samedi 6 août 2011

Salade de fruits


- Tu ne dors pas chérie ?

- Bah si tu vois, je suis biblionambule...

- Pardon ?

- Je lis en dormant...

- Tu te fous de moi donc.

- Non, j'essaie d'être aussi étonnante dans ma réponse que toi dans ta question...

- Tu as des problèmes de digestion Simone ? C'est quoi le problème ? Tu étais adorable à table, tu montes en me faisant des yeux de chat et je retrouve une ennemie indifférente qui me cuisine sauce aigre-dure !

- Le problème c'est que je lis une histoire sur le couple qui n'honore pas le sexe fort ! Et que tous les détails mentionnés me font penser à quelqu'un !

- Ah bon ? Et quoi par exemple ?

- Par exemple, dans cette histoire, le mec qui appuie au milieu du tube du dentifrice et non à son extrémité est un égoïste notoire ! Celui qui passe douze fois devant un évier plein de vaisselle sale ou qui préfère mettre ses baskets au p'tit-dej parce que ça craque sous ses pieds nus alors qu'un petit coup d'aspirateur réglerait le problème en deux minutes l'est tout autant !

- Ah d'accord, c'est reparti pour la petite crise féministe trimestrielle...

- Pffff... Et allez, une petite caricature, ça fait pas de mal...

- Tu n'es pas féministe ?

- Non, je ne suis pas féministe ! Je suis bien élevée et j'aime bien qu'on partage ! Quand ton fils a la couche qui pèse autant que ta paresse, j'aimerais bien que tu les changes toutes les deux ! J'ai déjà porté notre enfant neuf mois sans broncher, si tu l'avais porté neuf jours, t'aurais fait deux dépressions et tu serais passé au 20 heures ! Et je ne parle même pas de l'accouchement, parce que là, je pense que tu aurais demandé une statue au maire !

- Ah ça, c'est pas de ma faute si vous accouchez dans la douleur, fallait pas croquer la pomme, c'est tout...

- Fallait pas croquer la pomme ? Parce que toi tu la croques pas la pomme quand tu passes dans le quartier ? Tu la dévores la pomme et peu importe les pépins, tu ne penses qu'à la tienne !

- Ok. Tu sais ce qu'on va faire ? Je vais te laisser finir de peindre ta banderole et dès que la pleine lune sera passée, je reviendrai voir si ma femme est revenue...

- Et voilà, on se défile ! Tu ne l'as pas croquée la pomme Raoul ? La petite pomme blonde au ventre aussi plat que son Q.I. qui vit dans la maison aux volets bleus, tu ne l'as pas croquée au printemps dernier ?

- Je l'ai peut-être cueillie mais je ne l'ai pas croquée.

- Tu vois, une des mille différences entre les hommes et les femmes c'est que nous, on accouche dans la douleur, on ne recule pas, et vous, même quand on vous tend la perche, vous n'accouchez jamais ! Vous avez peur de vous faire mal ?

- On a peur de se faire mal ? Mais quelle mauvaise foi ! C'est ça votre problème, vous, c'est la mauvaise foi ! Vous voudriez qu'on avoue des choses que vous ne pardonneriez jamais. Je ne t'ai jamais trompée Simone, mais si c'était le cas, l'équation du choix entre l'aveu ou le mensonge serait insoluble. Et ça vaut pour les deux sexes ! Parce que ne va pas me faire croire que le "croquage" de pomme est devenue une discipline exclusivement masculine ! Cette équation séculaire, que dis-je... millénaire, est impossible parce que si tu avoues que tu as glissé un jour, tu seras impardonnable et tu perdras toute confiance et tout crédit, et si tu ne dis rien et que ton mari le découvre...

- ... ou ta femme...

- ...ou ta femme, il ne pardonnera jamais ce mensonge et te jurera qu'il aurait pardonné si sa femme avait eu la franchise de tout lui dire. Ce qui est archi-faux, on le sait tous ! Donc l'équation est insoluble.

- Donc il ne faut pas croquer la pomme !

- On est bien d'accord ! Et il faut accepter les défauts du fruit qu'on a choisi comme le temps qui le fripe.

- Tu dis ça pour moi ?

- Mais non, c'est une image ! Elle vaut aussi pour moi !

- Ah j'espère oui, parce que question temps qui fripe, t'es plus proche de la compote que de la Golden !

- C'est petit ça...

- Oui, enfin ils sont bien jolis tes discours mais tu as quand même fait le joli cœur avec la petite aux volets bleus ! Parce que vous avez peur de ne plus plaire alors il vous faut retourner impérativement aux sources ! Et vu l'état de votre soif, arrive forcément un jour où vous buvez la source qui veut bien couler jusqu'à vous ! Et qui a bu boira !

- Et voilà ! Tu es aveuglée par ta pensée extrémiste, et tu ne te rends même pas compte que je t'avoue sincèrement avoir cueilli cette pomme alors que j'aurais pu nier ! Je l'ai séduite, je me suis rendu disponible, c'est vrai, mais uniquement pour l'essence du parfum d'un fruit nouveau. On ne saura jamais si le fruit est délicieux parce qu'il est nouveau ou parce qu'il est défendu, ce que je sais, c'est que je ne l'ai pas croqué ! Parce que je ne pense qu'à TA pomme, parce que je suis une bonne poire qui préfère payer pour toutes les fautes de tous les sombres héros de tous tes bouquins de malheur plutôt que me casser les dents sur des noyaux aussi étrangers que le goût qui les entoure !

- Tu veux dire que je reste ton abricot préféré ?

- Il n'a jamais été question d'autre chose ! Mais parfois, même si ce n'est pas mon cas, j'insiste, on a besoin de respirer, que ce soit des fruits ou des jardins. Il faut juste ne rien cueillir sinon...

- ...sinon c'est le bouquet...

- Voilà.

- Tu n'as pas pris de dessert Raoul...

- Non...

- Abricot ?

- Tiens, tu as retrouvé tes yeux de chat...




© Franck Pelé – Août 2011

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