lundi 11 juillet 2011

La femme qui sait


- Raoul... Tu crois que ma mère a raison ? Et si elle disait vrai ? Je fais peut-être semblant, sans m'en rendre compte, parce que je n'ose pas vivre ce sentiment que j'idéalise tant... Au point de faire sans cesse le lit de la déception à venir, évidente, et de ne jamais défaire celui du possible...

- Ta mère t'a dit que tu ne savais pas aimer, c'est ça ?

- Oui... Et que je n'aimais personne...

- Simone... Je suis la preuve vivante que tu sais aimer... Ton problème n'est pas de ne pas savoir aimer, ton problème est de savoir le faire mieux que personne. Tu es la seule qui sait. Et c'est un problème pour toutes les femmes du monde, jalouses de ton talent, de ta facilité à lire l'indéchiffrable. Elles te raillent, parce qu'elles t'envient. Alors plutôt que de te mettre sur le piédestal que ton cœur mérite, elles préfèrent te déboulonner avant même que tu ne sois statufiée. Et si ta mère cristallise toutes ces angoisses paranoïaques dans son seul verbe, c'est bien parce que ce doit être insupportable de n'avoir jamais su trouver la générosité en soi et de se rendre compte qu'on lui a donné vie...

- Raoul, je ne sais pas si je sais aimer autant que tu le dis, mais je sais que personne ne saura jamais t'aimer mieux que moi...

Les choses de la vie


- Bonjour Madame, je voudrais une place pour "Les choses de la vie" s'il vous plaît...

- Une place pour les choses de la vie ? Mais vous n'avez pas besoin de prendre la moindre place cher ami, vivez-les les choses de la vie !

- Pardon ?

- Vivez-les ! Elle est là la vie ! Près de vous ! A portée de main ! Pourquoi n'êtes-vous pas avec votre femme par exemple ?

- M'enfin Madame, je...

- Vous en avez marre de son cinéma alors vous allez en voir un autre, qui n'est qu'un cinéma de quelqu'un inspiré par le cinéma d'un autre ! N'est-ce pas ? Et vous voulez payer en plus ?

- Bon ça suffit, donnez-moi ou une place où j'entre sans payer ! Non mais qu'est-ce que c'est que ce cinéma !

- Mais c'est ce que je me tue à vous dire ! Aucune raison de payer et aucune raison d'entrer non plus ! Pourquoi vouloir absolument prendre une place pour voir les choses de la vie et s'enfermer dans une salle ? Y'a plus de place pour les choses de la vie de toutes façons, tout le monde se fait trop de films !

- Mais je parle du film ! C'est le titre du film "Les choses de la vie" ! Avec Michel Piccoli et Romy Schneider !

- On dit Piccolo...

- Quoi ?

- Ils sont plusieurs ?

- Bah non...

- Donc on dit Piccolo.

- Mais...

- Même s'il boit plus que de raison... Et Romy Schneider, vous voulez dire Sissi ?

- Oui...

- Alors là, impossible ! Sissi elle connaît que dalle aux choses de la vie !

- Mais vous êtes qui vous ??? Vous n'êtes pas caissière ?

- Caissière ? Et pourquoi pas la femme de Felix Potin, Dugenou ? Je suis juste venue profiter du ventilo pendant que mon amie l'hôtesse vend les glaces ! Il fait une chaleur ici... vous ne trouvez pas ?

- Mais elle sait que vous êtes là ?

- Bah évidemment ! Et après, elle va revenir, et on va parler.

- Parler ? Elle préfère parler avec vous plutôt que de voir le film ?

- Mais elle travaille ici ! Alors à force, elle les connaît les choses de la vie ! Et elle n'a pas besoin de projeter ses angoisses sur un film qu'on lui projette pour raisonner des projets qui ne seront pas vraiment les siens !

- C'est complètement décousu ce que vous dites...

- C'est normal, c'est l'habitude. C'est pour mon mari.

- Bon, c'est trop là, bonne soirée...

- C'est vrai, mon mari me connaît sous toutes les coutures, alors forcément, il aime quand c'est décousu, ça pimente un peu, vous comprenez ?

L'homme part en réprimant une énorme contrariété, parfaitement exprimée par le chemin très nerveux que ses mains dessinent dans ses cheveux au moment où il les remet en arrière.

- Monsieur ? Ne partez pas ! Ce n'est pas parce que vous n'avez pas eu de ticket avec moi que vous me déplaisez ! Je peux vous les raconter les choses de la vie moi ! Où allez-vous ?

- Au théâtre !

- Tiens, je suis sortie avec un auteur de théâtre un jour ! J'étais comédienne ! Et bien vous savez quoi ? (Plus il s'éloigne, plus elle hurle) Il m'a dit un jour que je lui avais bien rendu la monnaie de sa pièce !

L'homme part en courant après un dernier regard vers la cabine. Ses yeux ressemblent à ceux d'une victime traumatisée. Pendant ce temps-là, Simone est prise d'un fou rire extraordinaire sur son siège. La caissière, pardon, l'hôtesse, arrive à ce moment-là.

- Qu'est-ce qui t'arrive Simone ? Tu pleures ?

- De rire ma chérie ! De rire... J'ai juste voulu expliquer à un mec les choses de la vie... et il est parti en courant !

Le coup de la panne


- Qu'est-ce qui te prend chérie ?

- Je te fais le coup de la panne...

- Je me disais bien qu'on n'était pas à plat !

- Pas encore...

- Et que me valent ces feux de détresse ?

- Une soudaine envie d'être secourue !

- Et le triangle ? Tu crois que les automobilistes vont comprendre qu'on est en panne ? Ils vont le voir ?

- Je me suis dit que le triangle de signalisation était idéal pour prévenir les gens que tu allais t'occuper du mien...

- Rrrrooooo... Simone... Et pourquoi tu clignes des yeux ?

- Je ne cligne pas, je clignote ! Je dois être probablement sur la réserve, j'ai besoin de faire le plein des sens...

- Mais pourquoi là, tout de suite ?

- Parce que c'est la Saint Raoul.

- Et alors ?

- Alors ça va être ta fête mon amour !

- Mais on aurait pu attendre d'être à la maison, non ?

- J'adore cette voiture... Elle me ressemble...

- Les courbes ?

- Pas seulement... On a toutes les deux le moteur à l'arrière !

Fenêtre sur cour


- Bonsoir ma très chère plume qui me donne vie...

- Simone ?

- Tu n'arrivais pas, alors je me suis décidée à venir jusqu'à la page de garde... Que se passe-t-il ? L'angoisse de la page blanche ?

- Je ne sais pas... peut-être... J'avais envie d'expliquer à quel point tu savais aimer mieux que personne après ce que ta mère t'a fait comme scène... J'ai mille mots en tête mais je cherchais le plus beau pour commencer...

- Tu n'as qu'à venir directement en page 3 et entrer dans le vif du sujet maintenant que tu sais que je suis là ! Et puis je suis sûr que Raoul ne va pas rentrer avant quelques paragraphes...

- Simone... Tu dragues ton auteur ? Mais je sais tout de toi, je sais même ce que tu ne sais pas encore... D'ailleurs, c'est Raoul lui-même qui va te dire toute la beauté de ton amour, page 17.

- Voilà qui nous laisse du temps...

- Simone ! Je me tromperais moi-même si je traversais l'écran de mes nuits blanches !

- Tu ne le ferais pour rien au monde ? Allez... Traverse... Entre dans ton monde, dans le mien... Tu verras comme tu as eu raison de l'inventer... Viens... Cueille la rose pourpre du corps...

- Si j'entrais dans mes histoires, je deviendrais spectateur de la réalité, de tout ce que j'ai construit réellement, et je mourrais de ne plus être, d'être condamné à jouer mes propres textes, et de connaître la fin.

- Parce que tu connais la fin de mon histoire ?

- Non, je ne parlais pas de toi. Toi, tu es éternelle. Tu es le fruit de mon arbre amoureux, un arbre aux racines millénaires. Tu auras tous les âges, toutes les élégances, tous les parfums, je n'aurai jamais fin de toi.

- Je t'aime...

- Je n'ai jamais écrit cela en page 3...

- Non. Pour une fois, c'est moi qui l'écris. Et je te l'écris ici, sur ta première page. Chaque fois que tu ouvriras ce livre, il commencera par ma reconnaissance. Je t'aime comme je te remercie.

- Parfois je me demande si tu n'es pas devenue plus vivante que moi...

- Aucune chance. Plus ton cœur bat, plus le mien parle. Allez, emmène-moi page 17, j'ai besoin d'amour... Comment sera habillé Raoul quand il m'enveloppera de sa magie ?

- Avec cette chemise noire que tu adores.

- Tiens, comme celle que tu portes à l'instant...

Et l'aigle devint proie


Simone avait décroché le premier rôle féminin de la dernière pièce de Tennessee Williams, "Doux oiseau de la jeunesse". Sa mère avait assisté à toutes les répétitions de sa fille. En ce jour de juillet 1959, comme à son habitude, Odette fait la belle en racontant aux quelques admirateurs présents son glorieux passé d'actrice. Admirateurs... disons plutôt à tous les journalistes, techniciens ou producteurs qu'elle prenait un malin plaisir à inonder de sa science de la paillette et de la scène. Dans le seul but de les faire luire d'admiration, à un point tel qu'elle pouvait presque se pâmer devant la réflexion de son propre effet sur ces fronts qui ne semblaient pas en mesure de réfléchir autre chose. Un plaisir presque aussi grand que celui qu'elle prenait à détourner les projecteurs pourtant braqués, enfin, sur sa fille.

Simone venait de terminer une longue tirade par des larmes parfaitement maîtrisées, donnant une formidable épaisseur à sa prestation. C'est alors qu'elle entendit sa mère dire à son parterre de buvards :

- Vous voyez, là, c'était pas mal, mais elle peut faire mieux. De toutes façons, elle ne sera pas contente, et elle se contentera du minimum. Je ne sais pas si elle est faite pour ça, je lui ai pourtant tout appris. Si vous m'aviez vue pleurer sur la scène d'Avignon... Vilar était bouche bée... Si il y avait eu un Oscar des larmes, j'étais sans concurrence !

- Bon Maman, merci d'être venue... J'ai du travail, va raconter ta vie au café avec tes amis, invite-les à regarder tes albums photo, fais ce que tu veux mais de l'air...

- Mais enfin Simone, je...

- De l'air !!! Tu m'as tout appris donc tu n'as plus besoin d'être là ! Au revoir ! On s'appelle...

- Pffff... et voilà, c'est encore de ma faute ! Tu vis mal la pression et c'est encore moi qui prends !

- Je vis très bien la pression, mais la tienne, tu as raison, je n'ai qu'une idée en tête, la mettre en bière. Allez, pfuiiit ! Je t'enverrai un faire-part, ouste ! On dégage ! On s'en va !

- Tu ne m'aimes pas, tu n'aimes personne Simone !

A cet instant précis qu'elle allait suspendre un long moment, Simone s'avance droit dans les yeux de sa mère. Elle prend un ton si puissant, si vrai, si sincère, qu'on pouvait entendre les fronts se plisser. Elle regarde celle qui lui a donné la vie, et lui crache ses mots, comme pour lui rendre.

- ça c'est vrai ! Je n'aime personne. Parce que tu ne m'as jamais appris l'amour. Je ne sais pas aimer. Je me demande même si je sais être aimée. Parce que tu ne connais pas ce sentiment, tu ne connais même pas le sens du mot. De l'amour, tu n'en as jamais eu que pour toi, pour ta vie, tes rêves, tes idéaux. Tu en as eu aussi pour les autres, surtout ceux qui savaient te le rendre, ou te rendre belle. Tu as été jalouse de moi, jamais protectrice. Je n'ai jamais été à la hauteur de ton idéal de femme, forcément, il aurait fallu que je sois toi, avec vingt ans de moins !

- Simone !

- On dit souvent que l'amour d'une mère doit être inconditionnel, contrairement à celui du père, qui se mérite. Avec toi, j'ai passé ma vie à essayer de mériter ton amour. Mais finalement, cruel paradoxe, c'est en jouant "Doux oiseau de la jeunesse" que j'ai enfin ouvert les yeux sur l'aigreur et l'indifférence qui dansent dans les yeux de l'aigle maternel. Tu sens que tu perds tes plus belles plumes alors tu veux t'approprier les miennes, après les avoir critiquées pendant des années. Mais tu ne pourrais pas voler avec mes plumes ma chère mère, elles sont trop légères pour une légende comme toi... Tu sais, depuis trois ans on loue mes performances, mon expression, mon talent. Une seule s'accroche encore à m'habiller de ce minimum qu'elle aimerait ne jamais me voir dépasser. Par goût de la défaite sans doute. De la mienne j'entends. Parce que le minimum, ça oui, je te l'accorde, c'est toi qui me l'a appris.

- Non mais vous entendez ? Simone, comment peux-tu dire autant d'horreurs ! Quelle égoïste tu fais ! Je t'ai tout appris, j'ai changé tes couches, mouché ton nez !

- Tu ne m'as rien appris d'autre que le désamour. Et aujourd'hui, pardon, mais je prends la lumière, et je la garde. Parce que c'est moi qu'elle éclaire, c'est moi qu'elle suit ce soir, et qu'elle va suivre pendant ces dizaines de représentations où tu ne seras pas ! Ce soir, c'est moi qui te mouche. Et c'est étrange, c'est moi qui respire mieux...

Voyage, voyages


- Raoul ! Have you seen this boat ?

- It's the fisherman.

- What the hell is he doing ?

- I think he wants to leave the country.

- Where does he go ?

- Phare, phare away...

samedi 2 juillet 2011

Océans


- On est où là ?

- ... c'est beau non ? Nous sommes à l'exacte jonction entre l'Océan Atlantique et l'Océan Indien...

- C'est fou... Une frontière d'eau et de couleurs...

- Tu vois Raoul, quand je regarde ces deux gigantesques caractères s'épouser, je pense à nous... Toi, à droite, dur, massif, un peu sombre, sans pitié, aux vagues parfaitement dessinées, et moi, à gauche, calme comme un lagon, élégante comme le turquoise, quand on te regarde, on a envie de te maîtriser, quand on me regarde, on rêve d'y plonger...

- ...et l'écume alchimique de nos épousailles ne faiblit pas un seul instant... sur des milliers de kilomètres... Dès que tu me touches, je réagis, je bouillonne, je fusionne, tirant un trait de mousse entre les deux pôles... Je te bois toute entière mon eau de vie, des côtes d'Afrique aux plages argentines, des falaises irlandaises aux palmiers de Guadeloupe, mon ivresse voyage, et me porte, et m'emporte...

- Fais-moi la houle... Fort... Prends-moi dans tes vagues... Mélange-moi...

- Tu vas adorer l'histoire de Simone et la houle... Une histoire d'amour pleine de grâce et de sel...

- Attaque-moi plein Nord, sans jamais faiblir, jusqu'au Cap de Bonne-Espérance...






© Franck Pelé – Juillet 2011

Poker menteur


- Va jouer au poker chéri, je m'occupe de la vaisselle !

- Simone ?

- Oui ?

- Tu es ivre ?

- Tu rigoles ? Les bulles n'ont aucun effet sur moi !

- Tu as fumé la pipe de Charles alors...

- C'était pas de l'origan ? Je me disais que ça sentait plus fort que dans mon bocal...

- Simone, y'a vingt kilos de vaisselle à faire, trois heures de boulot, juste à cause de cette soirée où j'ai invités MES amis, je veux bien qu'on soit encore à l'époque de la femme soumise et obéissante mais franchement je t'avoue que dans mon bocal à moi, le poisson rouge ne tourne plus rond ! Je ne comprends pas pourquoi tu t'infliges une sentence pareille !

- Raoul, il n'y a aucun calcul dans ma générosité enfin ! J'ai passé une excellente soirée avec tes amis et ça me fait plaisir de ranger ma cuisine, allez, file à ton poker... Et puis si tu pouvais plumer un peu notre banquier, ça me ferait plaisir...

En effet, à la table des joueurs se trouvait Pierre, le directeur de l'agence bancaire dans laquelle Raoul et Simone avaient ouvert un compte. Il commençait à devenir très disert sur sa vie privée après quelques tours de table et autant de verres de bourbon. Il parlait de toutes ces femmes qui n'avaient pu résister à son charme, et avouait sa préférence pour les femmes au caractère très ouvert. Et il ajoutait dans la foulée : "Comme Simone, tiens ! Une femme tellement ouverte, quel chanceux ce Raoul..." avant de replonger ses yeux dans ses cartes, sans comprendre qu'il avait attisé la nervosité de son voisin de gauche. Raoul ouvrait des yeux énormes pendant que les autres joueurs, autour de la table, se faisaient tout petits...

- Qu'est-ce que tu veux dire par "tellement ouverte" Pierre ?

Pierre comprit immédiatement qu'il en avait trop dit et mis tous ses jetons au centre en annonçant "tapis !"

- Pierre, qu'est-ce que tu veux dire par "tellement ouverte" ?!!!

- Mais rien de spécial Raoul ! Je voulais juste dire que ta femme est vraiment agréable, souriante, toujours prête à rendre service, et puis elle gère extrêmement bien votre compte, de façon très transparente, donc je la trouve très ouverte, très sympathique !

- Dis donc Pierre, en parlant de gestion, combien on te doit pour remettre les compteurs à zéro ?

- On parlera de ça plus tard, passe demain au bureau si tu veux.

Raoul insiste, le regard noir.

- Combien Pierre ?

- Bon... Vous ne me devez plus rien.

- Ah oui ? Et par quel miracle ?

- Disons que par amitié, je passe l'éponge...

- Par amitié ?

Raoul se lève brusquement de table, fonce vers la cuisine et demande à Simone, sur un ton très sec :

- Simone, qu'est-ce que tu fais ?

- Je passe l'éponge chéri...

- Toi aussi ? Et bien ça vous fait un point commun avec ton ami banquier ! Mais je suis sûr que vous en avez d'autres... N'est-ce pas Simone ?

Simone comprend qu'elle ne peut pas mentir davantage. Elle souffle un bon coup, se retourne :

- Bon, d'accord, quand Pierre m'a accompagné pour aller chercher le vin à la cave, il a voulu m'embrasser. Je lui ai dit que j'étais trop chère pour lui, sur le ton de la plaisanterie. Il m'a demandé combien, et là, j'ai vu dans ses yeux qu'il était sérieux. Alors j'ai dit "3000 francs, le montant de notre découvert... mais juste pour un baiser volé, ce serait vraiment cher n'est-ce pas Pierre ? Allez, arrêtez vos bêtises, remontez vite avec cette bouteille de Château Latour, vous m'en direz des nouvelles..."

- Et ?

- Et là, il m'a pris par la taille et ne m'a pas laissé le temps de dire ouf, il m'a embrassée pendant une longue minute, puis il a pris la bouteille et est remonté en me disant : "ça valait largement le prix... welcome back dans le monde des créditeurs chère madame !"

- Tu t'es laissée faire pendant une minute ??? Et... mais attends, j'y pense, quand tu es descendue à la cave, c'était la fin de l'après-midi, tu portais ce déshabillé de soie après la baignade en piscine, non ?

- Oui...

- Je comprends pourquoi il trouve que tu es une femme très transparente !

- Raoul ! Où tu vas comme ça ?

- Lui montrer ce que ça fait quand c'est Raoul qui met des commissions d'intervention ! Je vais le mettre dans le rouge l'enfoiré d'écureuil ! Je vais lui faire passer l'envie de toucher au patrimoine privé ! Parce que tu ne vas pas me faire croire qu'il s'est contenté d'une minute au parloir alors qu'il avait vue sur la cellule de crise !

- Raoul reste ici ! Il n'a fait qu'embrasser des lèvres qui ne lui ont rien donné, il a embrassé un désert, un volcan éteint, un fantasme immobile, une nature morte ! Et pendant qu'il débitait le compte de ses interdits, il renflouait le nôtre qui, dois-je te le rappeler, tutoyait des profondeurs inconnues parce que Monsieur prenait branlée sur brelan !

- Ah d'accord... Alors si je perds au jeu, tu te vends pour rembourser ?

- Tu n'as pas peur de me foutre à poil apparemment avec tes inconscientes prises de risque ! Alors toi tu embrasses le risque, et moi le banquier ! Tu sais bien que c'est le rôle de la femme de trouver le bon équilibre financier...

Quand Raoul reprend place à la table de jeu, tous les joueurs présents n'en croient pas leurs yeux. Pierre se décide à lui poser la question que tous se posent :

- Raoul... Pourquoi tu es tout nu ?

- Parce que tu m'as déjà tout pris Pierre, alors si là je perds, je te rembourse avec mon corps. C'est comme ça que tu aimes jouer non ? Tu vois, j'en avais marre d'embrasser le risque, alors j'ai décidé d'embrasser mon banquier. Tu ne seras pas déçu, je suis très bien coté en bourse. Tapis...




© Franck Pelé – Juillet 2011

C'est Simone l'experte


- Simone, je suis désolé, c'est la première fois que ça m'arrive...

- Pas de problème.

- Arrête, tu es toute tendue, je le vois bien...

- Tu n'avais qu'à me détendre !

- Attends, tu es dure là...

- Oui, et normalement c'est ton boulot !

- Dis donc, j'ai bossé jusqu'à onze heures hier soir ! J'ai laissé beaucoup d'énergie dans mon bureau, tu peux comprendre ça ?

- Dans ton bureau, ou avec la secrétaire de ton bureau ?

- Quoi ??? Parce que tu crois que je couche avec Cristina ?

- Je ne sais pas, je ne crois rien, mais je l'ai vue ce matin à la boulangerie, et elle était beaucoup moins fraîche que les pâtisseries en vitrine !

- Évidemment ! Elle a écrit pour moi toute la nuit !

- Tu avoues en plus ?

- Elle a rédigé des rapports d'expertise !

- Et ben dis donc, si c'est toi l'expert, elle écrit vraiment doucement alors ! Parce que si moi je devais rédiger un rapport d'expertise, là, tout de suite, ce serait fait en trois mots et autant de secondes...

- Ah oui ? Et bien vas-y Madame-je-sais-tout !

- A-MA-TEUR !





© Franck Pelé – Juin 2011

Swimming with sharks


- Simone...

- ...

- Simone !

- Quoi Paulette...

- Je ne vois plus Charles et Raoul...

- Et alors... Arrête de dépendre autant de ton mari Paulette... Profite un peu de ta liberté, regarde, on n'est pas bien là ?

- Si, mais...

- Allez, allonge-toi, bronze, et écoute ce silence... Ils ne rentreront pas sans nous, ne t'inquiète pas. C'est normal de ne plus les voir à cette distance, avec le monde qu'il y a sur la plage, tu ne peux pas les reconnaître...

- Le problème c'est que je ne vois plus la plage non plus...

Simone se redresse d'un seul coup.

- Quoi ??? Mais pourquoi tu me préviens seulement maintenant ?

- Mais ça fait deux heures que je te dis que je ne vois plus Charles et Raoul !

- Oui, mais ça c'était pas très grave, par contre, ne plus voir la plage, là, ça peut vite créer un manque !

- Voilà ! Tu ne sais pas quoi faire ! Quel que soit le côté où on regarde, on ne voit que l'horizon ! On va mourir ! De faim, de soif, bouffées par les requins !

- Mais arrête un peu de t'emballer Paulette ! C'est quoi là, derrière toi ?

- Où ?

- Là !!

Paulette se retourne, plisse les yeux et distingue un bout de terre :

- La côte !

- Allez, rame ! Aide-moi !

- Mais Simone, on n'arrivera jamais jusque là ! Je n'ai pas cette force !

- Bon Paulette, soit tu m'aides à ramer soit je te casse les dents de devant !

- Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette violence ?

- Rame Paulette !

Paulette commence à ramer énergiquement avec les bras, de chaque côté du matelas. Puis elle ajoute :

- Tu as fait exprès de dire les dents de devant hein ?

- Pfff...

- Tout ça parce que c'est maman qui m'a payé l'opération quand j'étais petite... J'ai eu un plus beau sourire que toi avant toi alors tu es jalouse... Et tu veux me le faire payer aujourd'hui...

Simone arrête brusquement de ramer et se retourne vers Paulette, le regard noir :

- Alors écoute-moi bien ma très chère sœur... Premièrement, tu n'as jamais eu un plus beau sourire que moi, ni avant, ni pendant, ni après. Deuxièmement, quand tu as connu ton premier homme, Charles, qui est devenu ton mari, j'avais déjà fait une thèse sur le genre masculin tellement mon sourire avait changé la face de leur monde, troisièmement, si tu veux vraiment éviter les mâchoires des requins, c'est la dernière fois que tu me parles des dents la mère, c'est clair ?

- Oui...

- Pardon ?

- Oui !!!




© Franck Pelé – Juin 2011