vendredi 14 février 2014

Lovely day



- Je t'aime ma chérie... Tu es belle comme le jour... J'ai une chance formidable de t'avoir...

- Ah on est déjà le 14 ?

- Quoi on est déjà le 14 ? Comme si je ne te disais ça qu'à la Saint Valentin...

- Bah écoute mon amour, tu me le dis de temps en temps mais rarement comme ça... On sent qu'il y a une motivation spéciale là, on dirait un petit garçon qui fait une surprise à sa mère parce que sa maîtresse lui a dit comment il fallait faire la veille...

- Sauf que je ne suis pas un petit garçon et qu'on n'a pas parlé de toi avec ma maîtresse la veille ! Si j'avais su, je serais parti bosser sans te réveiller tiens... Au moins j'aurais pas été contrarié...

- Oh il est contrarié mon bébé... Viens là... Allez viens... Mais si, tu as bien fait... Et puis si tu étais parti sans rien me dire, tu sais bien que je t'aurais appelé au bureau pour te pourrir et je t'aurais fait la tête toute la soirée et toutes celles de la semaine sans faute...

- Tu vois que c'est bien cette journée, on tombe un peu les masques, on se dit tout... Tu n'aurais jamais avoué tout ça un autre jour qu'aujourd'hui...

- On tombe les masques ou on les met ? Pourquoi on se dit des belles choses une fois par an si c'est le jour où on tombe les masques ? On joue à ne plus rien cultiver toute l'année sous prétexte que tout est acquis ? Tu ne crois pas que c'est toute l'année qu'il faudrait tomber les masques ?

- Je ne suis pas sûr non. On est dans le vrai toute l'année. Quand tu fais la vaisselle avec l'éponge des lavabos et des chaussures, ça me gonfle, quand tu casses quelque chose tous les trois jours parce que tu ne fais jamais attention à ce que tu fais, ça me gonfle, quand tu me jettes mes journaux que je n'ai pas encore lus ou que tu effaces mes enregistrements parce que tu ne comprends rien aux télécommandes alors que je t'ai expliqué mille fois, ça me surgonfle ! Quand les assurances auto nous coûtent un bras et une jambe parce que tu conduis n'importe comment, je suis au bord de l'explosion, quand dès que j'ai envie de toi tu es trop fatiguée et que je dois le comprendre alors que si c'est moi qui ne suis pas disposé quand tu as envie, ça veut dire que je ne te regarde plus, que je t'aime plus, que j'ai envie de la voisine, etc... j'explose ! Et dans ces cas-là, je n'ai pas de masque, et je n'ai pas envie de te séduire ou de te dire les mots les plus romantiques qui soient Simone... Et pourtant je t'aime profondément.

- C'est vrai... Tu as raison... C'est vrai que quand tu laisses tes chaussettes et tes caleçons un peu partout dans la maison, je te les ferais bien bouffer en salade... Quand tu te mets dans ton fauteuil au moment où il faut ranger la cuisine, je t'aime à peu près autant qu'un fonctionnaire de la préfecture qui baisse son rideau juste quand c'est mon tour après deux heures d'attente... Quand tu me fais une scène parce que j'ai souri à mon voisin de droite au dîner alors que tu as fais une thèse sur les seins de sa femme toute la soirée, j'ai des envies de procès. Quand tu t'arrêtes juste avant mon orgasme pour me demander si j'aime ce que tu fais, j'ai envie de t'emplâtrer la tronche dans ton écran plat ! Et dans ces cas-là, c'est vrai, je n'ai pas de masque non plus, et je n'ai pas du tout envie de te séduire Raoul. Et pourtant je t'aime profondément.

- On est donc bien dépendant de cette journée de l'amour...

- On est con hein...

- A ce point, ça mériterait presque une consultation...

- C'est vrai que tu m'aimes profondément ?

- C'est bien simple, de toutes celles que j'ai connues, il y en a au moins... sept qui resteront gravées pour toujours. Et tu es dedans.

- Tu plaisantes là ?

- Quoi ? C'est bien sept... Attends, tu sais que j'ai connu beaucoup de femmes dans ma vie alors être dans les sept c'est quand même une méchante preuve d'amour !

- Raoul, je crois que t'as raison, il va falloir qu'on consulte. Parce que je ne m'explique pas pourquoi j'ai quitté tous les hommes qui m'ont donné du plaisir ni pourquoi j'ai gardé le seul qui me le gâche avec une constance qui frise la rigueur professionnelle !

- Mais je plaisante mon trésor...

- Ne me touche pas ! On va redistribuer les richesses en fonction du mérite... T'as intérêt à t'acquitter d'un maximum d'amendes honorables si tu ne veux pas que le trésor devienne public ! Et si j'étais toi, je la jouerais pleine d'humilité et d'attention parce que j'ai toujours refusé aux contribuables intéressés de revenir vers moi mais si tu bouges UNE oreille, je peux te dire qu'il va y avoir une explosion des impôts sur le revenu !

- Pardon... Tu es l'amour de ma vie... j'y vais... bonne journée ma chérie... Je t'aime. Bonne fête...

- Oui c'est ça bonne fête.

Raoul met sa veste, son manteau, son chapeau, ouvre la porte de la porte de la chambre, sort et referme doucement derrière lui. Puis il ouvre la porte à nouveau et dit à Simone :

- Et puis franchement tu es dans les trois, sûr.

Simone saisit alors le vase sur sa table de chevet et le balance avec vigueur en direction de Raoul qui l'évite de justesse en fermant promptement la porte et en hurlant :

- Faudrait que je revoie les deux autres pour voir comment elles ont vieilli mais je suis sûr que tu peux jouer l'or ! Bonne journée mon amour !

Dix minutes plus tard, Simone appelle sa sœur au téléphone pour lui raconter l'anecdote, c'est à un certain moment de la conversation qu'elle a compris que l'exercice du couple était des plus délicats :

- Tu te souviens de Jean-Pierre ? Il était beau comme un Dieu... Je me demande comment il est aujourd'hui... Et Gérard... alors lui il m'a inventé le huitième ciel... A bien y réfléchir, je pense que Raoul est dans les trois... Tu crois qu'il va bien le prendre si je lui dis ? C'est vrai que c'est quand même flatteur d'être dans les trois...

- C'est fou qu'on ne puisse s'empêcher de prendre du recul sur certaines idées ou certains mots alors qu'on a exactement les mêmes... Tu vois Simone, si Raoul embrassait une autre femme, tu le comprendrais, et s'il était ton meilleur ami, tu lui dirais à quel point il a raison, mais en étant sa femme, tu trouveras mille arguments pour lui expliquer pourquoi son comportement est incompréhensible et digne du plus grand des salopards...

- Je sais. Et si j'embrassais un homme, mon meilleur ami me comprendrait, mon mari me salirait pendant des siècles... C'est fou comme le couple est de mauvaise foi...

- Un peu comme cette Saint Valentin...

- Tu sais quoi Paulette ? A partir de cette année, on fait le contraire. Je vais lui dire des mots doux tous les jours, il va me dire les siens tous les jours, et le 14 février, on vide nos sacs, on se pourrit jusqu'à l'os, je le laisse me mettre une fessée et lui il me laisse l'appeler Brad quand j'ai l'extase sur le palier, j'invite sa mère pour la recadrer et lui pourra se lâcher sur mes parents, je me gare au frein à main avec sa bagnole et il pourra s'acheter un disque dur plutôt que m'acheter une bague ! On va s'aimer violent ! On va s'aimer costaud ! On va ouvrir les vannes, lâcher les chiens, je vais a-do-rer la Saint Valentin !




Franck Pelé - textes déposés SACD - février 2014

4 commentaires:

  1. Chez Simone et Raoul, on n'triche pas Monsieur, Madame ....On n'triche pas .... Se voir dans le miroir de leur vie, fait autant de mal que de bien !!!
    Autopsie d'une St Valentin !!! excellent !!!!!...

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  2. Je suis pliée de rire! j'aime... Amélie.

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  3. Je suis pliée de rires! J'aime... Amélie

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  4. Très très bon ! Bises, Amélie B

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