vendredi 28 septembre 2012

Entre les lignes




- Pourquoi es-tu venue si tu n'as pas confiance ?

- Je ne sais pas encore si j'ai confiance ou pas, je suis venue parce que j'ai lu tes mots, parce que personne ne m'avait encore touchée à ce point, personne ne m'avait autant donné envie de baisser la garde, d'y croire une nouvelle fois. Je suis venue parce que tu sais me lire comme on ne m'a jamais lue.

- Alors pourquoi cette arme ?


- Parce que je pourrais tuer l'auteur de tels mots s'ils n'étaient pas écrits avec la même force, la même vérité, la même bouleversante profondeur que celles qui m'ont emportée pendant la lecture...

- Pourquoi t'écrirais-je ces mots si je les écrivais comme on achète du pain ?

- Je ne sais pas... pour séduire jusqu'à la dernière miette ? A combien de femmes as-tu écrit ces mots ? Combien ont vibré devant tes douceurs, tes caresses, combien de serrures se sont offertes à ta clé Raoul ?

- D'accord. Je vais tout te dire, comme je l'ai toujours fait dans mes écrits, en toute transparence, avec mes rondeurs et mes failles. Oui, j'ai déjà écrit de tels mots à d'autres femmes. Mais jamais les mêmes. Et si certains se ressemblaient, ils prenaient tellement la couleur de celle à qui ils étaient destinés qu'ils s'inventaient un nouveau destin. Pourquoi avoir peur des mots que tu lis ? Pourquoi se demander s'ils sont neufs ? S'ils sont exclusifs ? Bien sûr qu'ils le sont ! Mais si amour ne s'écrit que d'une seule façon, si lèvres, cuisses, courbes, envies, frissons, nuit, romance, matin, séduction ne s'écrivent que d'une seule façon, ils se déclinent à l'infini ! Pourquoi demander si j'ai écrit ces mots avant toi ? Pourquoi ne pas demander à l'homme qui embrasse avec un regard profondément amoureux à combien de femmes a-t-il déjà offert ce regard ? Il l'aura déjà offert autant de fois qu'il a aimé. Mais il aura toujours aimé avec autant de vérité, sans tricher.

- Si tu trichais avec moi Raoul, je ne m'en relèverais pas. Si je me donne à toi, et que tu pars demain matin, ou la semaine suivante, je te chercherai jusqu'à la fin des temps, pour que tu ne sèmes plus jamais d'amour sur d'autres matins.

- J'ai aimé avant toi Simone. Et je vais même te provoquer un peu, je pourrais aimer pendant toi, le temps d'un regard, d'une conversation, d'un souvenir, d'un regret, sans jamais que mon amour pour toi ne soit trahi. Parce qu'il sera entier, complet, accompli, jusque dans ses imperfections.

- Ah mais je ne partage pas mon bon Monsieur !

- Non, ne réagis pas sans prendre de recul. Je veux juste te dire que si l'amour peut être pluriel, il n'est total qu'au singulier, et au plus-que-parfait. Je te dis ici ma transparence, je veux qu'elle soit la terre de ta confiance. Je ressentirai forcément des sentiments amoureux, précis ou flous, offerts par ces hasards qui n'existent pas. Mais si je te choisis, c'est parce que tu es exceptionnelle, unique, celle pour laquelle je suis fait. Et je me contrefous de l'exceptionnelle d'avant ou de l'exceptionnelle d'après, si tu me choisis, tu seras mon éternité. Mieux, mon exception dans l'éternité. Tu me figeras dans cette éternité qui sera la nôtre.

- Merci d'oser me dire ce que nous savons toutes mais que nous refusons d'entendre. J'aime ça. Et je dois te rendre cette sincérité. J'aurai moi aussi des moments où l'amour me frôlera, où la fièvre fera brûler mon corps. Mais si je suis celle que tu décris, que tu écris, si je suis celle qui te bouleverse autant que je le lis entre tes lignes, aucun amour ne saura être plus fort que le nôtre. Le mot alchimie sera bien trop faible, il faudra en inventer un autre. Tu l'inventeras pour moi ?

- Simone... La première fois que je t'ai vue, sur cette photo, j'ai su. Je ne savais rien de toi, je ne connaissais ni ta voix, ni ton caractère, ni la force de ton regard, mais j'ai su. Une femme est comme un livre. Une femme exceptionnelle sur votre route, c'est LE livre que vous devez ouvrir, vous le sentez, vous en brûlez. Ne me demande pas combien de livres j'ai eu envie d'ouvrir.

- J'y ai pensé mais non... répond Simone en souriant et en baissant doucement son arme.

- Quand je me suis retrouvé face à ton existence, plus rien d'autre ne m'intéressait que te lire, tout savoir de toi, ouvrir ton livre et tourner les pages, comme on fait tourner le monde. Un livre, on le lit, on le dévore, on le comprend, il vous fait rêver, il vous transporte, il vous bouleverse, il vous excite, il vous fait fantasmer, réfléchir, il vous fait vous remettre en question, il vous nourrit. Vous savez lire entre ses lignes, vous le protégez, vous le respirer, ses pages sont élégantes, parfumées, pleines de toutes les empreintes qui font les belles histoires. Oui, j'ai lu d'autres livres, mais je n'ai pas lu tous les livres, et votre chair est heureuse.

- J'adore quand tu me vouvoies... J'ai l'impression d'être une héroïne, d'être la femme la plus élégante, sensuelle, désirable du monde...

- Vous êtes mon héroïne Madame, et vous êtes tout cela. Et mille choses encore. L'histoire que vous allez me raconter chaque jour pourrait m'enivrer de bonheur pour plusieurs vies. Je vous regarde, et j'ai envie de vous lire, encore, et toujours...

- Vous voudriez écrire mes frissons sur plusieurs volumes encore ?

- Je vous lirai, je vous écrirai, nous nous écrirons ensemble, j'ajouterai votre voix aux chapitres les plus doux, je graverai vos promesses comme vos cris d'amour dans le cuir de la reliure, je soufflerai sur vos peurs et vos larmes pour qu'elles sèchent bien avant qu'on les lise, je passerai les doigts sur vos secrets pour que mes yeux aveugles connaissent l'immense plaisir de la lecture du cœur...

- Je te sens Raoul, je te ressens, définitivement. Ces mots-là, je sais qu'ils sont pour moi. Je sais que tu en aurais trouvé d'autres pour une autre, et je suis absolument à ma place avec ces mots-là. Je n'en aurais pas voulu d'autres. Et je n'aurais pas voulu être la femme d'avant ni celle d'après. Parce que tu m'aimes parfaitement, magnifiquement, délicieusement. Parce que tu es ma réponse. Mon cadeau.

- Tu es la plus belle histoire qu'on puisse offrir à un amoureux des couleurs de l'âme...

- Voudriez-vous laisser votre signature sur ma quatrième de couverture pour que je garde un souvenir de cette merveilleuse conversation ?

- Je préfère la laisser en pages intérieures Madame, je ne voudrais pas marquer votre cuir...

- Marquez mon cuir Monsieur, et feuilletez-moi sans jamais vous arrêter...





Franck Pelé - Septembre 2012

mercredi 26 septembre 2012

Let the sun shine




Simone et Raoul étaient voisins depuis qu'ils étaient enfants. Adolescents dans les années 70, en plein mouvement hippie, ils fumaient de l'herbe dès que leurs copains venaient jouer de la guitare dans le salon.

Odette, la mère de Simone, et Jeannine, la mère de Raoul, étaient aussi très amies. Elles avaient d'abord immédiatement mis leur véto à de telles pratiques, mais, seules à la maison avec
leur ado, l'autorité paternelle ne rentrant que tard le soir, elles avaient fini par baisser la garde :

- Salut Odette... Alors toi aussi t'es obligée de mettre un masque pour ne plus respirer leur truc là ?

- Ah non, pas du tout, c'est Simone qui a mis de l'herbe dans le filtre du masque et elle m'a dit de faire le ménage avec. Elle m'a dit que ça me détendrait. Et ben tu me croiras si tu veux mais je me sens légère comme jamais ! J'ai même composé une symphonie alors que j'ai jamais fait de solfège !

- Mais c'est quand même interdit ! Et puis c'est dangereux !

- Parce que respirer tes produits ménagers toute la journée là, sans savoir avec quoi ils sont faits, tu crois pas que c'est dangereux ? Je suis sûre que dans trente ans on nous dira que tous les immeubles étaient bourrés de matière toxique. Tiens, regarde l'amiante, la matière qu'ils ont posée dans les combles hier, qui te dit que c'est bon ce truc-là finalement ?

- Ah non non non... pas de ça chez moi...

- Ah bon ? Mais alors le nuage dans ton salon-là... Tu t'es acheté un cumul-nimbus pour l'étudier chez toi ?

- Non mais moi je n'en prendrai jamais de ce truc-là !

- Jeannine... La dernière fois que tu as crié de plaisir c'est quand tu as trouvé le même napperon que celui que ton chat avait déchiqueté... Tu ne bois pas, tu ne fumes pas, tu respectes toutes les règles, tous les codes...

- Et alors ? C'est valeureux non ? Et puis c'est sain, c'est de l'éducation, du respect, si tout le monde respectait tout comme je le fais on n'en serait pas là à écouter du Johnny Hallyday ou à regarder des films avec la Bardot là ! Tu les aimes mes fesses... Mais on s'en fout de ses fesses oui ! Est-ce que je montre mes fesses à la télé moi ?

- Je ne sais pas si ça ferait de l'audience...

- Le noir et blanc enjolive !

- Mais l'ivresse Jeannine, l'ivresse... Le lâcher prise... c'est bon parfois, tu ne crois pas ? Et Raoul, comment vous l'avez fait Raoul avec ton mari... Tu es tombée sur lui par hasard en allant faire pipi une nuit ?

- Pas du tout ! C'est un miracle... Je n'ai rien compris. Je me souviens que je rêvais, tu sais ces rêves où tout recommence sans arrêt, comme quand on te poursuit et que tu n'arrives jamais à échapper à tes poursuivants, et bien moi je rêvais que j'aidais Raoul à ranger sa canne à pêche dans son étui, et à chaque fois, il ratait. Et je n'arrivais pas à l'aider. Quand il a réussi, c'était fou, j'étais ivre de bonheur, comme pénétrée d'une joie intense, et il lui il était...

- Raide dingue d'avoir enfin pu ranger son matériel ?

- Oui, c'est ça... C'était vraiment incroyable. J'ai compris ce que nous avions fait en tombant enceinte quelques semaines plus tard. J'ai eu honte d'avoir fait une chose pareille... mais j'étais tellement heureuse d'avoir Raoul...

- Tu veux dire que depuis tu n'as... enfin... ton mari n'a plus jamais pêché avec toi ?

- Ah non ! Il va pêcher avec ses copains, je ne suis pas une fille de joie non plus !

- Jeannine... Tu as déjà vu tes parents s'embrasser ?

- Haaaann ! Malheur... Mais tu es folle ?

- Tu les as déjà entendus faire l'amour ?

- Odette arrête, tu es immonde !

- L'amour est immonde Jeannine ? C'est ça que t'ont appris tes parents ?

- Je ne veux pas en parler...

- Jeannine... Il est des drogues plus dures, plus dangereuses que toutes celles qui se fument réunies, et l'éducation en est une si elle n'est pas intelligemment appliquée. Si on t'apprend pendant des années à détester quelque chose de doux, à trouver mal quelque chose de bon, à mettre des verrous à toutes tes fenêtres, tu deviendras dépendante de tous ces interdits. Tu en seras même le fruit. Tu ne crois pas que le fruit des interdits doit manquer de goût ? De saveurs ? De jus ? Tiens, mets ce masque...

- Ah non.

- Mets ce masque Jeannine...

Deux heures plus tard, les deux mères entrent dans le salon enfumé, très élégantes, très sensuelles aussi. Jeannine s'adresse à son fils :

- Chéri, on va danser avec Odette. Tu ne vas pas dans la cuisine parce qu'elle sèche, je l'ai repeinte en rouge, je ne supportais plus ce papier peint à fleurs là... J'ai jeté toutes tes chaussettes qui traînaient depuis plus d'une semaine, je t'ai emprunté ton livre sur Bardot, et tu diras à ton père que je vais rentrer tard mais qu'il garde sa canne à pêche à portée de main parce que je sens qu'il va y avoir du goujon au petit matin, il comprendra. Et on t'emprunte ta moto aussi. Bonne soirée les amoureux, bonne soirée Simone.

- Bonne soirée Jeannine...


Odette prend les clés de la moto de Raoul, quelques feuilles, un peu d'herbe, une bouteille de vodka, met tout dans son sac à main et dans celui de Jeannine, embrasse sa fille sur le front, installe Jeannine sur la selle de la moto, et s'installe devant elle, au guidon. Elles partent en roue arrière en riant aux éclats.

Simone regarde Raoul, en train de rouler son pétard :

- Raoul... Je me demande si c'est bien de fumer finalement... Tu nous vois partir en roue arrière à cinquante piges ?

- Ce serait pas mal oui... non ?

- Attends... ta mère est en jupe là ! C'est la première fois que je vois ses genoux depuis dix ans ! Je n'étais même pas sûre qu'elle en avait !

- Oui, tu as raison, il y a d'autres moyens de se sentir bien... Qu'est-ce qu'on fait ?

- Je ne sais pas... On va pêcher ?





Franck Pelé - Septembre 2012

Ce qui fait tourner le monde



- C'est vraiment petit... Avec tout ce qu'on disait sur le sujet, je pensais que c'était un peu plus gros que ça...

- Oui mais regarde, si tu mets tes doigts comme ça, et que tu fais ce mouvement, tu peux changer la taille.

- Et tu peux toucher beaucoup de femmes avec ça ?


- Toutes celles que je connais. Elles sont toutes dessus.

- Et elles aiment vraiment ça ?

- Toutes celles qui y ont goûté ne peuvent plus s'en passer, les autres y viendront un jour ou l'autre. Sauf les coincées ou les vieilles filles, mais ça, c'est une question de caractère. Ou d'habitude.

- Je peux essayer ?

- Bien sûr, mais fais attention à toi en t'approchant, avec la pipe tu pourrais prendre feu.

- C'est vraiment tout fin... Et donc là, si je mets mes doigts comme ça... ah ouiiiii je peux l'agrandir ! C'est dingue ! On dirait qu'il manque un peu d'énergie non ?

- Il est bientôt vide, c'est normal... Enfonce-le dans une source électrique et il va se recharger très vite. Il a une autonomie assez impressionnante, il faut l'astiquer régulièrement pour qu'il reste performant et s'il vibre c'est qu'il t'appelle.

- Ça a un nom ce truc ?

- Un iPhone.






Franck Pelé - Septembre 2012

Frissons dans l'obscurité



Raoul et Simone avaient besoin de mettre du piment dans leur couple. Raoul avait proposé à Simone de la rejoindre au cinéma, dans le cadre idéal d'une salle obscure, pour se redécouvrir, comme s'ils étaient étrangers à toute expérience qui les liait.

Il lui avait dit : "Tu viendras prendre place au huitième rang, au septième siège en partant du couloir, je viendrai m'asseoir à ta droite, tu port

eras une jupe et un chemisier sans rien en-dessous, et je m'occuperai de tes frissons pendant deux heures."

En sortant de la salle, ils se retrouvent au bar, Raoul est ravi de sa petite mise en scène mais Simone semble déçue :

- Je ne comprends pas Simone... Tout s'est passé à merveille et tu fais encore la tête... Je ne comprends pas ce qu'il te faut pour que tu sois contente. Pourtant, pendant le film, tu semblais plutôt ravie de ce que je te faisais non ? C'est quoi le problème ? Encore une histoire de pudeur ?

- Ravie de ce que tu me faisais ? J'étais comme une cocotte minute et la seule chose que j'ai sentie c'est ton manteau sous mes fesses quand je suis arrivée. Tu m'as dit pardon, tu as mis ton manteau sur tes genoux et plus rien. Tu parles d'un piment !

- Hein ? Mais mon manteau je l'ai mis à ma droite, pas à ma gauche ! Je t'ai dit "je viendrai m'asseoir à ta droite, donc tu étais à ma gauche !"

- Oui et bien j'étais en retard alors j'ai demandé à ma mère de garder ma place mais comme le film était commencé et que je ne voulais pas que tu m'engueules parce que j'avais dit à ma mère de venir, je lui ai dit de ne rien dire, que tu ne la reconnaîtrais pas dans le noir, et comme elle est miro, elle n'aurait rien vu de notre petit jeu.

- C'est ta mère qui était à ma gauche ???

- Et alors ? Arrête avec ma mère ! Elle n'a rien dit, elle était dans son coin, tranquille ! Elle t'a pas empêché de voir le film non ? Alors lâche-la un peu !

- C'est ta mère qui a eu l'idée de te garder ta place ?

- Oui.

- Et quand je t'ai proposé le scénario de notre petit jeu, hier soir, à table, tu es sûre qu'elle était couchée ?

- Oui, je crois, pourquoi ?

- Parce que ça m'étonne que ta mère vienne au cinéma en jupe et en chemisier sans rien en dessous !

Simone, horrifiée :

- Quoi ??? Oh p..... c'est pas vrai... Raoul... C'est pas vrai ? Qu'est-ce que t'as fait avec ma mère... qu'est-ce que t'as fait avec ma mère???

- Mais comment je pouvais savoir que c'était ta mère !!!

- Mais je sais pas moi, la texture, l'excitation, les réactions ! Le parfum !

- Et bien figure-toi qu'elle est très étonnante ta mère, elle réagit au quart de tour, comme sa fille !!! Et vérifie qu'il ne te manque pas un peu de parfum dans ton flacon parce que sa peau sentait comme la tienne !

- Mais ne me parle pas de la peau de ma mère !!!

- Et toi, quand j'ai mis mon manteau, tu n'as pas trouvé bizarre que je dise "excusez-moi" ?

- Tu m'as dit qu'on était comme des étrangers, je croyais que tu me vouvoyais pour le jeu !! T'es allé jusqu'au Raoul ???

- On est restés deux heures dans le noir, je suis allé jusqu'au bout du jeu... Comment tu voulais que je sache ?? Mets-toi à ma place !

- Si je pouvais revenir en arrière et me mettre à ta place, on aurait encore une famille unie et normale ! Mais c'est horrible !!! Non mais tu te rends compte Raoul ??? Tu as mis du piment dans la vie de ma mère au lieu d'en mettre dans notre couple !!!

- Mais c'est elle qui a tout prévu ! Elle a entendu notre petit jeu, elle s'est habillée comme tu devais t'habiller, elle a mis ton parfum et elle a proposé de te garder ta place parce que tu étais en retard !

- Mais elle ne ferait jamais une chose pareille !

- Ah oui ? Et pourquoi tu étais en retard tiens ? Raconte...

- ......... ma mère avait oublié son sac et m'a demandé d'aller lui chercher...

- Voilà !

- Mais de quoi suis-je le fruit ??? De quoi suis-je le fruit ???

A ce moment-là, Simone se réveille, secouée dans tous les sens par Raoul, et la mère de Simone fait irruption dans la chambre, affolée par les cris de sa fille. Simone se redresse dans le lit, regarde Raoul, puis sa mère, et hurle à sa mère :

- Qu'est-ce que tu fais dans notre chambre toi ? Tu es en manque de piment ? Tu viens pour la séance de minuit ?

Raoul :

- Mais qu'est-ce que tu racontes chérie...

- Toi tu ne me touches pas ! T'es même pas capable de faire la différence entre une pêche et une vieille pomme ! Mais tu t'en fous hein, tant qu'il y a des fruits, tu cueilles toi !

La mère :

- Simone, je crois que tu viens de faire un cauchemar...

- Maman, tu vas souvent au cinéma sans rien en dessous ? Faut que tu fasses attention, on s'enrhume vite à ton âge... Tu as aimé le film ? C'était bien hein ? Les personnages étaient vraiment bien fouillés ! Les natures formidablement mises à nu ! On sent que la réalisateur voulait qu'on aille au fond des choses avec lui !

Raoul secoue Simone :

- Simone, mais comment tu parles à ta mère ?? Tu es devenue folle ???

- Ah ça y est, tu as toujours détesté ma mère, tu as toujours été à deux doigts de l'insulter mais maintenant qu'elle les connaît, c'est le grand amour !

- Simone !!!!!!! Arrête !!!

Simone halète, regarde Raoul, puis sa mère, et demande :

- On est quel jour ?

- Vendredi

- C'est aujourd'hui qu'on devait aller au cinéma n'est-ce pas ?

- Oui...

- Oh merci mon Dieu.... Merci !

- Je ne savais pas que ça te faisait autant plaisir...

La mère :

- Vous allez au cinéma ? Je peux venir avec vous ?

- Naaaan !!!!!!!








Franck Pelé - Septembre 2012

Toujours prendre le temps d'ouvrir l'enveloppe



- Monsieur, acceptez-vous de prendre pour épouse.....

- Ouiiiiiii !!!

- Mais attendez, je n'ai pas fini !


- Je m'en fous ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui à tout !

- Et votre discours sur l'enveloppe et la beauté de la lettre à l'intérieur, vous êtes sûr de bien la connaître cette lettre ? Vous me semblez guidé par le seul critère physique là...

- Mais pas du tout ! Allez, on y va là ! Je peux lui mettre le doigt ?

- Pardon ???

- Je peux lui proposer mon doigt pour l'alliance ?

- Mais attendez enfin ! Elle n'a pas encore répondu !

- Mais elle va dire oui, forcément ! Sinon on ne serait pas là ! Tu connais beaucoup de femmes qui se préparent pour le jour de leur vie et le transforment en cauchemar au dernier moment ?

- Peut-être qu'elles l'évitent le cauchemar, en changeant d'avis pendant qu'il est encore temps...

- Dis donc le Père Saint-Emilion, faut que t'arrêtes le sang du Christ parce que t'as les plaquettes qui s'affolent là ! T'es venu pour nous contrarier ou pour nous marier ?

- Bon. Mademoiselle, acceptez-vous de prendre pour époux Monsieur ici présent.

Elle se tourne vers lui :

- C'est vrai que tu ne sembles motivé que par ce que je représente... mais ma beauté intérieure, en es-tu convaincu ?

- Mais je la referai ta déco intérieure si elle est pas au niveau. Tiens, dès qu'on sort, on va goûter le miel de la lune là et j'irai voir.

- Non.

- Bon, bah demain alors si tu préfères.

- Non. Je n'accepte pas d'épouser Monsieur.

- Hein ??? Mais t'as le papier peint qui se décolle ou quoi ? Attendez Monsieur, c'est l'émotion... Hey ! Chérie ! Tu as déjà tout oublié ? Toutes nos lettres pendant tout ce temps ! Nos promesses ! Toutes ces évidences !

- Non, je n'ai rien oublié, mais tu n'as vraiment pas l'enveloppe de ce que tu m'as écrit... Et je crois que je viens de sauver mon couple.

- En me disant non ?

- Oui. Je sauve le prochain. Celui qui sera le bon.

- Putain mais quelle conne ! T'as de la chance qu'il y ait du monde, y'a vraiment des baffes qui se perdent ! Et moi qui ai passé des heures à recopier les lettres que mon pote écrivait pour que je puisse te séduire !

A ce moment-là, un bon gros nounours, avec des bras comme des cuisses, meilleur ami de la mariée, tape avec son index sur l'épaule du goujat :

- Qu'est-ce que tu veux Groquik ?

- Monsieur, acceptez-vous de prendre pour épouse cette grosse mandale ici présente ?

- Heu... non...


La belle se mariera l'année d'après, avec un homme aussi élégant que ses mots, un prénommé Raoul. Le salaud ne se mariera jamais, enfin jamais avec une femme. Il n'en méritera aucune. Mais il épousera quelques baffes. Dont certaines en même temps. On peut dire qu'il était polybaffe oui.


Règle n°26 :

Toujours prendre le temps d'être sûr de ses choix.

Prendre le temps de lire, d'écouter, de regarder, de sentir, de ressentir, prendre le temps de l'absence, du manque, du retour, de la folie douce, des certitudes profondes, des torrents de vie qui secouent le ventre, de la douceur de les calmer ensemble.

Toujours prendre le temps d'ouvrir l'enveloppe. Et à la lumière de la magie qui en sort, relire la lettre.




Franck Pelé - Septembre 2012

mardi 11 septembre 2012

Plongée en eaux troubles



- Je peux vous aider ?

- Je veux bien merci, je n'arrive jamais à fermer cette combinaison...

- Vous ne mettez rien en-dessous ?


- Pourquoi vous mettez un slip sous votre maillot de bain vous ? C'est une combinaison de plongée !

- Je me disais aussi...

- Quoi ?

- Votre décolleté était déjà très plongeant, ça m'a mis sur la voie... Vous devez être très bonne en apnée dites-moi.

- Pourquoi dites-vous ça ?

- Non pour rien.

- Ceci dit vous avez raison, je dois être assez bonne parce que mon professeur me le dit très souvent.

- Bah tiens...

- Vous voulez bien remonter la fermeture s'il vous plaît ?

- On devrait faire une loi sur les fermetures, interdiction de les fermer, une fermeture, ça se baisse sinon ça emprisonne, ça cloisonne, ça claque la porte au nez du plaisir !

- Si on ne pouvait plus fermer les fermetures ça s'appellerait des ouvertures.

- Pas faux...

- Allez-y, pendant que je rapproche les deux parties vous remontez la fermeture.

- Stooooop !!! Comment vous voulez que je tire le rideau sur un spectacle pareil ?

- Que se passe-t-il ?

- Une bombe à air comprimé... Vous êtes une bombe à air comprimé Mademoiselle ! Pardon, mais je ne peux pas ne pas vous le dire ! Si vous ouvriez votre combinaison à quarante mètres de profondeur, vous savez ce qui se passerait ?

- Non...

- Les requins seraient marteau, les baleines bleues, les poissons rouges, votre charme abyssal ferait pleurer les sirènes, vous exploseriez chaque palier de décompression, parce que vous n'êtes pas le genre de femme à rester sur le palier, et la pression libérée vous propulserait directement dans la stratosphère !

Un peu plus loin, une voix résonne :

- Raoul ! Raaaaaaoul !!!

- Ah je crois qu'on vous appelle...

- Où ça ?

- Là-bas, sur le ponton, derrière vous, une jolie femme brune.

- Oh la la... Il faut absolument refermer cette fermeture, vite, vite !!!

- Je n'y arrive pas ! Il y a un coup à prendre avec cette fermeture, on va faire le contraire, vous rapprochez les deux parties et je ferme la combinaison.

- Mais vous êtes inconsciente ou quoi ? Vous ne connaissez pas ma femme ! Je suis censé être au marché là, en train de choisir des melons pour midi, vous imaginez ce que je vais prendre si elle me voit avec les vôtres dans les mains ?

- C'est élégant...

- Remontez, remontez cette putain de fermeture !

Simone arrive, essoufflée :

- Raoul, ça fait une heure que je te cherche j'ai fait deux fois le tour du marché ! Qu'est-ce que tu...

Devant le spectacle proposé par la jeune femme, elle change de regard, de ton, elle fulmine, mais garde son calme :

- Ah d'accord...

- Quoi ? Mais c'est rien, ça va... Mademoiselle n'arrivait pas à fermer sa combinaison, moi je passais par là et elle m'a demandé de l'aider, ce n'est pas non plus LA faute grave de l'année...

La fille :

- Ah non pardon mais c'est vous qui avez demandé si vous pouviez m'aider.

Raoul :

- Elle est gonflée celle-là ! Ah bah si j'avais su, je vous aurais laissée avec vos problèmes !

Simone :

- Ce ne sont pas SES problèmes ce sont les tiens mon chéri. Elle, ce sont SES seins, et toi, ce sont TES problèmes.Tu as raison, elle vraiment gonflée, et c'est probablement ce qui t'a poussé à l'aider dans ce superbe élan de générosité... n'est-ce pas mon grand serviable ?

- Mais chérie...

- Dès qu'il y a une ouverture, tu fonces toi, un vrai radar mobile le Raoul ! Tu le mets au bord d'une plage, y'a pas une paire qui ne se fait pas flasher par le spécialiste !

- Mais ce n'est pas une histoire d'ouverture c'est une histoire de fermeture ! Je venais justement pour fermer la combinaison de Mademoiselle qui semblait vraiment avoir du mal !

- Ah bon ? Pourquoi ? Tu ne trouves pas ça beau ? Une fermeture ça ne devrait jamais se fermer...

La fille :

- C'est exactement ce que disait votre mari tout à l'heure !

Simone :

- Je vais vous aider Mademoiselle...

- Vous n'allez pas me faire mal ?

- Non... Je vais faire mal à mon mari, uniquement.

Simone s'approche alors doucement de la jeune femme, passe sa main droite sous sa combinaison, prend son sein gauche à pleine main et tout en le caressant, propose sa bouche, magnifiquement douce. La jeune femme ne peut résister, elle embrasse Simone follement, langoureusement, profondément, l'atmosphère est brûlante, Raoul déglutit avec peine, les deux femmes s'embrassent de longues minutes avec fougue et passion, puis Simone recule, rapproche les deux parties de la combinaison en comprimant les seins de la jeune femme avec ses deux mains, et avec les dents, elle remonte la fermeture jusqu'en haut, son regard de feu terminant sa course dans celui de la plongeuse, totalement subjuguée.

- Merci Madame...

- Je vous en prie Mademoiselle, tout le plaisir était pour moi.

Puis elle revient vers Raoul, encore figé :

- C'est exactement comme ça que tu rêvais de l'aider non ?

- Mais enfin Simone, ça ne se fait pas de faire une chose pareille... Et devant moi en plus...

- C'est mieux que dans ton dos non ? Tu vois Raoul, ta faiblesse m'a offert une délicieuse ouverture, tu t'es puni tout seul et tu m'as autorisé un interdit, tu as bien fait d'avoir voulu aider cette femme, ta générosité me touche mon amour... Tu fantasmais de toucher une de ces somptueuses rondeurs, même dans tes rêves les plus fous tu n'aurais pas pu imaginer embrasser cette sirène et moi, j'ai fait les deux, avec un plaisir dingue, sans que tu puisses me le reprocher. Merci chéri...

- Tu sais très bien que j'adore tes seins et que ça ne change rien à mon amour pour toi.

- Ah mais moi non plus ça ne change rien ! Je t'aime toujours autant que je ne te fais pas confiance ! Je sais bien que tu ne peux pas t'empêcher de plonger dans les courbes ! Mais tu aurais dû aller au bout de tes envies, j'aurais eu la même image de toi finalement... Sauf que j'aurais eu, en plus, l'image de quelqu'un qui sait prendre une décision, et qui l'assume. Mais ça, c'est un truc de femme, vous ne pouvez pas comprendre vous...

- Ah non, pas de généralités hein ! Ne me fais pas le coup de "vous les hommes" !

- N'empêche que lorsqu'on va au bout des choses, on prend beaucoup de plaisir, et je peux te dire qu'au bout de cette jeune femme, c'était tendu, très excitant, tu as raté...

- Bon, ça va Simone, j'ai compris ! La prochaine fois je resterai sur le quai !

- Mais non pourquoi ? La prochaine fois, assume, aide-la, plonge avec elle, fais juste attention à la profondeur, si tu vas trop loin, tu pourrais ne plus remonter...

- Arrête Simone, tu n'es pas crédible dans ton costume de grande prêtresse de la liberté amoureuse, je sais très bien que tu es jalouse à mort et que c'est ça qui t'a fait faire cette folie.

- La folie la plus douce de ces dernières années... Jalouse ? Je crois surtout que c'est toi qui es jaloux mon amour là... Tu aurais vu ta tête... On va choisir les melons ? Je me sens forte là... Je vais forcément tomber sur du sucré...




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés SACD

La fin des temps. Et le début d'un autre.


J'avais remarqué, depuis plusieurs semaines déjà, peut-être même des mois, que l'herbe ne repoussait plus. Plus personne ne tondait son jardin. Tout paraissait figé, triste, éteint. Les gens ne s'aimaient plus. Probablement parce qu'ils ne sortaient plus. Ils s'ignoraient, ils préféraient ignorer que l'amour n'était plus possible dans ces regards pleins du silence de leur cœur. Les ruches ne bourdonnaient plus depuis longtemps, on ne mangeait plus de fruits, seules les soupes en sachet étaient là pour nous rappeler le goût des légumes, les branches des arbres étaient nues, les couchers de soleil n'étaient plus colorés parce qu'on ne le voyait plus vraiment, on le devinait, comme une lumière au bout d'un tunnel. Quand il se levait le matin, c'était comme si un néon s'allumait au-dessus d'un couvercle de fumée. Les ventres des femmes ne s'arrondissaient plus puisque les hommes ne creusaient plus leurs désirs. Parfois, au détour d'une rue, on entendant un rire, probablement quelqu'un qui lisait les lignes d'un auteur qui avait vécu au temps de tous les possibles, de l'insouciance heureuse. Les rues étaient désertes, décorées de voitures rouillées par la rareté de l'essence. On entendait jamais de musique, nulle part, on entendait plus les poules de la ferme d'en face depuis qu'on ne mangeait plus d’œufs, et ça faisait un bail. Tous les rideaux des magasins étaient baissés, les gens n'avaient plus d'argent. Seul le grand hypermarché était ouvert, jour et nuit, il fallait faire la queue deux heures avant de pouvoir entrer douze minutes chrono et prier pour trouver quelques trésors qui nous feraient tenir une semaine sans s'inquiéter. Du beurre, de l'huile, des pâtes, de l'eau, du pain. Les jours ne duraient plus vingt-quatre heures mais quatorze. Parce que la Terre tournait de plus en plus doucement, comme si elle allait bientôt s'arrêter.

Et puis je l'ai vue. Comme une naissance divine. Un antidote à l'apocalypse. Ses incomparables yeux verts m'avaient fixé alors qu'elle sortait du grand magasin et que j'attendais pour y entrer. Plus personne ne regardait personne dans les yeux depuis que les gens les avaient baissés en même temps que le rideau sur l'espoir. Elle, les avait levés. Sur moi. Pourquoi ? Et pourquoi avais-je levé les miens à l'instant où elle me croisait ? J'ai quitté la file d'attente, elle a fait tomber son petit sac en papier avec ses quelques courses, j'ai pris sa main, j'aurais juré que la lumière se faisait plus forte. J'ai passé mes doigts entre les siens, nos mains se serraient, comme pour hurler la fin de leur calvaire d'avoir vécu les unes sans les autres, et on a couru. Plus on courait, plus les couleurs revenaient, partout, et plus les couleurs revenaient, plus on riait. Il était quatorze heures, la nuit allait tomber, mais elle ne venait pas. Plus on courait, plus le jour durait, comme si nous redonnions de la vitesse à la rotation terrestre, l'envie de tourner encore.

Près de ce vieux moulin, sous un arbre atone, je m'allongeai près d'elle. Je lui demandai son prénom. Simone me répondit-elle avant d'avancer ses lèvres vers les miennes. La sensation ressentie pendant ses lèvres était comme le cadeau d'une vie, la folie d'une ivresse, la découverte de tous les trésors de toutes les histoires du monde en même temps, la réponse à toutes les questions d'une âme. Pendant que la douceur de sa langue me faisait revivre, sur une branche, au-dessus de nous, un bourgeon commençait à éclore.




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés SACD

Une bête dans la salle de bains


Quand Simone arrive à la porte de la salle de bains, il est impossible d'entrer. La porte est verrouillée de l'intérieur. Elle aperçoit alors de la fumée qui s'échappe sous la porte :

- Raoul ? Raoul tu es là ?

- Simone, appelle la police ! Ou plutôt non les pompiers ! Merde, je sais pas, appelle quelqu'un, vite !

- Pourquoi ? Que se passe-t-il ?

- Y'a une bête énorme dans la salle de bains !

Simone se met à rire.

- Oh mon pauvre amour, il veut appeler la police pour écraser une petite bête qui lui fait peur... Allez ouvre, je vais m'en occuper.

- Mais non, elle est énorme !!! Avec une tête de pas contente et des palmes de dingue !

- Faut que tu arrêtes de fumer mon chéri... Ouvre...

- Mais ce n'est pas moi qui fume, c'est ma fusée de détresse ! Je vais lui enfoncer dans la glotte à cette saloperie de racaille ! Je vais le fumer le golgoth des profondeurs !

- Mais tu es protégé là ? Tu es habillé ?

- Je suis en combinaison de plongée ! Pour lui montrer que moi aussi je connais son milieu !

- Fais attention à ne pas te faire piquer, c'est peut-être une raie !

- Appelle la police !

- Tu ne peux pas sortir ? Ou lui planter ta fusée dans le dos ?

- Non ! Elle est en plein milieu, et elle bave ! C'est immonde ! On dirait qu'elle a envie de me bouffer !

- Bon, ne bouge pas, je reviens ! Je vais appeler du secours !

....

Oui allô ? Oui bonjour Monsieur... Pourriez-vous envoyer des renforts le plus vite possible au 33 rue la faisanderie, mon mari est enfermé dans la salle de bains avec une énorme chose qui veut le dévorer !

- Madame, nous n'intervenons pas pour les problèmes de couple.

- Mais ça n'a rien à voir avec mon couple ! Je vous dis qu'il est enfermé avec une bestiole palmée qui a une tête de défaite à la Rochelle et la bave d'une tweeteuse jalouse ! Je lui ai conseillé de la prendre par derrière mais c'est impossible, il m'a dit qu'il ne pouvait pas bouger parce qu'il avait la raie au milieu ! Il faut envoyer des renforts là ! Parce que s'il plante sa fusée dans la raie, vu le morceau, enfin d'après ce que me dit mon mari, je ne suis pas sûre que ça la calme !

- Il faut qu'il essaie de la forcer à se mettre sur un côté et qu'il fonce vers la sortie. C'est une technique bourgeoise, parfait pour votre quartier.

- Une technique bourgeoise ? Je ne comprends pas...

- Retournez voir votre mari et criez-lui : "En fait, la raie au milieu ça va pas, il faut que tu mettes la raie sur le côté pour pouvoir t'en sortir !"

Et le policier de rire gras avec ses collègues en écho.

Ce qui mit Simone dans une colère irréelle. Elle insulta tellement son interlocuteur et la police dans son ensemble que trois voitures et un fourgon débarquèrent au 33 rue de la faisanderie, Simone passa la nuit en garde à vue, et Raoul resta trois heures à expliquer comment il avait finalement planté sa fusée dans la raie.

Quant à Charles, le mari de Paulette, la sœur de Simone, il était en soins intensifs à l'hôpital Lariboisière, il n'allait plus pouvoir s'asseoir pendant quatre mois, et allait payer très cher son idée de faire une blague à son beau-frère avec ce costume de monstre des mers. Un costume tellement moulant qu'il vous empêche de parler distinctement, tellement moulant que vous ne pouvez l'enlever seul.




Franck Pelé - Septembre 2012 - textes déposés

Plus beau vu d'en haut



Raoul vient d'inviter Simone au restaurant. Après quinze refus, elle a enfin accepté. Au pied des buildings, dans une avenue bordée d'arbres majestueux, juste derrière l'immense baie vitrée du "Tiffany's", il lance la conversation :

- Vous êtes absolument divine.

- Merci. Je n'aime pas trop la couleur de votre costume mais vous le portez assez bien. Par contre, votre nœud de cravate, ce n'est pa
s possible... Vous l'avez serré à plusieurs comme on serre un lacet ?

- Simone, je dois vous dire quelque chose.

- Moi d'abord. Permettez ? Écoutez Raoul, je sais pourquoi vous voulez m'inviter depuis des mois mais vous n'êtes pas mon type d'homme, vous écoutez de la musique que je n'aime pas, vous lisez les journaux et moi des livres, vous avez des habitudes à mille lieues des miennes, je n'aime pas votre nez, vos chaussures, votre humour est parfois gras, vous regardez le foot à la télé, bref, pardonnez-moi si vous me trouvez désagréable mais je préférais vous prévenir avant que vous ne me demandiez quoi que ce soit.

- Vous ne voulez pas qu'on passe une bonne soirée ? Qu'on essaie la complicité sans faux-semblants ? Prenons le risque d'un bon moment. S'il vous plaît. Vous ne me connaissez pas, dans votre esprit je ne suis fait que de généralités et de caricatures qui arrangent vos a priori, et je ne vous connais pas vraiment non plus. Ce restaurant est le meilleur de la ville, et j'aimerais que vous en gardiez un très bon souvenir.

- Je ne suis pas matérialiste, ce qui m'intéresse ce sont les choses simples, les valeurs, et le bon goût.

- Simone... S'il vous plaît...

- Oui... Bon, allez-y... Je vous écoute. Qui êtes-vous Raoul...

- Je suis un businessman, j'ai du succès dans mes affaires, pas vraiment dans mes amours, j'ai mon bureau en haut d'une tour d'où je vois la ville à l'envers. Et au-dessus de mon bureau, j'ai mon appartement.

- Vous vivez en haut d'une tour ?

- Oui.

- Je ne pourrais jamais vivre en haut d'une tour...

- Encore un a priori...

- Mais non ! J'aime l'air, la campagne, l'herbe, voir le soleil se coucher, sentir l'air pur, entendre les oiseaux, aller chez mon petit boucher, mon petit boulanger, je n'ai rien à faire en haut de votre prétention !

- Rien à voir avec de la prétention, c'était une opportunité exceptionnelle, et juste au-dessus de mon bureau, vous imaginez le temps que je gagne ? Je mets trente secondes pour aller bosser ! Jamais de bouchons ! Une terrasse gigantesque qui domine toute la ville, une piscine intérieure sauna-jacuzzi, un petit hammam, un salon avec cheminée, de l'ancien, du neuf, du contemporain, un ascenseur privé, je peux diffuser la musique dans toutes les pièces de l'appartement y compris les toilettes, j'ai une petite salle de sport, et un grand vidéo-projecteur numérique qui me permet de voir les films dans un vrai confort de cinéma. J'ai aussi un cuisinier nutritionniste qui travaille toute la semaine à la maison, et une femme de ménage.

- Et ?

- Je voudrais vous proposer de boire un dernier verre, après notre dîner, en regardant cette ville d'en haut.

- Pour pouvoir me regarder de haut ?

- Vous vous trompez Simone. Je vous regarde le plus simplement du monde, comme une femme que j'aime profondément depuis la première seconde où je l'ai vue. Et si je dois construire une cabane au Canada pour vous plaire, je suis prêt à partir demain.

Après le dîner, Raoul propose son bras à Simone, qui le prend. Ils montent dans l'ascenseur privé, et arrivent directement dans le salon. Quand Raoul guide son élégant rêve jusqu'à la terrasse, Simone ouvre des yeux d'enfant. Le spectacle est absolument magique. Elle visite l'appartement, critique deux trois choses, par pièce, puis revient s'installer sur la terrasse. Au bout de la troisième coupe de champagne, elle demande à aller dans le hammam. Dans la moiteur de l'endroit, elle se laisse aller jusqu'à la bouche de Raoul.

- Vous étiez très beau dans votre costume tout à l'heure. Je me suis trompée sur vous. Ce dîner était somptueux, vous avez été fin, raffiné, élégant. Et mon Dieu que vous embrassez bien...

- Vous m'auriez dit la même chose si nous avions été dans une cabane au Canada ?

- Oui. Mais j'aurais peut-être mis un peu plus de temps. J'ai changé d'avis sur une chose, je pense que la vie en haut d'une tour peut être très agréable.

- Je croyais que vous n'étiez pas matérialiste ?

- Non. Mais je ne suis pas conne non plus !

- J'ai quand même l'impression que cet endroit me rend soudain plus séduisant...

- Je ne vais pas vous mentir, l'endroit a joué, mais vous êtes très séduisant Raoul. Il faut parfois un écrin particulièrement exceptionnel pour révéler la vraie valeur d'un diamant. Je ne vous voyais pas, et maintenant, je vous vois, grâce à un filtre tout à fait matériel, comme quoi, les certitudes et les a priori...

- Embrassez-moi encore...

- Faites-moi voir à quel point la vie en haut d'une tour peut être agréable...

- Rrrrrooooooo Simone....




Franck Pelé - Septembre 2012 - Textes déposés à la SACD