- Pourquoi tu m'as choisi moi ?
- Parce qu'il n'y avait plus que toi...
- Merci, ça fait plaisir...
- Oooh mon amour, tu ne sais toujours pas
quand je te titille après tout ce temps ?
- Je ne saurai jamais je crois... En fait on
ne sait jamais sur quel degré tu danses, on ne sait jamais si c'est du lard ou
du cochon, et je crois que tu le fais exprès, tu joues un peu là-dessus, ça te
permet de dire tes vérités en les habillant de couleurs vives ou légères...
Parfois tu mets de l'ironie juste pour le plaisir c'est vrai, mais tu sais
aussi être caustique en faisant vibrer des cordes attachées à de vrais
problèmes... C'est alors à l'autre de savoir écouter ta musique, et de bien
faire attention à privilégier l'oreille plutôt que la susceptibilité. C'est là
que ton respect se gagne.
- Tu vois Raoul, c'est justement pour ça que
je t'ai choisi toi. Parce qu'aucun autre ne sait me lire comme toi. Parce que
tu me sais. Quand je te dis qu'il n'y avait plus que toi, c'est exactement le
contraire d'un choix par défaut. Il n'y avait plus que toi à la fin, après tous
ceux qui n'ont pas supporté la comparaison, le test de mon exigence, l'épreuve
de la patience. En fait je ne t'ai pas choisi, à la fin, il n'en restait qu'un.
Tu es un peu mon Highlander à moi...
- S'il devait n'en rester qu'un, je ne pouvais
qu'être celui-là... J'aime beaucoup cette idée...
- Ceci dit tu n'as pas été convaincu tout de
suite toi... Même si aucun macho, aucun séducteur bourré de pognon ou de
connaissances haut-placées n'a résisté à ton authenticité et l'évidence que
j'ai vue en toi, tu n'as pas pour autant été immédiatement certain d'être
l'homme de ma vie.
- Parce que j'avais besoin de sentir que je
l'étais pour toi. Moi j'étais bouleversé et rempli corps et âme de la certitude
que tu étais la femme de ma vie. Mais donner tout l'amour du monde a une femme
qui ne fait que s'en repaître pour mieux se gargariser de sa faculté à pouvoir
faire fondre, j'avais déjà donné. Et quand tu donnes tout à ce genre de femme
qui garde tout, tu finis avec un vide si grand qu'il n'y a plus rien pour
accrocher quoi que ce soit de palpitant ou de bienveillant.
- Tu parles de cette femme du monde que tu
pensais inaccessible et qui n'a jamais été embrassée aussi bien que par toi ?
- Cette phrase t'a marquée je vois...
- Quand l'homme de ta vie te raconte son passé
et que dans ce passé il y a un baiser parfait, une alchimie de dingue, et que
tu t'aperçois que la belle s'est essuyé les talons de sa lassitude sans un
regard pour sa victime, et quand la victime c'est l'homme que tu attends depuis
toujours et qu'il n'a forcément pas bien cicatrisé, oui tu t'en souviens...
D'ailleurs, le jour où tu m'as raconté cette histoire, je me suis dit, il y a
deux solutions. Soit il est cassé à l'intérieur et ne se relèvera jamais de
cette déception et de cette chute, soit il s'en relèvera tellement fort que
seule sa femme, la seule faite vraiment pour lui, pourra le convaincre que ce
en quoi il croit existe toujours.
- Voilà. Voilà exactement qui répond à la
question que tu n'as pas encore posée : "et moi, pourquoi tu m'as choisie
?"
Je ne t'ai pas choisie, tu t'es imposée sans
en avoir la moindre prétention, tu as pris toute la place. Un caractère bien
trempé certes mais tu avais tout, tout ce qu'on peut ressentir de quelqu'un
dont on est fou sans en avoir fait étalage. Cette femme avant toi était...
- Etait quoi ?
- Je ne veux pas te faire mal en disant de
belles choses d'elle... même si ces belles choses se dissolvent toutes dans la
conclusion...
- Raoul... Je sais exactement qui est ce genre
de femme. Fais-moi plaisir, raconte-moi ce qui fait que tu es l'homme de ma
vie. Raconte-moi ce qu'elle a perdu, ce que j'ai gagné. Ce que nous avons
gagné.
- Chérie... c'est fou que tu sois idéale à ce
point... que tu réagisses comme tu aurais réagi si j'avais écrit ta réaction
dans une histoire... Tu es moi...
- Tu es moi...
- Oui cette femme était inaccessible, de la
haute comme disait ma grand-mère. Et surtout, sa beauté faisait d'elle une arme
redoutable pour qui voulait la garder. C'est le genre de femme qui ne fera
jamais mal si on la laisse passer sans lui accorder d'importance, mais si on
veut la garder parce qu'on choisit d'être touché en plein cœur par ses élans
spontanés, pleins d'amour définitif et de tous les possibles, alors là on
creuse sa tombe amoureuse. Il n'y a rien de plus beau qu'une femme qui tombe
amoureuse, mais une femme qui creuse la vôtre, il n'y a rien de pire.
- Mais tu ne l'as pas vue venir avec ses
envies de brillant, d'être aimée tout le temps, d'être connue et reconnue ?
C'est parce qu'elle était douce que tu n'as rien vu ? Et quand ses mots
n'étaient jamais suivis d'actes qui leur donnaient tout leur sens, tu ne
sentais rien venir ?
- Elle était douce comme aucune avant toi...
- Oui bon t'es pas obligé Raoul, je ne vais me
pendre si tu me dis qu'elle était plus douce que moi...
- Non mais écoute, c'est quand même rare quand
une femme te dit qu'elle a embrassé pas mal d'hommes dans sa vie mais que
l'effet de ta bouche sur la sienne lui donne l'impression d'une perfection
absolue ! Elle a même dit "j'ai l'impression de m'embrasser moi-même
tellement c'est bon !"
- Et ça t'avait pas mis la puce à l'oreille ça...
- Mais non arrête ce n'était pas dans ce
sens-là... C'était dans le sens "tout ce que tu fais j'aurais pu le faire,
chacun de tes mouvements est un des miens"... On a vraiment vécu des
moments très très forts, et puis un jour un homme l'a draguée, elle a aimé ça,
elle me l'a dit, et est partie avec le même sourire que celui qu'elle avait en
arrivant dans ma vie. Je me suis demandé comment on pouvait être aussi brutale
avec des lèvres aussi douces. Comment on pouvait être aussi violente sans s'en
rendre compte. Si tout se passait comme elle voulait, elle pouvait t'épouser
dans l'heure, si tu la contrariais sur une seule chose, elle pouvait te maudire
et t'effacer.
- Et tu aurais eu confiance combien de temps
en une femme capable de tourner la page aussi vite qu'elle l'a marquée ?
- Mais c'est précisément là le problème !
Quand tu sais que tu as réussi à déclencher quelque chose de rare chez
quelqu'un, quand tu entends une femme te dire que tu as inventé un baiser avec
elle, quand tu as électrisé son corps juste en...
- Oui bon ça va ce détail là on n'est pas
obligé...
- Oui pardon... bref, quand tu vois qu'une
femme a toutes les raisons de pouvoir se dire qu'elle a tout pour être
amoureuse comme jamais et qu'elle est capable de te rayer de sa vie parce qu'un
autre épisode remet du piquant dans la sienne tu te dis, mais le jour où je
donne vraiment tout, où je décide qu'après elle il n'y aura plus personne, et
si ce jour-là, celle que j'attendais depuis toujours me fait ça, je fais quoi ?
- Quand tu m'as rencontrée, tu as décidé
qu'après moi il n'y aurait plus personne ?
- Oui
- Moi aussi. Et s'il y avait eu la moindre
chance pour que je sois une de ces femmes capables de te rayer aussi vite que
je t'ai entouré tu ne crois pas que tu l'aurais senti et que tu n'aurais pas
été si convaincu ?
- C'est vrai... Mais comment garder sa
certitude après la chute d'un sommet..
- Ce qui doit arrive arrive Raoul. Et ce qui
ne doit pas continuer s'arrête. Même si on a eu le sentiment du contraire au
sommet d'une certitude. Toi tu es celui qui devait m'arriver. Tu es mon sommet.
Ma ligne d'arrivée. Et si tu avais été un autre ne serait-ce que très
légèrement modifié dans ce qui te fait, alors tu aurais pu être un de ceux qui
m'auraient rayée de leur vie après que je fusse passée de mode. Mais là c'était
impossible, tu étais parfaitement toi.
- Ah tu fusses encore toi ?
- Oui je fusse
- Tu sais que plus personne ne fusse, fusser
tue dans ce siècle où les emojis sont plus importants que les lettres...
- Je t'aime Raoul, je suis désolé que tu aies
eu un projet amoureux lacéré par une rapace ne palpitant vraiment que pour son
image et son pouvoir de séduction, j'ai moi aussi rencontré ce genre d'homme
qui se présente comme le sauveur de tes frissons alors qu'il les assassine, et
je suis sûre que ces enfers là sont des passages obligés pour comprendre la
rencontre d'une vie.
- Il aurait fallu m'enlever les yeux et le
cœur pour que je fusse incapable de te reconnaître...
- Tiens toi aussi tu fusses...
- Je viens de reprendre oui... Je t'aime
Simone. Pour mille raisons. Notamment celle qui concerne ta flamme. Celle que
tu ne donnes que très rarement. Celle qui ne s'éteint jamais.
Franck Pelé - décembre 2018 - textes déposés SACD