mardi 9 août 2011

Dans les cuisines de l'élégance


- Tu n'es toujours pas prête ?

- Oh ça va, ça fait à peine une demi-heure que je me prépare Raoul, sers-toi un scotch en attendant !

- Ça va bientôt faire une heure Simone...

- Ah mais tu comptes la douche là ?

- Et pourquoi je ne compterai pas la douche ?

- Parce que ça ne compte pas la douche ! La douche c'est la remise à zéro des compteurs, c'est la naissance de la feuille blanche, c'est après qu'on commence le tableau, qu'on esquisse l'exquise, qu'on dessine le projet...

- Mais pourquoi vous mettez autant de temps à vous préparer ? Avoue que c'est quand même un truc que vous avez dans les gènes.

- Parce que vous, vous vous préparez en un quart d'heure, on vous remarque quand vous arrivez, et au bout de deux verres, on a cerné le personnage. Et parfois, au bout de quatre, vous êtes à l'envers ! Alors finalement, vous avez raison de ne pas perdre de temps à faire ce que vous allez vite défaire. Nous, on nous remarque dès qu'on entre dans la pièce, et plus on est préparée, plus on nous remarque. L'empreinte est profonde, on ne peut s'empêcher de vouloir connaître cette nature aux mille feuilles mystérieuses, à l'apéritif, puis à table, les hommes rêvent d'effeuiller ce mystère et les femmes en jalousent la richesse. Au dessert, les bulles de champagne ne suffisent pas à calmer l'ivresse de regarder cette femme, on veut la connaître, elle a quelque chose, on la fantasme au petit matin, on la projette dans son jardin. Alors oui, ce mystère, ça se prépare, ça se construit. Si Notre-Dame avait été faite en trois jours, personne ne l'aurait remarquée.

- C'est donc pour les autres hommes que tu te fais belle...

- Oh hé, pas à moi hein ! Parce que toi tu te fais beau pour moi ? Tu t'es rasé et parfumé pour plaire à celles et ceux qui vont te croiser lors de cette réception, et pas uniquement pour me plaire ! Il faut assumer de jouer les personnages que nous jouons en société Raoul, il n'y a aucun mal à ça, c'est le jeu depuis des siècles ! Louis XIV tu crois qu'il venait en tongs pour assister aux concerts de la Cour ? Et ses sujets, ils venaient en short ? Alors oui, je me fais belle pour notre sortie mondaine chez ton patron, pour plaire, aux hommes et aux femmes, mais surtout, je frissonnerai de plaisir jusqu'à la racine de mes cheveux de savoir que cette femme qui fera cet effet à tous ceux qui la croiseront, c'est ta femme. Et ne me dis pas que tu n'en seras pas fier...

- Tu es forte Simone... Tu transformes ma jalousie naissante en fierté insolente...

- Et pour répondre à ta question, ce n'est pas dans les gènes, non. Parce que si c'était dans les gènes, la femme de ton patron ferait le même effet que moi, et franchement, sans prétention aucune, elle en est très loin. Elle a autant de charisme que son plateau de fruits de mer ! Et encore, les homards sont vivants parfois... La beauté n'a rien à voir avec les gènes Raoul, c'est dans le cœur, dans l'âme. Le charisme, le charme, l'élégance, ce sont des natures, des natures vivantes, que nous devons cultiver pour le grand monde, mais qui pousseraient quand même, sauvages et belles, sans l'ordre que nous essayons d'y mettre. La beauté, c'est du plaisir. Et tu le sais comme moi, où y'a des gènes, y'a pas de plaisir !




Franck Pelé - Août 2011

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