jeudi 6 décembre 2012

Simone gagne à l'extérieur


 
- Tu peux m'expliquer pourquoi on est dehors ?

- On regarde le match en terrasse

- Oui d'accord mais il fait moins deux là, on est obligé de le regarder en terrasse le match ?

- Bah oui, puisque la télé est sur la terrasse.

- Mais pourquoi ils mettent la télé sur la terrasse en hiver ?

- Quand l'équipe locale joue à l'extérieur, ils mettent la télé à l'extérieur, c'est une coutume.

- C'est complètement con comme coutume, y'a personne qui regarde...

- Et pourquoi à ton avis ?

- Parce qu'ils sont moins fous que nous ! Enfin que toi, parce que moi, je suis là seulement pour t'accompagner et regarder le paysage. Qui vaut le détour d'ailleurs...

- Mais non, personne ne regarde parce qu'ils sont tous au stade !

- Le stade qu'on a vu tout à l'heure ?

- Mais non, je t'ai dit qu'ils jouaient à l'extérieur aujourd'hui...

- Et alors, il n'était pas couvert le stade à ce que je sache ?

- Non, il n'était pas couvert mais il était ici, donc si l'équipe y avait joué, elle aurait joué à domicile, et pas à l'extérieur, jouer à l'extérieur, ça veut dire jouer dans une autre ville, pas dans son stade.

- Et quand ils jouent à domicile, y'a du monde sur la terrasse ?

- J'imagine que oui.

- C'est vraiment complètement con Raoul ! Si y'a personne quand ils jouent à l'extérieur, pourquoi y'aurait du monde sur la terrasse quand ils jouent à domicile alors qu'ils auraient encore moins loin à aller pour voir leur équipe dans leur propre stade ?

- Oh mais je ne sais pas Simone, tu me gonfles à la fin !

- Je te gonfle ? Mais c'est toi qui me gonfles avec ton foot ! T'es chiant avec ton foot Raoul !

- C'est du foot américain

- Et bah t'es chiant pareil ! You're boring ! Tu comprends là ? Et ce serait du foot polonais, tu serais chiant dans une autre langue !

- Sack ! Dernier essai et 10 !

- Bon, moi je rentre...

- Si il ne trouve pas un receveur ils sont morts...

- Raoul, je rentre !!!

- Oui, vas-y, je te retrouve à l'intérieur...

- Non, je rentre, en France, chez moi.

- N'importe quoi... Vas-y, débrouille-toi Madame jamais contente... Moi je reste là, je ne vais pas gâcher nos vacances pour un caprice !

- Nos vacances ? TES vacances ! Prendre l'avion pour regarder un match de foot sur une terrasse gelée face à la route, je te promets que j'ai souvent rêvé mieux ! Ah il est beau le rêve américain !! Je vais me débrouiller oui, ne t'inquiète pas pour moi mon chéri...

- Et comment tu vas faire pour rentrer sans argent ?

- Je vais aller à l'intérieur, là où il fait bien chaud, je vais lancer un message qui va rendre l'endroit encore plus chaud, et même s'il me reste un paquet de yards à faire, je suis sûre de trouver un receveur !

- Mais...

- Prends ton temps Raoul, profite bien de tes vacances, et ne t'inquiète pas si tu ne me vois pas tout de suite en rentrant.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que si tu ne vois personne sur notre terrasse en rentrant c'est parce que je joue à l'extérieur !




Franck Pelé - Décembre 2012 - Textes déposés

Rapide comme l'éclair



Finale du 100 mètres féminin des Jeux Olympiques en 1952 à Helsinki. On a retrouvé la bande-son :



- Je vais te vriller la choucroute Simone... Tu vas pleurer mille ans sur tes bigoudis...


- Garde ton souffle Marie-Olga, tu vas en avoir besoin pour appeler ta mère au secours... Quand tu passeras la ligne d'arrivée j'aurai déjà pris ma douche...

- Pfff... Arrête de te croire toujours plus forte que moi, j'ai plus d'argent que toi, plus de fringues, plus de pouvoir et j'ai eu plus d'amants que tu n'en auras jamais. J'ai tout de plus que toi. Donc forcément plus de vitesse...

- T'as surtout plus de rides, de bourrelets, de vulgarité et beaucoup plus de problèmes que moi. Plus d'argent ? Avec les tarifs que tu pratiques c'est possible, par contre, tu devrais dire clients, pas amants, ce serait plus honnête...

- Retire ça tout de suite où je t'arrache la mise en plis !

- Bah... Marie-Olga ? Tu perds tes bas ou quoi ? Tu ne gâcherais pas une finale olympique sur un défaut de maîtrise nerveuse... si ?

- J'ai couché avec plus d'hommes que tu n'en auras jamais !

- Ah ça c'est plus que probable ! Je ne suis même pas sûre que tu aies vu le visage de tous ces chercheurs en bas de gamme. Tu te retournais parfois quand tu sentais que tu avais de la visite ?

- Je vais t'exploser le chignon la française...

- Tu vois, moi, j'ai toujours privilégié la qualité à la quantité. Et d'ailleurs, comme c'était aussi la philosophie de mes amants, ils n'ont tous connu que moi. Forcément, quand tu as porté une fois du Simone, tu n'as pas très envie de défiler en Marie-Olga... Tu noteras la chance que tu as, j'ai hésité avec "enfiler" mais je me suis dit que tes nerfs étaient assez tendus comme ça...

- Je vais t'enrhumer à un point... Tu n'as pas idée de la préparation est-allemande...

- Oh mais si je la connais parfaitement, tiens, pas plus tard que la semaine dernière j'ai passé une nuit délicieuse avec ton préparateur physique. je te savais déjà artificielle sur beaucoup de plans mais alors là, tu es une vraie éprouvette ambulante ma chérie ! D'ailleurs, il faut que je te dise, l'injection que tu as reçue cette semaine, c'était du thym, j'ai échangé les ampoules pendant que ton médecin dormait donc tu ne t'inquiètes pas si tu cours comme un être humain, c'est normal. Par contre, tu vas sentir bon des veines.

- Parce que tu crois que j'ai besoin de ça pour te mettre la honte sur 100 mètres ?

- Heu... franchement ? Oui, je crois même qu'il t'en aurait fallu un camion-citerne de tes saloperies. Et même avec ça, je ne t'aurais pas laissé l'ombre d'une chance. Si... Peut-être une seule. Celle de voir mes fesses, pour que tu puisses avoir une idée de la qualité dont je te parlais tout à l'heure. Quand on y pense, c'est même assez dingue que tu puisses avoir une médaille avec un tel cul à trimballer sur cent mètres...


Simone gagna avec plus d'une seconde d'avance sur une américaine et une russe. Maria-Olga se prit les pieds dans ses propres cheveux au départ et chuta au bout de cinquante centimètres. Elle fût emmenée au poste après qu'elle eût tiré dans le genou du starter avec son pistolet parce que celui-ci refusa de donner un nouveau départ. Elle devint complètement folle et resta cloîtrée pendant vingt-huit ans dans un asile psychiatrique où, tous les matins, elle se rasait le crâne et hurlait qu'elle était prête pour un nouveau départ.




Franck Pelé - nov 2012 - textes déposés à la SACD

A l'ombre des jeunes filles en fleurs



- Pardonnez-moi Madame mais nous discutons depuis maintenant presque deux heures et je ne peux m'empêcher de vous dire que je suis troublé par votre attitude...

- Pourquoi donc Monsieur ?

- Je ne sais pas... Je vous sens séduite, et en même temps, complètement fermée.


- Vous n'avez pas tort.

- Mais si l'état séduit est une des clés de votre épanouissement, pourquoi luttez-vous pour empêcher son processus ?

- J'ai connu quelques soleils Raoul. Vous permettez que je vous appelle Raoul ?

- Je vous en prie. Si vous me dites votre prénom...

- Simone.

- Ravissant.

- Merci. J'ai donc connu quelques soleils mon cher Raoul, et entre ceux qui brûlent, ceux qui aveuglent, ceux qui ne font pas bronzer qu'une seule peau et ceux qui réchauffent le climat mais sont dangereux pour votre planète, j'ai appris à ne plus m'ouvrir aussi facilement.

- Vous savez, l'homme peut aussi attendre d'une femme qu'elle soit sa lumière, sa flamme, sa chaleur, lui aussi a besoin de s'ouvrir.

- Oui, peut-être, mais vous admettrez qu'à notre époque, nous, les femmes, pouvons plus facilement tomber sur des tordus que vous sur des grandes malades. Quoique...

- Vous me l'enlevez ! Quoique ! Un jour, je suis tombée sur une femme qui était médecin, elle voulait que je lui fasse une ordonnance avant de lui faire quoique ce soit !

- Vous voulez dire... dans l'intimité ?

- Oui ! Tout était écrit. Je devais tout mettre sur papier. Et ensuite, respecter le traitement prescrit ! Caresser le dos deux fois par jour, l'embrasser à pleine bouche juste avant les repas, prendre la température avant d'entamer un traitement de fond... Et je devais mettre une blouse et des gants !

Simone partit dans un formidable éclat de rire :

- Ah oui, elle était joliment cintrée celle-là... Je ne vais pas vous raconter mes expériences, ça vous ferait peur...

- Je vous en prie Simone...

- Bon. C'est vrai que si chaque homme est un voyage, toutes les destinations ne font pas forcément rêver... J'ai remarqué que les hommes étaient très conditionnés par leur métier. Et pendant l'amour, certaines habitudes étaient particulières. J'ai connu un chauffeur de taxi qui n'arrêtait pas de me demander mon itinéraire préféré jusqu'à ce que j'arrive à destination. Un docteur, un généraliste, qui me demandait de faire aaaaaaaah avant de m'embrasser, la première fois j'ai dit oui, mais quand il m'a demandé la même chose au moment où je commençais à monter vers l'extase, alors que j'étais en plein ooooooooh, je lui ai dit que j'étais assez grande pour choisir les voyelles de mon plaisir ! Vous imaginez ? En plein "oooooooh" il me dit "non, faites aaaaaaaah je ne vois rien là !" Quel con ! Je peux vous dire que lui, il a descendu très très vite mon escalier. Je me souviens aussi de ce navigateur qui me demandait souvent sa position préférée mais il fallait que je réponde en latitude et longitude. Ou ce restaurateur asiatique qui me caressait les seins avec des baguettes pendant qu'il préparait un improbable nem. Tu m'étonnes qu'on ne puisse pas être autrement qu'aigre-douce pour accompagner un truc pareil ! Pardon... Je dois vous choquer...

Raoul pleure de rire, il sert à nouveau le vin dans les deux verres qui se vident avec toujours plus de complicité.

- Ah non... Vous êtes absolument divine de franchise et d'esprit...

- Mais ne me laissez pas parler toute seule. Racontez-moi aussi vos aventures avec vos cintrées, je suis sûre qu'il n'y a pas eu que la grande perchée du stéthoscope...

- Ah non... J'ai eu la banquière qui voulait toujours me baiser sans que je me déshabille. Enfin me faire l'amour, pardonnez-moi...

- Ah oui ? Et pourquoi donc ?

- Elle ne supportait pas les hommes à découvert.

- Et les découverts autorisés ? Elle aurait pu vous déshabiller elle-même ?

- Elle disait que les découverts autorisés étaient impossibles à gérer...

- Je me souviens de cet homme politique qui ne tenait jamais ses promesses... De ce grand patron qui écoutait les podcasts de Jean-Pierre Gaillard pendant que je m'activais à réveiller son capital. Oh, et celui-là... Un chef d'orchestre qui exigeait que je prenne mon pied en fa dièse !

- Moi j'ai connu une réalisatrice qui me disait "moteur" au moment de me mettre en condition, puis "action" quand elle s'allongeait, et "coupez" quand elle avait fini ! Aucun de ses films n'a marché...

- Vous voudriez tourner un film avec moi Raoul ?

Raoul figea un instant son sourire, son visage devenait légèrement grave, pas loin d'être bouleversé :

- Pardon ?

- Je voudrais tourner un film avec vous, de longs plans, nous laisserions tourner la caméra aussi longtemps que nous exprimerions nos frissons... Je vous autoriserai tous les découverts, je vous soignerai sans ordonnance, faites-moi chanter toutes les notes, crier toutes les voyelles...

- Simone, ne jouez pas avec moi, si vous m'invitez à voyager avec vous, je sais déjà que je ne reviendrai jamais, si vous m'invitez, je pars immédiatement. Votre destination sera la mienne.

- Vous ne voyez pas comme je suis ouverte à présent ? Comme je me suis épanouie en votre présence ? Regardez mes yeux, ma peau, sentez mon parfum, tout est vivant, doux, frais, comme jamais... Vous êtes ma naissance Raoul. Vous venez de me faire fleur.






Franck Pelé



Novembre 2012 - Textes déposés à la SACD - Paris 9ème.

Baby blues



Simone et Raoul étaient invités à dîner chez Solange, une amie d'enfance de Raoul. Enfin c'est Raoul qui l'a toujours présentée comme une amie d'enfance, parce que Simone a toujours pensé que Raoul avait continué de jouer au docteur avec la dame bien après l'âge de raison. Ils étaient douze à table, Solange avait invité plusieurs couples d'amis, plus la grand-mère qui mangeait à la cuisine, la superstition de Solange ayant eu raison de l'horrible bombe à retardement qu'eût été une treizième présence à table.

Après le savoureux saumon fumé sur blinis séparés par un petit lit de crème fraîche, le tout arrosé d'un Pouilly Fuissé 1999, puis le gigot haricots verts frais relevé d'un inoubliable Saint-Estèphe de la même année, vint le moment des photos. Solange passait chaque photo à son voisin de gauche, qui faisait la même chose, en racontant quelques anecdotes. Simone, la tête posée sur sa main, pour lui éviter de tomber d'ennui, les passait directement à sa gauche en jetant un très rapide coup d’œil sur chacune, histoire de s'intéresser un minimum. On ne pouvait pas faire moins que ce minimum.

Quand la photo du bébé arriva, elle ouvrit d'abord les yeux en grand, puis sentit une extraordinaire énergie monter en elle et la laissa exploser en un gigantesque hurlement de rire.

Raoul demanda, le sourire déjà dessiné par le rire de sa femme :

- Qu'est-ce que tu as chérie ?

- T'as vu cette tête de connard en puissance ? Ouuuuuuuuuhouuuuhouuuu !!! On dit toujours que les bébés sont beaux mais alors lui, c'est l'exemple parfait qui prouve que le beauf a été bébé un peu plus tôt ! Ahaaaaaa ahahahahahahaaaa ! Oh merde.... Le pauvre... Excusez-moi.... (elle renifle, essaie de se calmer, puis explose à nouveau) Mais c'est pas possible une tête de connard aussi jeune ! Il est déjà tout gras ! Je le vois déjà dans son survêtement du dimanche ! Un vrai petit magret de connard !

Solange :

- C'est mon fils.

Un blanc. Un long silence. Simone regarde tout le monde, un par un. Puis explose à nouveau :

- Aaaaaaaahahahahahaha Ouhouhouhouuuuuuuu... (Elle est complètement morte de rire) Tu lui as acheté une Fuego à pédales ? Tu lui a mis de la Kro dans son bib ? Il sort le bras par la portière quand il conduit ? Oh putain... Pardon je suis un peu vulgaire mais c'est la photo qui m'inspire...

Elle se reprend, regarde encore l'assistance et ajoute :

- Excusez-moi... Oh que c'est bon de rire comme ça...

Raoul :

- Simone, je crois que c'est à Solange que tu dois des excuses...

- Pardon ? M'excuser de quoi ? De se taper ses photos qui gonflent tout le monde à chaque repas ? De se taper les conversations aussi ridicules que ses photos avec ses faux amis qui sont d'accord avec moi mais ne le diront qu'une fois dans leur voiture ? De voir ses pieds très proches des tiens sous la table à chaque fois que je fais tomber ma serviette ? M'excuser de quoi Raoul ? De peiner à la voir distinctement galérer sur la premier barreau de l'échelle de l'élégance tellement elle est minuscule ? N'y voyez aucune prétention Mesdames et Messieurs mais seulement l'expression de la distance qui nous sépare. M'excuser de quoi ? De la caricature d'un bébé né pour devenir un gros con ?

- Mais enfin Simone, il est adorable son fils sur cette photo !

- Toi Éveline, je connais très bien ton esthéticienne alors soit tu fais museau dans ton gigot, soit je balance la taille exceptionnelle du sac poubelle qu'on doit utiliser après ton passage ! Bien sûr que non il n'est pas adorable ! On dirait un futur touriste de Bangkok, un gros lard vicieux, un facho qui appelle sa femme maman et hurle si c'est trop cuit ! Arrêtez tous d'être béats d'admiration dès que c'est un bébé ! Si parmi les adultes, on trouve autant de gens bien que de gros cons, y'en a forcément autant chez les bébés, c'est mathématique ! Et lui là, pardonnez-moi d'insister mais il n'a pas vraiment la tête du César du meilleur espoir masculin !

Raoul, à Solange :

- Je suis profondément confus et désolé Solange, elle n'est pas dans son état normal...

- Ah mais si mon loulou, je suis tout à fait bien, lucide, et même parfaitement détendue grâce à cette bonne crise de rire, merci Solange… Pour une fois que tes photos servent à quelque chose… Par contre, dis-moi, quand tu as fait ce bébé toi, tu avais bu de la bière en rotant ? Tu étais dans une tribune populaire d’un stade de foot ? Tu regardais TF1 en lisant la presse people ? Tu étais dans un camping à Argelès dans une caravane trop petite qui empestait le Ricard ?

- Simone !

- J’y vais Raoul, ne te dérange pas, je vais te laisser aider la dame à ranger son petit intérieur, ce ne sera pas la première fois que tu lui ranges… Tu sais ce qui me rassure ? C’est que tu ne sois pas le père de cet avorton, maintenant, j’en suis sûre…

Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, au plaisir ! Solange merci pour tout, c’était très bon. Dis donc, j’y pense, je peux avoir l’intégrale du Big Dil en DVD par ma concierge, je te les garde pour le petit ? Il va adorer…



Règle n°59 : Les enfants des autres sont toujours moins beaux que les siens. Surtout quand la mère aurait pu porter celui de votre mari.


Franck Pelé - Nov 2012

Simone est éternelle




- Tu as bien dormi mon amour ?

- Oh... Je viens de faire un rêve tellement... c'était tellement vrai... J'étais jeune, je devais avoir vingt-cinq ans, on était sur une route de campagne, l'été, je conduisais une de tes belles voitures, la Jaguar je crois, j'avais ma petite robe blanche à motifs violets, tu te souviens ?

- Très bien oui... Je me souviens surtout des moments où je la déboutonnais.
..

- J'ai vieilli Raoul... Regarde-moi ça... Dans mon rêve, ma peau était belle, ferme, douce, claire, comme neuve, et là, on dirait un vieux sac en croco.

- Pfff... n'importe quoi... Tu es toujours aussi belle, et si ta peau accueille quelques petits dessins du temps, c'est parce que le temps est jaloux de ton éternité.

- Quelle éternité ?

- Celui de ton charme, de ta classe, de ta jeunesse que je vois tous les jours dans tes yeux, dans tes mots, dans tes rires, dans tes petites habitudes, dans tes doutes aussi.

- Tu es gentil mon chéri, mais ton amour ne va pas suffire à me convaincre que je ne vieillis pas... Mes seins tombent doucement, eux qui étaient si fiers, mes épaules suivent le même chemin de ce lent déclin, j'ai des rides à tous les coins de rue, si je me maquille je fais vieille et si je ne me maquille pas je fais morte...

- Mais tu es folle ou quoi Simone ?

- ...

- Simone !!!

- Quoi...

- Tu es absolument divine, splendide, sensuelle comme jamais, tes seins ont la même sensibilité, la même élégance, le même goût, et je me fous de savoir où ils regardent ! Tant qu'ils ne regardent que moi... Tes petites rides sont des passerelles entre toutes les époques où j'ai eu la chance de t'avoir comme femme, quand tu te maquilles, tous les hommes deviennent fous, à la limite de l'état sauvage, et quand tu ne te maquilles pas, tous les hommes ratent la plus délicieuse beauté naturelle qui soit, celle que je vois tous les matins !

- C'est toi qui me rends belle mon amour...

- Arrête avec cette compétition que chaque femme veut livrer à son image... On s'en fout. Et puis c'est idiot, si tu le vois comme un combat, il sera perdu, le temps est plus fort, toujours. Accepte-la ton image, et surtout, arrête de voir les gens qui ne voient les autres qu'à travers ce prisme ridicule de la compétition physique, de la perfection, de l'idéal. Va voir les gens qui t'aiment, ceux qui savent qui tu es, qui ont toujours été sous le charme, jamais jaloux, jamais envieux, jamais méchants, passe du temps avec eux, ils le méritent. Parce que ce sont ces gens-là qui rendent beau.

- C'est vrai... Quand je pense à mes amis, à ceux qui ont cette nature dont tu parles, je me souviens que je suis toujours bien avec eux, que je ne fais jamais attention à mon allure, ma façon de m'habiller, de me coiffer ou de me maquiller, je suis simplement bien, moi-même, et je me sens belle... Parce que je sais qu'ils me trouvent belle... Et puis surtout parce qu'ils sont plus vieux que moi...

- Simone...

- Je plaisante ! Non... Bien sûr que je sais la richesse de ces gens-là... Quel que soit mon âge, ils me trouveront toujours charmante, ils le penseront, je le sentirai, à chaque fois, comme une cure de jouvence... Je sais mesurer la différence de qualité entre la beauté qu'ils voient et celle après laquelle on court comme des aveugles... Et cette beauté-là, quand on vous l'offre, qu'est-ce qu'on est bien... Qu'est-ce qu'on est beau...

- Tu vois que tu n'as aucune raison de t'inquiéter... A moins que tu ne sois déçue de ne plus faire fantasmer les jeunes trentenaires dans la rue...

Simone regarde le visage de Raoul, encore éclairé d'un sourire complice et légèrement ironique, elle attrape un coussin et le lance soudainement dans sa direction. S'en suit une folle bataille de tout ce qui se trouve à portée de main, et quand Raoul immobilise enfin sa femme en lui tenant les poignets, plaqués sur le lit, allongé sur elle, elle lui chuchote :

- Je les fais toujours fantasmer les jeunes trentenaires... Autant que leurs pères et leurs grand-pères... Mais je ne suis jamais aussi belle que dans tes yeux mon amour... Et si c'est le plus beau cadeau que tu me fais chaque jour depuis trente ans, tu m'en fais un autre, tout aussi beau, depuis toujours...

- Lequel ?

- C'est grâce à tes yeux que je n'ai jamais cessé de voir la vie aussi belle, même quand les miens ne voulaient plus y croire.

- Je n'ai aucun mérite. Tu as toujours été dans mon champ de vision...




Franck Pelé -Novembre 2012 - textes déposés à la SACD

Hair



- Tu ne remarques rien Raoul ?

- Tu as repris la cigarette ?

- Non, je parle de mes cheveux...


- Tu as changé de coupe ! Je me disais aussi... tu étais moyennement expressive... C'est fou comme ça te change les cheveux longs... Tu as dû passer la matinée chez le coiffeur... Enfin chez le coiffeur-tailleur parce qu'une écharpe en cheveux, un châle en cheveux, une robe en cheveux, t'as un forfait illimité au niveau capillaire ?

- Je n'ai pas changé de coupe, j'ai changé de coiffure ! Tu ne vas pas chez le coiffeur pour avoir les cheveux longs mais pour les couper ou les coiffer Raoul, ils sont aussi longs qu'hier, ils n'ont pas poussé de cinq mètres dans la nuit...

- Forcément, sinon tu aurais passé ta matinée chez Jardiland.

- Tu veux toujours que je les attache, alors voilà, je les ai attachés... mais différemment. Tu aimes bien ?

- Heu... disons que c'est un peu égoïste comme coupe mais c'est...original. On dirait un lévrier afghan hyper timide.

- Égoïste ? Pourquoi égoïste ?

- Parce que tu gardes tout pour toi, ton regard, ton sourire, ta bouche... Et vous vous mettez à plusieurs pour te laver les cheveux ? Comment ça se passe ? Et pour les sécher ? Tu vas au pressing ?

- Non, j'ai une carte lavage chez Total. Les rouleaux ça va encore même si ça fouette un peu les flancs, mais le séchage, Sandy à côté c'est un léger courant d'air ! Quand je sors on dirait les Jackson five puissance douze. Après je passe à l'atelier où des centaines de petits enfants clandestins me lissent les cheveux.

- Ah bon ? Mais c'est illégal ça non ?

- C'est ta naïveté qui devrait être illégale mon chéri ! Évidemment que je fais tout toute seule ! Comme d'habitude d'ailleurs ! Tu devrais être content de ne pas voir mon visage, au moins quand je fais la tête tu ne vois rien.

- Tu fais la tête là ?

- Non je fume.

- Mais tu vas t'enfumer toute seule derrière ton rideau de crin si tu n'as pas de bouche d'aération !

- Et ta sœur, elle a une bouche d'aération ?

- Oui, et son mari a une colonne sèche figure-toi, c'est dingue non des gens autant faits l'un pour l'autre ?? Allez, éteins ça, tu vas te foutre le feu à la touffe...

- Ça en fera au moins une qui connaîtra la flamme...

- Pardon ?

- Rien


Raoul enlève la cigarette de la bouche de Simone :



- Raoul, remets cette cigarette tout de suite !!!



Raoul s'exécute.



- Aïe !!! Tu me la mets dans le nez là !

- Mais forcément, je vois rien avec ta coupe de schizo !

- Raoul !!! Regarde-moi !

- Quoi ?

- Dans les cheveux ! Regarde-moi dans les cheveux !

- Oui... quoi ?

- Tu me traites encore une fois de schizo quand je m'occupe de MON corps, je te jure que je me laisse pousser le maillot aussi longtemps que j'ai laissé pousser mes cheveux ! Et si tu veux que ton désir tutoie le trait d'union, il va falloir que tu tailles la route façon Koh-Lanta ! Il va falloir qu'il s'enfonce méchamment dans la forêt le grand méchant loup si il veut choper le petit chaperon ! Et vu la difficulté d'accès, il se pourrait que tu rebrousses poils en hurlant ta frustration sous la pleine lune !

- On dit rebrousser chemin...

- C'est parce que tu n'as jamais pris ce chemin-là ! Pour une fois, si tu me cherches, je te jure que tu ne me trouveras pas. Je vais mettre de faux panneaux, des sens interdits, des pièges à loup, des tavernes à whisky, tu vas tomber dans tous les panneaux, dans tous les pièges, tu vas astiquer tous les bars, appeler les secours complètement bourré, les pompiers te surnommeront l'ivre de la jungle tellement tu seras défait comme une loque, mou comme de la pâte à Mowgli ! Tu ne pourras plus jamais mettre un pied dehors tellement la honte te couvrira !

- Ça y est ? T'as fini ? Tu devrais ouvrir un peu parce que j'ai l'impression que tu es en surchauffe là... T'as pas une tringle sur le côté pour ouvrir les rideaux ?

- Oooooh non, rassure-toi, je vais très bien, et j'en ai encore beaucoup sous la pédale ! Estime-toi heureux que la schizo freine sinon c'était le choc frontal ! Si je lâchais les cheveux, tu n'en sortirais pas vivant !

- Bon, bah là, je crois qu'on l'a perdue...

- Dis donc Raoul, t'as jamais pensé à te laisser pousser le compliment ?

- Si, très souvent, mais il faut une terre fertile, arrosée régulièrement par un soleil généreux. Mais comme je vis avec une tonne de cheveux qui me prend pour un miroir, un miroir qui ne doit réfléchir qu'une seule réponse, celle qui la rend belle, rien ne pousse.

Au même moment, on sonne à la porte d'entrée.

- Oui ?

- Bonjour Monsieur, j'ai une commande pour Madame Langlois.

- Oui, qu'est-ce que c'est ?

- Ce sont les cinquante colis que vous voyez sur votre pelouse là.

- Mais... Qu'est-ce que c'est que ça ? Vous avez dû vous tromper.

- Des bigoudis.

Raoul, se retournant vers Simone :

- Mais tu es complètement attaquée ma pauvre chérie !

- Et voilà ! Donne-moi encore de l'amour ! On veut se faire une petite permanente et on est attaquée ! Excuse-moi d'avoir les cheveux longs !!!






Textes Franck Pelé (déposés à la SACD)