dimanche 12 janvier 2014

Le bal des évidences



Dans la danse des évidences, la grâce et l'éternité de l'élan ne supportent pas le faux-pas. Dans la danse des évidences, il ne faut jamais lâcher l'autre, une main dans la sienne, sur sa taille ou son regard dans le sien pour garder le cap sur l'indicible. Parfois on se laisse inviter à danser, on prend une main qu'on a cru reconnaître ou qu'on a choisie parce qu'elle promettait un mouvement nouveau. Et c'est là, en observant la foule de ceux qui vous regardent, qu'on est emporté par une évidence qui ne danse pas. Parce qu'elle est arrivée trop tard, parce qu'elle danse avec les loups, ou parce qu'elle ne danse plus depuis que sa musique amoureuse s'est arrêtée.

Dans le bal des évidences, une femme dansait. Elle était incroyablement belle, elle était la musique, elle était toutes les robes, tous les diamants. Quand elle est tombée, j'ai fendu la foule pour aller la relever, rien d'autre n'aurait pu me pousser avec autant de conviction. Arrivé au bord de la piste, j'ai vu qu'elle pleurait d'avoir été la seule à comprendre la raison de sa chute. Je me suis arrêté. Elle n'était pas la seule mais je ne pouvais pas faire autrement que Je devais laisser son cavalier la relever. Et même s'il le faisait mal, même s'il ne le faisait pas, je devais leur laisser le temps de finir leur danse. J'ai essuyé discrètement les larmes sur le parquet pour ne pas qu'elle glisse sur une émotion déjà passée, et sans lever les yeux, je suis retourné me fondre dans la foule des anonymes, plein d'amour et de rage.

Je ne me suis jamais retourné, je n'ai jamais su s'ils avaient fini leur danse, je suis parti avec sa beauté chevillée au cœur, elle m'emporte tous les jours sans que je ne bouge le petit doigt. Je suis parti avec sa beauté et son prénom, Simone, qu'une de ses amies a crié lorsqu'elle est tombée.


Dans le bal des évidences, les meilleurs danseurs ne sont pas toujours ceux qui dansent.


Je sais deux choses de cette existence : je m'appelle Raoul, et cette femme est celle pour laquelle je vis. Je ne veux pas l'inviter à danser. Je veux qu'elle danse jusqu'à épuiser tous les mauvais danseurs, jusqu'à tournoyer, tournoyer, les yeux fermés et le cœur lourd, jusqu'à tomber dans mes bras. Là, elle ouvrirait ses yeux encore embués, et dans un grand sourire libéré et serein elle me demanderait :


- Vous dansez ?

- Jusqu'à vous jamais non. Mais puisque vous êtes la seule femme que je sais danser, emmenez-moi au bout de l'infini, je connaîtrai tous les pas.





 Franck Pelé - Janvier 2014 - Textes déposés SACD

3 commentaires:

  1. Étourdissant !!! les mots vous emportent et vous font tournoyer !! et le plus fort encore dans cet "épisode là" c'est qu'il y a une vraie musicalité dans ces mots, et les détails du scénario de la scène, précis comme toujours... !!! décidément, nous ne sommes jamais au bout de nos surprises !!! Bravo !!

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  2. puisque la providence me dépose ici sur la pointe des pieds, j'en savoure toute ma dépendance.

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  3. C'est sublime. Magique. Magnifique. Je suis tombée sur ce blog par hasard, et quel hasard!!!! Je me prends vos mots en plein visage!! En plein coeur!!! Quelle bourasque de poésie, de beauté!

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