Elle était là, assise en terrasse, sa valise à ses pieds.
Elle avait pris sa décision pendant la nuit. En rangeant ses affaires,
doucement, sans haine ni regrets, elle associait un souvenir à chaque vêtement.
Cette bretelle qui était tombée sous l'effet conjugué du fruit et de la
passion, cette autre qui avait été remise d'un geste aussi sec que son jardin
avant les larmes. Et cette jupe qu'elle aurait fendue elle-même si sa coupe
avait été différente, le jour où son regard la faisait déjà nue.
Elle ne savait pas vraiment si elle devait habiller cette
histoire des mots les plus profonds, il lui semble qu'elle avait été amoureuse,
mais l'absence de certitude était probablement la preuve du contraire. Elle ne
quittait pas un homme. Elle quittait le temps qui entourait sa vie et cet homme
en faisait partie. Elle avait fait son temps. Elle en avait pris du bon, elle
en avait perdu aussi. Et plus le temps passait, plus elle sentait qu'elle le
perdait. Elle ne le vivait plus. Elle le subissait. Les grains du sablier
n'étaient plus aussi fluides dans leur inexorable chute, ils grippaient la
mécanique, la machine n'avançait plus vraiment. Ou pas dans le bon sens. Il lui
reprochera forcément sa fuite. Ce qui justifiera la suite.
Elle ne partait pas parce qu'elle n'aimait plus, elle
partait parce qu'elle voulait aimer. Pas comme le hasard en force le trait,
mais comme la vie décide de faire vibrer l'intense. Le hasard fait bien les
choses quand il fait s'épouser des destins évidemment jumeaux, il est plus
vicieux quand il propose une rencontre que l'habitude cimente. Le ciment de
l'habitude s'effrite toujours. Celui de l'évidence érige des histoires qui
durent, des histoires aussi belles que celles qui sont lues en secret.
Le regard de Simone se perdait dans le vague jusqu'à ce
qu'elle sente un regard sur elle. Elle ne tournait pas la tête, mais elle
sentait que cet homme, à la dernière table à gauche sur la terrasse, posait un
regard particulier sur elle. Il faut être une femme pour sentir ce regard-là.
Pour sentir qu'il ressemble aux regards qui insistent alors qu'il a toute la
retenue de celui qui invite, pour sentir qu'il violerait presque votre
décolleté alors qu'il vous habille de votre plus belle peau. Ce regard qui vous
fait belle comme vous ne l'êtes jamais autant dans celui d'un autre, c'est une
éclipse, c'est un solstice, c'est un big bang.
Quand Simone a enfin tourné la tête, elle n'a pu voir que
la fin du mouvement de tête de l'homme qui cessait de la regarder à l'instant.
Il se replongeait dans les mots qu'il écrivait, pensif, semblant chercher une
inspiration parfaite, idéale. Simone insistait jusqu'à ce qu'il ose la regarder
à nouveau, cette fois dans les yeux. Quand son regard a croisé le sien, rien ne
s'est apparemment passé. Rien qui puisse se voir. Mais dans la dimension de
leur rencontre, on aurait pu entendre les coeurs exploser, les illusions
perdues s'entrechoquer, on aurait pu entendre tous les verres se briser sous
l'effet de l'onde de choc. Et la moindre ampoule exploser pour que l'obscurité
règne, comme un hommage à la lumière rare d'un moment unique, magnifiant
l'éclat d'un couple qui éclairera jusqu'aux mondes de demain.
A partir de ce moment précis, Raoul vivra continuellement
dans une inspiration divine. Et Simone aimera comme la vie décide parfois de
faire vibrer l'intense, comme une preuve de l'exceptionnel possible sur les
longs chemins de traverse.
Franck Pelé - textes déposés SACD - Juin 2014 (photo :
Gibrat)
" Le hasard fait bien les choses quand il fait s'épouser des destins évidemment jumeaux, il est plus vicieux quand il propose une rencontre que l'habitude cimente ". C beau ! ;-) bisous
RépondreSupprimerRectification : LE texte entier est magnifique. :-P
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