samedi 30 novembre 2013

Les amants du Lutetia

(Note de l'auteur : cet épisode de Simone est inspiré de ce que les médias ont appelé "Les amants du Lutetia" ces personnes âgées qui ont choisi de mourir ensemble dans une suite du célèbre palace parisien parce que l'une des deux était gravement malade. J'ai hésité à m'inspirer de cette histoire, qui parle de mort, d'euthanasie, d'une noirceur très éloignée de l'univers de Simone, plutôt piquante, amoureuse, drôle, élégante et légère. Mais j'ai finalement pensé que l'amour pouvait se révéler encore plus dans une telle situation, être magnifié par la grandeur dramatique d'un tel symbole. Et Simone étant la plus grande amoureuse qui soit, je crois que cet épisode est légitime dans sa longue histoire. Franck Pelé.)
 
 
 
 



- Tu peux m'expliquer ce qu'on fait là Raoul ?

- Mes grands-parents ont pris cette suite alors qu'ils n'ont pas d'argent, et dimanche dernier, à table, ils ont parlé du droit de partir ensemble avant que la maladie n'emporte mon grand-père et leur vie commune.

- Ton grand-père est malade ?

- Il a un cancer.

- Mais pourquoi tu ne m'as pas dit la vérité plus tôt ??? On vient assister à la mort de tes grands-parents là ?

- Bien sûr que non ! On vient prévenir un éventuel drame.

- Mais tu n'as pas le droit ! S'ils veulent mourir ensemble c'est leur droit, leur choix, pas le tien !

- Malheureusement non, c'est toi qui n'as pas le droit de les laisser faire. Tu es pour l'euthanasie chérie ?

- Moi je suis pour la thalassothérapie, c'est le maximum que je puisse cautionner niveau détente du corps... Mais je suis pour que chacun puisse avoir le droit de mourir dans la dignité.

- Je comprends, moi aussi je suis pour cette liberté.

- Alors ne te mets pas en travers de leur décision.

- Tu les vois ? Et le micro, il fonctionne ?

- Oui... Ton grand-père demande à ta grand-mère si elle est prête... Il lui tend plusieurs cachets...

- Tu vois ? J'en étais sûr ! J'y vais.

- Raoul tu restes là !!! Raoul, je te jure que si tu bouges de cette pièce pour les empêcher d'écrire la fin de leur histoire, tu me décevras comme jamais. Et tu sais ce que je pense de la déception.

- Non, je ne sais pas.

- C'est le contraire de l'amour. L'amour c'est quand l'ordinaire devient exceptionnel, la déception c'est quand l'exceptionnel redevient ordinaire. Si tu faisais ça, tu redeviendrais ordinaire à mes yeux.

- Tu es tellement lucide sur les erreurs des autres Simone et tellement irresponsable au moment des tiennes, comme si tu promenais ton imperfection prétentieuse jusqu'aux lumières les plus sages.

- Je ne suis pas irresponsable, je suis responsable de mon irresponsabilité, et consciente qu'elle puisse être définie comme telle. Mais permets-moi d'y voir plutôt l'expression d'un libre-arbitre, d'un choix de pensée, de philosophie, et de vie. Et tu as raison, je promène mon imperfection jusqu'aux lumières les plus sages, parce qu'elle sera bien là-bas, elle sera parfaite.

- Tu donnes la leçon à ceux qui posent des pierres dans les jardins et tu empiles les tiennes sur des fleurs qui ne se cueillent pas.

- Que veux-tu dire par là mon beau poète ?

- Je veux dire que tu es douée pour me faire la leçon sur l'honnêteté qu'on doit avoir face à l'amour qui unit un couple mais ça ne t'a pas empêchée d'écrire ou même d'offrir de l'amour à d'autres que moi, des hommes parfois mariés, d'où les fleurs qui ne se cueillent pas.

- C'est quoi cette diversion là ? C'est le moment de parler de ça tu crois ?

- Oui, je crois.

- Oui, j'ai offert de l'amour, comme on m'en a offert, j'ai offert un bouquet de rêves à des âmes emmurées. Mais la seule fleur que j'ai cueillie pour accrocher à ma vie, c'est celle qui se tient devant moi, celle qui voudrait empêcher ses racines de s'aimer jusqu'à la mort ! Jusqu'à ce que la mort les sépare... c'est ce qu'on dit n'est-ce pas ? Et cette fleur-là, si j'étais malade et qu'elle ne supportait pas l'idée de devoir vivre sans moi, une idée aussi insupportable pour mon cœur, ma vie, mon âme, si elle me demandait de réserver une suite pour mourir avec moi, ma main dans la sienne, j'aurais peut-être une légère angoisse devant l'interdiction divine d'accéder au Paradis, mais je connaîtrais le bonheur d'y mourir.

- Tu prendrais le risque de ne pas laisser faire Celui dont c'est le rôle ?

- Je te le dis encore, mon Paradis, c'est toi, et entre la certitude de mourir dans ses bras, et la possibilité d'y renaître sans toi, je n'ai pas l'ombre d'un doute.

- Quelle chance a mon grand-père d'avoir rencontré une femme qui te ressemble... Allez, arrête de regarder on s'en va.

- Il n'y a plus rien à voir, tout est éteint.

- Tu veux dire... TOUT est éteint ? C'est noir comme un silence définitif ?

- Non... C'est lumineux comme un amour éternel.




Franck Pelé - novembre 2013 - textes déposés SACD

jeudi 28 novembre 2013

Dernier arrêt avant l'ivresse




Je n'avais jamais été aussi vivante. J'étais tornade, incendie, cascade, incandescence et foudre. Chaque grain de ma peau chantait à l'autre le bonheur de son extase. J'aimais la moindre de ses intentions, j'adorais ces petites pauses qui précédaient la précision de son talent parce qu'elles me donnaient le temps de savourer ce plaisir si rare, si difficile à dompter. Ce plaisir n'existe que dans les livres qui racontent l'histoire d'une autre et c'est à moi qu'il était offert. Il sait me toucher, au plus profond de l'âme, là où dort la source de tous les frissons. Avec un regard, une voix, l'esquisse d'un contact, je suis déjà au bord du vide. Je vais tomber... amoureuse...

Je devrais me l'interdire mais la chute est tellement belle. On peut tomber de haut et se briser en mille illusions c'est vrai, mais uniquement si c'est l'amour qui vous pousse dans le dos. Il regarde votre défaite du haut de sa lâcheté sans savoir l'éternité de la sienne. Je suis tombée de haut parce que l'amour m'a attirée, et c'est toute la différence entre l'obscurité et la lumière, entre une erreur de parcours et un voyage de rêve vers une île idéale. Je suis de celles qu'un seul peut attirer plus que mille autres, avec la seule évidence pour contrat de confiance, je ne laisse aucune chance au pousse-au-crime.

Raoul m'embrassait, m'embrassait, m'embrassait encore, cette sensation de ne faire qu'un avec lui était absolument indicible et pourtant tellement universelle. Deux vies, deux histoires qui se croisent et se fondent en une seule sous la douceur exquise d'une alchimie parfaite. Il sait tout de mes chemins, sans les avoir jamais pris, il sait mon rythme, mes attentes, mes limites, il a toutes les clés des portes les plus barricadées, il souffle sur mes cicatrices et elles s'effacent, il me touche au cœur, il me touche au corps et j'en veux encore, je veux qu'il me cueille, je suis prête, je suis le fruit de son jardin, je vais tomber... amoureuse.

Dernier arrêt avant l'ivresse.




Franck Pelé - novembre 2013 - textes déposés à la SACD

lundi 18 novembre 2013

Comme une lumineuse empreinte




- Tu viens te coucher Raoul ?

- J'arrive chérie. Mais... Tu veux me faire plaisir ?

- Toujours oui.

- Peux-tu essayer d'être un peu moins belle ? Au moins la nuit... Si je cumule toutes ces heures passées à te regarder briller dans mes nuits, j'ai des années de sommeil en retard...

- Comme quoi on peut vivre avec une femme fatigante !

- Peut-on se fatiguer en regardant une étoile...

- Je suis heureuse parce que c'est toi qui me regardes. Même si un jour je devais m'éteindre, je sais que je brillerai encore dans tes yeux.

- Et dans les yeux de tous ceux qui auront été touchés par ton éclat. La vraie beauté ne meurt jamais, elle est filante, laissant dans les cieux la même empreinte que dans les yeux qui l'ont vue passer. Oui, on l'a vue passer, elle était réelle, on n'a pas rêvé. On ne sait pas d'où elle venait ni où elle est partie, mais pendant tout son voyage elle a suspendu le temps, et les mots à ses lèvres.

- C'était à des années-lumière et pourtant si proche...

- Les années-lumière sont nées de ta beauté. C'est le temps passé à se baigner dans la clarté somptueuse de ton charme. Jamais le temps n'est passé aussi vite qu'au moment de sembler si long pendant la contemplation.

- Si la lumière d'une étoile est déjà morte à sa source au moment où elle est contemplée, c'est qu'elle n'a pas été regardée par toi. Tu es de ces amours qui interdisent le noir, tu illumines l'infini le plus sombre, tu es ma porte ouverte, mon lever du jour, le matin de ma vie.

- Offre-moi la nuit qui y conduit...




Franck Pelé


Novembre 2013- textes déposés à la SACD

vendredi 15 novembre 2013

La route



- Où tu vas comme ça ?

- Je prends la route.

- Quelle route ?

- Celle du succès ! Je vais à Paris pour la cérémonie des Golden Blog Awards.

- Des quoi ? C'est de l'américain ? Ils savent plus quoi inventer...

- C'est de l'anglais.

- Oui c'est pareil, avec le chewing-gum en moins.

- C'est une cérémonie qui me donnera peut-être un prix parce que j'ai quelque chose de particulier, ce talent que tu ne vois jamais.

- Mais arrête de rêver ma pauvre Simone, tu ferais mieux de travailler dur, et de prendre la bonne route.

- Ah oui ? Et où est-elle cette BONNE route ma très chère voix de la raison ?

- Je te le dis depuis que tu es en âge de comprendre, la route du succès ce n'est pas celle-là, c'est l'autre.

- Quelle autre, celle qui est noire de monde ? Avec tous les gens laissés sur le bas-côté ?

- Ce sont les paresseux, les paumés, les prétentieux, les camés au rêve, les faibles qui ont décroché, incapables du moindre sens de la responsabilité. Arrête avec tes passions et tes frissons, ils ne te feront pas bouffer. Le seul chemin qui vaille c'est là-bas, suis les panneaux "Prépa", "BTS", "Diplôme", "Grande école", si tu veux être considérée comme normale et qu'on soit fière de toi, suis les panneaux, sois forte, sois un modèle, fais en sorte qu'on puisse parler de toi avec fierté dans les salons ! Il faut briller Simone !

- Quels salons ? Ceux qui réunissent les amis d'hier ? Nourris au sein de l'artifice et de l'image parfaite ? Et briller pour qui ? Pour quoi ? Tu veux aveugler quand je veux éclairer, tu veux être lisse et passer dans "Jours de France" quand je veux me laisser polir par mes convictions jusqu'à briller comme le diamant que tu ne seras jamais ! J'aime ce que je fais, et ma route, elle est ici.

- Mais je me fous de savoir ce que tu aimes ! Je veux que tu sois quelqu'un ! Que tu épouses un médecin ou un avocat ! Je ne veux pas avoir honte de dire que tu n'as pas pris le chemin qu'il fallait prendre quand on me demandera de tes nouvelles. Alors arrête avec tes mots et fais du chiffre ! Prouve-moi qui tu es, non pas avec le cœur mais avec ta fiche de paie, les compliments de ton patron, une prime de fin d'année. Tu ne vois pas que je veux ton bonheur ? Tu ne vois pas que tu ne l'atteindras jamais avec tes rêves d'un autre âge ?

- Mon bonheur ? C'est mon bonheur que tu veux ? C'est marrant j'aurais juré que c'était le tien ! Tu te fous bien de mon bonheur, il faut juste que je rentre dans tes cases, et peu importe si elles sont trop petites pour moi ! Elles sont poussiéreuses tes cases ! Parce que ça fait des années que tu laisses tout fermé sans rien aérer ! Elles sont pleines des moutons de ta jeunesse. Des rêves devenus poussière parce que tu n'as jamais su leur proposer le ciel !

- Mais on est dans le siècle de la crise là ma petite ! Il faut faire du fric !

- Je me fous du fric, je veux vibrer tu m'entends ? Vibrer !

- Pfff... Une artiste... Mais arrête de rêver enfin ! Les artistes de ce siècle sont des bons à rien, comme tous ceux d'avant et ceux qui viendront ! Il n'y a qu'un art possible aujourd'hui, c'est l'art de réussir. Comment crois-tu qu'on juge une chômeuse aujourd'hui ? Même les tiens douteront de toi, de ta valeur, de tes capacités à y arriver. Prends cette route et tu seras quelqu'un. Tu n'existeras jamais ailleurs. C'est marche ou crève !

- Je crèverais de prendre ta route, autant que de rester ici à écouter tes doutes et ta façon de me prouver tous les trois mots que tu ne me connais pas. Je pars. A la rencontre de la reconnaissance, et d'un peu d'amour. Tu te souviens de ça ? L'amour ? Je te souhaite tout le bonheur du monde, surtout celui dicté par les autres évidemment, le seuil qui vaille, même s'il est impalpable...


Simone claqua violemment le coffre de sa voiture pour le fermer, s'installa au volant et partit en klaxonnant deux fois et en dérapant sur cinquante mètres. Sur sa route, une bonne heure plus tard, elle s'arrêta pour secourir un homme en panne qui faisait de grands signes.

- Bonjour Mademoiselle, je crois que c'est la courroie. Vous pourriez me déposer à la station-service la plus proche ?

- Où allez-vous  ?

- Paris.

- Montez, c'est ma route. Je vais à l'Hôtel de Ville.

- Vous allez à la cérémonie ? C'est fou moi aussi ! Je vais chercher un peu de reconnaissance.

- Dans quelle catégorie ?

- Auto. Oui, je sais, ce n'est pas un bon signe ce voyage...

- Allez savoir, il est des voyages étonnants qui vous emmènent bien plus loin que vous ne pensez...

- Pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté, je m'appelle Raoul.

- Simone, enchantée Raoul.

- J'ai vraiment eu beaucoup de chance de tomber sur vous, très peu de gens prennent cette route. Ils prennent tous la route principale, celle qui permet de ressembler à tout le monde...

- ...mais même si notre route est plus longue et plus risquée, c'est tellement bon d'arriver au bout du chemin qui nous ressemble le plus.

- J'aurais pu dire cette phrase mot pour mot. Vous êtes mon meilleur espoir Simone.

- Si je gagne ce prix, je vous épouse...

 
 
 
Franck Pelé - textes déposés à la SACD - Novembre 2013
 

 

mardi 12 novembre 2013

Simone dans la jungle



Simone avait gagné ce voyage à la tombola du bal des pompiers le mois précédent. Elle était partie avec Raoul au bout du monde, la jungle était comme dans les films, l'endroit était somptueux, sauvage et beau. Ce matin-là, ils avaient quitté l'hôtel vers huit heures, ils s'étaient mis en route avec un autre couple de français et un guide local francophone pour une grande randonnée dans le vert luxuriant. C'est un peu après dix heures que Simone perdit le contact avec le groupe et se retrouva seule dans la jungle. Plus elle cherchait à retrouver son chemin, plus elle se perdait. Jusqu'au moment où son pied fût pris au piège dans un système de cordes et de nœuds coulants. Elle a hurlé pendant de longues minutes jusqu'à ce qu'un homme torse nu, plutôt gaulé mais avec un caleçon d'un autre âge, vienne à son secours.

- Aaaaaah !!! Ne me touchez pas !

- Vous calme...

- Quoi moi calme ? Vous parlez français ou vous n'avez que des notions ?

- Pourquoi vous toute seule ici ?

- Des notions donc. Je ne sais pas, je me suis arrêtée pour un petit besoin et j'ai perdu la trace de mes amis. Qui êtes-vous exactement ?

- Moi Tarzan.

- Bah voyons, et moi je suis Claire Chazal...

- Moi Tarzan et toi Jane.

- Mais... C'est qu'il est sérieux le strip-teaseur en peau de bête ! Non, non, moi pas Jane, moi Simone. Si-mone !

- Non toi Jane.

- Bon si vous voulez... Auriez-vous l'amabilité de me détacher jeune sauvage ?

- Toi vivre avec Tarzan.

- Ah non, moi vivre avec Raoul !

- Alors toi rester dans piège.

- Dis donc le roi de la syntaxe, tu vis en quelle époque exactement ? Tu sais que c'est la parité maintenant ? Les femmes ne sont plus obligées de se mettre à quatre pattes devant le mâle, alors tu me détaches, tu es gentil, et je te laisse jouer dans ton grand jardin. Allez, libère-moi et je ne dirai rien...

- Quatre pattes après vaisselle, pas maintenant, maintenant toi dire oui pour vivre avec Tarzan.

- Au secours ! Au secouuuuuuuurs !!! Raoul !!!

- Pas assez fort ton cri, toi crier comme ça : ooooooooaaaaoooooaaooooooaaooooaaoooooohhh !!!

- Ah quand même... T'as essayé The Voice ? T'as une vraie identité vocale...

- Moi pas TF1, moi que France Inter et Télérama.

- Oh comme moi ! Et alors, tu vas au cinéma un peu ?

- Toi vouloir m'amadouer, Jane.

- Ah non non, pas du tout, moi vouloir créer du lien social, moi bien aimer Tarzan finalement et moi vouloir voir maison Tarzan pour envisager relation sérieuse...

- Toi faire vaisselle et quatre pattes ?

- Heu la vaisselle oui pour le reste si t'as de la moquette je veux bien envisager la génuflexion... mais un truc civilisé hein, je suis fragile du dos.


Après vingt minutes de marche et de lianes, Simone resta bouche bée devant la maison de Tarzan, une villa somptueuse avec piscine, jacuzzi, au moins dix pièces, une terrasse surplombant les chutes d'eau à l'horizon, le paradis sur terre.

- Mais... c'est chez toi ici ???

- Oui, moi avoir touché droits d'auteur et droits à l'image après dessin animé sur moi

- Y'a du réseau ?

- Wifi illimité

- Moi avoir très très envie de faire la vaisselle...


A un bon kilomètre de là, Raoul entendit le cri d'une femme heureuse.

- C'était quoi ça ?

Le guide sembla gêné.

- C'était quoi ce cri ?

- Un cri de femme heureuse je crois...

- Je sais c'est celui de ma femme ! Mais pourquoi elle serait heureuse d'être perdue dans la jungle ???

- Moi pas savoir...

- Pourquoi parlez-vous comme ça subitement ?

- C'est quand je suis ému je parle comme mon frère...

- C'est qui votre frère... C'est qui votre frère ???


Deux jours près avoir démasqué le manège de Tarzan et de son frère qui devait laisser seule près du piège toute femme répondant à de sérieux critères de beauté, la police locale ramena Simone à l'hôtel où son mari n'en pouvait plus de l'attendre :

- Mon amour !!! Tu n'as rien ?

- Moi avoir un peu mal au dos mais ça va...

- Tu parles comme lui... Tu es traumatisée ma chérie...

- Tu m'étonnes... Je ne suis pas près de l'oublier mon bourreau...

- C'était quoi ces cris ? C'était très étrange, j'aurais juré que tu étais... heureuse... enfin tu vois...

- Tu verrais la baraque qu'il a... non c'est probablement quand j'ai vu la moquette de la pièce où j'allais passer le plus clair de ma captivité, j'étais vraiment ravie du confort... J'ai hurlé de joie, c'est ça que tu as dû entendre.

- J'ai envie de toi...

- Y'a pas un peu de vaisselle à faire plutôt ? Non parce que du coup je n'ai rien foutu niveau vaisselle là-bas alors que ça devait être une de mes tâches, et j'ai besoin psychologiquement, de me libérer de ça, tu comprends ? J'ai besoin de laver des assiettes, des fourchettes, de laver tout ce qu'il y a à laver...

- Quand tu dis "du coup", ça veut dire quoi exactement ? Tu as fait quoi à la place de la vaisselle ?

- J'ai... j'ai décollé la moquette. En fait, il voulait refaire toute la déco de sa chambre et il m'a obligée à décoller la moquette ce salaud !!! Tu te rends compte ?

- D'où ton mal de dos...

- Voilà.

- Tu sais Simone, moi pas avoir douze ans, moi comprendre les choses mais moi pas aimer être pris pour un con par toi.

- Mais quoi ? Y'a rien eu ! Et puis tu sais très bien que j'ai horreur qu'on soit derrière moi quand je m'occupe de la déco.




Franck Pelé - novembre 2013 - textes déposés SACD

Le grand méchant look




- Dis donc Simone, tu es sûre qu'on n'a pas l'air con là ?

- Mais non regarde, tous les gens sont comme nous.

- Bah oui justement c'est sur ça que je me base...





Franck Pelé - textes déposés - novembre 2013

Lettre à Raoul ou la rupture impossible





Je te déteste, je t'abhorre, je t’exècre, je ne te supporte plus, te voir me donne la nausée, je ne veux plus jamais te parler, t'entendre, te croiser, une simple pensée à ton endroit et ma journée est gâchée, tu n'es que déception, trahison, défiance, absurdité, rejet, superficialité, manipulation, perversion, calcul, avarice, égoïsme, narcissisme, tes amis sont des cafards, ta façon de tout connaître, de tout savoir mieux que les autres t’érige en symbole de l'insupportable, passer du temps avec toi c'est perdre le sien, c'est perdre confiance en l'humain, en l'amour, en la vie. Tu es une impasse dans l'obscurité, un cul-de-sac, un point noir, des travaux sur le chemin du bonheur.


Tout le monde est parti. J’ai tout perdu. Je n’ai plus rien. J’ai vécu, rencontré du monde, aimé cent fois, pleuré mille fois, ou le contraire. J’ai toujours fait le bien autour de moi, j’ai toujours fait attention aux autres, j’ai donné, souri, invité, rendu, reçu, écouté, regardé, j’ai pris du recul, des claques dans la tronche et dans l’ego, pour toujours en tirer des leçons positives, j’ai toujours fait ce qu’il fallait faire pour qu’on m’apprécie. Je ne comprends pas. J’ai dû décevoir, un regard sur moi qui se serait trompé, une mauvaise interprétation de mon être qui aurait fait foi, une mauvaise image qui aurait fait loi, un jaloux qui aurait fait de moi un insecte nuisible, une jalouse qui se serait nourrie de mon moi pour faire le sien avant de me jeter aux oubliettes. Ces cachots pleins de ces cœurs originaux copiés par des faussaires se gavant sans vergogne sur le ventre des crédules. Tout le monde est parti, ne reste que la solitude hurlant le néant du tunnel qui s’annonce. Plus personne ne me voit, ne me comprend, ne m’écoute, ne me fait confiance, plus personne ne m’aime, ne s’éprend de moi, ne me désire, ne veut me faire rire, jouir, plaisir.


On sonne. C’est toi. Il n’y a plus personne sauf toi. Tu es toujours là. Tu me l’avais dit, tu me l’avais promis. Tu serais toujours là. Tu l’as toujours été. Je le voyais plus. Je ne te voyais plus. Tu es avec moi. Les travaux sont finis sur le chemin du bonheur. On reprend la route. Tu es la lumière dans l’impasse, un trou dans le mur, un point blanc au bout du tunnel. Tu me redonnes confiance en la vie, en l’amour, en l’humain, je rattrape le temps perdu avec toi, parce que tu es là. Je ne te voyais plus. Ta façon de tout connaître, de tout voir mieux que les autres est aussi évidente que mon refus systématique de vouloir le reconnaître. Ton âme est belle, généreuse, entière, délicieusement imparfaite mais avec tellement de réponses en elle pour s’épanouir au rythme des saisons. Ta perversion n’est qu’une curiosité de plus, tes calculs ne donnent que des résultats qui font briller l’autre, je ne voulais plus le voir parce que l’autre n’était plus moi. Ta trahison était le fruit de la mienne. J’aurais pu te garder, j’aurais dû te garder. Je te garde maintenant et pour toujours. Je ne veux plus jamais me tromper, je ne veux plus jamais t’oublier, je veux t’entendre, te parler, t’embrasser, te tenir, te dessiner, te sentir, j’exulte, je t’adore, je t’aime.




Frank Pelé - textes déposés à la SACD - octobre 2013.

jeudi 7 novembre 2013

California Dreamin'


- Dis donc Simone, j'ai un collègue qui a une maison en Californie qui nous invite à passer trois semaines avec sa famille en vacances en juillet, ça te dit ?

- Hein ? C'est pas vrai... mais évidemment que ça me dit ! On n'avait rien de prévu ?

- Bah sinon on est invités au camping de ma tante à Dunkerque, elle nous offre l'emplacement. On a juste à apporter les piquets et la toile.

- Raoul, si je vais à Dunkerque c'est ta tante que je plante, tu m'entends ? Je t'avais dit plus jamais Dunkerque !

- Rrrrooo tu es dure... Elle t'adore...

- Elle m'adore ? Mais elle me bouffe la vie ! Elle réagit à tout ce que je lis, tout ce que je dis, surtout ce qui ne la concerne pas ! Et j'adore la mer mais j'aime bien quand elle détend un peu, je ne demande pas un hammam mais tu vois moi, bizarrement, quand je me baigne dans une eau en dessous de 17, ça me crispe !

- Il m'a envoyé une photo regarde...

- De sa maison ?

- Non, de sa famille...

Simone regarde la photo attentivement et lance :

- Tu sais quoi Raoul ? Tu as raison. Je crois que je n'ai pas assez pris le temps de connaître ta tante...

- Attends ça va, c'est juste une famille un peu catho mais il est très sympa lui.

- Ah lui peut-être mais t'as vu la tronche de la tribu ? Un peu catho ? Mais ils sont responsables d'une secte eux non ? Regarde les enfants ! Et elle en a combien Marie-Madeleine là ? Non mais Raoul tu plaisantes ? A chaque fois qu'elle se penche elle a un polichinelle dans le tiroir et quand tu vois la gueule de l'armoire, excuse-moi, mais t'as pas vraiment envie de mettre tes affaires dedans ! Il doit être très gentil au bureau ton ami mais là, soit c'est un psychopathe déguisé en collègue normal, soit c'est un otage qui t'appelle au secours !

- C'est quand même des vacances en Californie...

- Non mais tu imagines les vacances ? Regarde les mômes Raoul ! Ca doit hurler du matin au soir, et maman-armoire fera un grand sourire protecteur plein d'amour du petit Jésus quand un des petits diables nettoiera ses chaussures avec ma brosse à dents ! Regarde l'ado pré-pubère avec les cheveux longs là, Damien la malédiction à côté c'est Candy ! C'est quoi d'ailleurs, un garçon ? Une fille ? Et si je t'embrasse, elle nous fera un procès ? Si je lui dis que je prends la pilule elle m'attache au radiateur en me fouettant autant de fois que tu gâché la p'tite graine pour le seul plaisir ? Ah non non, et puis après réflexion, l'eau froide, c'est bon pour la circulation sanguine... Allez hop, à Dunkerque !



Franck Pelé - novembre 2013 - textes déposés

Paradis pour tous




Simone et Raoul ont connu la fin la plus heureuse qui soit. A plus de quatre-vingts ans, les cœurs ont cédé au plus fort d’un dernier baiser. Après l’extinction des feux et le long tunnel d’usage, ils se réveillent ensemble devant un grand pont suspendu.

- On est où là ?

- Bah je crois qu’on y est ma chérie…

- C’est-à-dire ?

- On est après la mort…

- Oui d’accord, je me doute bien qu’on n’a pas fait tout ce trajet en trois secondes mais on est où exactement ?

Un des hommes marchant sur la structure haute du pont leur crie alors :

- Vous êtes à la porte du Paradis !

- On a réussi Simone ! Au Paradis ensemble !!! Malgré toutes tes folies, tes cuisses brûlantes et ton langage fleuri !

- Parce que tu te crois à l’abri du blasphème et du jugement dernier Saint-Maclou ?

- Pourquoi tu m’appelles Saint-Maclou ?

-  T’as quand même méchamment tâté de la moquette mon chéri avant de me connaître ! Et je ne veux même pas savoir pendant…

Raoul souffle à un des hommes présents en toute discrétion :

- Excusez-moi Monsieur… Y’a une espèce de bilan qui est consultable a posteriori ou l’intimité reste-t-elle inviolable ?

Simone :

- En attendant on est devant un pont détruit, ce qui n’a rien de paradisiaque, quelqu’un peut nous expliquer la situation ?

- Oui, c’est l’entrée du Paradis mais le pont est impraticable comme vous pouvez le constater.

- Et alors qu’est-ce qu’on fait, on rentre chez nous ? On prévient nos familles ? « Désolé mais le pont du Paradis est défoncé du coup on reste un peu… Vous nous emmenez voir nos tombes ?»

- On n’a pas le budget pour le réparer. Il a été emprunté à maintes reprises comme vous pouvez l’imaginer et il a cédé sous le poids des bonnes âmes…

- Pas le budget pour le réparer ? Mais vous plaisantez ou quoi ?

- Malheureusement non. Il faut que vous preniez en compte la surpopulation des lieux, l’entretien de la pelouse, la sécurité, et une inflation constante conjuguée à une baisse irréversible du pouvoir d’achat.

- Ah parce qu’au Paradis on doit acheter des choses ?

- Rien n’est gratuit Madame.

- Même pas la foi ?

- Si, la mauvaise foi est gratuite, mais elle ne permet pas de s’installer dans notre résidence.

- Votre résidence ? C’est quoi votre Paradis là ? C’est les Hespérides avec abonnement à vie à Paris-Match et Jours de France ? Je suis sûre qu’il y a un héliport pour Drucker ! Dites donc mon ange, j’ai cotisé des années en priant, en croyant, en aimant mon prochain…

- … ah oui, t’as souvent aimé ton prochain, souvent avant même de le connaître…

- Raoul, museau, merci ! Je disais donc que j’ai cotisé pendant des années pour avoir droit à une retraite top niveau à la Mecque de l’éternité…

- Simone c’est un peu déplacé ici…

- Raoul, merde !  … et vous nous dites que le pont est mort et que vous n’avez pas le BUDGET pour le réparer ??? Mais alors c’est quoi votre promesse du coup ? A quoi elle ressemble ? Il se passe quoi à partir de maintenant ? Tous les gentils qui vont arriver vous allez leur dire d’oublier l’existence du Paradis parce que le pont est défoncé et que vous n’avez pas l’argent pour leur offrir la quiétude tant méritée et tant espérée ? Qu’est-ce qu’on fait mon ange ? On saute et on prie pour s’en sortir ? Et ça servirait à quoi ? Au mieux, on reviendrait à notre point de départ !

- Ne vous énervez pas Madame…

- Ah non ! Bien sûr… Je reste calme. Je m’emmerde à croire toute ma vie en quelque chose qui n’était quand même pas gagné gagné pour mon esprit agnostique, j’arrive à convaincre toute réticence intellectuelle en moi, je fais le pari de la foi cher à Pascal, et on m’annonce que j’ai gagné le gros lot mais que le coffre est inaccessible !!! J’exige de parler à un fifre !

- Un fifre ?

- Oui, vous êtes manifestement un sous-fifre, je veux parler à votre supérieur !

- Ils ne sont pas tous disponibles Madame…

- Y’en a combien ?

- Je ne sais pas… dites un fifre au hasard ?

- Dis donc l’angélus à son papus, tu ne serais pas en train de te payer ma tête des fois ?

- Heu… non…

- Tu sais ce que je crois moi ? Je crois que vous faites tout pour barrer l’accès à la terre promise parce que le lobby financier du coin a dû prendre le pouvoir, ils veulent diviser le Paradis en parcelles cotées en Bourse et vous ont demandé de faire sauter le pont pour pouvoir gérer tranquillement leur business…

- Sécurité, on a un problème porte F …

- Alors mon mari et moi, on va passer par la structure, comme vous, histoire de voir ce que vous voulez nous cacher… Raoul, fais-moi la courte échelle…

- Simone, on va attendre un peu c’est pas grave…

- Raoul ! Je te jure que si tu ne me fais pas la courte échelle, je te fais vivre l’enfer pendant la nuit des temps !!!

- Sécurité, Porte F, vite !!! Code rouge !!!




Franck Pelé- novembre 2013 - textes déposés à la SACD

dimanche 3 novembre 2013

Stade critique





- Paris a battu Lorient 4 - 0 ! Ils ont une grosse équipe cette année...

- Oui mon chéri...

- Tu t'en fous ?

- Mais pas du tout, je suis ravie pour Paris.

- Mouais... Par contre lire que Jenifer a changé de coupe ou que Vanessa Paradis a un nouveau mec, ça, ça te met dans tous tes états...

- Chacun son truc hein, toi tu t'emballes pour des millionnaires qui tapent dans un ballon, moi je m'emballe pour celles qui dépensent leur pognon.

- Aucun rapport, Vanessa Paradis n'a jamais été mariée à un footballeur.

- Parce que les actrices ont du goût mon amour. Tu imagines qu'une femme puisse être assez intéressée par l'argent pour vivre avec Franck Ribéry ?

- Tu connais Ribéry ? Joli ma louloute !

- Arrête avec "ma louloute", ça fait macho à mort...

- Et alors ? Tu n'aimes pas qu'un homme soit viril ? C'est nouveau ça... Tu viens de lire un article sur les bobos métro-sexuels c'est ça ?

- Ecoute Raoul, il faut que tu vives avec ton époque d'accord, et puis pour être un macho accepté par la gente féminine il faut avoir des arguments, tu n'es pas Steve McQueen non plus.

- Ca veut dire quoi ça ? Je croyais que je lui ressemblais ?

- Oui tu lui ressembles mais je ne suis pas sûre que Steve McQueen laissait traîner ses chaussettes partout, qu'il remettait son slip de la veille ou qu'il rotait sa bière devant un match pourri pendant que sa femme attirait son attention avec un jeu de jambes inutile au bout du canapé ! Ah je n'ai pas le jeu de jambes de Zlatan c'est sûr, désolée !

- Mon slip je ne le remets qu'au lever avant de prendre ma douche et seulement si je l'ai mis moins de huit heures ! Je ne vais pas en mettre un nouveau que je vais devoir mettre au sale deux heures après !!!

- Arrête, tu me fais rêver là...

- Et tu y étais toi dans la maison de Steve McQueen pendant son quotidien ? Et pourquoi le mec ne roterait pas devant un match pourri en dehors des personnages léchés qui ont fait sa gloire ??? Et toi, tu crois que tu fais rêver quand tu te fais vibrer le joufflu avec des symphonies bien chargées dont tu as le secret ? Et ton jeu de jambes, tu le fais juste quand TU as envie, mais quand c'est moi qui ai envie, je peux enchaîner passements de jambes, amortis de la poitrine et frappe en lunette, le stade reste impassible !

- Tu sais ce qu'il te dit le stade ? Il en a marre de n'être jamais plein ton stade ! Il résonne du vide de ton absence ! Y'a jamais personne dans ton stade ! Et c'est pas le spectacle que tu proposes de temps en temps qui va faire vibrer la foule ! Si tu continues à le laisser à l'abandon ton stade, tu sais ce qui va se passer ?

- Oui, rien de plus que d'habitude, l'herbe va méchamment pousser.

- Un nouvel actionnaire va se porter acquéreur et le club va retrouver son lustre d'antan !

- Il aura intérêt à le lustrer longtemps !! De toutes façons, c'est même pas sûr qu'il trouve le point de penalty...

- T'inquiète pas Raoul, j'ai des années d'expérience en simulation, il le trouvera le point de penalty...




Franck Pelé - novembre 2013 - Textes déposés à la SACD

vendredi 1 novembre 2013

Raoul (Un épisode-fleuve pour fêter le 500ème épisode).


 
En mai 2010, je créais les aventures de Simone, et ce blog "En voiture Simone". Un peu plus de trois ans plus tard, j'ai l'honneur de partager avec vous le 500ème épisode. Oui, 500 déjà... Pour fêter ce joli cap, j'ai mis Raoul à l'honneur dans un épisode-fleuve. Merci à tous d'être fidèles et aimants à l'endroit de ma plume et de ses héros, je nous souhaite d'en partager encore beaucoup, sous diverses formes.

Franck Pelé.
 
 
 



Raoul. Qui est cet homme qui a su emporter Simone comme aucun autre avant lui, comme aucun autre ne l’emportera jamais ? C’est le seul qui pouvait la bouleverser à ce point avec un mot, un regard, un sourire, un silence. Elle connaissait ses défauts, sa longue vie d’avant, son amour pour le beau, et les femmes sont belles. Mais elle savait lire sa vérité, son être tout entier, elle le sentait, le ressentait dans son cœur, au plus profond de son âme, sous les pierres de ses cimetières, sous la peau un peu moins lisse de ses cicatrices, sous le vernis de ses artifices.

Raoul a grandi dans une famille aimante, couvé par des regards fiers et protecteurs, mais il a toujours su que rien ne serait facile, qu’il faudrait trouver les plus belles clés pour ouvrir les plus belles portes. Il voulait faire le plus beau métier possible, voyager le plus loin possible, aimer le plus follement possible, la plus belle femme possible. Simone était impossible, et c’est pour ça qu’il l’a fait. Il a décidé qu’il pouvait séduire cette femme dont il aurait pu avoir peur tellement elle était belle parce qu’elle était son île, cette fameuse île qui met fin aux voyages et vous fait épouser le bonheur.

Raoul était en couple la première fois qu’il a rencontré Simone. C’était au restaurant, pour un jour de l’an entre amis. Elle était accompagnée d’un type qui allait aussi bien avec elle qu’un survêtement avec un nœud papillon. Il est des plans de table qu’on tire aussi bien que ceux sur la comète puisque le dernier de l’année 1954 avait placé Simone à la gauche de Raoul. Quand elle s’est approchée, il ne regardait pas, il parlait à sa compagne, assise à sa droite. Sentant que quelqu’un tirait la chaise pour s’installer, il s’est redressé, s’est tourné vers elle avec un sourire poli déjà préparé, s’est levé en disant bonjour et s’est présenté tout en levant les yeux vers les siens. C’est à cette seconde précise que le temps s’est arrêté pour les deux pièces d’un puzzle unique. Simone a tendu sa main droite à Raoul qui s’est incliné devant elle en la frôlant des lèvres, elle était douce sa main, incroyablement douce, dessinée avec grâce, elle devait savoir écrire la plus belle histoire jamais racontée.

Dans ses yeux, il a vu la fin des errances et le début du plus beau voyage de sa vie. Elle a vu exactement la même chose dans les siens. Il s’est passé quelque chose d’indéfinissable mais que chacun aurait pu expliquer ainsi : imaginez une liste de 152.403 points essentiels à assimiler par l’autre pour pouvoir être compris, lu, reconnu, aimé, protégé, emporté, bouleversé, fantasmé, séduit, introduisez cette liste dans une machine qui vous annoncera si quelqu’un correspond au profil recherché, vous aurez alors autant de chance de voir le voyant vert clignoter que de gagner au loto deux semaines de suite. Les présentations ont duré quelques secondes mais pour Simone et Raoul, ces secondes avaient duré des siècles. Après les mains tendues et les prénoms échangés, vinrent les sourires. Ce sont ces sourires qui étaient pleins de ce vert clignotant.


C’est Paulette, la sœur de Simone, qui organisait ce réveillon. Elle connaissait Raoul et sa compagne depuis qu’ils avaient partagé un appartement en Suisse avec des amis communs l’hiver précédent. Elle n’avait pas imaginé un tel plan de table par hasard, elle sentait que cet homme pouvait être la perle que cherchait désespérément sa sœur, même si ses yeux adoraient mourir dans la naissance des décolletés alentour. Sa compagne, France, elle la trouvait un peu mièvre mais elle avait l’énorme avantage d’avoir un frère qui tenait un restaurant dans lequel on pouvait organiser un réveillon. Raoul était plus avec elle pour le dessin de sa bouche que pour ce qui en sortait mais il avait horreur de la solitude. France était de ces femmes transitoires, elle était douce comme une musique d’attente dans un ascenseur, il était agréable de monter avec elle dans les étages mais la partition devenait vite ennuyeuse.

Simone n’était pas célibataire mais c’était tout comme. Elle ne savait pas être seule et avait le chic pour dire oui à des hommes plus perdus qu’elle. Il convient de préciser que ces hommes-là faisaient souvent le tampon entre de vraies histoires, celles qui font la peau mois lisse des cicatrices. Parce que  si elle ne savait pas dire non à la facilité qui répare, qui dorlote, qui apaise, elle était d’une extrême exigence dans ses goûts. Elle disait toujours que celui qui la ferait craquer n’était pas né. Et l’espèce d’olibrius mal léché qui l’accompagnait, un certain Edmond, semblait plutôt né pour faire briller le cou de Simone dans une ou deux grandes occasions. C’est au moment où le poisson est arrivé, un bar grillé, que Raoul s’est tourné vers sa voisine de gauche pour entamer une conversation qu’il rêvait déjà éternelle. Avant qu’il n’ait pu bouger les lèvres, Simone entrait dans le vif du sujet :


- Excusez-moi Monsieur mais j’ai absolument besoin de savoir si vous avez vu la même chose que moi.

- Oui.

- Vous savez de quoi je parle ?

- Oui.

- Et comment pouvez-vous en être si sûr ?

- J’en suis sûr à l’instant. Parce que vous me posez cette question. On dit souvent qu’à l’instant de mourir on voit sa vie défiler devant ses yeux. Moi je l’ai vue défiler dans les vôtres. Vous parliez de ce qui dansait dans nos yeux n’est-ce pas ?

- Pardonnez-moi, vous n’êtes pas seul.

- Je ne suis plus seul. Plus maintenant. Plus depuis votre regard.

- Mais cette femme à côté de vous ? Elle est très belle.

- Merci, vous m’excuserez de ne pouvoir vous rendre le compliment à l’endroit de la masse vivante qui habite le survêtement d’à côté…

Simone explose alors de rire en balançant une bouchée de bar grillé sur le nœud papillon de ce brave Edmond qui part se nettoyer aux toilettes pendant que sa chérie se confond en excuses. Après avoir expliqué à la table qu’elle avait avalé de travers, elle reprend :

- Ce n’est pas un survêtement c’est un pantalon en toile ! Bien. Vous avez connu beaucoup de femmes dans votre vie ?

- Oui.

- Comment faites-vous pour différencier une femme vraiment belle d’un petit canon aux formes parfaites ?

- Un petit canon comme vous dites a envie d’être belle, elle fait tout pour l’être, elle use et abuse de ses atouts. Une belle femme l’est immédiatement. Elle est vraiment belle parce qu’elle porte en elle, en son regard, en son sein, sur ses épaules, dans la chute d’une mèche ou de ses reins, l’élégance de toutes ses vies d’avant, le charme de tous ces moments où le temps s’est arrêté sur elle, parce que lui-même voulait en profiter. Vous êtes belle, Madame, parce que vous êtes tout cela, vous êtes la plus belle possible parce que vous répondez sans le moindre mot à tous les fantasmes, à toutes les natures, à tous les rêves de douceur et de raffinement. Vous êtes belle parce que vos yeux l’ont dit aux miens, vous préservant de toute prétention. Vous êtes belle parce que vous êtes mon île au milieu de l’océan. Vous êtes belle parce que, même aveugle, votre seule main dans la mienne me l’aurait hurlé.

- J’aurais envoyé balader n’importe quel autre homme qui m’aurait dit ces mots, à peu près sûre qu’ils étaient encore tièdes, tout juste sortis d’un plat servi à une autre. Mais aucun autre ne m’aurait dit ces mots. Et surtout, surtout, je sais à quel point vous les vivez, je le sens, je sens votre vérité et c’est là que vous m’emportez. Oui, une île au milieu de l’océan, c’est exactement cela. Je sais que vous aimez les femmes, je sais que vous êtes capables de dire mille mots de ce genre à une autre, mais pas ceux-là, pas comme ça.

- …

- A quoi pensez-vous ?

- Une femme vient d'arriver au bord de ma route, de celles qui vous font tourner la tête quand vous passez à sa hauteur, de celles qui vont font tourner la tête tout court, de celles qui vous font tourner, de celles qui vous font. Vous m'intriguez, vous m'attirez, vous m'intéressez, vous m'inspirez, vous êtes à votre place et moi à la mienne, différemment accompagnés, et je sens déjà le lien fleurir. Combien d’hommes ont ressenti et dit cela à une femme ? Probablement autant que de belles histoires ont vécu, de moins belles aussi. Ont-ils été tous aussi sûrs que je le suis à l’instant ? Aussi sûr d’être au milieu d’une histoire d'âmes qui se trouvent, se retrouvent, de chemins faits pour se croiser ? Avant vous, quelques minutes plus tôt, j’étais comme un aventurier sur un bateau, attendant de reconnaître l'horizon qui s’invitait, un bateau ivre ou solitaire, dérivant depuis longtemps. Et cette île qui s’affine et se précise au point d’éclater l’idée d’un mirage, une île tellement idéale qu'elle semble vous sourire.

- Vous avez tellement vécu… Reste-t-il de l’espace pour un nouvel étonnement ? Comment ne pas être blasé après tous ces mots, toutes ces peaux… ?

- Vous ne pensez pas cela, vous m’insulteriez. Vous me posez cette question pour vous protéger. Et pour me dire que vous connaissez ceux qui sont capables de ne plus être étonnés par l’amour.

- C’est vrai.

- Je vais quand même vous répondre. J’ai déjà été las oui. Mais pourquoi se lasse-t-on ? J’ai été las de trop de voyages identiques. Toujours les mêmes yeux vides, toujours les mêmes rêves et toujours les mêmes ports, de ceux qui ne vous donnent pas envie de vous arrêter.

- J’ai connu moi aussi des hommes au cœur vide, toujours les mêmes rêves, toujours les mêmes porcs. Mais nous ne parlons pas des mêmes… même s’ils ne vous donnent pas plus envie de vous arrêter que les vôtres.

- Je vois… Alors vous savez à quel point une route particulière qui s’ouvre à vous, un parfum nouveau, si agréable qu’il vous semble familier, une lumière faite pour la suivre, une mer d’huile pour glisser jusqu’au turquoise de desseins pacifiques après des années de guerre contre l’ennemi qui manipule, ment et se sourit à lui-même dans vos yeux, vous savez à quel point ces éléments vous réveillent, vous sortent de votre coma sentimental.

- Vous croyez donc encore en l’inexploré ? En l’inattendu ? Vous avez encore des valises pleines de certitudes prêtes à partir ?

- J'adorerais vous répondre pendant une nuit entière, sous les étoiles, au coin du feu, devant un soleil qui se couche. Et je peux vous dire que la richesse et la pertinence de ces questions ne font que confirmer la qualité de votre beauté. Quant à mes valises, elles sont un peu plus petites que celles qui gonflent sous les yeux d’Edmond, mais elles sont pleines de toutes mes vérités oui.

- Je ne vous permets pas ! Je ne vous parle pas des ballons de rugby que votre amie propose sous le nez de tous les botteurs en touche ! C’est de l’hélium dedans ? C’est dingue, on dirait qu’ils ont le téton pointé vers Saturne, prêtes à décoller les capsules !

- Simone, je veux finir cette année seul avec vous, et commencer l’autre de la même façon. Je veux que nous nous levions, que nous trouvions de jolies choses à dire pour nous faire pardonner, et je rêve que vous m’emmeniez où bon vous semble tant que je reste près de vous ces quarante prochaines années, minimum.

Simone se lève et s’adresse à son compagnon :

- Edmond, merci pour tout, j’ai vraiment apprécié ta compagnie ces derniers mois mais je dois m’en aller. Je t’avais dit que je ne te quitterais qu’à la condition d’avoir trouvé l’homme de ma vie, voilà, il est là, offert comme un cadeau, assis à côté de moi.

- Mais enfin…

- Edmond, je suis désolé mais vous ne pouvez rien y faire, ma chérie, j’ai moi aussi adoré ta compagnie mais l’ascenseur vient de s’ouvrir sur la plage de l’île de mes rêves, tu ne peux pas m’en vouloir, aimer l’autre c’est vouloir son bonheur non ? Edmond, vous aimez le cyclisme ? Faites le tour de France, elle a deux trois étapes de montagne à couper le souffle !

- Mais Raoul !!!


Heureux comme des adolescents découvrant la passion, Raoul et Simone quittèrent la table, et partirent en courant, main dans la main vers un bonheur absolu.


Dans la cuisine, derrière la baie vitrée, Paulette souriait.






Franck Pelé                          


(textes déposés à la SACD – novembre 2013)