- Chéri, je pars faire des courses !
Raoul sort de son bureau pour répondre :
- D’accord ma… (Il marque un temps d’arrêt, comme subjugué) …
beauté…
- Oui ?
- Je t’ai dit que je t’aimais aujourd’hui ?
- Pas aujourd’hui non. Mais tu peux en garder pour plus
tard, tes "je t’aime" me font de l’effet
plusieurs semaines d’affilée tu sais…
- Et pourquoi cette tenue de gala pour aller chez le boucher ?
- Arrête ta jalousie… Je veux être belle c’est tout, c’est
la jalousie de tous les autres envers toi que je vais cultiver…
- Mais c’est dangereux ça, c’est un peu jouer avec le feu…
- Raoul, c’est la fin de l’été, il fait beau, on est samedi,
il est 11h et je crois que ce n’est pas loin d’être mon moment préféré de la
semaine. Surtout avec ce temps. Moi le samedi, j’ai l’impression que c’est un
jour béni, le jour du plaisir, on sait qu’on a encore un jour pour se reposer,
les gens ne travaillent pas, tout le monde se croise, c’est un peu comme une
cour de récré en ville, il n’y a plus personne en classe, que des âmes libres
qui flânent… Et j’ai envie de rendre hommage au charme de cette journée.
- Tu lui rends bien… Je t’aime Simone.
- Moi aussi chéri.
- Non mais Simone ! Vraiment… Je sais que les mots ne
résonnent plus pareil à force de venir se heurter sur les mêmes murs, portés
par le même vent. Je sais que l’écho monotone fatigue bien plus que le silence.
Tu sais, hier, je regardais un documentaire sur cet acteur qui avait une peur inouïe
de ne pas être aimé, d’être oublié. J’ai trouvé des similitudes avec moi bien
sûr, mais j’ai aussi pensé à toi.
- Pourquoi ?
- Je me suis dit que je ne savais pas assez te dire ce qu’on
dit après la disparition de quelqu’un…
- Et ben c’est gai…
- Non vraiment ! Si je te perdais demain, j’aurais pour
quiconque voudrait m’entendre parler de toi les mots les plus entiers, les plus
éternels, les plus exceptionnels pour qualifier celle qui m’aura fait l’honneur
de m’offrir son amour et la plus belle place dans sa vie.
- Mon amour… Arrête sinon je vais me sentir obligée de
mettre un survêtement pour te faire plaisir…
- Non, je serais fou de vouloir t’empêcher d’être belle… Tu
le fais si bien, tu le fais comme personne…
- J’en veux bien un peu avant de partir de ces mots
exceptionnels si tu en as à disposition…
- Je sais que je passe ma vie à te faire remarquer tes
petites bêtises, tes mauvais choix, tes traits de caractères durs, égoïstes,
jaloux parfois, je sais que je t’engueule plus facilement que je ne te dis l’amour
que tu attends…
- On est tous pareil, moi non plus je ne vais pas laisser
passer l’occasion de te souffler dans les bronches alors que tu mériterais
souvent d’autres mots, mais tu les attends tellement parfois que je n’ai pas
envie de te les donner…
- J’en étais sûr ! Tu sais que je les attends et tu
fais exprès de ne pas me dire ce qui me ferait plaisir ? Mais t’es
vraiment une manipulatrice, tu vois que j’ai raison quand je te dis ça !
- Oh non Raoul, continue sur la lancée tout à l’heure parce
que là je sens comme un soupçon de vinaigre dans le parfum du bouquet…
- Voilà ! Donc moi je fais l’effort de te dire l’indicible
et toi tu préfères ne pas me le dire plutôt que perdre la face devant la
possibilité d’un compliment ou d’un mot généreux !
- Mais tu viens de dire la même chose, tu te fous de moi ?
Mais quelle mauvaise foi !
- Mais pas du tout !
- Mais si ! Tu viens de dire qu’il faudrait que je sois
morte pour me dire tout ce que je veux entendre ! Tu peux pas me le dire
avant ? T’as peur que je sois heureuse ?
- Mais c’est terriblement injuste de balancer ça alors que
je suis en train de faire la déclaration d’une vie !
- Tu me dis ça pour que je reste là ou pour que je
mette un pantalon et un col roulé ! Tu as peur de l’effet de mon chapeau
sur les hommes dans la rue !
- Mais c’est n’importe quoiiiii !!! Tiens, regarde si j’ai
peur de ton chapeau !
Il enlève le chapeau de Simone d’un geste soudain et le met
sur sa tête
- Raoul ! Mes cheveux ! Regarde ce que tu as fait
à mes cheveux !!! Espèce de malade !!!
Elle le tape sur l’épaule, les bras, partout où elle peut
tout en essayant de reprendre son chapeau. Commence une lutte savoureuse jusqu’à
ce que Raoul trébuche en se prenant les pieds dans le tapis. Il tombe, sa tête
heurte la table basse. Il est sur le dos, inanimé sur le sol.
- Raoul ? Arrête tes bêtises… Raoul !!!
Il ne bouge pas. Elle passe sa main dans ses cheveux.
- Raoul mon amour… Je t’aime comme je n’ai jamais aimé
personne et comme je n’aimerai jamais plus. Tu es maniaque, insaisissable,
colérique, plein d’habitudes insupportables et de goûts étranges mais tu es l’homme
le plus séduisant du monde. Ton regard sur moi est au-delà ce qu’une femme peut
rêver pour avoir besoin de se sentir belle…
Il ouvre un œil, d’une façon franche qui ne laisse aucun
doute sur le caractère factice de sa perte de conscience.
- Tu vois, toi aussi tu avais besoin de me voir disparaître
pour me dire les plus jolis mots…
- Tu es vraiment ridicule avec mon chapeau…
- Tu savais que je t’écoutais ?
- Tu ne peux pas mourir à cause de moi… et ta respiration
forte trahissait une certaine conscience…
- Tu sais de quoi j’ai envie là ?
- J’hésite entre faire une grille du mot mystérieux ou l’amour…
- J’ai envie de défaire l’amour surtout, puis de le refaire,
pièce par pièce…
- Commençons par le salon alors…
- Joli double sens… Je peux garder ton chapeau ?
- Ah non !
- Attends… C’est moi qui te le mets…
Il enlève le chapeau et le remet délicatement sur la tête de
Simone, légèrement en vrac. Il la regarde longuement, la perçant jusqu’à l’âme.
- Je n’avais pas fini tout à l’heure. Je disais… je sais que
je passe ma vie à te faire remarquer tes petites bêtises, tes mauvais choix,
tes traits de caractères durs, égoïstes, jaloux parfois, je sais que je
t’engueule plus facilement que je ne te dis l’amour que tu attends, mais ne
doute jamais une seconde de l’existence de tous ces mots qui ne sortent pas
toujours. L’ego filtre parfois sans concession, il ne laisse passer que les
miettes dorées et il retient les pépites qui feraient la richesse du cœur de l’autre.
Je suis fou de laisser passer autant de jours sans te donner tout l’or que j’ai
pour toi… Tu es le plus fabuleux trésor qu’un homme puisse trouver, et je sais
tous les jours ma chance.
- Si quelqu’un d’autre m’avait trouvée, je n’aurais jamais
brillé autant… Les femmes rêvent souvent de diamant parce qu’elles n’en ont
jamais vu, ou parce qu’elles imaginent leur beauté réinventée avec un tel bijou.
Moi je n’ai jamais rêvé de diamant, je vis avec. Et si on me voit belle dehors
c’est parce que je porte en toutes circonstances l’éclat de ton amour.
Raoul remet doucement une mèche à l’intérieur du chapeau de
Simone
- Le boucher va être fermé…
- On mangera autre chose… Je m’étais préparée pour tourner
la tête d’une trentaine d’homme et rendre jalouses au moins quinze femme mais
je veux bien t’offrir sur un plateau cette beauté qui te revient…
- Je suis désolé pour eux, mais il ne restera rien… ou
peut-être le plateau. Ils pourront y regarder le visage de leur frustration lustré
par ma faim de toi…
Franck Pelé - Textes déposés SACD - octobre 2014
"on ne dit pas assez aux gens qu'on aime, qu'on les aime ♫♪♪ " L.Chedid .....
RépondreSupprimerElle commençait vraiment à manquer Simone !! ...
Alors l'occasion de dire combien je vous aime Simone et Raoul ... Vous êtes entrés dans ma vie comme moi dans la votre .... Merci à Franck Pelé d'être "responsable" de cette belle rencontre !!!.....
La délicieuse Simone méritait bien d'être primée !
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