lundi 9 mars 2015

L'homme est une femme comme les autres




- Simone, je voudrais que vous laissiez un instant toutes vos certitudes à terre, que vous les laissiez tomber, vos verrous, vos limites, vos barrières, à vos pieds, là où finit tout ce qui vous entrave, là où commence tout ce qui emporte.

- Pourquoi devrais-je m'ouvrir à ce point et me présenter sans aucune défense ?

- Parce que vous m'avez déjà vu embrasser une autre femme que vous, et vous ne me laisserez aucune chance de vous prouver que vous êtes celle qui me va.

- J'ai moi aussi embrassé avant vous. Mais je ne vous connais pas. Pas assez. Et ce que je connais de vous m'invite à la prudence.

- Parce que j'ai aimé avant vous ?

- Non. Parce que vous semblez maîtriser cet élan.

- Je ne maîtrise jamais le moindre élan, c'est ce qui doit vous convaincre et c'est justement ce qui effraie ceux qui en sont témoins. Ils me croient léger comme le vent, mais je suis enraciné, fort et droit, dans une terre d'histoires, celles de toutes les âmes qui ont vécu avant nous. Si un souffle puissant me fait plier, je me laisse courber, jusqu'à en perdre ma nature. La seule chose que je maîtrise, c'est mon inclinaison sous les vents superficiels. Quand je ne la maîtrise plus, c'est que le vent est trop fort, une tempête de frissons, un ouragan d'évidentes couleurs tonnantes, qui invitent mes cimes à retrouver les fleurs naissantes.

- Je n'ai pas le droit de vous embrasser.

- Pourquoi ?

- Parce que nous sommes dans la rue, parce que je suis une femme et que si on nous voyait, vous seriez un Don Juan et moi une fille facile. Je ne peux prendre une telle décision parce que je ne suis qu'une femme, docile, aimante, qui cuisine et nettoie, dévouée et admirative de celui qui a tellement de pouvoirs...

- Vous ne pensez pas ce que vous dites... Vous savez pourquoi je ne peux aller nulle part ailleurs que vers vous ? Parce que j'écoute la femme qui est en moi, ma mère, ma sœur, ma nourrice, la femme de mon voisin, de mon frère, mon institutrice, ma meilleure amie, ma confidente, toutes ces femmes qui font l'homme que je suis aujourd'hui. Mon courage est féminin, mon élan est féminin, ma patience, ma conviction, ma certitude, mon élégance, ma force, ma curiosité sont féminines. Les hommes ont peut-être tous les droits, mais seuls ceux qui sauront en remercier les femmes deviendront des hommes, libres...

- ...et égaux en droits... Vous vous prénommez Raoul n'est-ce pas ?

- Oui

- Raoul j'ai embrassé quelques hommes dans ma vie, mais aujourd'hui, je crois que j'ai rencontré la femme de ma vie... Et je me sens tous les droits du monde de l'embrasser jusqu'à ce que ses courbes défient les juges les plus obscurs…



Franck Pelé

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