ne va nulle part... Vous comprenez ?
- Quelqu'un qui NE va nulle part, probablement, mais moi j'y vais !
- Mais nous allons tous quelque part !
- Mais moi aussi ! Aller nulle part c'est, quelque part, aller quelque part, non ?
- Pardon ?
- Je veux dire... quand on va nulle part, on n'est pas immobile, on bouge, on voyage, même si l'issue est incertaine.
- J'entends bien ! Mais là, l'issue, elle n'est pas incertaine, elle est inconnue, on ne sait même pas où elle est, c'est donc compliqué de vous y emmener !
- Vous pensez que tous ces gens savent où ils vont ? Certains vont retrouver une famille qui n'en est plus une depuis longtemps, d'autres ont un rendez-vous de boulot dont ils ne savent rien et qui ne leur rapportera rien, d'autres encore roulent pour oublier, sans savoir où ils vont, très peu de gens savent où ils vont !
- Et vous, vous voulez aller avec eux là où ils vont, c'est ça ?
- Ah non, moi je veux aller là où est ma femme.
- Mais elle est où votre femme ?
- Justement, je ne sais pas, elle est partout, elle est nulle part...
- Bon, écoutez-moi Monsieur, allez vous reposer dans la station-service là-bas, prenez un café, et discutez avec les employés, eux, ils vous comprendront.
- Pourquoi ils me comprendraient ? Ils ne trouvent plus leur femme ?
- Parce qu'ils ne vont nulle part, ils travaillent là !
- Mais vous êtes bouchée ou vous le faites exprès ???
- Oh ça va hein ! Je m'arrête pour vous aider et vous m'envoyez paître !
- Vous ne vous arrêtez pas pour m'aider puisque vous allez quelque part où je vais et vous ne voulez pas m'y emmener !
- Mais comment vous pouvez savoir que je vais là où vous voulez aller puisque vous allez nulle part !
- Parce que ça se voit que vous êtes malheureuse... Si vous étiez aimée comme vous le méritez, vous ne vous seriez pas arrêtée, vous n'auriez pas eu le temps, vous auriez dévoré la route qui vous sépare de votre ailleurs, les yeux rivés sur l'horizon, quelque part au bord de l'amour...
- Mais qu'est-ce que c'est que ce mec ??? Vous sortez de nulle part et vous vous permettez de me juger comme si vous me connaissiez depuis toujours !!! Faut mettre de la crème hein, ça tape depuis ce matin !
- Ah excusez-moi mais je ne sors pas de nulle part, j'y vais. Vous pensez bien que si je m'y étais réveillé, je ne l'aurais pas quitté pour y retourner. C'est déjà assez compliqué de le trouver ! Allez... Vous m'emmenez ?
- Je ne peux pas Monsieur... Je suis désolée. Je vais quelque part moi...
- Vous allez où ?
- Récupérer mes enfants chez mon ex-mari.
- Vous êtes divorcée ?
- Oui.
- Et vous avez retrouvé l'amour ?
- Pas encore. Mais j'en ai retrouvé le goût.
- Vous savez donc où je vais !!!
- Pourquoi ?
- Parce que vous êtes revenue de nulle part ! Vous avez réussi ! Vous vous souvenez forcément de la route !
- Ah oui mais non... non, non... Cette route, je ne la reprendrai pas dans l'autre sens. J'avance maintenant. Vers cet horizon dont vous parliez tout à l'heure.
- Pourtant, quand vous allez vers votre ex-mari, vous reprenez bien un peu cette route en sens inverse non ?
- Pas tout à fait, c'est presque la même route, mais il n'y a plus de ligne blanche, plus de feux rouges, plus de radars, je suis beaucoup plus libre, et le voyage est plus serein.
- Comment peut-on laisser une femme aussi belle que vous au bord de la route...
- Arrêtez... Je ne vais pas où vous allez.
- Emmenez-moi...
- Comment voulez-vous que je vous emmène dans un endroit qui n'existe pas ???
- Mais il existe ! Ma femme m'y attend.
- Elle vous a quitté ?
- Non, elle est partie se ressourcer un peu...
- Oui... donc elle vous a quitté... Et elle est où votre femme là ?
- Elle a écrit à une amie commune qu'elle était dans la nature, perdue au milieu de nulle part.
- Ah... je comprends... A-t-elle écrit autre chose ?
- Oui. Qu'elle ne m'aimait plus.
- Comment vous appelez-vous ?
- Raoul.
- Votre sensibilité me touche Raoul. Et ma sensibilité de femme doit vous conseiller de ne pas perdre votre temps à essayer de la retrouver, arrêtez de vouloir aller nulle part. Même si vous la retrouviez, ce serait là-bas que vous iriez, et y aller à deux, c'est probablement encore pire.
- Je crois que vous avez raison... Et vous comment vous appelez-vous ?
- Simone.
- Est-ce que, si je renonce à aller là-bas, vous voulez bien m'emmener quelque part ?
- Où ça ?
- N'importe où. Depuis dix minutes que je suis dans vos yeux, je sais que je pourrais aller n'importe où avec vous.
- Montez...
Franck Pelé - Mars 2012
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