Quand Simone entra soudainement dans la pièce, Raoul ouvrit les yeux que le plaisir lui fermait depuis quelques minutes. La jeune femme au bout du mari qui n'était pas le sien arrêta son mouvement mais ne prit pas la peine de quitter complètement son amant. Elle resta immobile, comme un trompettiste qui arrêterait de jouer, surpris par un imprévu, tout en restant en position sur son instrument.
Raoul :
- Ce n'est pas ce que tu crois...
Simone :
- Il manque pas d'air le salopard... Madame, je crois que vous pouvez arrêter de souffler, il est assez gonflé comme ça, si vous continuez, il pourrait éclater.
Raoul, pendant que l'amante prend du recul :
- Quand je dis "ce n'est pas ce que tu crois", je veux dire que ce que tu vois n'est pas forcément ce que tu crois.
- Ah ? Et alors ? Explique-moi ce que je vois ?
- Oui, évidemment, je ne suis pas en train de faire un scrabble...
L'amante :
- Mais enfin Raoul, dis-lui les choses ! Dis-lui que tu m'aimes, point !
Simone, à Raoul :
- C'est dommage, vu sa grande gueule, avec ton jeu, tu pouvais tout mettre.
Raoul :
- Arrête... Je veux dire que ce n'est pas parce qu'on glisse parfois que tout notre être ment, que tout l'amour, exceptionnel, que j'ai pour toi, ne veut plus rien dire. C'est un plaisir, qu'on ne se refuse pas forcément dans ce monde violent et triste, comme un match de tennis ou une partie d'échecs, on se fout de qui on a en face, le principal c'est d'avoir pris du plaisir à jouer. Et parfois, on s'offre ce plaisir, sans culpabiliser, parce qu'on ne vole pas l'amour qu'on a pour quelqu'un pour le donner à une autre. On joue un peu d'amour, avec une musicienne dont vous sentez qu'elle pourrait sortir vos meilleures notes, sans lui promettre aucune partition.
L'amante :
- Ah tu te fous de qui tu as en face ? Et bien la prochaine fois tu te feras plaisir avec la concierge ! Et puis ça doit faire trente ans qu'elle a pas joué au tennis, ça devrait lui faire plaisir de voir ta raquette ! Je te laisse, je vais retrouver un ami qui aime plus la partenaire que le jeu, avec des balles neuves, on va jouer longtemps, ça va me changer...
Elle croise Simone, fait une petite moue de la bouche signifiant qu'elle est désolée, et claque la porte.
- Mince... On dirait que pour ton prochain concert il faudra que tu te passes de trompettiste... Tu sais Raoul, je comprends qu'on puisse se faire plaisir sans mentir sur un amour qu'on a donné, promis, juré, enfin je comprends surtout quand ça concerne les autres. J'aimerais te montrer à quel point je peux comprendre, ceci dit, comprendrais-tu le moindre de mes arguments si tu entrais sans prévenir dans une pièce dans laquelle je caresserais la tête d'un inconnu tenue entre mes cuisses... ?
- Tu as fait ça ?
- N'essaie pas de retourner la situation. Tu es mon héros Raoul, je sais qu'un homme comme toi ne laisse pas insensible, je sais aussi que tu te fous de cette fille, enfin que tu n'as pas pour elle une once de la profondeur sentimentale que tu as pour moi, mais vois-tu, si on se doute que les héros ont des défauts ou des perversions, on ne veut pas le savoir, on ne veut pas les voir. Tu étais mon héros Raoul, mais là, tu es comme une inscription sur un jeu à gratter.
- Une inscription sur un jeu à gratter ?
- Nul si découvert.
Franck Pelé - Juin 2012 - Textes déposés à la SACD.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire