- Ah Raoul, c'est toi... Il me semblait bien t'avoir entendu
entrer mais avec le bruit de la douche je n'étais pas sûre... Je me demandais
où tu étais... Tu veux bien me passer la serviette beige là s'il te plaît ? Et
mon soutien-gorge.
- J'étais en bas, à côté de la cheminée, je lisais quelque
chose sur le non-dit... Très intéressant... Faut-il tout dire ou pas...
- Et alors ? Quel est ton avis personnel sur la question...
?
- Le jour où on dit tout, je crois qu'on prend le risque de
ne plus rien avoir.
- Tous les jours où tu ne dis rien, je me demande si tu as
vraiment tout.
- Et si ça faisait mal de tout dire ?
- Mal à qui ?
- Aux autres... à moi...
- Si tu ne dis rien pour protéger les autres, tu te fais du
mal à toi-même, parce que tu gardes quelque chose qui veut sortir, qui cogne
fort, qui résonne et déséquilibre. Si tu dis tout, tu te libères mais tu prends
le risque de déséquilibrer l'autre, de lui faire plus mal encore.
- Donc si tu ne dis pas aux autres ce que tu voudrais leur
dire, tu mens, et si tu leur dis plus tard parce que l'honnêteté t'y invite, on
pensera que tu as menti parce que tu as attendu. Donc l'honnêteté conduit à
l'étiquette de malhonnête autant que la malhonnêteté... Pas facile comme
constat.
- Les mensonges ont autant de couleurs et de déclinaisons
que le verbe a de raisons de crier ou de se taire. Certains mensonges ont les
mauvaises odeurs des poubelles de l'âme, d'autres sont les vernis essentiels des
œuvres à sauver. Ou à protéger.
- Mais pourquoi ceux qui sont capables de tout dire ont
aussi la chance de pouvoir tout entendre et la malchance de ne jamais tomber
sur des gens comme eux à l'heure des vérités ?
- Ceux qui sont capables de tout dire ne sont pas forcément
capables de tout entendre...
- Moi oui, mais toi par exemple je ne suis pas sûr, tu es un
peu plus prisonnière de ta colère ou de ta susceptibilité.
- Bon arrête de tourner autour du pot Raoul... Tu as quelque
chose à me dire ?
- Non je disais ça comme ça...
- Les choses qu'on dit comme ça, le monde entier sait qu'on
ne les dit jamais comme ça. Je t'écoute.
- Ce n'est pas si simple...
- Lâcheté ?
- Mais pas du tout ! C'est tout le contraire. Il faut
parfois du courage pour préférer la paix qui préserve l'unité du pays à la
révolution qui lui redonnerait de l'élan à toutes ses composantes.
- Bon, merde, dis-moi !
- Et tu fais quoi du "N'avoue jamais" qui te tient
tant à cœur ?
- Il me tient à cœur quand ce n'est pas moi qui ai besoin de
savoir, dis-moi !
- Mais je sais exactement comment tu vas réagir ! Tu ne
sauras jamais avoir le recul pour me comprendre comme tu comprendrais ton
meilleur ami qui te dirait la même chose ! Tu vas m'insulter, tout prendre
contre toi alors que rien n'est contre toi ! Je t'aime, parce que c'est arrivé
comme ça de t'aimer, sans prévenir, et il n'y a aucune raison que ce phénomène
ne se reproduise pas. Mais pour toi, ça ne peut pas arriver à un autre couple
qu'au nôtre.
- J'en étais sûre... T'es amoureux d'une autre ? Tu me
trompes ? Tu me mens ?
- Et voilà... Merci. Bingo. Personne mieux que toi ne
pouvait incarner les raisons que j'avais de me taire...
- Parce que je devrais être heureuse ? Sauter au plafond ???
L'appeler et la féliciter ? C'est qui cette petite sal...
- Arrête !!! C'est fou cette réaction !! Voilà, tu vois ça
c'est aussi malhonnête que ce que tu vois dans mon silence ! Parce que c'est
ton ego, ton orgueil et ta jalousie qui parlent ! Alors que mon silence n'était
là que pour te protéger, pas pour te cacher quoique ce soit ! J'adorerais t'en
parler. Comme je t'en aurais parlé si tu avais été ma meilleure amie et comme
tu aurais su le comprendre si j'avais été le tien !!!
- Mais je ne suis pas ta meilleure amie ! Je suis celle qui
partage ta vie !
- Et alors ? Tu devrais justement être celle qui me connaît
le mieux ! Je sais que ce n'est pas facile, je ne dis pas que ça l'est, je dis
que savoir tout entendre c'est savoir écouter avec le cœur et la raison, sans
colère ni possession. Quand tu as été amoureuse d'un autre moi j'ai su
l'entendre, j'ai eu une légère ironie mais je savais bien que ce n'était pas
contre moi !
- Je veux la voir.
- Et ça changera quoi ? Tu vas la frapper, lui tirer les
cheveux, exploser sa voiture ?
- Pas du tout. Je veux savoir qui te rend amoureux. Et si je
comprends en vous voyant, je te promets que j'accepterai et te respecterai
toujours autant, au risque de t'aimer encore.
- C'est du bluff...
- Non
- Ça ne te ressemble tellement pas d'avoir ce recul...
- C'est vrai, tu as raison, ce serait malhonnête de mal
juger une force qu'on a connue ensemble uniquement parce qu'elle ne me concerne
pas, et je sais faire la différence entre ceux qui vont chasser l'avatar tiède
de cette force et ceux qui sont vraiment emportés par elle. Tu as raison aussi
sur le fait que j'ai moi-même connu cette situation. Et c'est vrai que tu ne
m'as pas traînée dans la boue à ce moment-là.
- Deux fois "tu as raison" dans la même phrase...
C'est le jour ou jamais pour te parler...
- Arrête...
- Je souris...
- Je sais... Elle s'appelle comment ?
- Tu es sûre ? C'est quand même un peu frais là...
- Écoute Raoul, je fais tout, comme toi, pour nous protéger
de l'usure ou de la grisaille mais je suis lucide sur la qualité du frisson dans
la maison depuis quelques saisons... Comment elle s'appelle ? Je la connais ?
- Elle a un prénom assez... étonnant... très classique, mais
elle est une femme qui te plairait dans d'autres circonstances... Elle
s'appelle Simone.
- Simone ? Mais elle a quel âge ?
- Mon âge...
- Elle a forcément du talent pour t'avoir séduit avec un
prénom pareil... Ceci dit le tien est aussi d'un autre âge... Simone et
Raoul... Merde... Pardon de ne pas aimer tout de suite la perspective mais ça
sonne comme un couple mythique...
- Je peux lui dire qu'on arrête tout si ça t'est
insupportable...
- Raoul... Tu as les yeux qui dansent quand tu en parles...
Ça me rappelle des souvenirs... Quoique... Je ne me souviens pas les avoir vus
danser autant... Et puis je ressens comme une libération... Merci d'avoir
osé... En fait... Je crois que j'attendais qu'il m'arrive la même chose... Je
t'aurais menti, je nous aurais menti et je me serais menti à moi-même si je
t'avais insulté pour avoir osé me dire les choses comme elles étaient... C'est
beau finalement de réussir sa sortie autant que son entrée pour un couple...
Surtout le nôtre, il a été beau non ?
- Merci... De dire tous les mots que je te pensais incapable
d'entendre...
- Va lui annoncer que tout reste fleuri, le passé et l'avenir,
avant que je ne change d'avis...
Franck Pelé - septembre 2016 - Textes déposés SACD
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