lundi 30 janvier 2012

Les fleurs du mal



Simone,

Quand vous lirez ces mots, vous aurez trouvé mes fleurs, posées sur les pages de votre livre comme on dépose un amour entre les lignes d'une vie qui ne pourra s'écrire sans vous. Je ne peux me résoudre à ignorer votre existence et c'est pourtant la seule façon de reprendre le cours normal de la mienne. Je sais votre amour pour votre mari, je connais votre sens des valeurs et de la morale, il vous honore, vous qui étiez déjà si belle... Et je me sens coupable de vous en détourner. Vous savez vous aussi à quel point ma femme est chérie, comment pourrais-je lui expliquer sans honte de l'avoir trahie que la flamme qui nous a rapprochés vous et moi était aussi inévitable que celle qui nous a fait nous épouser, elle et moi. Alors que faire... Vivre sa liberté avec plaisir et culpabilité, ou respecter une ligne de conduite, une flamme choisie ? Cette flamme, toujours aussi chaleureuse et élégante dans sa danse quotidienne, mais qui, en déclinant lentement, allonge davantage les ombres que les désirs. Où que je me place par rapport à la flamme de ma vie, c'est votre ombre qui se dessine. Mais si vous deveniez ma flamme, au moment où nos certitudes commenceraient à fondre et la lumière à vaciller doucement, quelle ombre verrais-je danser ? Et vous ? Quelle idéale projection vous donnerait envie de souffler sur ma mèche pour décoiffer votre routine ? Simone, je vous quitte parce que vous m'aimez, sans même avoir osé me l'avouer, vous avez su me le dire avec vos yeux, vos mains, vos gestes retenus, vos mots empêchés. Je ne serai pas dans cette chambre avec vous ce soir, ni demain matin, ni aucun autre jour. Je ne vous ferai pas l'amour comme j'en rêvais depuis toujours, je ne goûterai pas votre corps sublime, n'arrondirai pas vos courbes de ma douceur, ni ne me permettrai l'extase d'entendre la vôtre. Ne doutez jamais de l'excellence de mes sentiments à votre égard, de ma lucidité au moment de vous reconnaître, croisant ma route comme des chutes se présenteraient à un long fleuve tranquille. Oui, c'est exactement cela, j'étais un long fleuve, paisible, coulant des jours heureux et des nuits étrangement calmes, sans jamais me demander si j'avais besoin de bruit et de fureur, de l'ivresse du déséquilibre et de la sensationnelle folie de l'écume. Et puis je vous ai vue, au bout de mon chemin. Vous ne m'avez rien demandé, vous ne m'avez pas obligé à couler dans le secret de votre vallée, j'aurais pu rester là-haut, près de mon lit, résister au courant que je sentais plus fort, m'attirant un peu plus loin chaque jour, mais vous me proposiez l'amour en cascade, et votre force d'attraction était irrésistible. Je vous aime Simone, nos histoires d'eaux ne s'assècheront jamais. Mais je dois retrouver mon lit, parce que s'il n'y a plus de lit, il n'y aura plus de cascade.


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Réponse de Simone :


Mon amour,

Je ne pensais pas pouvoir écrire ces mots à un autre que l'homme que j'ai choisi pour la vie. Mais votre bienveillance à l'instant, la précision de votre ressenti, qui se conjugue tellement à tous les temps du mien, m'oblige à exprimer l'indicible. Je vous aime, parce vous étiez là, je vous aime parce que vous partez, je vous aime parce que vous ne m'interdisez pas de croire que vous reviendrez. Je vous déteste parce que vous n'êtes pas là, parce que je ne pourrai pas vous donner ce que je ne sais plus donner depuis que le temps passe, je vous aime parce que je sais ce que j'étais prête à vous offrir, avec tellement de passion et d'envie que plus rien n'aurait eu de goût après vous. Vous m'avez empêchée de trahir, l'homme de ma vie, et moi-même, vous me donnez la possibilité de marcher la tête haute, assez haute pour ne jamais perdre de vue votre souvenir. Je veux que vous restiez près de moi, jamais loin, j'ai besoin de vous sentir, de savoir que vous êtes là. Plus l'amour est fleuve, plus dure est la chute. Je saurai remonter jusqu'à votre lit, attendez-moi, gardez un œil sur les rives. Je dois vous paraître immorale, menteuse ou légère, vous savez pourtant à quel point je ne le suis pas. Je n'ai jamais trompé mon mari, et quand je lui dis que je l'aime, il n'existe pas de vérité plus profonde. J'ai pourtant toujours été convaincue que l'amour pouvait être pluriel, il n'y a aucune raison de pouvoir ressentir un élan magique pour une âme et de croire que cet élan naturel puisse se désintégrer à partir du moment où l'âme est épousée. Mais puisque nous sommes bien élevés, respectueux, et que notre morale est sauve, nous savons ne prêter la moindre attention à ces élans, en se forçant pour certains, naturellement pour d'autres, sous peine de se projeter au-delà de la limite. Merci d'avoir fait de moi l'objet de votre amour, je ne me souviens pas m'être sentie aussi belle. Au lieu de vous regarder sourire et m'aimer, je vais finir mon livre, allongée sur ce lit qui devait être nôtre, je serai forcément marquée par cette histoire, elle sentira vos fleurs, et votre absence. Il est bientôt minuit et vous me manquez follement.

P.S. : Je n'ai lu que trois pages depuis tout à l'heure, deux heures ont passé depuis l'écriture de ma réponse et vous êtes partout. Qui est assez fort pour ignorer l'éclat d'une telle étoile dans son ciel ? Comment vais-je faire sans vous, loin de vous ? Vous êtes sur ma route, il ne fallait pas la croiser, vous ne pouvez plus la quitter. Je ne vous aimerai pas. C'est mon mari que j'aime. Et vous aimez votre femme. Nous respectons cela tous les deux. Mais je veux vous vivre. Jusqu'à la limite du possible. Je réfléchis... et je me dis... si vous m'avez écrit votre amour, vous avez déjà dépassé votre limite non ? Pardon... Pardonnez-moi. Je n'ai pas le droit. Et puis... comment réagirais-je si mon homme écrivait une telle chose à une autre...

P.S II : Il est trois heures du matin, et j'ai trouvé la réponse à la question qui fermait mon premier post-scriptum : Comment je réagirais si mon mari écrivait une telle chose à une autre ? Mais je serais débarrassée de toute honte ! Je serais ravie ! Auriez-vous une amie, une sœur ou une tante célibataire ? Un peu maniaque sur le ménage de préférence ? Je vous donne l'adresse du bureau de mon mari, il faut absolument qu'il croise la route d'une femme amoureuse de lui ! Et puis ça lui ferait du bien d'apprendre de nouvelles choses... Finalement, j'en profiterais moi aussi. Ah les hommes, s'ils savaient de quoi on est capables pour les rendre heureux... Je vais me décarcasser pour lui trouver une rallumeuse de flamme et il trouvera encore le moyen de m'engueuler parce que j'ai rangé ses journaux en lui perdant sa page ! Dire qu'il va l'embrasser... Peut-être même lui faire l'amour mieux qu'il ne le fait avec moi... Le salaud ! Là par contre, je n'ai plus aucune gêne ! Me faire une chose pareille, à moi ? Revenez vite mon amour, je sais désormais mon mari capable de tout, je suis blessée dans ma chair et vous seul pouvez me soigner à cet endroit...




Franck Pelé - Janvier 2012    Tous les textes sont originaux, écrits par Franck Pelé et déposés à la SACD.

Le Nouveau Monde



Alors que Raoul n'avait plus qu'à tirer sur la bretelle pour déclencher un bouleversement fabuleux de tout son être, il prit un peu de recul pour savourer l'éternité de ce moment.

- Qu'est-ce que tu fais mon amour ?

- Je te regarde...

- Décris-moi ce que tu vois...

- Je vois l'automne d'une lingerie qui, en tombant définitivement, me fera découvrir un nouveau monde. Je vois les premiers frissons sur la naissance de ton sein, ceux qui annoncent le printemps fleuri que tout ton corps réclame.

- Tu crois qu'on aura un joli printemps ?

- Il va durer, durer, comme une saison préliminaire idéale avant un été caniculaire au creux de ta vallée...

- Ce serait bien que l'automne fasse définitivement tomber la feuille qui te sépare de ton eldorado avant que l'hiver ne doive geler les plus prometteuses intentions...

- Simone, le jour où l'explorateur a trouvé son nouveau monde, même s'il a été heureux d'avoir pu y vivre, heureux d'y avoir construit son bonheur, la plus belle image qui lui restera au crépuscule de sa vie sera celle de l'instant où il l'a découvert.

- C'est très joli mon amour... Et dans l'acte de tirer la bretelle pour découvrir un endroit magique, là, tout de suite, tu penses pouvoir trouver une philosophie plaisante ?

- Tirer sur une bretelle c'est comme tirer sur une ficelle pour ouvrir des rideaux sur une vue splendide, c'est comme tirer sur un cordon pour inaugurer un magnifique édifice, c'est faire sonner les cloches, déclencher un feu d'artifices, c'est allumer la lumière, c'est ouvrir un cadeau !

- Raoul, j'adore ta poésie, mais si tu ne veux pas que je devienne une île déserte sans aucun permis de construire possible, y compris pour les autochtones, je te conseille de tirer sur la ficelle immédiatement et de m'inaugurer comme il se doit !




Franck Pelé - Janvier 2012

Raoul touche le fond



- Alors ? C'était quoi cette fameuse blague qui vous faisait pleurer de rire tout à l'heure, dans la cuisine ?

- C'est rien, une histoire de Pierre, rien de bien méchant...

- Raoul... Tu m'as promis que tu me raconterais ce soir... Vous étiez tous les deux à vous tenir les côtes, j'ai envie de savoir !

- Ce que vous pouvez être curieuses vous les femmes...

- Allez, raconte !

- C'est une histoire un peu macho, tu ne vas pas aimer.

- Raoul, tu me prends pour une féministe ? Raconte...

- Bon... Tu sais quelle est la différence entre une piscine et une femme ?

- Euh... Je ne vois pas non...

- Pour le temps qu'on passe dedans, c'est beaucoup trop cher !

Raoul va pour éclater de rire mais devant l'air consterné affiché par sa femme, il baisse immédiatement les sourcils et fait profil bas. Simone enchaîne, d'un ton grave et monocorde :

- Mais c'est hilarant dis-moi...

- Tu vois ? Je te l'avais dit que tu n'aimerais pas ! Et puis c'est pas de moi, c'est de Pierre !

- Oui mais ça t'a fait rire aux larmes quand même ! T'es qu'un gros macho de comptoir Raoul ! Allez, va te chercher une bière et rejoins ton ami pour parler du poster du mois dans Playboy ! Beaucoup trop cher... non mais je rêve... Forcément, pour des radins, tout est cher ! Vous êtes bien contents de nous afficher comme des signes extérieurs de richesse et de réussite sentimentale dans vos soirées à la noix ! De montrer que votre femme est aussi racée que votre voiture ! Si vous voulez qu'on brille, il faut vous en donner les moyens !

Avant que Raoul puisse ouvrir la bouche, Simone détend complètement les traits de son visage et se met à rire à gorge déployée :

- Ah si tu voyais ta tête mon chéri ! Mais je plaisante ! Elle est très drôle ton histoire, vraiment. Bon, le "dedans" fleure bon la femme-objet mais j'imagine que c'est notre époque qui veut ça, dans quelques années, on ne comparera plus les femmes à des piscines... Si ?

- C'est quand même une histoire de Pierre. J'ai trouvé ça drôle mais je ne suis pas macho pour autant. Bon, peut-être un petit peu... mais beaucoup moins que lui !

- Tu sais, Pierre, peut-être qu'il ne va pas souvent dans sa piscine parce qu'il ne sait pas bien nager...

- Oui, enfin faut voir la tronche de sa piscine aussi...

- On a la piscine qu'on mérite. Et toi ? Tu la mérites ta piscine ?

Raoul ne sait pas quoi répondre. Simone s'avance doucement vers lui, sa bouche vers la sienne, sourit et lui dit en chuchotant :

- Je plaisante mon amour, je sais que tu n'es pas macho, et je me fous qu'on me compare à une piscine trop chère. Et puis dans la mienne, on est très bien dedans. Personne ne s'est jamais plaint. D'ailleurs, si tu as envie de venir nager un peu, je crois que l'eau est à température idéale...

- Ah oui ?

- Je vais te dire une chose mon nageur préféré, moi je te dis que pour le temps que tu passes dans l'eau, sachant que tu ne t'occupes ni de l'entretien, ni de la température de l'eau, tu as fait une sacrée affaire...

- Quand tu dis que personne ne s'est jamais plaint... Combien de personnes sont déjà venues nager dans ta piscine ?

- Depuis quinze ans qu'elle est ouverte, pfff... Je ne sais pas... Tu sais, c'est pour tout le monde pareil, avant de se privatiser, il faut avoir connu le succès, mais le plus important c'est que ce soit pour toi que je sois devenue privée, tu ne crois pas ?

- Combien Simone ?

- Ce que vous pouvez être curieux vous les hommes...







Franck Pelé - Janvier 2012

Pour vivre heureux...


- Pourquoi tu ouvres ton parapluie Raoul ?

- Ce n'est pas un parapluie.

- Ah bon ?

- C'est un abri antiatomique. Sauf qu'ici, la bombe atomique, elle est à l'intérieur. C'est pour protéger les autres de ta beauté fusionnelle.

- Oh mon Raoul... Une bombe atomique... (tendre sourire, silence, puis réflexion) C'est drôle cette expression... Je veux dire, ça me touche ! Mais c'est étrange... Ça aussi, ça vient du futur ?

- Oui. On dit d'une femme magnifique que c'est une bombe atomique.

- Comme la bombe qui peut tuer un monde entier quoi...

- Voilà.

- Très poétique...

- Et tu ne sais encore rien.

- C'est fou que tu aies réussi à voyager dans le futur... Si je te pose des questions, tu as le droit de répondre ?

- Oui, oui, je n'ai rien signé qui m'en empêche. Regarde, tu as vu mes chaussures ?

- Qu'est-ce que c'est que ce style ?

- C'est très à la mode dans quarante ans. Allez, pose-moi tes questions...

- Bon... Comment dit-on "écouteur" dans le futur ?

- Haut-parleur. Les téléphones seront équipés de haut-parleurs, tu appuieras sur un bouton et tu entendras l'autre comme à la radio.

- Fantastique ! Mais alors l'écouteur qu'on accroche derrière le téléphone, il ne sert plus à rien ?

- Il n'y aura plus d'écouteur.

- Oh !! Oh c'est dommage... Moi j'aimais bien l'écouteur... Et puis au moins, on pouvait être la seule personne à entendre la conversation et tout le monde vous enviait pour l'avoir quand c'était important ou secret... Et comment dit-on... Une Deux-Chevaux ?

- Une Twingo

- Comment dit-on "Coluche" ?

- Jamel

- Et Drucker ?

- Ah ça, ça n'a pas changé.

- Comment dit-on "j'aimerais beaucoup vous connaître, vous me plaisez" ?

- Poke

- Poke ?

- Oui, Poke.

- Et "Voulez-vous coucher avec moi ce soir ?"

- Poke

- Ah aussi ? Bah ils s'emmerdent pas dans le futur... Mais... comment font-ils pour faire la différence entre les deux significations ?

- Ils ne la font pas. Dans quarante ans, ça voudra dire exactement la même chose. Ceci dit, aujourd'hui aussi, mais on prend plus de temps, nous sommes un peu plus timides, le respect d'une certaine éducation, et puis le mystère de l'autre est encore très épais...

- Vraiment étrange cette époque... Et tiens, plus dur... Comment dit-on "débroussailler" !

- Une épilation maillot.

- Pardon ?

- Je plaisante. On dit toujours débroussailler. Mais dans le futur, il y a beaucoup moins de végétation.

Raoul réprime un sourire.

- Tu joues sur quelque chose que je ne comprends pas là... Je te connais Raoul... C'est quoi "débroussailler" , dans le futur ? Pourquoi tu me parles d'épilation ? Et puis pourquoi "maillot" ? On épile les maillots dans le futur ? Les maillots de corps ? Les maillots de bain ? On se baigne en fourrure ?

- Ah certaines se baignaient en fourrure oui ! Hum... Non, en fait, c'est une expression qui touche à la sémantique de la psychologie. En fait, les femmes qui auront envie de montrer leur faille, en psycho, on dira qu'elles débroussaillent.

- Tu me jures ?

- Promis.

- Bah dis donc, avec tout ce que je cultive pour cacher mes failles moi, faudrait que j'aille voir ce genre de psy...

- Ah ça te ferait du bien oui ! (Raoul se pince pour ne pas rire, puis reprend, sérieux) Mais tu sais, parfois, il vaut mieux garder ses failles secrètes. Et puis on ne sait pas ce qu'on pourrait trouver, ça pourrait tuer le charme...

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu n'as pas confiance en mes failles ? Mais si je parlais de mes failles, elles seraient charmantes mes failles ! Tu n'as pas envie de les connaître toi ? Finalement, connaître les failles de quelqu'un, c'est connaître son intimité profonde, c'est une complicité incroyable !

- Je les connais tes failles mon amour...

- Je t'en ai déjà parlé ?

- Oui, beaucoup. Et à chaque fois, j'ai adoré les ouvrir avec toi, pour bien te connaître, chaque fois un peu plus, t'entendre crier toute l’électricité que tu as en toi, et j'ai adoré les refermer en douceur avec toi, et te regarder apaisée, et heureuse, après t'avoir longuement écoutée...

- C'est fou... Raoul, je crois que je perds la mémoire. Je ne me souviens absolument pas t'avoir raconté mes failles... C'était pas dans le futur au moins ?

- Ah non, non, tu m'en as parlé très souvent. Un peu moins dernièrement, c'est vrai. Je me demande si tu ne te confies pas à un autre, tiens...

Simone hausse les épaules :

- N'importe quoi. On ne se confie pas à n'importe qui.

- Dans le futur, si.

- Je ne veux pas y aller dans le futur, je veux garder du mystère moi, remets ton parapluie.

Raoul remet alors son parapluie en place, Simone s'approche de Raoul en le regardant dans les yeux, un sourire lumineux accroché au visage, et l'embrasse à pleine bouche, dans un élan de douceur et de sensualité rarement atteint. Puis, elle s'arrête, commence un léger un mouvement de recul, sourit à la vue de l'homme de sa vie, et lance avant de repartir pour un baiser inoubliable :

- Pour vivre heureux, vivons cachés...



Franck Pelé - Janvier 2012

L'échelle de Simone


- Raoul...Combien tu m'aimes sur une échelle de 1 à 100 ?

- Ah non ! Je le connais par cœur ce piège !

- Un piège ? Pourquoi un piège ? Je veux juste savoir, c'est tout.

- Bien sûr... Tu ne vas pas me la faire à moi Simone non ? Si je te dis 100, tu vas me répondre que je te dis ça pour te faire plaisir, et si je te dis 91, tu vas me faire la tronche quinze jours parce que c'est pas assez ! Alors que c'est énorme 91...

- Et bien... Au bout de sept ans mariage, ça fait plaisir de voir à quel point tu te trompes sur moi...

- Tu es sûre ? On joue franc-jeu ?

- Mais oui !

- Et si je te dis 91, et que tu me fais la tête, tu seras capable de prendre le recul nécessaire et de réfléchir avec cette trop rare objectivité pour comprendre que tu n'auras pas eu 100 justement parce que tu auras eu cette réaction tellement prévisible ?

- Je te dis oui ! Tu es sûr que tu veux mettre cette cravate pour le réveillon ?


- Oui, pourquoi ? Elle est très bien cette cravate. Qu'est-ce qu'elle a cette cravate ?

- Elle fait un peu vieux... Bon alors, combien ?

Raoul pose sa cravate, s'installe dans le fauteuil en face de Simone, réfléchit, sourit et répond :

- 89.

Simone bouge un sourcil mais le remet aussitôt en place pour tenter de conserver la maîtrise totale de sa réaction. Puis elle demande, d'une voix très douce :

- Et pourquoi 89 ?

- Je voulais te mettre 91 mais j'avais oublié à quel point tu étais exigeante avec MES choix vestimentaires, du coup, t'as perdu deux points. Mais bon, aimer une femme à 89 sur une échelle de 1 à 100, c'est quand même beau non ? Tu n'es qu'à onze points de la perfection !

Simone se lève, part dans la salle de bains, et sort de longues minutes plus tard dans une nouvelle tenue, aussi échancrée que décolletée, à se demander si le tissu visible ne tiendrait pas dans une boîte d'allumettes.

- Attends... Tu ne vas pas réveillonner comme ça j'espère ?

- Ah si, pourquoi ? Tu ne voudrais quand même pas devenir exigeant sur mes choix vestimentaires... Moi qui allais te mettre une bonne note...

- Mais je ne demande aucune note moi ! Je veux juste que ma femme soit décente pour finir l'année !

- Au bout de trois verres de whisky, de toutes façons, même en col roulé, tes amis me verraient nue avec leur regard vicieux... Alors autant me faire plaisir...

- Te faire plaisir ? Parce que ça te fait plaisir de te présenter comme ça devant les gens ?

- Tous les hommes présents me donneront 100 sur l'échelle de l'amour, celle-là même sur laquelle tu restes bloqué un peu plus bas. Comme ça, tu pourras nettoyer leur bave sur mes chaussures...

- Je le savais... Tu vois ? Tu vois ??? Je ne PEUX pas te faire confiance ! Il y a une heure, j'étais serein, je savais que j'allais boire tranquille avec nos amis parce que j'avais une belle décente, et maintenant, tu vas réveillonner à poil et me gâcher mon réveillon parce que tu ne peux pas t'empêcher de faire ta grande capricieuse !

- Raoul, fais-moi penser... Si un de tes amis veut me témoigner son amour en voulant me rejoindre sur le dernier barreau, tu voudras bien l'aider en lui faisant la courte échelle ? Tu la fais tellement bien...





Franck Pelé - janvier 2012 - Textes déposés à la SACD