dimanche 27 octobre 2013

Pump up the volume



- Avoir une voiture qui monte à 250 km/h et rouler à 110, ne jamais dépasser la 7ème graduation d'un potentiomètre réglant le volume sonore qui en comporte 50, vivre dans trois pièces d'une maison de douze pièces, mettre toujours les mêmes fringues et laver celles qui ont l'odeur du placard pour le cas improbable où on les mettrait plus tard, acheter vingt livres par an et en lire deux, avoir accès à cent radios et écouter toujours la même, avoir la possibilité de découvrir des perles du cinéma et continuer de céder à la facilité de la rediffusion ou du film facile, avoir plein d'amis et inviter toujours les mêmes, pouvoir aimer comme dans "La nuit des temps" et se contenter d'aimer pour que ça fasse joli dans le tableau... C'est triste non ?

- Pourquoi tu dis ça ? Tu ne vas pas me dire qu'il n'y a aucun sous-entendu là...

- Aime-moi, fort, mets le pied au plancher, mets du son, pleine puissance, monte sur la table, change d'angle, Ô Capitaine mon Capitaine, lâche les chevaux, donne-moi tout ! Pourquoi garder le reste ? Pour qui ? Pour quand ?

- On peut perdre des points à dépasser la limite Simone... En tout cas se mettre en danger.

- Tu as encore des dents ou tu n'es plus bon qu'à goûter le jus de pomme à la paille ? Mais croque-la, la pomme Raoul ! Dévore le fruit et ne laisse rien ! Tu n'auras jamais trop d'amour pour moi, ne t'inquiète pas, et si tu te fais flasher, fais un sourire, ce ne sera que moi immortalisant le jour où tu auras récupéré ton permis de séduire...




Franck Pelé - octobre 2013 - Textes déposés SACD

samedi 19 octobre 2013

Divorcée



Voilà. C'est fini. Elle a claqué cette porte une dernière fois, laissant derrière elle toutes les couleurs d'une vie de rêve, d'amour et de sourires, et toutes les larmes qui les ont délavées. Cent fois elle a pensé partir, et cent fois elle avait trouvé une raison de rester. Mais après avoir épuisé son cœur, son mari avait épuisé sa raison. Sans foi, difficile de croire à la vie éternelle. Dans le taxi qui l'emmenait tout droit vers l'incertitude, son regard s'arrête sur ce couple qui s'embrasse. Elle n'y croit pas à ce baiser. Elle sait que l'amour ne supporte pas la répétition des jours, c'est un sentiment nocturne qui a besoin de nuits, d'obscurité, de fleurir sous les paupières closes, dans les rêves profonds, dans les doux secrets et les espoirs les plus fous. Comme un papillon, il explose de couleurs somptueuses à la lumière du jour, avant de se perdre dans les herbes d'ailleurs, jamais plus vertes que celles de l'envol. Elle ne part pas parce qu'il l'a trompée. Et quand bien même, elle est une femme assez intelligente pour savoir la vraie trahison. Il avait bien cueilli une fleur ou deux comme elle s'était laissé cueillir le temps d'une parenthèse enchantée, hors du temps et des lois, mais il avait toujours eu cet amour indéfectible pour elle, rare, et cher. Unique.

Il avait toujours eu ce respect empreint d'admiration, l'élégance de ne pas tomber dans la mauvaise foi ni dans le moindre de ces pièges qui raccourcissent les histoires. Là est la vraie trahison. Ces barrières qu'on installe entre le vrai et le faux, celles qui protègent les couples de la facilité ou du jugement cynique, il les enjambait comme on fait sa gymnastique du matin. Plus rien ne brûle en lui, plus rien de chaleureux, des étincelles viennent bien crépiter parfois pour éclairer le bon vieux temps mais elles tombent immédiatement en cendres, faisant les mèches grises qu'il dénonce sans savoir souffler dessus. Elle part parce qu'elle n'en peut plus de trouver des excuses à l'absence de sa flamme. Parce qu'elle est usée d'attendre un train qui ne viendra plus. Parce qu'elle sait que si elle reste, elle sera comme une étoile qui regarde le ciel à travers une fenêtre condamnée. Il a bien essayé de lui promettre le ciel à nouveau, mais elle savait qu'il ne connaissait plus le chemin. Il était perdu. Comme elle. Il pensait que rester ensemble dans le noir serait rassurant. Mais il est des obscurités qui étouffent, qui glacent, qui figent et font vieillir. Elle va divorcer. Elle ne s'y résout pas. Elle arrive même à se trouver odieuse, coupable, dure avec celui qui l'aime tant, il lui a encore dit hier, une semaine après l'avoir prise de haut, ou pour une conne, elle ne sait plus vraiment.

Divorcée. Un adjectif qui pèse tellement lourd. Comme un échec qui clignote sur le front. On rencontre une femme célibataire, ou même mariée, elle est belle, elle est tous les sourires possibles, on rencontre une femme divorcée et c’est comme si on rencontrait une handicapée de l’amour. Elle a divorcé. Elle est divorcée. Elle ne sait donc plus aimer ? Elle ne sait pas rendre un homme heureux parce qu’une seule de ses histoires a échoué ? Pas de chance, c’était celle avec l’alliance. Tellement de femmes n’ont pas réussi dans leurs histoires d’amour en général, celles qui finissent mal. Parce qu’elles auraient trouvé un semblant d’équilibre et le statut de femme mariée qui va avec, elles seraient soudain plus honorables et mieux honorées que celles qui n’ont pas trouvé la lumière au bout du chemin choisi ? Non. Etre divorcée ne doit pas signifier porter un soleil noir sur le cœur, ce n’est pas un poids, ce n’est pas une maladie, ce n’est pas toxique. C’est juste le signe, presque indiscret, qu’un mariage a échoué. Echoué violemment sur des rochers ou en douceur après un magnifique voyage, échoué en baie des anges ou dans une mer déchaînée, échec au roi, à la reine, peu importe, plus rien ne brille, on est mat. Etre divorcée n'est pas une nature, c'est un écueil sur une route, un accident de parcours. Le voyage n'est pas fini pour autant.


Au moment où le taxi entre dans le tunnel, Simone pense que le sien va être long. Quand on referme la porte d'une vie, on ne peut se résoudre à accepter qu'il en existe peut-être une autre, on ne peut surtout pas croire qu'elle sera idéale. On n'a qu'une vie non ? Elle trouvera la réponse à cette question quelques mois plus tard. En croisant la route de cet homme fait pour elle, né pour elle. Au moment d'échanger leur premier regard, ils ont souri devant l'évidence. Emportés, bouleversés, heureux, certains. Il s'appelle Raoul. Oui, le corps n'a qu'une vie, mais le cœur en a plusieurs. Et c'est quand vous avez trouvé la dernière que vous touchez à l'éternité.




Franck Pelé - Octobre 2013 - Textes déposés à la SACD