- Pourquoi prends-tu autant de risques Simone
? Tu ne veux pas rester un peu tranquille ? Tu es belle, tu as un boulot, un
homme qui t'aime, une famille, pourquoi tu veux absolument goûter à ce qui te
changerait aux yeux des autres ?
- Des risques ? Mais ça t'a effleuré le
chapeau que les pires risques possibles soient ceux que tu prends quand tu
choisis de ne rien changer Paulette ???
- Arrête de crier Simone tout le monde se
retourne...
- Et alors ??? Tout le monde se retourne ? Et
pourquoi ils se retournent à ton avis ? Parce que je crie ou pour ce que je dis
? Quelle que soit la raison ils s'en rappelleront ce soir, ils s'endormiront
même peut-être avec cet évènement de leur journée ! Le seul qui aura été vrai,
spontané, vivant dans leur vie sans aspérités ! Elle est lisse votre vie, ne
changez rien, vous avez raison, ça fait moins mal au quotidien ! Mais putain le
réveil va être compliqué pour certains je vous le dis !
- Arrête Simone !
- Mais c'est toi arrête ! Pourquoi tu me dis
que je veux goûter à ce qui me changerait aux yeux des autres ??? T'en as pas
marre de tirer la langue uniquement à l'heure de l'hostie franchement ?
Pourquoi la certitude que la saveur est ailleurs est toujours transformée par
une pauvre curiosité qui ne cherche qu'à goûter pour mourir moins con ? Moi je
te dis qu'on peut changer de route sans forcément avoir tort ! Je te dis qu'on
peut croquer cette putain de vie sans devoir supporter le procès de vouloir la
goûter ! Comme si un choix fait avant un autre lui donnait toute sa légitimité
!
- Tu es vulgaire Simone avec tes putain toutes
les trois phrases...
- C'est toi qui es vulgaire avec tes cheveux
bien tirés et tes sourires polis ! Rien n'est plus inélégant que de mettre des
croix dans toutes les cases qu'on te dit de remplir dès le plus jeune âge ! La
classe c'est de savoir poser ta boîte à schémas et de marcher librement sur la
ligne que TU traces !
- Mais merde Simone !!! Merde !!! Et pourquoi
ce serait ton point de vue le bon ? Pourquoi on ne pourrait pas être heureuse
dans une vie lisse ?? Pourquoi on ne pourrait pas rester vingt ans derrière un
bureau en étant heureux d'y être ?Pourquoi on ne pourrait pas reproduire
l'amour de nos grands-parents ??
- Mais parce que ce n'est plus le même monde !
Tu veux qu'on demande à mamie si elle a été vraiment heureuse ? Et papy ?
Oui d'accord du côté de papa c'était chouette,
et encore, y'a eu du dérapage plus ou moins contrôlé, mais le père de maman,
papy Lou, tu mesures à quel point il s'est emmerdé avec notre bonne petite
grand-mère ? Je ne sais même pas s'il a vu son corps une fois en pleine lumière
!
- Simone !
- Je parle de son corps jeune...
- Arrête
- Les femmes n'étaient pas indépendantes,
elles n'avaient pas le choix, et le divorce c'était comme une verrue au milieu
du numéro de ta rue ! Et puis personne ne changeait de boulot, et si tu voulais
en changer tu pouvais parce qu'il y avait du boulot partout !
- Moi je te dis que c'est encore possible de
vivre des choses qui durent !
- Mais rien ne dure Paulette ! Arrête de
croire à tout ce qu'on te dit ! A toutes les promesses en guimauve et aux
serments en bois ! Arrête ! Il faut aimer bordel, il faut changer de métier,
d'endroit, de mec s'il faut, il faut embrasser, il faut se planter, il faut
aller où on a peur d'aller, il faut apprivoiser le sauvage, découvrir
l'inconnu, et surtout il faut aller au delà de l'image que cette putain de
société immobile nous renvoie de nous-même ! Si on se sent perdu quelque part
il faut se retrouver ailleurs ! Se retrouver soi-même.
- Alors à quoi ça sert de changer si rien ne
dure ???
- Pardon ! Pardon... d'accord. Il y a une
seule chose qui dure. C'est l'exceptionnel. C'est pour ça qu'il s'appelle comme
ça d'ailleurs. Et c'est pour ça qu'on change, parce que si ton travail n'est
pas exceptionnel, si ton amour n'est pas exceptionnel, si ta famille n'est pas
exceptionnelle, aucun ne dure.
- Ah bon tu peux changer de famille ?
- Non tu ne peux pas changer de famille, mais
tu peux vite avoir l'impression de ne plus en avoir si les liens qui font cette
famille ne sont pas exceptionnels. Moi, à part toi, ma soeur, et les parents,
même s'ils ne sont plus ensemble, je me sens orpheline d'un monde secret, d'un
nid douillet, de ces gens qui avaient le même sang et nous regardaient grandir
avec intérêt, sourire, générosité, empathie. Qui t'appelle toi ? Qui t'écrit ?
Qui t'écoute avec une vraie qualité d'écoute dans notre jolie petite famille ?
- Heu... Tatie elle m'appelle...
- Oui d'accord... Et à part elle ? Qui écoute
tes erreurs ou tes coups de colère sans te juger ou te dire que l'autre a
raison et que tu n'es que la petite Simone ou la petite Paulette qui a encore
plein de choses à apprendre ?
- Mais c'est normal, en grandissant, chacun se
recentre un peu sur son noyau dur, ses enfants et petits-enfants...
- Non ! Pas normal ! La famille d'Héloïse tu
vois, ça c'est de la famille, comme j'aime, ils s'écoutent, ils discutent, ils
se retrouvent, ils essaient de se comprendre, dans la nôtre on essaie de nous
convaincre d'être le contraire de ce qu'on est. Tu comprends Paulette ? Tu
comprends où il est le vrai drame là ? Il est justement là. Et quand un patron,
un mari, une femme, un ami, une confidente, un soeur, un cousin, veulent
essayer de te faire comprendre que tu dois être le contraire de ce que tu es
pour toucher ce qu'ils appellent le bonheur, tu es anéantie, consternée, et tu
te demandes si ton coeur est fait de la même matière que le leur. Leur bonheur
je n'en veux pas, faire ce qu'il faut, être comme il faut, faire semblant pour
sauver les apparences ou ne pas affronter le conflit parce que ça fait des
vagues, au secours... Jamais... Rien ne dure Paulette... sauf l'exceptionnel.
Il faut se donner le temps de l'exceptionnel. Même s'il reste le temps d'un
éclair. Son empreinte sera toujours plus forte que des millions d'années à se
sourire sans bouger.
- Mais alors on fait quoi si on n'est pas sûre
d'avoir son exceptionnel dans toutes ces catégories ?
- Il faut rester tant qu'on se sent vivante,
reste si tu es bouleversée, reste si tu te sens à ta place, reste si tu es
celle que tu veux être quand tu te vois derrière ton bureau, à droite de ton
chéri dans la voiture ou à sa gauche dans ton lit, reste si tu es sûre d'être
au bon endroit, mais par pitié ne me dis jamais ce que je dois faire, ce que je
dois être ni où je dois aller. Ne te sers jamais de mes choix ou de mes actes
pour faire de moi une coupable... Accepte-moi, je ne vais pas dire comme je
suis parce que cette phrase est trop usée, mais comme je vis. Accepte-moi comme
je vis, comme je sens, comme je ressens, accepte que je sois différente de toi,
accepte que mon bonheur ne soit pas forcément le tien... Et si notre famille
est décimée, tu resteras le plus beau pilier encore en vie, celui qui cultivera
ma fierté.
- Je t'aime Simone...
- Moi aussi je t'aime Paulette... Surtout
quand tu ne me dis pas comment je dois aimer et comment je dois vivre...
- Tu crois que je dois changer de boulot ?
- De boulot je ne sais pas mais de mec c'est
sûr...
- C'est vrai ??? Mais il est super gentil !!
- Mais non je plaisante... c'est parfait s'il
est super gentil... fais juste attention de ne pas être trop super gentille,
parce que le super gentil a besoin d'être un peu testé pour le rester... Et ton
boulot, tu le gardes tant que tu ne le sens pas te bouffer quand tu rentres le
soir à la maison... Le contraire de ton super gentil en fait...
- Simone !!!
- Détends-toi ou je te pince le sein devant tout
le monde...
- Mais arrête enfin ! C'est fou comme on est
différentes toutes les deux, tu t’en rends compte ?
- C'est fou comme j'ose tout ce que tu n'oses
pas, ça ne veut pas forcément dire qu'on est différentes... Bonne soirée ma
biche... Embrasse ton super gentil pour moi...
- Où tu vas ?
- Retrouver mon super héros...
- C'est qui ?? Mais tu ne m'as rien dit c'est
qui ???
- Il s'appelle Raoul... Je te raconterai... Si
tu es... un peu moins sage...
Franck Pelé - août 2017
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