- Simone, je voudrais que vous laissiez un
instant toutes vos certitudes à terre, que vous les laissiez tomber, vos
verrous, vos limites, vos barrières, à vos pieds, là où finit tout ce qui vous
entrave, là où commence tout ce qui emporte.
- Pourquoi devrais-je m'ouvrir à ce point et
me présenter sans aucune défense ?
- Parce que vous m'avez déjà vu embrasser une
autre femme que vous, et vous ne me laisserez aucune chance de vous prouver que
vous êtes celle qui me va.
- J'ai moi aussi embrassé avant vous. Mais je
ne vous connais pas. Pas assez. Et ce que je connais de vous m'invite à la
prudence.
- Parce que j'ai aimé avant vous ?
- Non. Parce que vous semblez maîtriser cet
élan.
- Je ne maîtrise jamais le moindre élan, c'est
ce qui doit vous convaincre et c'est justement ce qui effraie ceux qui en sont
témoins. Ils me croient léger comme le vent, mais je suis enraciné, fort et
droit, dans une terre d'histoires, celles de toutes les âmes qui ont vécu avant
nous. Si un souffle puissant me fait plier, je me laisse courber, jusqu'à en
perdre ma nature. La seule chose que je maîtrise, c'est mon inclinaison sous
les vents superficiels. Quand je ne la maîtrise plus, c'est que le vent est
trop fort, une tempête de frissons, un ouragan d'évidentes couleurs tonnantes,
qui invitent mes cimes à retrouver les fleurs naissantes.
- Je n'ai pas le droit de vous embrasser.
- Pourquoi ?
- Parce que nous sommes dans la rue, parce que
je suis une femme et que si on nous voyait, vous seriez un Don Juan et moi une
fille facile. Je ne peux prendre une telle décision parce que je ne suis qu'une
femme, docile, aimante, qui cuisine et nettoie, dévouée et admirative de celui
qui a tellement de pouvoirs...
- Vous ne pensez pas ce que vous dites... Vous
savez pourquoi je ne peux aller nulle part ailleurs que vers vous ? Parce que
j'écoute la femme qui est en moi, ma mère, ma sœur, ma nourrice, la femme de
mon voisin, de mon frère, mon institutrice, ma meilleure amie, ma confidente,
toutes ces femmes qui font l'homme que je suis aujourd'hui. Mon courage est
féminin, mon élan est féminin, ma patience, ma conviction, ma certitude, mon
élégance, ma force, ma curiosité sont féminines. Les hommes ont peut-être tous
les droits, mais seuls ceux qui sauront en remercier les femmes deviendront des
hommes, libres...
- ...et égaux en droits... Vous vous prénommez
Raoul n'est-ce pas ?
- Oui
- Raoul j'ai embrassé quelques hommes dans ma
vie, mais aujourd'hui, je crois que j'ai rencontré la femme de ma vie... Et je
me sens tous les droits du monde de l'embrasser jusqu'à ce que ses courbes
défient les juges les plus obscurs…
Franck Pelé
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire