- Depuis que tu as croisé cet homme tu n'es plus la même... Je
ne sais pas ce qu'il y a dans ses yeux mais méfie-toi des apparences...
- Des apparences ? Mais ça fait des années que je vis avec
les apparences !
- Que veux-tu dire par là ?
- Par exemple, je crois vivre depuis des années avec un
homme qui m'aime mais en fait je vis avec un homme qui, apparemment, m'aime. Tu
vois mieux ce que je veux dire là ?
- N'importe quoi... Voilà une preuve supplémentaire de ton
inconscience... Tu te fais manipuler et tu ne vois rien. Il faudrait être
vraiment décérébrée pour ne pas voir que ta rencontre idéalisée te monte à la
tête...
- Voilà, c'est ça... Je suis décérébrée. Arrête avec cet
amour débordant, c'est trop... Une seule personne me manipule et j'ai passé
beaucoup trop de temps avec elle.
- Mais il te promet quoi avec ses yeux de biche et son
sourire enchanteur ? Hein ? Ils ont tous les mêmes sourires au début ! Pleins
de douceur et d'attention. Mais qui a toujours été là ?
- Je n'ai jamais croisé son regard. Je ne connais que ses
mots. Les mots ne trompent jamais. En tout cas pour qui sait les lire. Alors
que toi...
- Je ne t'ai jamais trompée !
- Tout dépend ce que tu entends par tromper. Tu dis que tu
as toujours été là ? Mais tu as toujours été là pour que je te fasse briller !
Tu voulais une belle voiture, tu as eu une belle voiture, tu voulais une belle
maison tu as eu une belle maison, et tu t'en es vanté. Tu voulais une belle
femme, tu as eu une belle femme, enfin j'espère. Pour mieux t'en vanter encore.
Quand tu me présentes, tu ne m'écoutes pas, tu te fous de ce que je pense dans
une conversation, ce qui t'intéresse c'est l'empreinte que je laisse auprès de
ceux qui t'entourent, en ton nom. Je suis un argument de plus dans l'affichage
permanent de ta réussite. Je suis ta chose dans ton show off sans fin. Tu ne
m'aimes pas, tu adores me posséder. Beaucoup de femmes aimeraient se sentir aussi
précieuses qu'un diamant, moi je me sens comme un diamant qui sert à augmenter
ta valeur !
- Tu es vraiment une ingrate... J'ai tout fait pour toi ! Et
regarde ! Regarde-toi ! Je ne te reconnais plus !
- Mais tu as raison ! Moi non plus je ne me reconnais plus !
Et tu sais pourquoi ? Parce que je suis de plus en plus floue dans l’image que
tu me renvoies de moi ! Je ne sais plus qui je suis ! Tu m’effaces ! Tu me
gommes ! Tu mélanges toutes mes nuances et tu les recraches dans un gros trait
uniforme et sans vie ! Tes pinceaux sont usés, ou trop gros, je ne sais pas… Je
ne sais plus. Mais je sais que je ne t’aime plus. J’ai longtemps aimé l’idée
que je me faisais de toi mais aujourd’hui, même cette idée ne me séduit plus.
- Qui c’est ce connard… Qui c’est ???
- Ce connard ? Mais c’est toi mon pauvre ami !
- Ne joue pas sur les mots…
- Non, je ne joue jamais sur les mots. Je les respecte, ils
transportent tout ce que tu n’écoutes plus depuis longtemps. M’as-tu jamais
écoutée…
- Qui c’est Simone ?
- Il s’appelle Raoul.
- Déjà le prénom t’as tout compris…
- Qu’est-ce que tu peux être con… Y’a quand même des réveils
plus violents que d’autres, et là, depuis dix minutes que je vide mon sac, en
voyant la qualité de tes réactions, j’ai vraiment mal à la tête… Mais ma
convalescence ce sera du miel, et ma renaissance sera divine.
- T’as qu’à l’épouser pendant que tu y es ! Vas-y ! Tu l’as
jamais vu mais vas-y, va jusqu’au bout de tes gamineries ! Signe sans avoir vu
le paquet !
- Tu sais, j’ai déjà signé en ayant vu le paquet, mais on
n’est jamais à l’abri de faire la tronche au moment où il s’ouvre vraiment le
paquet ! Je vais peut-être l’épouser oui, pourquoi pas. Je pourrais. Je suis
tellement sûre de sa main.
- De sa main ?
- Oui, de cette main qui sait m’écrire autant qu’elle sait
me dessiner. Je m’effaçais doucement, si j’avais continué avec toi, je serais
devenue une espèce de forme abstraite, sans expression, presque sans vie, sans
intérêt. Raoul me redessine, et son trait est magique. Je n’ai jamais été aussi
moi qu’avec lui.
- Et toi ? Tu crois qu'il est magique ton trait sur moi ?
- Mon trait sur toi n’est peut-être pas magique, non... Mais il est
définitif.
Franck Pelé – textes déposés – Juillet 2014
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