jeudi 8 mars 2012

Avant que l'amour n'emporte tout...



- Regarde ce barrage Raoul, comme il a l'air étrange...

- Il a surtout l'air orange !

- Oui, justement, c'est quand même rare un barrage orange... non ? Et puis... on dirait qu'il est en tissu... En fait, on dirait exactement le tissu de la robe que tu m'as enlevée à Los Angeles !

- Quel bel œil mon amour... Et bien, bravo, tu as tout bon.

- C'est à dire ?

- Je suis retourné au magasin dans lequel j'avais acheté ta robe, parce qu'avant de te l'enlever, je l'avais achetée...

- ... oui, pardon... je n'avais pas oublié mais disons que pour une fois, j'ai pris autant de plaisir à mettre une robe qu'à m'en déshabiller... non... j'ai même préféré que tu me l'enlèves... j'avais l'impression de ne pas trahir la beauté du papier cadeau ! Je me sentais belle comme jamais...

- ... tu l'étais... j'ai donc commandé cinq miles de tissu et j'ai payé les ouvriers qui bossaient sur le chantier en face de notre hôtel pour qu'ils installent ce barrage pendant la nuit.

- Arrête Raoul, tu me fais marcher...

- Pas du tout ! La puissance du sentiment, pour être profondément, véritablement, absolument vécue, doit être aussi forte que tous les courants des fleuves réunis. C'est cette force qu'on a laissée là-bas, derrière nous, dans cette ville qui gardera notre empreinte pour l'éternité. Aucun matériau n'aurait pu résister à la puissance de notre couple, sauf celui qui a déjà connu ton parfum. Lui saura résister. A sa façon... Parce qu'au moment où les fragrances se feront trop pressantes, le tissu tombera, comme ta robe est tombée un peu plus tôt, et les sensuelles essences retrouveront les fleurs originelles...

- J'adore l'idée d'être une fleur originelle... Mais pourquoi s'être donné tant de mal à ériger ce barrage si notre parfum doit finir par nous retrouver ?

- Pour le plaisir Simone. Juste pour le plaisir. Celui de voir la barrière tomber, celui de se sentir sur le point d'exploser, qu'on soit solide comme une pierre ou fragile comme une étoffe. Le plaisir de s'effriter, de s'effeuiller. Comme un barrage qui cède. Quand je me retourne et que je vois cette barrière immense, elle me renvoie la puissance de ce qu'elle essaie de contenir. C'est cette image que je voulais t'offrir. C'est comme ça que je t'aime, c'est ce que tu provoques en moi. A chaque fois que je te regarde, je suis comme un barrage sur le point de céder.




Franck Pelé - mars 2012

vendredi 2 mars 2012

L'amour c'est comme une cigarette



- Raoul, vous m'avez tellement mis le feu que je jurerais m'être consumée...

- Si j'en juge par l'élégance de l'âme de votre désir à l'instant, j'ai bien peur de devoir confirmer... Regardez le souvenir de vos braises Simone, regardez votre désir s'envoler... Il va rejoindre tous les autres au septième ciel...

- L'âme de mon désir ? Mais elle est toujours là mon bon Monsieur, et plutôt deux fois qu'une ! Croyez-moi sur parole, je sens encore de la vie dans ce corps !

- Vous voulez dire que vous savez renaître de vos cendres ?

- Du tout ! La force de mon désir ne saurait m'inviter sur le chemin de la grise dentelle. Non... mes braises ne s'éteignent jamais. Elles dorment, taisent leur fièvre rougeoyante, mais un seul souffle dessus et tous les pompiers du monde s'agrippent à la rampe, prêts au combat... Vous reprendrez bien une cigarette Raoul ? Donnez-moi du feu...

- J'ai envie de vous fumer tout doucement Madame... Que chaque bouffée de vous m'emporte, que chaque volute dessine vos courbes, dans lesquelles je viendrai éteindre mes braises qui n'ont rien à envier aux vôtres... Puis je vous rallumerai encore, mon éternel plaisir, qui jamais ne s'éteint, qui toujours s'étreint...

- Me fumer tout doucement ? Ne mégotez pas Raoul, tirez-moi jusqu'au filtre...

- Pardon ?

- Je voulais dire... fumez-moi jusqu'au bout ! J'adore cette sensation de me consumer dans l'extase...

- Je suis un peu jaloux... Moi aussi j'aimerais partir dans votre fumée...

- Donnez-moi votre cigarette...

- Et bien Simone, la dernière fois que vous avez toussé doit remonter à fort longtemps ! Quelle expérience... Vous avez beaucoup fumé ?

- Vous voulez savoir si j'ai eu beaucoup d'amants ?

- Oui

- J'en ai eu un paquet mon pauvre garçon...

- Dans votre vie ou en même temps, tous les jours ?

- J'ai longtemps fumé un paquet par jour mais j'ai compris le danger de ce qui n'était qu'une mauvaise habitude, un réflexe pour se donner une contenance, aujourd'hui, je fume pour le plaisir...




Franck Pelé - Mars 2012

Troubles bipolaires



- Tu vois c'est marrant, ça fait une semaine qu'il fait - 9 et maintenant qu'il fait zéro, on a l'impression qu'il fait doux. Alors que s'il n'avait pas fait - 9, on se caillerait sévère à zéro. Tu vois ce que je veux dire ?

- Je vois Raoul oui.

- En fait, les températures c'est un peu comme l'âge, il faut goûter aux extrêmes pour apprécier la moyenne...

- C'est pour ça que tu mates les fesses des petites de vingt ans ?

- Qu'est-ce que tu racontes, je ne regarde jamais les minettes dans la rue !

- Non, tu les regardes dans les yeux, juste après avoir jaugé la qualité de leur pleine lune.

- Parce que toi, tu ne regardes jamais les hommes qui te plaisent peut-être ?

- Ah mais moi c'est pas pareil, ceux que je regarde, ils m'ont regardée en premier, je ne fais que répondre à la subtilité de leur goût. Je les remercie en quelque sorte. Et puis, contrairement à toi qui apprécie ta "moyenne" après avoir goûté aux extrêmes, eux quand ils me regardent, c'est justement pour goûter à cet extrême que tu ne vois plus en moi.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu es toujours aussi belle, je ne parlais pas de toi, c'est une expression Simone... Je peux savoir ce que tu fais là ?

- Je me déshabille.

- Mais t'es malade ! C'est le Groenland dehors ! Et tout le monde va te voir !

- Avec la neige qu'il y a sur la voiture ça m'étonnerait...

- Si les lois de la nature sont logiques, elle devrait fondre à une vitesse folle devant ce spectacle.

- Mais alors je ne suis plus moyenne ?

- Mais tu n'as jamais été moyenne !

- Pourtant, la dernière fois qu'on a fait l'amour, tu te souviens de ce que tu as dit après notre communion charnelle ?

- Non...

- Tu étais allongé sur mon dos, tu étais très content de toi.

- Et alors ?

- Et alors tu as dit que tu étais au-dessus de la moyenne !!!

- Mais ça n'avait rien à voir avec toi ! C'est un expression Simone, ne te fais pas plus...

- ...pas plus quoi ??? Il va falloir que t'arrêtes avec tes expressions à la noix Raoul, avec tout ce verglas, tu risques de déraper ! Je vais te montrer ce que c'est qu'une amplitude thermique moi. Tu vas voir ce que ça fait une femme brûlante dans le froid polaire ! Tu devrais appeler les pompiers, il va y avoir de l'inondation dans les cavités... Entre l'éternité des neiges et la mienne, il va falloir choisir ! Et on va voir qui va fondre en premier !

- Mais ferme cette porte Simone, tu ne peux pas sortir toute nue par ce temps ! D'ailleurs, tu ne peux pas sortir toute nue tout court !!!

- Je vais dans la rue voir les hommes qui ont du goût, je vais me proposer à leur examen, et tu verras, je suis sûr qu'ils seront ravis d'avoir la moyenne !

- Simone !!! Tu n'as pas le droit ! Reviens ici ! Et puis avec ce froid, tu triches, tes seins vont remonter et tu vas paraître plus jeune !

- Dis donc, je n'avais pas remarqué à quel point tu avais de la répartie dès qu'on descendait en température... Alors ça vient de là l'expression ?

- Quelle expression ?

- Quand on dit qu'il fait vraiment un froid de connard !




Franck Pelé - février 2012

Lame de fond


- Ce spectacle est absolument fantastique...

- J'ai l'impression de te voir Simone...

- De me voir ?

- Ces vagues, ces élans aquatiques qui lissent autant qu'ils bouleversent... Selon l'intensité de la lumière, l'océan révèle une expression toujours renouvelée de sa beauté majestueuse...

- Moi c'est cette force capable de tout emporter qui me fait penser à toi...

- Cette force n'est que le fruit d'un long voyage, un courant que toi seule sais créer, plus le courant est fort, profond, puissant, plus la vague est grandiose, sonore, exceptionnelle...

- Raoul, j'ai envie que tu me fasses mousser...

- Viens t'échouer sur moi mon amour...

- M'échouer ? Tu m'as pris pour une baleine ? Tu as le chic pour tout gâcher toi hein !

- Mais quoi encore ??? Une vague ça s'échoue ! C'est toi qui vois le mal partout !

- Bien sûr... Merde Raoul ! J'étais bien là ! Pourquoi tu me parles de m'échouer comme une baleine ???

- Mais je t'ai jamais parlé de baleine, tu me gonfles à la fin !!! Je te dis de venir t'échouer sur moi, comme une vague s'échoue sur une plage !

- Je ne m'échoue pas sur une plage, je m'offre à une plage ! Je suis un cadeau pour ton étendue morte, tu comprends ? Un cadeau !

- Tu sais ce qu'elle te dit mon étendue morte ?

- Je ne m'échoue pas. D'ailleurs, je n'échoue jamais.

- Tu confonds là.

- Ah oui ? Et entre quoi et quoi s'il te plaît ?

- Entre s'échouer et échouer. Le premier signifie terminer sa course quelque part et le second, ne pas y arriver.

- Perdu Monsieur je-sais-tout ! S'échouer ça veut dire "toucher le fond par accident". Et pour le coup, je peux te dire que s'il y en a un de nous deux qui risque de s'échouer sur l'autre, c'est bien toi !

- Et pourquoi donc ?

- Parce que si tu me touches le fond, ce sera forcément par accident !

- En même temps, toucher le fond d'une baleine, tu admettras que c'est compliqué !

- Oh le con !

Raoul se mit alors à détaler vers l'Ouest, avec Simone à ses trousses, un bout de bois mort à la main, hurlant tellement d'insanités que Robinson lui-même aurait pris un radeau pour quitter l'île discrètement.



Franck Pelé - Février 2012

Ressentiments



- Il fait bon ce matin...

- Ils ont annoncé 19.

- Oui, sous abri, mais avec la bise légère chauffée par le soleil, la température ressentie doit être d'au moins 21 degrés.

- C'est quoi cette histoire de température ressentie ?

- Tiens, un exemple : "Le jour où je l'ai embrassée, il faisait 21 degrés. Mais la température ressentie dépassait 42." Tu comprends mieux ?

- Ah oui... là du coup, je comprends mieux,oui... La température ressentie c'est le vrai temps qu'il fait finalement...

- Voilà...

- Embrasse-moi Raoul... J'ai froid...

- Une bise légère ?

- Non... Une fièvre solaire...



Franck Pelé - Février 2012