mardi 3 avril 2012

Imbu de pouvoir



La grande multinationale dans laquelle Simone et Raoul travaillent vient de connaître de profondes mutations. Alors que Simone reste à son poste de rédactrice et standardiste, Raoul a été nommé directeur général. Simone vient frapper à la porte du gigantesque bureau de Raoul :

- Oui, qui est là ?

- C'est moi Raoul ! Alors, c'est bien ? Tu es content ? Je peux entrer ?

- Je consulte un dossier important Simone, revenez en fin de matinée s'il vous plaît.

Simone ouvre la porte d'un geste franc, les sourcils aussi froncés que ses intentions. Raoul pousse alors vers l'intérieur la jambe de la femme assise sur son bureau.

- Depuis quand tu me vouvoies ? Et c'est qui cette pouf ?

- Simone, je vous en prie, je ne tolérerai aucune familiarité au sein de l'entreprise ! C'est Brigitte, mon assistante personnelle.

- Ton assistante personnelle ? Pourquoi tu lui refermes les cuisses à ton assistante personnelle ? C'était ça le dossier important que tu consultais ?

- Absolument ! Brigitte me montrait l'effet de notre nouvelle collection de dessous sur un être vivant, c'est beaucoup plus parlant que sur un mannequin totalement inexpressif.

- Pourtant, tu t'y connais en palpation de mannequin inexpressif !

- Arrêtez de me tutoyer Simone ! Ici, je suis votre chef ! Et Brigitte n'a pas à savoir quoi que ce soit de ma vie privée ! Et puis vous êtes loin d'être inexpressive quand je m'occupe de vous ma chère, pardonnez-moi...

- Je parlais de ta poupée gonflable, celle avec qui tu dors quand je pars trois jours chez ma mère.

- Bon, Simone, que voulez-vous ?

- Je venais voir comment tu... pardon... comment vous étiez installé Monseigneur...

- Voilà, voyez par vous-même, j'ai un bureau à l'image de mes responsabilités.

- Mais comment le pouvoir peut-il changer un homme à ce point...

- Plaît-il ?

- Je dis que tu as surtout un bureau à l'image de ton ego et du gigantisme de ta connerie !

- Raoul vous a dit de ne pas le tutoyer Madame Simone...

- Oh mais elle parle la pouf ? Je croyais qu'elle était aussi vide que le dossier qu'elle propose ! Alors toi, c'est la dernière fois que tu m'adresses la parole, tu me dis encore UN mot et je te plie tes belles jambes dans l'autre sens. Ton patron sera ravi, il pourra te poser sur son bureau dans de nouvelles positions...

- Simone !!! Arrête immédiatement ! Tu ne me respectes pas en tant que chef !!! C'est toi qui as tort !

- Je ne te respecte pas en tant que chef ? C'est la meilleure celle-là... Je ne te respecte pas en tant que chef ??? Et d'où tu me tutoies d'abord ? Tu ne respectes pas ton personnel ! Tu veux que je te dise Raoul ? T'es qu'un chef de gare avec ta potiche qui sait à peine compter les trains qui lui sont passés dessus. Elle, dès qu'elle a un ticket, allez hop, elle composte ! Tu n'as aucune légitimité pour ce poste, tu as juste gagné à un concours de circonstances mon chéri ! J'ai dix fois plus de talent que toi pour ce service, mais je suis une femme, alors on me croit faite pour répondre au téléphone ou écrire des lignes que tu reprendras à ton compte.

- N'importe quoi...

- Non, c'est exactement ça ! Tu es là depuis deux jours, regarde cette horrible caricature que tu es devenue ! Et demain, tu feras quoi ? Tu viendras dans mon bureau, et devant tes dirigeants tu me feras des remarques désobligeantes pour me décrédibiliser dans le seul but de te faire mousser ?

- Je suis ton chef, tu dois me respecter en tant que chef.

- Mais qu'est-ce que tu veux Raoul ? Que je te lèche les pieds ? Tu es si dominé avec moi dans ta vie privée que tu ressens ce besoin de grandeur et de pouvoir ? Pourtant tu aimes bien quand je te domine parfois. Tu as raconté à Brigitte que tu aimais être attaché avec les yeux bandés ?

- On ne peut pas mélanger les histoires de cul et le boulot Simone ! Pardonnez-moi Brigitte...

- Je vous en prie Monsieur...

- Ah bon ? C'est pourtant ce que je fais avec toi mon coco !

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que ça fait quelques mois que j'ai l'impression d'aller à l'usine quand je m'allonge Ô grand Chef ! Je regarde l'horloge en attendant la sonnerie ! Et quand je fais des heures sup', je suis même pas payée ! Avec ton petit rythme de machine pneumatique en fin de vie, j'ai l'impression d'être une voiture sur une chaîne de montage qui ne sera jamais terminée !

- Bon, j'appelle la sécurité.

- Tu es un jaloux Raoul, un aigri. Et tu n'as aucune confiance en toi. Tu t'inventes un personnage puissant parce que tu as un poste puissant. Mais c'est du vent ton titre, du vent ! Tu ne seras pas un meilleur homme parce que tu grimpes sur l'échelle de la société. Et tu ne le seras pas plus si tu grimpes sur ton assistante... Les meilleurs dirigeants sont ceux qui savent rester humbles, honnêtes avec les autres et avec eux-mêmes, à l'écoute, forts et incorruptibles. Ils savent reconnaître le talent de leurs troupes, et savent le mettre en valeur. Les mauvais chefs sont ceux qui n'ont de cesse de minimiser le travail de leurs hommes, je ne parle même pas de leurs femmes, ils ne pensent qu'à protéger leur statut, leur image forte, ils se pensent au-dessus des autres parce qu'ils ont su grimper dans la hiérarchie. Quand on rappelle à son collaborateur son statut de chef, c'est qu'on est tout petit, qu'on a plus d'arguments pour étouffer la grandeur de l'autre, celle qui vous gêne, qui vous fait de l'ombre. Dans ton bureau gigantesque, tu es devenu tout petit Raoul...




Franck Pelé - Avril 2012 - Textes déposés - Droits photos réservés.

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