mardi 9 août 2011

Dans les cuisines de l'élégance


- Tu n'es toujours pas prête ?

- Oh ça va, ça fait à peine une demi-heure que je me prépare Raoul, sers-toi un scotch en attendant !

- Ça va bientôt faire une heure Simone...

- Ah mais tu comptes la douche là ?

- Et pourquoi je ne compterai pas la douche ?

- Parce que ça ne compte pas la douche ! La douche c'est la remise à zéro des compteurs, c'est la naissance de la feuille blanche, c'est après qu'on commence le tableau, qu'on esquisse l'exquise, qu'on dessine le projet...

- Mais pourquoi vous mettez autant de temps à vous préparer ? Avoue que c'est quand même un truc que vous avez dans les gènes.

- Parce que vous, vous vous préparez en un quart d'heure, on vous remarque quand vous arrivez, et au bout de deux verres, on a cerné le personnage. Et parfois, au bout de quatre, vous êtes à l'envers ! Alors finalement, vous avez raison de ne pas perdre de temps à faire ce que vous allez vite défaire. Nous, on nous remarque dès qu'on entre dans la pièce, et plus on est préparée, plus on nous remarque. L'empreinte est profonde, on ne peut s'empêcher de vouloir connaître cette nature aux mille feuilles mystérieuses, à l'apéritif, puis à table, les hommes rêvent d'effeuiller ce mystère et les femmes en jalousent la richesse. Au dessert, les bulles de champagne ne suffisent pas à calmer l'ivresse de regarder cette femme, on veut la connaître, elle a quelque chose, on la fantasme au petit matin, on la projette dans son jardin. Alors oui, ce mystère, ça se prépare, ça se construit. Si Notre-Dame avait été faite en trois jours, personne ne l'aurait remarquée.

- C'est donc pour les autres hommes que tu te fais belle...

- Oh hé, pas à moi hein ! Parce que toi tu te fais beau pour moi ? Tu t'es rasé et parfumé pour plaire à celles et ceux qui vont te croiser lors de cette réception, et pas uniquement pour me plaire ! Il faut assumer de jouer les personnages que nous jouons en société Raoul, il n'y a aucun mal à ça, c'est le jeu depuis des siècles ! Louis XIV tu crois qu'il venait en tongs pour assister aux concerts de la Cour ? Et ses sujets, ils venaient en short ? Alors oui, je me fais belle pour notre sortie mondaine chez ton patron, pour plaire, aux hommes et aux femmes, mais surtout, je frissonnerai de plaisir jusqu'à la racine de mes cheveux de savoir que cette femme qui fera cet effet à tous ceux qui la croiseront, c'est ta femme. Et ne me dis pas que tu n'en seras pas fier...

- Tu es forte Simone... Tu transformes ma jalousie naissante en fierté insolente...

- Et pour répondre à ta question, ce n'est pas dans les gènes, non. Parce que si c'était dans les gènes, la femme de ton patron ferait le même effet que moi, et franchement, sans prétention aucune, elle en est très loin. Elle a autant de charisme que son plateau de fruits de mer ! Et encore, les homards sont vivants parfois... La beauté n'a rien à voir avec les gènes Raoul, c'est dans le cœur, dans l'âme. Le charisme, le charme, l'élégance, ce sont des natures, des natures vivantes, que nous devons cultiver pour le grand monde, mais qui pousseraient quand même, sauvages et belles, sans l'ordre que nous essayons d'y mettre. La beauté, c'est du plaisir. Et tu le sais comme moi, où y'a des gènes, y'a pas de plaisir !




Franck Pelé - Août 2011

Un parfum d'éternité


Simone était en vacances chez une amie de sa tante, dans une grande demeure victorienne. Ce premier jeudi de juillet était un grand jour puisque le fils de cette amie rentrait de voyage et avait promis à sa mère de passer la voir à l'heure du thé. Simone ne prêtait pas vraiment attention à cette petite effervescence familiale qui ne la concernait pas, mais quand cet homme s'est arrêté devant elle pour la saluer, elle a immédiatement senti le temps s'arrêter. Mieux encore, pendant la courte durée du regard qu'ils ont échangé, il avait arrêté de vieillir en même temps que son propre temps suspendait son vol. Leurs horloges s'étaient épousées en même temps que leurs aiguilles s'étaient arrêtées. Il s'appelait Raoul. Le temps d'un sourire, poli pour les autres, éclatant pour elle, Simone remontait dans sa chambre, laissant le fils à ses histoires de tour du monde. Alors qu'elle montait, elle l'entendait dire qu'il avait besoin de se reposer un peu dans sa chambre. Elle pressait le pas, refermait la porte de sa chambre derrière elle, et s'asseyait sur son lit. Quelques minutes après, elle entendait s'ouvrir la porte de la chambre d'à côté, puis se refermer. Elle est restée là, sur le lit, à écouter le silence. Puis elle s'est levée, est allée vers le mur, et a posé ses mains dessus, après une brève hésitation. Elle a alors senti une chaleur indéfinissable, un magnétisme extraordinaire. Elle a retiré ses mains, incrédule, puis les a reposées. Elle n'avait jamais expérimenté un sentiment aussi fort mais elle savait que c'était celui pour lequel on vivait. Elle avait déjà lu qu'une telle chose était possible, qu'on pouvait rencontrer quelqu'un qui faisait naître une chimie phénoménale, une évidence exceptionnelle pour une divine alchimie. Oui, elle l'avait lu, mais elle ne l'avait jamais vécu. Elle collait son oreille au mur, elle aurait juré entendre son souffle. Elle était certaine que ses mains étaient posées au même endroit que les siennes.

- Vous êtes là n'est-ce pas ?

- Oui...

- Je suis confuse, je ne sais pas quoi vous dire, je...

- Simone, je viens de faire le tour du monde, je suis parti trois ans, et c'est dans vos yeux que je viens de faire le plus beau voyage de ma vie.

- Raoul... Vous m'avez emmenée si loin...

- Je ne crois pas en grand chose vous savez, mais le bouleversement intérieur que vous venez de provoquer par le seul fait de croiser mon regard vient de me convertir à toutes vos croyances...

- Je ne crois en rien d'autre que nous...

- Vous ne croyez pas en Dieu ?

- Mais Dieu est Amour, et l'amour, c'est nous...

- Simone, votre parfum, c'est un jardin sur une île...

- Comment pouvez-vous sentir mon parfum avec ce mur ?

- Je l'ai senti tout à l'heure, quand nous nous sommes rencontrés. Mais je peux vous dire qu'aucun mur ne saurait empêcher votre essence d'éveiller mes sens...

- Je veux vous voir, je veux vous sentir, vous toucher, je veux vous vivre...

- Je ne manquerai plus une seule seconde de vous jusqu'à ce que la mort nous sépare...




Franck Pelé - Août 2011

samedi 6 août 2011

Un fil à la patte


- Tu imagines si tu étais à ma place Simone ?

- Oui, j'aurais une superbe vue ! Allez, je te redescends !

- Non, attends ! Tu imagines si tu étais à ma place et que tu n'étais pas attachée ?

- Mais je ne pourrais pas être à ta place si je n'étais pas attachée Raoul ! Faudrait être frappée pour s'accrocher à cent ballons gonflés à l'hélium sans s'attacher !

- Tu aimes bien quand je suis loin de toi ?

- Heu... ça dépend, si on prend en compte la seule dimension horizontale du plancher des vaches, ça me déplaît pas d'avoir un peu d'indépendance, mais quand tu es loin en version verticale, j'aime moyen...

- C'est exactement pour ça qu'il ne faut pas être trop léger dans un couple, plus on est léger, plus on s'éloigne ! Alors si tu deviens une femme légère, tu perdras tes attaches à force de ne plus y prêter attention, et tu te perdras dans tes rêves inaccessibles autant que tu me perdras !

- Qu'est-ce qui te prend Raoul ? Depuis quand tu me trouves légère ?

- Je te trouve pas légère, je te mets en garde, c'est tout ! Je vois bien comme tu aimes les regards sur toi...

- Parce que toi tu appelles la police quand les minettes te regardent au volant de ta voiture ? Et le sourire que tu leur rends, c'est pas du plomb dans la balance ? Tu me dis encore une seule fois que je suis légère et je lâche la corde ! Et tu auras deux options, tu lâches les ballons, et tu t'écrases comme un con, tu y restes accroché dans un pauvre instinct de survie et tu nous diras quel temps il fait au-dessus de la stratosphère !

- Simone ! Arrête ! D'accord, pardon ! C'est parce que je suis jaloux ! Tu es trop belle ! Et je voudrais être le seul qui puisse le voir ! Mais tout le monde le voit ! Partout où tu passes on sent le torrent d'interdits qui vit sous ton élégance idéale et ta classe naturelle ! Si moi je le sens, pourquoi pas les autres ? Et je ne veux pas qu'on se baigne dans mon torrent !

- T'es lourd Raoul...

- Quoi ?

- T'es lourd !!! Je ne suis pas TON torrent !

- Si tu es MON torrent ! Et je suis le seul à savoir nager dans tes eaux ! Qu'elles soient douces, troubles ou salées !

- Mais il continue l'effronté !

- Je suis désolé ma chérie, mais tu vois, c'est drôle, plus je vais être lourd et plus j'aurai de chances de te retrouver !




© Franck Pelé – Août 2011

Camping sauvage


Simone, les paupières closes, encore endormie :

- Raoul, tu ronfles...

Raoul, pas mieux :

- Mmmmmm...

- Raoul tu ronfles, arrête c'est insupportable !

- Mmmmmmmm !! Mais non je ronfle pas ! Je dors ! T'es gonflante à la fin !

- Et puis alors c'est sympa le camping mais question parfum on est à la préhistoire, tu sens fort Raoul, j'ai l'impression de dormir avec un ours !

C'est alors que l'ours passe la tête dans la tente et pousse une gueulante phénoménale. Simone se redresse et reste pétrifiée devant la bête. La lucidité très relative de Raoul, sous ses paupières toujours fermées, ne lui permet absolument pas de penser que ce cri puisse venir d'une autre bouche que celle de sa femme. Il marmonne :

- Simone, est-ce que tu veux bien arrêter de gueuler s'il te plaît... On est en vacances. Je sais que tu n'aimes pas le camping, demain on prendra un crédit pour louer un château de la Loire, tu baigneras dans les huiles essentielles et je dormirai dans l'aile ouest, mais en attendant, je t'en supplie, arrête de gueuler comme une sauvage...

- Mais y'a un ours dans la tente !

- Et ben divorce !!!




© Franck Pelé – Août 2011
© photo hoshino michio

Le choix des armes


- Qu'est-ce que tu regardes Raoul...

- Ton arme.

- Laquelle ?

- Celle qui dépasse.

- Pardonne-moi d'insister mais j'ai peur que tu ne doives préciser encore un peu plus ta réponse...

- Ton flingue Simone ! Ton arme, celle qui peut tuer ! Elle dépasse !

- J'aurais pourtant juré que tu avais allègrement plongé tes yeux dans mon soutien-gorge. C'est une arme redoutable mon soutien-gorge tu sais, je suis persuadée qu'il pourrait tuer tout autant...

- Ah bon ? Et comment tu t'y prendrais ? T'en ferais une fronde ?

- Je l'enlèverais... Étonnant paradoxe n'est-ce pas ? C'est en étant désarmée que je serais la plus désarmante...




© Franck Pelé – Août 2011

Amphore et damnation


Les deux hommes enrubannés du fond :

- Pourquoi t'es comme ça toi ?

- La semaine dernière, quand j'ai joué pour faire sortir Simone au son de ma clarinette, elle a perdu son bustier en remontant, la salle est devenue dingue, les hommes essayaient de s'approcher pour la voir, et même la toucher, leurs femmes leur mettaient des gifles en hurlant, et moi j'étais au milieu, j'ai été griffé, mordu, brûlé, coupé, le nez cassé, l'épaule luxée, bref la totale. Du coup, je suis choriste ce soir. Et toi ? Même chose j'imagine ?

- Ah non, moi je suis acteur dans le petit théâtre d'à côté, on joue "Papy et Momie chez les Pharaons".

- Tout un programme... Et tu joues donc la Momie.

- Oui, enfin je joue "Momie", pas LA Momie. Je joue la femme de Papy. Grâce aux bandages, un homme peut très bien jouer ce rôle tu sais. Le directeur d'ici est venu me voir et comme je cours un peu le cachet, il m'a proposé de faire choriste ce soir, il m'a dit, tu verras, tu auras une copine qui te ressemble comme deux bandelettes !

- Oh dis donc, il était au sommet de son art comique...

- Ah toi aussi tu trouves ? Je le trouve hilarant cet homme, quelle classe ! Tu ne trouves pas ?

- ...

- Dis, tu m'écoutes ?

- Qu'est-ce qu'elle est belle...

- Qui ça ?

- Simone... Regarde-la... Elle ferait fondre la banquise en un clin d’œil... Elle pourrait dompter toutes les flammes du monde et les faire danser au rythme de ses désirs...

- Si tu pouvais l'enlacer, ce serait le Paradis hein ?

- Je crois que je préfèrerais redescendre avec elle au son de la clarinette et goûter aux flammes de l'amphore...




© Franck Pelé – Août 2011

Superstition


- Maintenant qu'ils sont tous partis, il faut que je te dise Jackie... Je ne m'appelle pas John, je m'appelle Raoul. Et j'ambitionne de devenir président des États-Unis dans les dix ans à venir. Je suis désolé de ne pas te l'avoir dit plus tôt mais je ne voulais pas te perdre. J'ai changé de nom parce que tu imagines bien qu'un Raoul président des States, je partais de très loin...

- Moi aussi j'ai quelque chose à te dire John. Enfin Raoul... Je ne m'appelle pas Jacqueline. Je m'appelle Simone. Je m'étais dit que tu n'aimerais pas Simone alors j'ai changé...

- Mais j'adore Simone !

- Et moi j'adore Raoul ! Je ne suis pas étonnée finalement. Tu fais très français.

- Tu es prête pour la nuit de noces ?

- Oui Monsieur le sénateur... Je suis très impatiente de goûter au futur président de la plus grande puissance occidentale... Dix ans tu dis ? On sera en 1963... Peut-être que d'ici là, tu n'auras plus la tête à la politique...

- Alors là, ça m'étonnerait, on a le virus dans la famille. Il faudrait me tuer pour que j'arrête la politique dans dix ans !

- Ne dis pas de bêtises... Touche du bois...

- Tu es superstitieuse ?

- Oui. Il n'y a pas de hasard. Tout est écrit. Mais on est toujours prévenus un peu avant, sans savoir de quoi, mais on est prévenus. Et si on respecte les codes de la superstition, on peut repousser le mauvais sort, et changer certaines écritures.

- Conneries...




© Franck Pelé – Août 2011

Salade de fruits


- Tu ne dors pas chérie ?

- Bah si tu vois, je suis biblionambule...

- Pardon ?

- Je lis en dormant...

- Tu te fous de moi donc.

- Non, j'essaie d'être aussi étonnante dans ma réponse que toi dans ta question...

- Tu as des problèmes de digestion Simone ? C'est quoi le problème ? Tu étais adorable à table, tu montes en me faisant des yeux de chat et je retrouve une ennemie indifférente qui me cuisine sauce aigre-dure !

- Le problème c'est que je lis une histoire sur le couple qui n'honore pas le sexe fort ! Et que tous les détails mentionnés me font penser à quelqu'un !

- Ah bon ? Et quoi par exemple ?

- Par exemple, dans cette histoire, le mec qui appuie au milieu du tube du dentifrice et non à son extrémité est un égoïste notoire ! Celui qui passe douze fois devant un évier plein de vaisselle sale ou qui préfère mettre ses baskets au p'tit-dej parce que ça craque sous ses pieds nus alors qu'un petit coup d'aspirateur réglerait le problème en deux minutes l'est tout autant !

- Ah d'accord, c'est reparti pour la petite crise féministe trimestrielle...

- Pffff... Et allez, une petite caricature, ça fait pas de mal...

- Tu n'es pas féministe ?

- Non, je ne suis pas féministe ! Je suis bien élevée et j'aime bien qu'on partage ! Quand ton fils a la couche qui pèse autant que ta paresse, j'aimerais bien que tu les changes toutes les deux ! J'ai déjà porté notre enfant neuf mois sans broncher, si tu l'avais porté neuf jours, t'aurais fait deux dépressions et tu serais passé au 20 heures ! Et je ne parle même pas de l'accouchement, parce que là, je pense que tu aurais demandé une statue au maire !

- Ah ça, c'est pas de ma faute si vous accouchez dans la douleur, fallait pas croquer la pomme, c'est tout...

- Fallait pas croquer la pomme ? Parce que toi tu la croques pas la pomme quand tu passes dans le quartier ? Tu la dévores la pomme et peu importe les pépins, tu ne penses qu'à la tienne !

- Ok. Tu sais ce qu'on va faire ? Je vais te laisser finir de peindre ta banderole et dès que la pleine lune sera passée, je reviendrai voir si ma femme est revenue...

- Et voilà, on se défile ! Tu ne l'as pas croquée la pomme Raoul ? La petite pomme blonde au ventre aussi plat que son Q.I. qui vit dans la maison aux volets bleus, tu ne l'as pas croquée au printemps dernier ?

- Je l'ai peut-être cueillie mais je ne l'ai pas croquée.

- Tu vois, une des mille différences entre les hommes et les femmes c'est que nous, on accouche dans la douleur, on ne recule pas, et vous, même quand on vous tend la perche, vous n'accouchez jamais ! Vous avez peur de vous faire mal ?

- On a peur de se faire mal ? Mais quelle mauvaise foi ! C'est ça votre problème, vous, c'est la mauvaise foi ! Vous voudriez qu'on avoue des choses que vous ne pardonneriez jamais. Je ne t'ai jamais trompée Simone, mais si c'était le cas, l'équation du choix entre l'aveu ou le mensonge serait insoluble. Et ça vaut pour les deux sexes ! Parce que ne va pas me faire croire que le "croquage" de pomme est devenue une discipline exclusivement masculine ! Cette équation séculaire, que dis-je... millénaire, est impossible parce que si tu avoues que tu as glissé un jour, tu seras impardonnable et tu perdras toute confiance et tout crédit, et si tu ne dis rien et que ton mari le découvre...

- ... ou ta femme...

- ...ou ta femme, il ne pardonnera jamais ce mensonge et te jurera qu'il aurait pardonné si sa femme avait eu la franchise de tout lui dire. Ce qui est archi-faux, on le sait tous ! Donc l'équation est insoluble.

- Donc il ne faut pas croquer la pomme !

- On est bien d'accord ! Et il faut accepter les défauts du fruit qu'on a choisi comme le temps qui le fripe.

- Tu dis ça pour moi ?

- Mais non, c'est une image ! Elle vaut aussi pour moi !

- Ah j'espère oui, parce que question temps qui fripe, t'es plus proche de la compote que de la Golden !

- C'est petit ça...

- Oui, enfin ils sont bien jolis tes discours mais tu as quand même fait le joli cœur avec la petite aux volets bleus ! Parce que vous avez peur de ne plus plaire alors il vous faut retourner impérativement aux sources ! Et vu l'état de votre soif, arrive forcément un jour où vous buvez la source qui veut bien couler jusqu'à vous ! Et qui a bu boira !

- Et voilà ! Tu es aveuglée par ta pensée extrémiste, et tu ne te rends même pas compte que je t'avoue sincèrement avoir cueilli cette pomme alors que j'aurais pu nier ! Je l'ai séduite, je me suis rendu disponible, c'est vrai, mais uniquement pour l'essence du parfum d'un fruit nouveau. On ne saura jamais si le fruit est délicieux parce qu'il est nouveau ou parce qu'il est défendu, ce que je sais, c'est que je ne l'ai pas croqué ! Parce que je ne pense qu'à TA pomme, parce que je suis une bonne poire qui préfère payer pour toutes les fautes de tous les sombres héros de tous tes bouquins de malheur plutôt que me casser les dents sur des noyaux aussi étrangers que le goût qui les entoure !

- Tu veux dire que je reste ton abricot préféré ?

- Il n'a jamais été question d'autre chose ! Mais parfois, même si ce n'est pas mon cas, j'insiste, on a besoin de respirer, que ce soit des fruits ou des jardins. Il faut juste ne rien cueillir sinon...

- ...sinon c'est le bouquet...

- Voilà.

- Tu n'as pas pris de dessert Raoul...

- Non...

- Abricot ?

- Tiens, tu as retrouvé tes yeux de chat...




© Franck Pelé – Août 2011

Attache-moi !


- Regarde Raoul, tous ces cadenas sur ce pont... Je n'ai jamais compris ce que ça signifiait...

- C'est une façon de laisser une trace, quelque part, de l'amour qu'on éprouve pour quelqu'un. Comme on graverait un prénom dans la pierre ou dans l'écorce, ici, on grave le prénom sur un cadenas, puis on l'accroche, et on le ferme, comme pour verrouiller le lien, pour l'éternité.

- Mais personne ne sait qui sont tous ces prénoms attachés sur ce pont. Quand on écrit un livre, une lettre, une chanson, on connaît l'auteur, on peut connaître son histoire, et la trace qu'il laisse est riche de cette histoire, mais là, qui peut s'émouvoir devant un cadenas ? Et puis imagine que quelqu'un ouvre un cadenas qui ne lui appartient pas, par hasard, bonjour le symbole !

- Il n'y a qu'une clé possible par cadenas.

- Bon. Mais quand même... Quel genre de femme pourrait frissonner parce qu'on accroche son prénom à la grille d'un pont.. ?

Raoul sort alors un cadenas de sa poche, l'accroche sur le pont et le ferme. A la vue de son prénom gravé dans le métal, Simone ressent un énorme frisson qui lui donne la chair de poule.

- Raoul... C'est pour moi ?

- Oui.

- Personne ne pourra jamais l'ouvrir ?

- A part moi, personne.

- Rrrroooo... J'ai mon cadenas à moi toute seule... T'es trop chou mon Raoul...

- Et tu as raison, aucun des promeneurs des années à venir ne saura qui est cette Simone mentionnée par ce cadenas, mais toi et moi, nous saurons que mille âmes envieuses se demanderont qui est cette femme, et ce qu'elle a bien pu faire à l'homme de sa vie pour qu'il ose tous les symboles avec la plus douce des insouciances...

- Raoul, ramène-moi à l'hôtel...

- Pourquoi ? Quelque chose ne va pas ?

- Au contraire, tout va parfaitement bien. C'est juste que...

- Quoi ?

- En t'écoutant me dire que tu étais le seul à pouvoir m'ouvrir, j'ai pensé que tu avais raison, et ça m'a donné une irrépressible envie de ta clé...

- Simone !

- Quoi ? J'adore le symbole de ton amour mon chéri, mais moi, je suis pas faite pour être attachée à un pont ! Il est hors de question que je rouille en attendant que s'évapore l'écume de l'amour profond, je suis une femme moderne, ouverte et compréhensive, j'ai fondu devant ta délicate attention alors maintenant que tu m'as rendue folle de désir, on rentre, et tu me déverrouilles !




© Franck Pelé – Août 2011

Un monde à sa taille


- Regarde Simone...

- Quoi ?

- Tu ne remarques rien ? Regarde la nature...

- Quoi la nature ?

- On dirait qu'elle s'est trompée en s'habillant...

- Qu'elle s'est trompée en s'habillant ?

- Tu ne vois pas ? Elle a pris trop grand ! Elle nage dedans !

- Oh oui dis donc... Ou alors elle a maigri...




 © Franck Pelé – Juillet 2011

Une bouteille à la mer


- Simone, il faut rentrer maintenant, c'est fini les vacances...

- Rentre si tu veux, moi je reste !

- C'est étanche ton truc ?

- Évidemment que c'est étanche... Et c'est pas un truc, c'est une invitation au voyage ! Mais tu n'y connais rien aux voyages toi... A part celui qui va te ramener dans ta ville, polluée et hurlante, et qui va te planter devant ta télé...

- Oh arrête un peu là... Qui c'est qui ne peut pas se passer de son shopping, de ses yaourts qu'on ne trouve qu'à Paris et de sa presse féminine ? Tu ne pourrais pas rester plus de deux heures là-dedans sans te demander si un nouveau sac à main est devenu à la mode !

- Ah oui ? Et bien reviens demain, tu verras si j'y suis !

- Bon Simone, ça suffit maintenant, sors de ce truc, tu vas t'endormir, la marée va monter et tu vas finir noyée !

- Ce n'est pas un truc ! C'est une bouteille à la mer ! Parce que j'ai besoin d'être lue ! Parce que tu ne me lis plus ! Tu me survoles, comme une couverture d'un magazine qui traînerait dans ta vie depuis des années, toujours posé à la même place, faisant définitivement partie du décor !

- Tu pousses pas le bouchon un peu loin là ?

- Fais gaffe Raoul... Fais très attention ! Continue de ne pas me prendre au sérieux et je reste ici jusqu'à ce que la mer m'emporte et me dépose sur la plage du hasard, et je peux te dire que celui qui saura l'enlever le bouchon, il aura du courrier ! Pas des e-mails Raoul, du courrier ! Il découvrira le plus doux message du monde, et crois-moi sur parole, il prendra le temps de le lire et de l'apprendre par cœur !



© Franck Pelé – Juillet 2011