lundi 12 juin 2017

La maladie d'amour



- T'étais où ?

- Simone, pose ça... pose ça tout doucement...

- Tu me prends pour qui espèce de fourreur de jupons ???

- On dit coureur non ? Mais pourquoi tu dis ça ? Qu'est-ce qui te prend ?

- Ah excuse-moi mais ça fait longtemps que t'as arrêté de courir ! Maintenant tu choisis au toucher, à l'ouverture, tu prends ce que t'as sous la main ! Tu reprends du poil de la bête ! Et t'es devenu le plus grand fourreur de la région !

- Arrête, ça ne te va pas du tout d'être vulgaire...

- Vulgaire ? Mais je m'adapte à la qualité de ton cerveau pour que tu me comprennes fort et clair mon grand malade !

- Malade de quoi ? J'aurais pas le droit d'aimer SI j'étais amoureux ??

- Mais tu en sais autant sur l'amour que sur l'histoire médiévale de la Pologne ! (elle chante) Il fourre, il fourre le malaaaade de l'amour !

- Arrête ça suffit maintenant, pose ce flingue ! Tu vas réveiller tout le quartier si tu tires !

- Tu vois le petit cylindre au bout du canon, c'est un silencieux, le genre de truc que t'aurais dû mettre au bout du tien ! Et tu aurais dû t'en visser un sur ta grande bouche aussi parce que toi tu tires pas souvent mais ça réveille largement au-delà du quartier tellement tu en parles !!

- Ce sont des conneries tout ça, des légendes de concierges ! T'es allé chez ta coiffeuse qui t'a encore raconté ses salades !

- Ah pas du tout, je suis allée chez ma manucure dont le balcon donne sur celui de ta nouvelle collègue, celle qui est mariée à un flic tu sais ? Un flic qui n'est jamais chez lui ! Celle qui vit au-dessus de ce café où tu dis passer des heures pour travailler au calme ! Et quand je suis passée à ce café pour leur montrer ta photo, personne n'a reconnu ta tronche de cake !!!

(il déglutit difficilement)

- Je peux t'expliquer... J'étais... En fait j'ai dû aller plusieurs fois chez elle parce qu'elle a des soucis avec son mari violent... Je suis juste allé parler avec elle, lui donner des conseils...

- Ah d'accord... T'es une sorte de consultant quoi...

- Voilà c'est ça. D'ailleurs je vais peut-être me mettre en auto-entrepreneur, y'a un filon à exploiter je crois.

- Un filon à exploiter ? Mais ça fait des mois que tu le creuses le filon ! Tu te tues à la tâche et t'adores ça ! Tu es le seul type qui est en burnes-out tous les jours et qui refuse qu'on l'arrête !!!

- Mais arrête d'être grossière Simone, je te dis que je n'ai fait que parler avec elle !

- Ah oui ? Et tu consultes souvent en peignoir ? Parce que tu étais en peignoir quand je t'ai vu sur le balcon ! C'est un autre filon que tu veux exploiter le consulting en peignoir ?? Tu lances le "Robe de chambre Consulting" ? Ah tu vas avoir du monde avec l'énorme marché des femmes éplorées qui ont des choses à raconter et qui ont une douche ou une baignoire !!! C'est toi qui me rends grossière ! Parce qu'embrasser du vulgaire trop longtemps ça déteint sur le comportement !

- Mais merde !!! Oui je suis amoureux !

- Ne parle pas de ce que tu ne connais pas mon pauvre garçon ! T'es amoureux parce qu'elle t'a ouvert la porte ? Mais dès qu'on t'ouvre la porte t'es amoureux !

- N'importe quoi !!! Et toi !!! T'es amoureuse dès qu'un admirateur t'écrit que tu es belle !

- Aaaaaaah non mon cher lapin crétin... moi je tombe amoureuse quand la qualité de ce que je donne trouve un écho rare dans la qualité de ce que je reçois... En fait, ça m'arrange assez que tu sois aussi bas du bulbe. Parce que jusqu'à maintenant, je m'empêchais de tomber amoureuse, je me retenais, pour toi. Mais là je vais lâcher prise avec un plaisir immense...

- C'est qui ce salopard ??

- Ce salopard ? Ah non... Rien de tout cela chez mon Raoul... Toi tu es le roi des salopards mais lui... lui c'est le charme élégant, la douceur offerte, la classe du verbe, l'immensité du sentiment... Tu vois lui quand il m'aime, ça me rend belle, je gagne dix ans quand avec toi je les perds, lui quand il m'aime, je pourrais voler tellement je me sens légère quand avec toi je pourrais prendre racine tellement tu m'enterres, lui quand il m'aime il n'y a aucune habitude aucun règlement, quand avec toi tout pourrait exploser pour quelques miettes ou pour une tâche de sauce tomate... tu sais Olivier l'amour c'est assez simple en fait...

- Non rien n'est simple !

- Ah si c'est simple l'amour... Il suffit de trouver quelqu'un qui a autant envie de te donner que toi. Pas quelqu'un qui le promet, non... quelqu'un qui te donne vraiment tout son coeur, tout son amour, avec une constance folle, une certitude faite du bois de la perpétuité, quelqu'un qui est bien avec toi, quelle que soit ta coupe de cheveux, la lourdeur de tes paupières, la nature de ton parcours ou de ton compte en banque.

- Mais moi j'aime bien la nature de ton compte en banque

- Alors maintenant, soit tu t'en vas dans les cinq minutes et tu vas retrouver ta pétasse qui doit être en train d'essayer de s'en sortir avec son mari - oui parce que je l'ai appelé pour lui expliquer la situation et il m'a fait sauter tous mes PV, chouette non ? Toi tu fais sauter sa femme et lui mes PV - soit je te tire une balle dans chaque genou, mon nouvel ami flic m'a dit que ce serait de la légitime défense...

- Mais... tu vas vivre avec ce Raoul ? Simone et Raoul, ça sonne bien ça ?

- Ah oui ça sonne bien... et je te jure que si je pouvais signer plusieurs vies, je le ferais sans hésiter.

- Je peux prendre mon peignoir ?

- Je t'en prie... Que serait un consultant sans son peignoir...


Franck Pelé - juin 2017 - textes déposés SACD