jeudi 4 décembre 2014

La couleur de l'âme



Un cri extrêmement terrifiant résonna dans toute la maison. Raoul sortit de la salle de bains et se précipita dans la chambre. Simone était là, assise sur le lit, tremblante. Au moment où son mari est entré, elle a levé la tête et l'a fixé longuement. Son regard était plein de questions, de peur et d'incertitudes, sa peau frissonnait, elle n'arrivait pas à se reprendre. Raoul est venu s'asseoir près d'elle, elle a d'abord eu un mouvement de recul, puis a laissé ses mains la rassurer.


- C'est moi chérie... ça va... ça va... viens-là...

- Pourquoi devrais-je être rassurée par toi... Toi ou un autre... Sais-tu toi-même qui tu es... ?

- Que se passe-t-il... Dis-moi...

- J'ai fait un rêve terrible... un cauchemar... je n'ai pas de mots... De ces cauchemars dont tu ressors aussi fragile qu'après avoir livré la bataille de ta vie.

- Tu veux me raconter ?

- Non. Je veux que toi tu me racontes.

- Que je te raconte quoi ?

- Nous. Je veux que tu me racontes nous. Est-ce que tu nous racontes aussi bien qu'au début quand tu nous racontes ailleurs ? Est-ce que notre histoire donne envie d'être heureux ou donne-t-elle envie de te rendre heureux ?

- De quoi tu parles ? Où ailleurs ? Quel ailleurs ?

- Je ne sais pas, n'importe où ! Je ne parle de rien en particulier, je veux juste savoir tu comprends ? Raoul... je ne veux pas te rendre triste, sombre, menteur ou lâche, juste parce que tu voudrais me protéger ou ne pas me faire de mal...

- Toutes les histoires ont deux façons d'être racontées, le côté pile et le côté face. Pile, c'est pragmatique, face c'est romantique. C'est l'humeur, la vie, le ressenti d'un moment, d'une chimie présumée retrouvée ou perdue qui va faire tomber la pièce d'un côté ou de l'autre.

- Et le bonheur est forcément poignardé par le pragmatisme ? On ne peut pas être lucide et amoureux ?

- Que veux-tu savoir Simone ? Si je t'aime ? Oui, profondément. Si je te regarde comme au premier jour ? Je crois qu'il y a des jours avec et des jours sans, exactement comme toi. Si je me suis déjà lassé de toi ? Je crois oui, mais je suis sûr que ça m'est arrivé moins de fois que toi. Seulement, moi, à chaque fois que ça m'est arrivé, j'ai accepté que ça m'arrive, toi je pense que tu as toujours cherché à reporter la culpabilité de ta lassitude sur moi. De mon côté, j'ai toujours accepté l'érosion des falaises les plus solides, mais je sais aussi qu'il est très rare de les voir s'écrouler.

- J'ai vieilli, je sais que j'ai vieilli. Ton amour a vieilli en même temps n'est-ce pas ?

- Non. Là aussi tu reportes assez injustement la responsabilité de ton léger automne sur moi. Je me sens parfois responsable de...

- De quoi ? De mes seins qui tombent ? De mes fesses qui grossissent ? Vas-y, dis-le...

- Arrête ! Tu vois ? Regarde avec quelle agressivité tu me demandes de parler de quelque chose dont tu es absolument consciente ! Et avec beaucoup plus de sévérité dans le regard ! Pour moi tu es toujours parfaite ! Ta peau c'est TA peau, si tes seins tombent un peu ils seront encore plus délicieux à relever en t'embrassant, mais il faudrait que tu arrêtes de me faire sentir quand je les caresse que je pense ce que tu crois que je pense et que je ne pense jamais ! Tu flippes toute seule Simone, et tu creuses la tombe de toute légèreté dès que tu penses à ma place !

- Tu as embrassé d'autres femmes ? Tu as parlé d'amour à d'autres femmes ?

- J'adorerais avoir confiance en ton recul sur les choses et l'indépendance de ton intelligence pour pouvoir te dire une chose pareille sans que tu penses que mon amour pour toi ait été une seule fois malhonnête.

- Comment puis-je croire que tu nous racontes comme avant...

- Mais on ne raconte jamais les belles choses quand on veut être aimé pour ce qu'on est ! Quand je cherche à être celui que tu ne vois plus ! Quand je persiste à penser que ton jugement d'un jour n'est pas la vérité de mon être et qu'un autre regard donne parfois la force d'être plus fort !

- Mais d'être plus fort pour qui ?

- Mais on s'en fout de ton "pour qui" !!! D'être plus fort ici !! Pourquoi laisses-tu toujours ta jalousie analyser les situations ?!! C'est ta jalousie qui parle Simone ! C'est toujours possible qu'un amour s'arrête, ou diminue doucement, c'est possible aussi qu'il fleurisse, se fane, et fleurisse à nouveau, comme le sentiment naturel qu'il est, un fruit de saisons. Et toi, me le dirais-tu si tu m'aimais moins ? Je ne crois pas. Je crois que tu attendrais que ça m'arrive pour pouvoir me le reprocher.

- C'est comme ça que tu me vois ?

- Couvre-toi, tu as froid.

- Je n'ai pas froid, j'ai peur.

- C'était quoi ce rêve ?

- Je marchais nue, dans un jardin sombre, un homme m'a invité à le suivre jusqu'au milieu d'une clairière, il portait une torche. Au milieu de cette clairière, il y avait un puits. Il m'a dit de faire un vœu et de ne rien dire, j'ai pensé très fort que je voulais savoir comment tu m'aimais, j'ai souhaité connaître la couleur de ton âme. J'ai plongé ma main dans le puits, et elle est ressortie noire, terriblement salie.

- Je suis le grand méchant loup n'est-ce pas ? Je suis le coupable de tous les maux... Tu ne t'es jamais demandée si tu faisais tout ce qu'il fallait toi ? Tu n'as jamais eu envie d'avoir un autre regard sur toi quand le mien ne t'allait pas ? Je parle d'un regard, pas d'une main. Tu n'as jamais eu la sensation de te tromper en me jugeant sans pour autant t'arrêter de vider des sacs d'une injustice rare ?

- Arrête...

- Tu n'as jamais pensé que l'amour pouvait être singulier et unique avec moi mais que l'état séduit pourrait tout à fait fleurir à ton balcon sans que j'y sois pour quelque chose ?

- Arrête !!! Oui j'ai déjà eu envie d'être aimée ailleurs quand je me suis sentie seule ! Oui j'ai déjà parlé d'amour à d'autres ! Oui je sais que je te juge mal et qu'il m'est plus facile de te rendre responsable de ce que je ne veux pas voir ! Je n'ai pas fini de te raconter mon rêve ! Quand je suis repartie vers le jardin, je regardais ma main en pleurant, quand soudain l'homme a crié que je m'étais trompée de puits. Je me suis retournée, et j'ai vu mon nom écrit en lettres blanches, peintes sur le puits dans lequel je venais de tremper ma main ! Plus loin, sur la gauche, il y avait un autre puits, avec ton prénom dessus. Et des enfants venaient y remplir des bouteilles. J'ai vu Simone sur le puits qui a sali ma main, tu comprends ??? C'est mon âme qui est noire !!! C'est là que j'ai hurlé...

- Simone... Simone !!! (Il la relève, la prend dans ses bras et lui parle doucement) Simone, mon amour... C'est ta culpabilité qui t'a entraînée dans ce puits. Parce qu'elle est vicieuse, parce qu'elle aime prendre le pouvoir et nous voir nous affaiblir jusqu'à nous agenouiller devant elle. J'ai déjà eu l'impression d'avoir plongé ma main dans une noirceur semblable, et à chaque fois que je t'ai embrassée, à chaque fois que j'ai regardé ton amour droit dans les yeux, je me sentais pur, vrai, moi-même. Tu as le droit d'aimer ce que tu veux, qui tu veux, de te tromper, de partir, de revenir, de tomber, de te relever, mais tu n'as pas le droit de ne pas croire, même une seconde, à la vérité de mon amour pour toi. Tu n'as pas le droit de ne pas croire à la fraîcheur de ton âme, à la qualité de tes choix, au sens de ton éducation, à ce que tu fais de la morale et de l'interdit. Je n'ai pas le droit, là, maintenant, de ne pas te dire que je t'aime justement parce que tu es la femme la plus entière, la plus droite, la plus délicieuse, la plus honnête dans ses folies, la plus magique dans ses envies qu'un homme puisse rencontrer, et nous, nous n'avons pas le droit de faire semblant, de ne pas accepter que les choses soient, qu'elle puissent être sans que l'un ou l'autre en soit responsable. Je suis le premier témoin de ton existence, mais ça ne me donne pas le droit de l'orienter vers un chemin qui m'arrange, et toi non plus. Chacun accompagne l'autre, il ne le dirige pas, c'est là l'un des plus fameux secrets des amours heureuses.

- Pourquoi ton eau était si claire... tout le mal que tu as pu me faire, même sans le vouloir, avec des mots ou des silences, des indifférences et des absences, tous ces crocs venimeux au creux de notre histoire, toute cette souffrance n'était que le seul fruit de ma noirceur ?

- Mon eau était claire dans ton rêve parce qu'au fond de toi, tu sais que je ne suis pas noir. Tu me vois sombre quand la nuit tombe sur nous, mais si j'avais été là, dans ton rêve, j'aurais plongé ma main dans mon propre puits, jusqu'au fond, là où le noir dort, et j'aurais réveillé les eaux troubles. Chacun a sa façon de lester ce dont il veut se débarrasser. Mais si on remuait tous les puits du monde, en allant à chaque fois jusqu'au fond, aucune pureté n'y résisterait. Avant toi, je n'avais jamais été sûr qu'une telle pureté pouvait couler en moi, sur moi. Tu es mon eau vive, mon eau précieuse, ma rivière sans retour. Tu es les plus belles chutes du monde...

- Je veux me baigner avec toi dans toutes les couleurs possibles, je veux flotter, plonger, couler, remonter, nager, dériver, naviguer avec toi... J'ai horreur de te salir Raoul, et j'ai encore plus peur d'être sale...

- Tu ne seras jamais responsable de la moindre pollution de quoi que ce soit ou de qui que ce soit. Ton puits n'est rempli que d'amour, et il est sans fond.




Franck Pelé - textes déposés SACD - Décembre 2014

samedi 1 novembre 2014

Danser sur un fil




Simone adorait ce tableau. Il avait été peint par un ami, inspiré par une scène inoubliable à laquelle il avait assisté à la fin d’une soirée. Simone et Raoul avaient convié tous leurs amis dans l’appartement de Miles, un artiste-peintre américain que ses parents avaient prénommé ainsi en hommage à Miles Davis. Cette soirée était très spéciale, après des mois de bonheur, ils allaient annoncer leurs fiançailles. L’appartement de Miles était somptueux, mais le clou du spectacle était cette terrasse suspendue au-dessus du monde, comme un petit coin de paradis urbain au-dessus de la jungle des mortels.

Les derniers invités sont partis vers deux heures du matin. Raoul a posé un trente-trois tours sur la platine branchée sur la terrasse, il a invité Simone à danser, Miles a alors été le témoin d’une des plus belles harmonies amoureuses qui soit. Même son art d’accorder les couleurs n’aurait pu trouver de réponse à ce défi en mouvement. Personne n’aurait pu mieux définir l’amour que les danseurs de ce soir-là. Sans un mot, avec la seule fluidité de leurs gestes et la force exceptionnelle de leurs regards aimants, ils avaient laissé dans l’air un parfum dont beaucoup avaient rêvé mais que personne n’avait encore jamais réussi à inventer. Un délice essentiel. Une fragrance comme le début d’une ère.

Cette scène n’était pas si lointaine, mais aujourd’hui, elle semblait appartenir à une histoire très ancienne.

- Tu peux le prendre le tableau Simone si tu veux...

- Pourquoi je prendrais le tableau ?

- Au point où on en est, tu vas bien finir par m’annoncer que tu me quittes non ?

- Tu vois, quand je regarde ce tableau, je me dis que la capacité d’écoute de ces deux-là était bien supérieure à leurs évolutions contemporaines… et tu sais pourquoi ? Parce qu’avant l’amour, on est prêt à tout comprendre, tout entendre. Pour séduire l’autre autant que pour ne pas perdre la possibilité d’être aimé par cet idéal, du genre qui ne se présente qu’une fois. Avant l’amour, on met toutes les chances de son côté pour décrocher cette lune qu’on veut recouvrir de miel, comme si on jouait notre vie. Quelle étrange attitude pousse l’humain à ne plus faire le moindre effort après l’amour ? Pourquoi laisser l’orgueil enfiler le smoking de maître de cérémonie ?

- Parce que tu crois que si j’avais découvert que tu aimais embrasser d’autres hommes pour te rendre la vie plus douce comme tu dis, j’aurais eu la même certitude de t’aimer qu’à l’époque ?

- Je « n’aime pas » embrasser d’autres hommes. Il m’est arrivé d’embrasser d’autres hommes comme on embrasse la vie. Si tu étais mon meilleur ami, si je te racontais les raisons de ces moments interdits et les empreintes qu’ils laissent, tu comprendrais sans aucun problème ni aucun jugement moral. L’amour que je te donne est unique, il me semble parfait parce qu’il dépasse l’entendement de l’imparfaite que je suis. Si tu le trouves imparfait, tu n’as alors jamais compris la profondeur de ce que je te donne.

- Sauf que je ne SUIS PAS ton meilleur ami ! Et là, je me demande qui est la femme que j’ai épousée tu comprends ? Qu’est-ce que je vais découvrir demain ? Que tu t’es mariée à Las Vegas un soir de fête ? J’espère au moins être ton meilleur mari !

- Mais merde Raoul ! Arrête de jouer la victime ! On l’est tous la victime !

- Tu es vulgaire.

- Peut-être sur la forme mais toi tu l’es sur le fond, et ça me semble bien plus grossier ! On est tous victime. On est victime du temps qui passe, de la routine, des chambres avec vue qui font monter, des vents mauvais qui font des cendres, des départs de feu, des retours de flamme. Tu te crois tout blanc parce que tu n’as jamais glissé sur l’escalier d’Epicure ? Je ne sais pas si ça t’est arrivé et je ne…

- …ça ne m’est jamais arrivé.

- …et je ne veux pas le savoir ! Parce que tu ne seras jamais un autre pour moi ! Quoique tu aies fait ou pas fait ! Je serais folle de rage si ton amour était faux, fabriqué, en carton-pâte comme dans les décors de ces feuilletons qui font rêver les vieux, ces vieux qui ont gâché leur jeunesse à faire semblant ! Je pourrais avoir envie de te pulvériser si je savais que tu ne me respectais pas au point d’avoir une double vie, des enfants cachés, une autre que tu entretiens. Mais jamais je ne t’en voudrais de pouvoir être séduit par une rencontre imprévue, suspendue entre deux portes communicantes, entre passé et avenir, éducation et interdiction, morale et liberté !

- Mais si tu passes ton temps à avoir envie d’ouvrir ces portes c’est que tu étouffes dans ton monde ! Et puisque je suis censé être le pilier de ton monde, je me sens comme un arbre qu’on va abattre pour faire des journaux intimes sur lesquels tu écriras pour un autre, tu comprends ce que ça me fait ?

- Je n’étouffe pas avec toi, mais parfois j’étouffe dans mon monde oui, ça ne t’arrive jamais toi ? Et alors qu’est-ce qu’on fait Raoul si je suis ta logique ? Je te quitte dès que j’étouffe ? On arrête dès que la routine préside un cycle peu propice à la passion ? Non, je ne suis pas comme ça, j’attends le cycle d’après, où je te retrouverai, encore et encore. Et si en attendant, j’ai embrassé un idéal, voire même l’évidence d’un chemin qui aurait pu être le mien, je n’ai rien trahi de mon amour pour toi, tout au fond de moi.

- On n’a pas tout à fait les mêmes valeurs…

- Non ! On n’a pas les mêmes natures ! Ce n’est pas la même chose. Et l’homme avec qui je danse sur ce tableau aurait parfaitement compris cette nuance. Regarde toutes ces histoires de couples mythiques, à chaque fois ils ont duré parce que l’homme, ou la femme, a su définir ce que l’autre donnait, à l’intérieur de leur couple, et à l’extérieur.

- Et des couples mythiques où on ne donne qu’à l’intérieur, ce n’est pas possible ? C’est trop demander ? Pourquoi c’est moi qui dois me sentir con de croire en une fidélité unique et éternelle ?

- Je me suis sentie conne à chaque fois que je t’ai imaginé me voir embrasser un autre ! Mais j’ai immédiatement arrêté de culpabiliser quand j’ai compris que je devais arrêter de me sentir coupable ! Je devais vivre ma vie sans trahir mon amour pour toi. Ma vie est faite de choix, et je ne passe pas cette vie à ne faire que des choix qui rendent coupable figure-toi ! Comme tout le monde, je fais des choix dont je suis fière, même si certains me déstabilisent, d’autres me font me détester d’être si faible et pourtant ils me construisent. Tu ne sais pas ce que je donne Raoul, comment je le donne, pourquoi je le donne. Mais je te promets que si tu pouvais mesurer la franchise, l’honnêteté, la profondeur, la vérité de ce que je te donne à toi, tu m’inviterais à danser comme il y a quinze ans.

- Je ne sais pas si je peux supporter cette liberté d’aimer… Je ne pourrai jamais dormir sereinement avec toutes ces portes ouvertes… Peut-être faut-il que je te rende ta liberté…

- Mais je ne veux pas te quitter moi ! Jamais ! J’ai besoin de toi, au centre de mon monde, et j’ai besoin de sentir parfois un peu d’air autour de moi. Beaucoup respirent de l’oxygène en cachette pour retrouver l’ivresse, parce qu’ils n’ont plus d’amour en eux, chez eux, ils se dessèchent, doucement. Toi, tu es mon tuteur, mon soleil quand j’ai froid, mon eau quand j’ai soif, et si je me laisse respirer parce que c’est ma nature de fleur qui a besoin d’amour pour éclater de toutes ses couleurs, je ne me laisse pas cueillir. Je me l’interdis.

- Et tu le regrettes ?

- Voilà une question qu’un homme sûr de mon amour pour lui ne me poserait pas. Il respecterait nos natures différentes, nos impudeurs étrangères, nos élans contradictoires, il me regarderait dans les yeux, et il ne verrait que l’absolu que j’ai pour lui. Je rêve que ça suffise à son bonheur. A ton bonheur.

- Tu le regrettes…

- Non, je ne le regrette pas ! Je me l’interdis ! Et si je me l’interdis, tu as déjà une énorme partie de ta réponse ! Si tu n’avais aucune importance, ou si tu n’en avais plus, si tu ne me suffisais plus, si je te préférais tous les soleils du monde, je me serais laissé cueillir depuis longtemps ! Ou tu m’aurais retrouvé un matin, flétrie comme un espoir déchu. Il faut accepter qu’une histoire ait une fin, c’est la plus belle preuve d’amour qu’on puisse offrir à l’autre avant de l’aimer différemment. Mais je n’ai absolument pas fini de t’aimer Raoul, et je voudrais que tu n’oublies jamais l’identité de celui que j’aime, celui à qui je me suis offerte pour la vie, et que tu oublies un peu plus ceux que je pourrais aimer, selon tes interprétations diverses. J’ai un cœur oui, des goûts pour les choses et les gens, il m’arrive d’être séduite, c’est naturel, comme je l’ai été pour toi. Personne ne décrète la fin de l’état séduit à partir du moment où l’alliance arrive au pouvoir. Laisse-moi te poser une question Raoul. Qui vois-tu quand tu me regardes ? Ta femme ou la possible évidence d’un autre ? Ta femme ou une femme qui peut t’échapper ?

Ils se regardèrent longtemps dans les yeux. Très longtemps. L’émotion dans les yeux de Raoul fit naître celle de sa femme. Leurs regards pleuraient doucement toute la peur qui les inondait, la peur de se perdre, de perdre l’autre. Raoul tendit la main vers Simone, le regard bouleversé et le cœur au bord des lèvres :

- Tu danses ?

Simone sourit, les joues humides de certitudes ruisselantes.

- Avec joie.




 Franck Pelé – textes déposés SACD – Novembre 2014

samedi 11 octobre 2014

Théories



- J'ai une théorie sur les femmes qui ont une petite chaîne à la cheville...

- Ah oui ? J'ai peur de comprendre...

- Je suis sûr qu'il y en a de très bien hein... mais j'ai une théorie.

- Du genre ?

- Du genre quand je mets mes chevilles derrière mes oreilles ça met mon visage en valeur...

- Rrrrrrooo Raoul... C'est pas un peu caricatural ça ?

- Excuse-moi mais à chaque fois que tu entends parler de la vie privée d'une femme qui a une chaîne à la cheville, t'as l'impression qu'elle a mis une chaîne pour qu'on accroche ses clés pendant l'amour ! On dirait qu'elle met ça pour qu'en société on sache qu'elle adore se déchaîner dans l'intimité... Comme si elle faisait partie d'une secte !

- Donc si demain je mets une chaîne à ma cheville, je serai automatiquement une fille facile...

- Non, parce que c'est moi qui aurais la clé...

- Ah d'accord... Une chaîne et un boulet en un coup... Ou comment devenir esclave de la connerie avec un innocent petit bijou...

- Tu n'as pas de théories toi ?

- Ah si, plein ! J'ai une théorie sur les gens qui font pendre quelque chose à leur rétroviseur ou qui conduisent avec le bras gauche à l'extérieur de la portière, le bras ballant, souvent les mêmes d'ailleurs.

- J'ai une théorie sur celles qui veulent éteindre la lumière avant de faire l'amour

- ...sur ceux qui disent « n'importe comment » au début d'une phrase et ceux qui expriment un sous-entendu que tout le monde a compris avec une espèce de fierté supérieure à l'endroit d'un humour qui mettrait presque mal à l'aise

- ...ceux qui regardent les séries américaines en VF et qui parlent sans arrêt en franglais !

- J'ai une théorie sur celles qui ont les ongles tellement rongés qu'elles ont des boudins au bout des doigts...

- ...et celles qui ont la jupe tellement courte et le décolleté tellement bas qu'on les croirait habillées d'un rond de serviette !

- ...ceux qui mettent des t-shirts, qui font le même effet que s'ils avaient sur le front un néon clignotant avec l'inscription « t'as vu, je fais de la muscu » !

- ...ceux qui manifestent avec la CGT !

- J'ai une théorie sur celles qui ont toujours le même mouvement hyper précis et détaillé qui consiste à brasser du vent en remettant la mèche n°12 à sa place entre la 11 et la 13. Personne d’autre qu’elles ne peut voir le changement absolument phénoménal que leur œil analyse quand le nôtre voit exactement la même tête et la même coupe qu’avant ce fameux geste hyper précis et détaillé !

- ... et celles qui font style « je ne vois pas qu’on me mate » alors qu’elles démarrent leur programme « on me mate » à la seconde où on les mate

- ...ceux qui mettent leurs lunettes de soleil quand y’a pas de soleil, ceux qui écoutent Booba ou la Fouine, ceux qui écoutent leur autoradio à un niveau sonore qui permet à la ville d’à côté de savoir qu’ils arrivent bientôt

- J'ai une théorie sur celles qui te mettent leurs seins dans ton assiette et qui racontent outrées qu’elles ont affronté des regards un peu limite

- Mouais... et moi j'ai une théorie sur ceux qui adorent qu'elles mettent leurs seins dans leur assiette et qui ont une théorie sur leur comportement juste après...

- Ah je ne mange pas de ce pain-là Madame...

- Arrête, t'en laisses pas une miette... Tiens, j'en ai une autre qui me vient, celui qui a tout le rang vide devant le tien mais qui choisit de s’asseoir devant toi au cinéma

- Et celle qui sait que tu es impatient derrière elle et qui fait exprès de raconter sa vie à la caissière ou de chercher une pièce de cinq francs dans son porte-monnaie alors que ça plus de dix piges qu’on est passé à l’euro !

- ...celles qui regardent toutes les autres filles de la tête aux pieds et qui disent « j’ai horreur des gens superficiels »

- J'ai aussi une théorie sur celui qui vient s’intéresser à toi dans une soirée dans laquelle tu viens d’arriver avec une nana à tomber...

- Et qu'est-ce que tu vas en faire de toutes tes théories alors ?

- Je vais les garder pour moi, parce que je suis bien élevé et parce que je ne voudrais surtout pas qu’on me prenne pour ces mecs qui se la racontent et qui ont une théorie sur tout. De toute façon, j’ai une théorie sur les gens qui ont une théorie.




Franck Pelé - textes déposés SACD - octobre 2014

Sous le soleil exactement



- Que me vaut ce magnifique sourire ?

- Je viens de comprendre pourquoi je t'aime tant...

- Ah parce que jusqu'à maintenant tu m'aimais sans savoir pourquoi ? Quelle aventurière !

- Et pourquoi pas ? Ce serait possible non ? Aimer quelqu'un sans savoir pourquoi mais avec la certitude chevillée au corps et au cœur qu'on l'aime... Tu sais pourquoi tu m'aimes toi ?

- Evidemment ! Je connais les mille raisons qui font que je t'aime, je sais qu'il y en a d'autres mais je creuse à mon rythme...

- Je discutais avec ma sœur tout à l'heure, on faisait ce jeu où on doit résumer quelqu'un en un mot.

- Manque de confiance en soi.

- Quoi... c'est pour moi ça ?

- Non, c'est pour ta sœur. Bon c'est en cinq mots mais on va pas chipoter...

- Ah si, si, on chipote ! Il faut que ce soit le fruit d'une longue et profonde réflexion ! C'est exactement ce que j'ai fait pour toi.

- Je crains le pire...

- Tu ne devrais pas... Cette réflexion à donné naissance à un mot, un seul, validé par ce sourire....

- Je t'écoute religieusement...

- Précis.

- Précis ? Tu m'aimes parce que je suis précis ? Précis c'est à dire... Parce que je suis à l'heure ? Parce que je colle les vignettes pile poil dans leur cadre ?

- Arrête Raoul... Sois sérieux deux minutes, écoute-moi avec la même attention que celle que tu attends pour tes mots, tu peux me faire ce plaisir ?

- Pardon. Je t'écoute. Dis-moi qui je suis...

- Tu es incroyablement, formidablement précis. Tu es même l'homme le plus précis qu'il m'ait été donné de rencontrer. Tu es précis dans le choix de tes mots, dans le choix de tes silences, dans le timing de tes élans, tu es précis dans tes caresses...

- Tous les hommes sont précis dans leurs caresses non ?

- Oh non... Entre ceux qui ne pensent qu'à leur plaisir et ceux qui cultivent la légende qui veut qu'un homme ne sache pas faire deux choses en même temps, on a le temps de se demander dix fois ce qu'on fait là... ajoute ceux qui pensent qu'en appuyant n'importe comment sur n'importe quel bouton de la télécommande ils arriveront à allumer la télé et tu obtiens un pourcentage impressionnant de chercheurs d'or qui ne savent absolument pas comment en trouver !

- Et pourquoi j'en trouve selon toi ? Je n'ai rien de plus que les autres, c'est un piège dessiné par les heures victorieuses ça...

- Parce que tu as cette sensibilité qui comprend ce qui brille, tu sais exactement comment caresser un sourire parce que l'amour te sourit, parce que ton côté féminin donne une délicieuse élégance à tes gestes les plus masculins, tu as la précision d'un orfèvre. Que tu cisèles une nuit ou que tu racontes le jour, que tu épouses des lèvres ou que tu emportes une âme, c'est toujours exactement comme ce doit être fait pour l'autre. Voilà pourquoi je t'aime. Parce que tu as cette précision de l'autre.

- Je n'ai pas cette précision de l'autre, j'ai cette précision de toi. Et si tu la mesures si bien c'est parce que j'ai le même sourire que toi quand je te regarde, si j'ai cette précision dans ce que je veux offrir c'est parce que tu as cette précision dans ce que tu veux recevoir, dans ce que tu sais recevoir, dans ce que tu attends. Personne ne sait recevoir mes mots, mes caresses, mes silences, et même mes colères, aussi bien que toi. Peut-être que la caresse précise dont tu parlais tout à l'heure, si je l'avais pour une autre, je serais moi aussi un chercheur d'or qui ne trouve rien...

- J'admire la précision de ta fausse modestie, mais tu sais comme moi que tes mains ont une histoire déjà très riche...

- Le passé ça compte pas...

- Quand tu me dis que je suis belle je te crois, je ne crois ma beauté que dans ton regard, parce que je sais que ta sensibilité ne ment jamais, c'est elle qui a ce pouvoir unique de faire briller l'objet de ton frisson.

- Simone, je sais précisément ce qui brille dans tes yeux-là...

- On va se reposer un peu là-haut ?

- Je ne suis pas sûr de pouvoir dormir avec la télé allumée...




Franck Pelé - oct 2014 - textes déposés SACD

mercredi 8 octobre 2014

Un seul éclat vaut mieux que mille reflets



- Chéri, je pars faire des courses !

Raoul sort de son bureau pour répondre :
 
- D’accord ma… (Il marque un temps d’arrêt, comme subjugué) … beauté…

- Oui ?

- Je t’ai dit que je t’aimais aujourd’hui ?

- Pas aujourd’hui non. Mais tu peux en garder pour plus tard, tes "je t’aime" me font de l’effet plusieurs semaines d’affilée tu sais…

- Et pourquoi cette tenue de gala pour aller chez le boucher ?

- Arrête ta jalousie… Je veux être belle c’est tout, c’est la jalousie de tous les autres envers toi que je vais cultiver…

- Mais c’est dangereux ça, c’est un peu jouer avec le feu…

- Raoul, c’est la fin de l’été, il fait beau, on est samedi, il est 11h et je crois que ce n’est pas loin d’être mon moment préféré de la semaine. Surtout avec ce temps. Moi le samedi, j’ai l’impression que c’est un jour béni, le jour du plaisir, on sait qu’on a encore un jour pour se reposer, les gens ne travaillent pas, tout le monde se croise, c’est un peu comme une cour de récré en ville, il n’y a plus personne en classe, que des âmes libres qui flânent… Et j’ai envie de rendre hommage au charme de cette journée.

- Tu lui rends bien… Je t’aime Simone.

- Moi aussi chéri.

- Non mais Simone ! Vraiment… Je sais que les mots ne résonnent plus pareil à force de venir se heurter sur les mêmes murs, portés par le même vent. Je sais que l’écho monotone fatigue bien plus que le silence. Tu sais, hier, je regardais un documentaire sur cet acteur qui avait une peur inouïe de ne pas être aimé, d’être oublié. J’ai trouvé des similitudes avec moi bien sûr, mais j’ai aussi pensé à toi.

- Pourquoi ?

- Je me suis dit que je ne savais pas assez te dire ce qu’on dit après la disparition de quelqu’un…

- Et ben c’est gai…
 
- Non vraiment ! Si je te perdais demain, j’aurais pour quiconque voudrait m’entendre parler de toi les mots les plus entiers, les plus éternels, les plus exceptionnels pour qualifier celle qui m’aura fait l’honneur de m’offrir son amour et la plus belle place dans sa vie.

- Mon amour… Arrête sinon je vais me sentir obligée de mettre un survêtement pour te faire plaisir…

- Non, je serais fou de vouloir t’empêcher d’être belle… Tu le fais si bien, tu le fais comme personne…

- J’en veux bien un peu avant de partir de ces mots exceptionnels si tu en as à disposition…

- Je sais que je passe ma vie à te faire remarquer tes petites bêtises, tes mauvais choix, tes traits de caractères durs, égoïstes, jaloux parfois, je sais que je t’engueule plus facilement que je ne te dis l’amour que tu attends…

- On est tous pareil, moi non plus je ne vais pas laisser passer l’occasion de te souffler dans les bronches alors que tu mériterais souvent d’autres mots, mais tu les attends tellement parfois que je n’ai pas envie de te les donner…

- J’en étais sûr ! Tu sais que je les attends et tu fais exprès de ne pas me dire ce qui me ferait plaisir ? Mais t’es vraiment une manipulatrice, tu vois que j’ai raison quand je te dis ça !

- Oh non Raoul, continue sur la lancée tout à l’heure parce que là je sens comme un soupçon de vinaigre dans le parfum du bouquet…

- Voilà ! Donc moi je fais l’effort de te dire l’indicible et toi tu préfères ne pas me le dire plutôt que perdre la face devant la possibilité d’un compliment ou d’un mot généreux !

- Mais tu viens de dire la même chose, tu te fous de moi ? Mais quelle mauvaise foi !

- Mais pas du tout !

- Mais si ! Tu viens de dire qu’il faudrait que je sois morte pour me dire tout ce que je veux entendre ! Tu peux pas me le dire avant ? T’as peur que je sois heureuse ?

- Mais c’est terriblement injuste de balancer ça alors que je suis en train de faire la déclaration d’une vie !

- Tu me dis ça pour que je reste là ou pour que je mette un pantalon et un col roulé ! Tu as peur de l’effet de mon chapeau sur les hommes dans la rue !

- Mais c’est n’importe quoiiiii !!! Tiens, regarde si j’ai peur de ton chapeau !

Il enlève le chapeau de Simone d’un geste soudain et le met sur sa tête

- Raoul ! Mes cheveux ! Regarde ce que tu as fait à mes cheveux !!! Espèce de malade !!!

Elle le tape sur l’épaule, les bras, partout où elle peut tout en essayant de reprendre son chapeau. Commence une lutte savoureuse jusqu’à ce que Raoul trébuche en se prenant les pieds dans le tapis. Il tombe, sa tête heurte la table basse. Il est sur le dos, inanimé sur le sol.

- Raoul ? Arrête tes bêtises… Raoul !!!

Il ne bouge pas. Elle passe sa main dans ses cheveux.

- Raoul mon amour… Je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne et comme je n’aimerai jamais plus. Tu es maniaque, insaisissable, colérique, plein d’habitudes insupportables et de goûts étranges mais tu es l’homme le plus séduisant du monde. Ton regard sur moi est au-delà ce qu’une femme peut rêver pour avoir besoin de se sentir belle…

Il ouvre un œil, d’une façon franche qui ne laisse aucun doute sur le caractère factice de sa perte de conscience.

- Tu vois, toi aussi tu avais besoin de me voir disparaître pour me dire les plus jolis mots…

- Tu es vraiment ridicule avec mon chapeau…

- Tu savais que je t’écoutais ?

- Tu ne peux pas mourir à cause de moi… et ta respiration forte trahissait une certaine conscience…

- Tu sais de quoi j’ai envie là ?

- J’hésite entre faire une grille du mot mystérieux ou l’amour…

- J’ai envie de défaire l’amour surtout, puis de le refaire, pièce par pièce…

- Commençons par le salon alors…

- Joli double sens… Je peux garder ton chapeau ?

- Ah non !

- Attends… C’est moi qui te le mets…

Il enlève le chapeau et le remet délicatement sur la tête de Simone, légèrement en vrac. Il la regarde longuement, la perçant jusqu’à l’âme.

- Je n’avais pas fini tout à l’heure. Je disais… je sais que je passe ma vie à te faire remarquer tes petites bêtises, tes mauvais choix, tes traits de caractères durs, égoïstes, jaloux parfois, je sais que je t’engueule plus facilement que je ne te dis l’amour que tu attends, mais ne doute jamais une seconde de l’existence de tous ces mots qui ne sortent pas toujours. L’ego filtre parfois sans concession, il ne laisse passer que les miettes dorées et il retient les pépites qui feraient la richesse du cœur de l’autre. Je suis fou de laisser passer autant de jours sans te donner tout l’or que j’ai pour toi… Tu es le plus fabuleux trésor qu’un homme puisse trouver, et je sais tous les jours ma chance.

- Si quelqu’un d’autre m’avait trouvée, je n’aurais jamais brillé autant… Les femmes rêvent souvent de diamant parce qu’elles n’en ont jamais vu, ou parce qu’elles imaginent leur beauté réinventée avec un tel bijou. Moi je n’ai jamais rêvé de diamant, je vis avec. Et si on me voit belle dehors c’est parce que je porte en toutes circonstances l’éclat de ton amour.

Raoul remet doucement une mèche à l’intérieur du chapeau de Simone

- Le boucher va être fermé…

- On mangera autre chose… Je m’étais préparée pour tourner la tête d’une trentaine d’homme et rendre jalouses au moins quinze femme mais je veux bien t’offrir sur un plateau cette beauté qui te revient…

- Je suis désolé pour eux, mais il ne restera rien… ou peut-être le plateau. Ils pourront y regarder le visage de leur frustration lustré par ma faim de toi…
 


Franck Pelé - Textes déposés SACD - octobre 2014

vendredi 18 juillet 2014

Le trait





- Depuis que tu as croisé cet homme tu n'es plus la même... Je ne sais pas ce qu'il y a dans ses yeux mais méfie-toi des apparences...

- Des apparences ? Mais ça fait des années que je vis avec les apparences !

- Que veux-tu dire par là ?

- Par exemple, je crois vivre depuis des années avec un homme qui m'aime mais en fait je vis avec un homme qui, apparemment, m'aime. Tu vois mieux ce que je veux dire là ?

- N'importe quoi... Voilà une preuve supplémentaire de ton inconscience... Tu te fais manipuler et tu ne vois rien. Il faudrait être vraiment décérébrée pour ne pas voir que ta rencontre idéalisée te monte à la tête...

- Voilà, c'est ça... Je suis décérébrée. Arrête avec cet amour débordant, c'est trop... Une seule personne me manipule et j'ai passé beaucoup trop de temps avec elle.

- Mais il te promet quoi avec ses yeux de biche et son sourire enchanteur ? Hein ? Ils ont tous les mêmes sourires au début ! Pleins de douceur et d'attention. Mais qui a toujours été là ?

- Je n'ai jamais croisé son regard. Je ne connais que ses mots. Les mots ne trompent jamais. En tout cas pour qui sait les lire. Alors que toi...

- Je ne t'ai jamais trompée !

- Tout dépend ce que tu entends par tromper. Tu dis que tu as toujours été là ? Mais tu as toujours été là pour que je te fasse briller ! Tu voulais une belle voiture, tu as eu une belle voiture, tu voulais une belle maison tu as eu une belle maison, et tu t'en es vanté. Tu voulais une belle femme, tu as eu une belle femme, enfin j'espère. Pour mieux t'en vanter encore. Quand tu me présentes, tu ne m'écoutes pas, tu te fous de ce que je pense dans une conversation, ce qui t'intéresse c'est l'empreinte que je laisse auprès de ceux qui t'entourent, en ton nom. Je suis un argument de plus dans l'affichage permanent de ta réussite. Je suis ta chose dans ton show off sans fin. Tu ne m'aimes pas, tu adores me posséder. Beaucoup de femmes aimeraient se sentir aussi précieuses qu'un diamant, moi je me sens comme un diamant qui sert à augmenter ta valeur !

- Tu es vraiment une ingrate... J'ai tout fait pour toi ! Et regarde ! Regarde-toi ! Je ne te reconnais plus !

- Mais tu as raison ! Moi non plus je ne me reconnais plus ! Et tu sais pourquoi ? Parce que je suis de plus en plus floue dans l’image que tu me renvoies de moi ! Je ne sais plus qui je suis ! Tu m’effaces ! Tu me gommes ! Tu mélanges toutes mes nuances et tu les recraches dans un gros trait uniforme et sans vie ! Tes pinceaux sont usés, ou trop gros, je ne sais pas… Je ne sais plus. Mais je sais que je ne t’aime plus. J’ai longtemps aimé l’idée que je me faisais de toi mais aujourd’hui, même cette idée ne me séduit plus.

- Qui c’est ce connard… Qui c’est ???

- Ce connard ? Mais c’est toi mon pauvre ami !

- Ne joue pas sur les mots…

- Non, je ne joue jamais sur les mots. Je les respecte, ils transportent tout ce que tu n’écoutes plus depuis longtemps. M’as-tu jamais écoutée…

- Qui c’est Simone ?

- Il s’appelle Raoul.

- Déjà le prénom t’as tout compris…

- Qu’est-ce que tu peux être con… Y’a quand même des réveils plus violents que d’autres, et là, depuis dix minutes que je vide mon sac, en voyant la qualité de tes réactions, j’ai vraiment mal à la tête… Mais ma convalescence ce sera du miel, et ma renaissance sera divine.

- T’as qu’à l’épouser pendant que tu y es ! Vas-y ! Tu l’as jamais vu mais vas-y, va jusqu’au bout de tes gamineries ! Signe sans avoir vu le paquet !

- Tu sais, j’ai déjà signé en ayant vu le paquet, mais on n’est jamais à l’abri de faire la tronche au moment où il s’ouvre vraiment le paquet ! Je vais peut-être l’épouser oui, pourquoi pas. Je pourrais. Je suis tellement sûre de sa main.

- De sa main ?

- Oui, de cette main qui sait m’écrire autant qu’elle sait me dessiner. Je m’effaçais doucement, si j’avais continué avec toi, je serais devenue une espèce de forme abstraite, sans expression, presque sans vie, sans intérêt. Raoul me redessine, et son trait est magique. Je n’ai jamais été aussi moi qu’avec lui.

- Et toi ? Tu crois qu'il est magique ton trait sur moi ?

- Mon trait sur toi n’est peut-être pas magique, non... Mais il est définitif.





Franck Pelé – textes déposés – Juillet 2014

  

lundi 30 juin 2014

Un seul être vous manque




- C'est bizarre je n'entends pas un bruit... Tu permets que j'ouvre le rideau ?

- Bien sûr... Mais arrête de stresser Simone, on est quand même en avance là...

- Je ne stresse pas, j'ai besoin de l'énergie du public... Il sent moyen ce rideau dis donc... ça ne se lave jamais un rideau ?...


 Elle ouvre à peine le rideau, assez pour apercevoir la salle sans être vue


 - Alors ? Ils sont combien ?

- Ils sont un.

- Pardon ?

- Ils sont un ! Il y a UN homme dans la salle, au quatrième rang. Tout le reste est vide !

- C'est pas beaucoup pour une première... Tu es sûre que c'est ce soir ?

- Tu te fous de moi Pierre ? Evidemment que je suis sûre !

- Qu'est-ce qu'on fait ? On annule ?

- Oui, on annule.

- Et l'homme dans la salle ?

- Je vais aller lui parler.


 Simone ouvre le rideau et s'avance sur scène sous les applaudissements de l'homme absolument seul à l'orchestre. Le vide du théâtre autour de lui renforce une résonnance aussi étrange que particulière.


- Je suis désolé Monsieur mais je ne vais pas pouvoir jouer ce soir.

- Oh non... Mais pourquoi, vous êtes souffrante ?

- Non, non... je vais très bien. C'est juste que... vous êtes seul et la salle devait être pleine. Je ne comprends pas...

- C'est moi qui ne comprends pas... Vous jouez en fonction de l'assistance ? Vous donnez votre talent au pro rata du nombre d'entrées ? Une comédienne peut donc devenir une espèce de contrôleur de gestion ?

- Je ne vous permets pas Monsieur. Vous ne me connaissez pas, vous ne pouvez pas me juger comme ça.

- Si je me permets Madame ! Parce que vous venez de donner une énorme indication sur votre nature, si je ne vous connaissais pas jusqu'à maintenant, j'aurais une bonne raison de ne pas avoir envie de vous connaître. Vous devez donner autant de vous qu'on soit un ou mille, qu'on soit dans un petit festival de province ou à l'Opéra ! Si vous agissez de la sorte, c'est que vous vous aimez plus que vous n'aimez l'autre, que ce soit votre public ou tout être qui vous aimerait !

- Vous vous prenez pour qui Monsieur-de-la-morale ? Vous avez du mal à comprendre que pour une première, c'est normal de s'attendre à une salle pleine ? ça vous défrise de sortir de vos pompes funèbres pour vous mettre dans les miennes et de prendre conscience que ça ressemble plus à une dernière qu'à une première ?

- Pourtant, jouer devant une seule âme ce doit être une première non ?

- Oh putain, un drôle...

- Madame, ne gâchez pas votre élégance et votre sensualité avec une colère qui habille très mal les mots...

- Je fais ce que je veux avec mes cheveux ! Prenez ma place puisque vous êtes si fort ! Vous verrez comme c'est formidable de jouer devant une seule personne dans un théâtre aussi grand !

- D'accord mais vous prenez ma place.

- Très bien. Et si je vous trouve mauvais, je siffle, si je pense que vous ne donnez pas assez, je crie, je hue.

- Faites-vous plaisir.

L'homme se lève et rejoint la scène que Simone quitte sans un regard pour celui qu'elle aurait presque envie de gifler. Elle prend place dans le même fauteuil que son détracteur et le regarde en croisant les bras, l'œil noir.

- Allez Molière, balance ta prose.

- Je ne vais pas être long. Je vous demanderai juste de ne pas m'interrompre. Simone, je vous connais depuis... toujours je crois. Tout en vous me parle, m'appelle, m'inspire. En fait la situation de ce soir me séduisait énormément parce que j'ai toujours eu l'impression que votre jeu était pour moi. Mieux encore, que votre être tout entier m’était destiné. Je voulais savoir comment vous réagiriez si vous deviez jouer pour moi seul. Et je m'attendais à tout sauf à ça, l'annulation pure et simple du spectacle de vous-même parce qu'il n'y avait pas assez de monde pour faire briller votre ego. Ma présence, même au milieu du vide, surtout au milieu du vide, aurait dû être respectée, remerciée, reconnue. Vous auriez dû vous servir de votre colère et de votre déception pour jouer comme jamais auparavant, pour moi qui représentais les gens qui vous aiment. Vous avez préféré ignorer l'élan de quelqu'un venu jusqu'à vous, parce qu’il était bien trop seul pour mériter votre attention, votre don de vous-même, votre envie d’émouvoir. 

(Simone sent que sa colère se transforme en culpabilité, en une lucidité du cœur allumée par le cœur d'un autre)

Rassurez-vous Simone, les gens qui vous aiment seront nombreux dès demain, tous les soirs, prêts à vous applaudir à tout rompre. J’ai acheté toutes les places ce soir, parce que je voulais être seul avec vous, un rêve absolu. Si je ne pouvais le vivre, j’en aurais eu le goût. C’est avec un goût amer que je vais vous laisser la scène et quitter votre horizon, vous étiez la femme de ma vie, la plus belle, la plus extraordinaire femme possible, et j’ai l’impression détestable que vous venez de la faire voler en éclats. Reprenez votre lumière Simone, je vous laisse siffler, huer ou même ignorer celui dont vous avez éclairé les nuits comme les jours, et vous savez ce qui est fou ? Je vous trouve profondément belle et émouvante jusque dans votre noirceur, dans ces vernis qui vous emprisonnent. 

(Les traits de Simone se figent, elle déglutit difficilement)

Je vous aime Simone, et j’aurais adoré que l’écho de mes applaudissements vous transperce le cœur à la fin de votre pièce, jouée pour moi, pendant deux heures votre regard dans le mien, créant un lien dont on ne connaîtra jamais le fruit. Je ne savais pas que la qualité de l’attention se mesurait à la quantité des attentifs. Je m’appelle Raoul, je vous salue, je vous souhaite le meilleur, et je vous en prie, laissez-moi partir en silence…

Simone avait les yeux embués, la bouchée entrouverte, comme choquée de l’intérieur, elle était sonnée, hébétée. Le lendemain, la salle était pleine, sauf un fauteuil, vide, au quatrième rang. Elle a joué pour ce fauteuil vide ce soir-là. Elle a été extraordinaire. Elle ne jouait pas, elle était. 

La salle était debout, acclamant une femme amoureuse d’un homme absent. Il sera son manque tous les soirs. Et chaque matin entre eux. Pendant trois semaines, ce fauteuil restera vide, renversant un peu plus un cœur déjà chaviré. Elle lui avait écrit, dix fois, trente fois, après avoir retrouvé son nom grâce à la billetterie. 

 Le soir de la dernière, elle n’avait pas envie de jouer, elle n’avait plus envie. Les gens la réclamaient, tapant des mains, certains tapaient des pieds. Elle jeta un œil dans le public à travers l’ouverture du rideau, et son visage se figea. 

Il était là, debout devant le fauteuil vide, son fauteuil, il était à sa place. Il applaudissait aussi fort qu’il souriait, ému dans chacun de ses traits. Simone sentit une énergie formidable monter en elle, de celles qui font les performances inoubliables. 

Jamais le rideau n’avait senti aussi bon.




 Franck Pelé – textes déposés – juin 2014

mardi 17 juin 2014

Le jour où elle a marché sur l'eau

 
 

Mon chemin était fait de cailloux semés dans une autre vie, d'ornières creusées par les orages et le poids de consciences obscures, certains endroits étaient secs et toujours éclairés d'une lumière sereine, d'autres gardaient l'eau du ciel dans de petites nappes brillantes et grises, consentant à offrir le reflet des nuages résistant à tous les optimismes. J'avais aimé une fois, il y a longtemps.
On ne m'y reprendrait plus.

J'avais connu le frisson, reconnu l'écusson de cette armée de sentiments fleuris, j'avais déposé les armes et m'étais constitué prisonnier avec un plaisir immense. Cet amour avait en lui de splendides couleurs, elles auraient gardé tout leur éclat dans la conjugaison de deux cœurs généreux, mais l'égoïsme et la jalousie finissent toujours par délaver les teintes d'origine. Celle que je pensais choisie par mon cœur avant que ma raison me rappelle le goût de son pouvoir castrateur avait mis beaucoup d'azur dans mon horizon, ses bleus à l'âme avaient fini par noircir mon ciel, les vents dépressionnaires finissent toujours par coucher les tiges les plus fières. Et le printemps ne revient pas jamais aussi vite que celui qui se proclame saison nouvelle.

J'avais été dramatiquement droit et furieusement libre, ou le contraire, mais elle était de ces moitiés qui vous bouffent en entier si vous la laissez multiplier les tentatives de vous soustraire à votre propre nature. Et l'addition était déjà très salée au moment de calculer l'intérêt de ma relation. Je n'étais pas de ceux qui renvoyaient le buffet en cuisine parce que mes goûts avaient changé aussi vite que mes envies. Je savais qu'elle continuerait d'être un dessert idéal pour un autre gourmand, mais je n'avais plus faim d'elle. Ce qui ne m'inquiétait plus, il fallait accepter que l'amour comme les choses de la vie ne soit pas une science exacte dont la qualité se calcule la durée.

Je n'avais plus faim d'amour non plus, et là était ma plus profonde inquiétude. Pourquoi je ne vibrais plus ? Etais-je mort avant de l'être tellement l'idée de toute fin me rongeait de l'intérieur ? J'avais pourtant conscience que toute capitulation face à l'inéluctable ruinerait les années qui devraient être les plus belles, les plus mûres, les plus savoureuses. Il n'y avait plus de frissons au plus profond de moi, plus d'espoir ni la moindre trace de cette insouciance légère qui avait tant fait pour mon être. Ma vie ressemblait à cette flaque, à ce miroir d'eau, alternant des reflets sombres et lumineux, calme, comme après une tempête, comme avant une évaporation qu'on ne sentirait pas venir.

Et puis elle est arrivée. D'un pas décidé et plein de grâce, elle a éclaboussé mon existence de toute sa classe, de toute sa certitude que j'existais pour elle. Elle s'appelait Simone.

Elle est mon chemin, ma lumière, elle est une pluie de réponses sur mes doutes les plus secs, elle a fait pousser les plus belles fleurs du monde partout dans mon désert, elle est mon jardin, mon sanctuaire. Je n'avais jamais aimé avant. J'avais essayé.




 Franck Pelé - textes déposés - juin 2014


mercredi 4 juin 2014

Renaissance




Elle était là, assise en terrasse, sa valise à ses pieds. Elle avait pris sa décision pendant la nuit. En rangeant ses affaires, doucement, sans haine ni regrets, elle associait un souvenir à chaque vêtement. Cette bretelle qui était tombée sous l'effet conjugué du fruit et de la passion, cette autre qui avait été remise d'un geste aussi sec que son jardin avant les larmes. Et cette jupe qu'elle aurait fendue elle-même si sa coupe avait été différente, le jour où son regard la faisait déjà nue.


Elle ne savait pas vraiment si elle devait habiller cette histoire des mots les plus profonds, il lui semble qu'elle avait été amoureuse, mais l'absence de certitude était probablement la preuve du contraire. Elle ne quittait pas un homme. Elle quittait le temps qui entourait sa vie et cet homme en faisait partie. Elle avait fait son temps. Elle en avait pris du bon, elle en avait perdu aussi. Et plus le temps passait, plus elle sentait qu'elle le perdait. Elle ne le vivait plus. Elle le subissait. Les grains du sablier n'étaient plus aussi fluides dans leur inexorable chute, ils grippaient la mécanique, la machine n'avançait plus vraiment. Ou pas dans le bon sens. Il lui reprochera forcément sa fuite. Ce qui justifiera la suite.


Elle ne partait pas parce qu'elle n'aimait plus, elle partait parce qu'elle voulait aimer. Pas comme le hasard en force le trait, mais comme la vie décide de faire vibrer l'intense. Le hasard fait bien les choses quand il fait s'épouser des destins évidemment jumeaux, il est plus vicieux quand il propose une rencontre que l'habitude cimente. Le ciment de l'habitude s'effrite toujours. Celui de l'évidence érige des histoires qui durent, des histoires aussi belles que celles qui sont lues en secret.


Le regard de Simone se perdait dans le vague jusqu'à ce qu'elle sente un regard sur elle. Elle ne tournait pas la tête, mais elle sentait que cet homme, à la dernière table à gauche sur la terrasse, posait un regard particulier sur elle. Il faut être une femme pour sentir ce regard-là. Pour sentir qu'il ressemble aux regards qui insistent alors qu'il a toute la retenue de celui qui invite, pour sentir qu'il violerait presque votre décolleté alors qu'il vous habille de votre plus belle peau. Ce regard qui vous fait belle comme vous ne l'êtes jamais autant dans celui d'un autre, c'est une éclipse, c'est un solstice, c'est un big bang.


Quand Simone a enfin tourné la tête, elle n'a pu voir que la fin du mouvement de tête de l'homme qui cessait de la regarder à l'instant. Il se replongeait dans les mots qu'il écrivait, pensif, semblant chercher une inspiration parfaite, idéale. Simone insistait jusqu'à ce qu'il ose la regarder à nouveau, cette fois dans les yeux. Quand son regard a croisé le sien, rien ne s'est apparemment passé. Rien qui puisse se voir. Mais dans la dimension de leur rencontre, on aurait pu entendre les coeurs exploser, les illusions perdues s'entrechoquer, on aurait pu entendre tous les verres se briser sous l'effet de l'onde de choc. Et la moindre ampoule exploser pour que l'obscurité règne, comme un hommage à la lumière rare d'un moment unique, magnifiant l'éclat d'un couple qui éclairera jusqu'aux mondes de demain.


A partir de ce moment précis, Raoul vivra continuellement dans une inspiration divine. Et Simone aimera comme la vie décide parfois de faire vibrer l'intense, comme une preuve de l'exceptionnel possible sur les longs chemins de traverse.





Franck Pelé - textes déposés SACD - Juin 2014 (photo : Gibrat)

mercredi 14 mai 2014

Trésors cachés






- Allô ? Chéri ? Il faudrait que tu viennes voir, j'ai trouvé un trésor incroyable derrière une des cloisons qu'on veut abattre.

- Qu'est-ce que c'est ? Des tableaux ? Des bijoux ?

- Non, une bibliothèque entière.

- Une bibliothèque ?

- Oui. En plâtre.

- Une bibliothèque en plâtre ? Tu as trouvé une bibliothèque en plâtre derrière la cloison...  mais... pleine ?

- Oui, pleine de livres en plâtre.

- Mais c'est quoi l'intérêt ?

- Découvrir un secret...

- Oui mais un secret en plâtre.

- Tu ne sais pas rêver Raoul...

- Tu as essayé de casser les livres ?

- Heu... non...

- Vas-y.

- Mais non elle est magnifique cette bibliothèque, c'est de l'art !

- Casse un livre ou deux.



Pam ! Pam ! Pam !



- Raoul, ils sont pleins de pièces d'or !

- Tu vois ? Tu ne sais pas chercher Simone...

- Mais comment diable aurais-je pu savoir qu'il fallait ouvrir les livres pour trouver un trésor ?

- Je ne sais peut-être pas rêver mais je sais où se cache la richesse des choses... D'ailleurs, je n'aurais jamais vu le diamant en toi si je m'étais arrêté à ton regard plâtreux le soir de notre rencontre... Mais j'ai voulu casser cette cloison que tu mettais entre nous... Pourquoi l'avoir mise d'ailleurs ? Tu ne me trouvais pas séduisant ?

- Oh si, mais toi aussi apparemment tu te trouvais séduisant. Et je m'étais juré que tu ne m'approcherais pas.

- Parce que toi tu ne te trouvais pas séduisante peut-être ? Tu mettais des obstacles mais dès que tu regardais un homme, tu l'invitais à faire tomber le mur ! Heureusement, tu as su voir le seul qui était capable de la caresser ta cloison, jusqu'à ce qu'elle cède et s'ouvre sur mon paradis...

- Oui bon je vais te laisser Raoul parce que je sens que tu vas avoir la métaphore entre BTP et France Dimanche et j'ai des trésors qui m'attendent...

- Simone, t'es gentille, tu me laisses un peu de lecture !

- C'est bien la première fois que tu t'intéresses aux livres...

- Quand ils sont pleins de surprises et qu'ils permettent de toucher le rêve du doigt, je suis un passionné de la richesse littéraire, une sorte de chercheur d'art...




Franck Pelé - textes déposés - Mai 2014