- Et tes parents Raoul? Tu as toujours tes parents ?
- Oui, oui, ils sont en pleine forme, ils vivent dans le sud de la France, entre Sainte-Maxime et Saint Aygulf, ils ont eu des hauts et des bas comme tous les couples mais ça va…
- Ah la fameuse phrase
- Quoi ?
- Ils ont eu des hauts et des bas comme tous les couples mais ça va… Mais qui n’a que des hauts ?
- C'est sûr, ça peut faire débat…
- Tu crois qu’on aura des hauts et des bas nous ?
- Bah… Comme tous les couples oui… (il sourit et rit même de son bon mot, elle l’accompagne avec un sourire qui dit son état séduit)
- Parle-moi d’eux. Je veux tout savoir d’eux, raconte-moi leurs hauts, leurs bas, comment s’appellent-ils ?
- Claudine et Angeli
- Angeli ? C’est joli Angeli…
- C’est comme Angelo mais en plus baraqué, là ils sont plusieurs dans un seul. Format cinémascope le paternel, dans tous les sens du terme. C'est italien Angeli. Le père de mon père était italien, il s’appelait Ennio, comme Morricone, mais avec lui ça jouait pas du violon tous les jours… Mon père en a pas mal bavé niveau éducation, du coup, je pense qu’il a reproduit le schéma avec moi.
- Ton père a été dur avec toi ?
- Non pas dur mais… Il m’aime mon père, je le sais, et quand j’étais petit, il a adoré avoir un fils, mais... à cette époque, c’était très macho, très costaud, il fallait un peu jouer au cowboy, et les hommes avaient laissé la psychologie au vestiaire… Et puis il n’était pas souvent là…
- A cause de son boulot ?
- On peut dire ça oui…
- C’est marrant ça… Parce que mon père n’était pas du tout comme ça.
- Comment s’appelle ton père ?
- Bernard. Il a été professeur de lettres dans une grande université à Genève, il donne encore des cours aujourd’hui, pour son plaisir, alors qu’il pourrait être à la retraite.
- Mais tu ne m’as pas dit que ta famille était…pardon pour cet adjectif balancé là comme ça mais… riche ? Enfin que tu venais d’un milieu aisé ?
- En fait mon grand-père paternel a déposé un brevet qui l’a rendu très riche oui. Et mon père à hérité assez tôt.
- Un inventeur dans la famille ? Classieux… Qu’a-t-il inventé ton grand-père ?
- Raoul, je n’ai pas raconté cette histoire très souvent, mais à chaque fois que je l’ai racontée, j’ai senti l’odeur du ridicule flotter autour de moi… Alors que l’idée est géniale ! Mais les gens préfèrent rire de ça…
- Je resterai digne. (il se redresse et prend un air faussement sérieux) Alors ma chère Simone, vous êtes en direct devant des milliers de téléspectateurs, peut-être des millions, dites-nous… Nous ne tenons plus… Votre grand-père… qu’est-ce qu’il a inventé… ? (En attendant que Simone réponde, Raoul prend une gorgée de vin)
- Il a inventé la tapette à souris
Il manque de
s’étrangler, essaie de ne trahir aucune envie de sourire sur son visage.
- Il est fort ce vin… La tapette à souris ? Ah mais si… très belle idée la tapette...
- Raoul…
- Non mais vraiment, attends, il fallait bien l’inventer non ? Franchement si j’avais pu le faire, je n’aurais pas craché sur le brevet ! Et surtout sur ce qu’il a dû rapporter…
- ……...….
- Bon…
- Quoi ?
- J’aurais peut-être préféré inventer les portes coulissantes ou le moteur à explosion…
- Ah tu vois tu dégrades ! Tu te moques ! Tu dévalorises… Je n’aurais pas dû t’en parler...
- Mais non ! Mais non chérie… Je te promets… Je plaisante, c’est une idée géniale. Vraiment... Allez, parle-moi de ta mère… J’ai envie de me nourrir de ton histoire moi aussi, et à moins qu’elle ait inventé les trous dans le gruyère, je te jure de rester profondément concentré…
- Il est fort ce vin… La tapette à souris ? Ah mais si… très belle idée la tapette...
- Raoul…
- Non mais vraiment, attends, il fallait bien l’inventer non ? Franchement si j’avais pu le faire, je n’aurais pas craché sur le brevet ! Et surtout sur ce qu’il a dû rapporter…
- ……...….
- Bon…
- Quoi ?
- J’aurais peut-être préféré inventer les portes coulissantes ou le moteur à explosion…
- Ah tu vois tu dégrades ! Tu te moques ! Tu dévalorises… Je n’aurais pas dû t’en parler...
- Mais non ! Mais non chérie… Je te promets… Je plaisante, c’est une idée géniale. Vraiment... Allez, parle-moi de ta mère… J’ai envie de me nourrir de ton histoire moi aussi, et à moins qu’elle ait inventé les trous dans le gruyère, je te jure de rester profondément concentré…
Elle lui balance un
bout de pain qu’il stoppe d’un revers de la main. Il rit. Il précise :
- Je ris avec toi, pas de toi. D’accord ?
- Je sais… c’était drôle le gruyère… Mais finis l’histoire de ton père d’abord. Il était dur, un peu macho, bon… Mais il faisait quoi dans la vie ? Pourquoi tu ne le voyais pas souvent ?
- C’est un peu délicat…
- Je resterai digne (elle sourit et prend un air faussement sérieux) Alors mon cher Raoul, vous êtes en direct devant des milliers de téléspectateurs, peut-être des millions, dites-nous… Nous ne tenons plus… Votre père… que faisait-il dans la vie… ? (Elle prend son verre de vin et lui donne le bout de pain qu’elle avait lancé un peu plus tôt, au cas où elle se moquerait et que Raoul à son tour le lancerait vers elle)
- Il était gangster.
- Je ris avec toi, pas de toi. D’accord ?
- Je sais… c’était drôle le gruyère… Mais finis l’histoire de ton père d’abord. Il était dur, un peu macho, bon… Mais il faisait quoi dans la vie ? Pourquoi tu ne le voyais pas souvent ?
- C’est un peu délicat…
- Je resterai digne (elle sourit et prend un air faussement sérieux) Alors mon cher Raoul, vous êtes en direct devant des milliers de téléspectateurs, peut-être des millions, dites-nous… Nous ne tenons plus… Votre père… que faisait-il dans la vie… ? (Elle prend son verre de vin et lui donne le bout de pain qu’elle avait lancé un peu plus tôt, au cas où elle se moquerait et que Raoul à son tour le lancerait vers elle)
- Il était gangster.
Elle tousse un peu, pose le verre, reprend
le morceau de pain et le mange.
- Il était gangster ? Mais... un vrai gangster ?
- Ah un vrai gangster oui, armé, dangereux, enfin surtout pour ceux qui voulaient l’attraper parce que mon père a toujours été un mec bien. Mais il n’allait pas à la banque pour déposer des chèques, voilà...
- Et ça a duré combien de temps ?
- Assez longtemps. En fait on lui refusait toujours le moindre prêt à cause de ses origines et des études qu’il n’a pas faites, alors il a décidé d’aller se servir tout seul. Et il a braqué des banques. Puis il y a eu les années de cavale, il est parti vivre au Canada, puis au Mexique, c’est là qu’il a rencontré ma mère, Claudine, elle était actrice de théâtre dans un cabaret à Mexico au sein d’une troupe française.
- Ah tiens, point commun ! Ma mère aussi était artiste. Et comment ils se sont rencontrés ?
- Mon père était au bar le soir de la dernière. Un type n’arrêtait pas de la siffler dès qu’elle se penchait, elle avait un décolleté à faire monter Luis Mariano dans les aigus ma mère… et il l’a sifflée une fois de trop, mon père l’a attrapé et lui a mis la tête dans un seau à glace. Ils ne se sont plus jamais quittés. Mes parents, pas le type et le seau... Quoique... ils ont dû rester un moment ensemble eux aussi. Ils sont retournés au Canada, là où je suis né, et toute la famille est rentrée en France une fois qu’il y avait prescription pour les petites affaires de mon père. Comme il avait mis un peu de côté, j’ai grandi dans une belle maison, modeste, mais jolie. Ta mère était actrice elle aussi ?
- Non elle était peintre, elle chantait aussi, divinement bien. Mais elle avait l’art du trait, de la nuance, il y avait une force dans ses tableaux… Une magie… J’adorais la regarder peindre. J’avais l’impression de regarder Dieu qui inventait le monde. Et je trouvais très plausible l’idée que Dieu soit une femme... Ma mère s’appelle Blanche, il y a quelque chose de divin dans ce prénom je trouve…
- Et comment ils se sont rencontrés avec ton père ?
- En fait eux aussi ont beaucoup voyagé, je t’ai dit que mon père était suisse je crois, et au temps de sa splendeur oratoire, il donnait des conférences un peu partout dans le monde. Il a croisé le regard de ma mère alors qu’elle était sur un banc de l’Université de Buenos Aires. Ma mère est franco-argentine. Son père est français et sa mère argentine. Elle est née en Argentine, a grandi en France puis a passé toute son adolescence à Buenos Aires.
- Et tu es née où toi ? Quand ? A quel moment ?
- Ils sont rentrés à Genève et quand mon père a hérité, ils ont acheté une grande maison à Lausanne. Une maison incroyable avec un jardin gigantesque, douze chambres, des escaliers partout, six salles de bains, un garage aussi grand que notre maison d’avant. J’ai une grande sœur, Paulette, qui a fait du droit et qui est avocate à Paris. Et un frère, Paul, qui est architecte, il est toujours à Lausanne. J’ai grandi dans un milieu très bourgeois oui, avec une éducation assez stricte, mais j’ai toujours été la rebelle de la famille. Tu vois la scène dans Breakfast at Tiffany’s où Audrey Hepburn arrive sur le trottoir très élégante avec un large chapeau et siffle un taxi avec deux doigts ? Bah c’est moi.
- Pourquoi crois-tu que je suis tombé raide dingue de toi la première fois que je t’ai vue ? Autant pour l’élégance que pour le naturel rebelle… Et pourquoi Simone ? A cause d’une actrice ? D’une chanteuse ? Et pourquoi pas un prénom espagnol ?
- Ma mère avait déjà un prénom espagnol elle voulait changer un peu, une espèce d’alternance. Et je crois qu’elle adorait Simone Signoret.
- Attends… Attends… (Il se met à sourire et éclairer son visage comme si il venait de comprendre, il la pointe avec l’index) Tu ne m’as pas tout dit toi…
- Quoi ? Pourquoi tu dis ça ?
- Tu m’as dit que ta mère s’appelait Blanche…
- Oui et alors ? (Elle déglutit difficilement)
- Il était gangster ? Mais... un vrai gangster ?
- Ah un vrai gangster oui, armé, dangereux, enfin surtout pour ceux qui voulaient l’attraper parce que mon père a toujours été un mec bien. Mais il n’allait pas à la banque pour déposer des chèques, voilà...
- Et ça a duré combien de temps ?
- Assez longtemps. En fait on lui refusait toujours le moindre prêt à cause de ses origines et des études qu’il n’a pas faites, alors il a décidé d’aller se servir tout seul. Et il a braqué des banques. Puis il y a eu les années de cavale, il est parti vivre au Canada, puis au Mexique, c’est là qu’il a rencontré ma mère, Claudine, elle était actrice de théâtre dans un cabaret à Mexico au sein d’une troupe française.
- Ah tiens, point commun ! Ma mère aussi était artiste. Et comment ils se sont rencontrés ?
- Mon père était au bar le soir de la dernière. Un type n’arrêtait pas de la siffler dès qu’elle se penchait, elle avait un décolleté à faire monter Luis Mariano dans les aigus ma mère… et il l’a sifflée une fois de trop, mon père l’a attrapé et lui a mis la tête dans un seau à glace. Ils ne se sont plus jamais quittés. Mes parents, pas le type et le seau... Quoique... ils ont dû rester un moment ensemble eux aussi. Ils sont retournés au Canada, là où je suis né, et toute la famille est rentrée en France une fois qu’il y avait prescription pour les petites affaires de mon père. Comme il avait mis un peu de côté, j’ai grandi dans une belle maison, modeste, mais jolie. Ta mère était actrice elle aussi ?
- Non elle était peintre, elle chantait aussi, divinement bien. Mais elle avait l’art du trait, de la nuance, il y avait une force dans ses tableaux… Une magie… J’adorais la regarder peindre. J’avais l’impression de regarder Dieu qui inventait le monde. Et je trouvais très plausible l’idée que Dieu soit une femme... Ma mère s’appelle Blanche, il y a quelque chose de divin dans ce prénom je trouve…
- Et comment ils se sont rencontrés avec ton père ?
- En fait eux aussi ont beaucoup voyagé, je t’ai dit que mon père était suisse je crois, et au temps de sa splendeur oratoire, il donnait des conférences un peu partout dans le monde. Il a croisé le regard de ma mère alors qu’elle était sur un banc de l’Université de Buenos Aires. Ma mère est franco-argentine. Son père est français et sa mère argentine. Elle est née en Argentine, a grandi en France puis a passé toute son adolescence à Buenos Aires.
- Et tu es née où toi ? Quand ? A quel moment ?
- Ils sont rentrés à Genève et quand mon père a hérité, ils ont acheté une grande maison à Lausanne. Une maison incroyable avec un jardin gigantesque, douze chambres, des escaliers partout, six salles de bains, un garage aussi grand que notre maison d’avant. J’ai une grande sœur, Paulette, qui a fait du droit et qui est avocate à Paris. Et un frère, Paul, qui est architecte, il est toujours à Lausanne. J’ai grandi dans un milieu très bourgeois oui, avec une éducation assez stricte, mais j’ai toujours été la rebelle de la famille. Tu vois la scène dans Breakfast at Tiffany’s où Audrey Hepburn arrive sur le trottoir très élégante avec un large chapeau et siffle un taxi avec deux doigts ? Bah c’est moi.
- Pourquoi crois-tu que je suis tombé raide dingue de toi la première fois que je t’ai vue ? Autant pour l’élégance que pour le naturel rebelle… Et pourquoi Simone ? A cause d’une actrice ? D’une chanteuse ? Et pourquoi pas un prénom espagnol ?
- Ma mère avait déjà un prénom espagnol elle voulait changer un peu, une espèce d’alternance. Et je crois qu’elle adorait Simone Signoret.
- Attends… Attends… (Il se met à sourire et éclairer son visage comme si il venait de comprendre, il la pointe avec l’index) Tu ne m’as pas tout dit toi…
- Quoi ? Pourquoi tu dis ça ?
- Tu m’as dit que ta mère s’appelait Blanche…
- Oui et alors ? (Elle déglutit difficilement)
- Et là tu viens de me dire qu’elle avait un prénom espagnol…
- Bon, allez, on commande les desserts parce que les cuisines vont fermer sinon...
- Rrrrrroooo c’est pas vrai… Ta mère s’appelle Bianca…
- Et alors ? C’est magnifique Bianca non ? Tu as un problème avec Bianca ?
- Tes parents s’appellent Bernard et Bianca… (Il met la main devant sa bouche pour retenir son rire et montrer à Simone qu’il veut être plein de respect et tout en maîtrise)
- Raoul… Stop. C’est bon, ça va… On me l’a faite mille fois… Je n’y peux rien si un gros boutonneux de scénariste chez Disney a choisi le prénom de mes parents pour leur dessin animé…
- Et ton grand-père a inventé la tapette à souris… (Il pleure presque de rire tout en retenant d’exploser, on pourrait presque voir une larme couler doucement…)
- Bon, qu’est-ce que tu prends comme dessert ?
- Tu ne veux pas de fromage ? ça m’étonne…
Il commence vraiment à pleurer de rire, à lâcher
un peu de pression nasale comme lorsqu’un rire veut sortir coûte que coûte…
Simone prend alors la corbeille à pain et en balance le contenu entier sur
Raoul qui hurle son bonheur de savourer l’incroyable anecdote…
Franck
Pelé - textes déposés SACD - sept 2015
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