vendredi 15 novembre 2013

La route



- Où tu vas comme ça ?

- Je prends la route.

- Quelle route ?

- Celle du succès ! Je vais à Paris pour la cérémonie des Golden Blog Awards.

- Des quoi ? C'est de l'américain ? Ils savent plus quoi inventer...

- C'est de l'anglais.

- Oui c'est pareil, avec le chewing-gum en moins.

- C'est une cérémonie qui me donnera peut-être un prix parce que j'ai quelque chose de particulier, ce talent que tu ne vois jamais.

- Mais arrête de rêver ma pauvre Simone, tu ferais mieux de travailler dur, et de prendre la bonne route.

- Ah oui ? Et où est-elle cette BONNE route ma très chère voix de la raison ?

- Je te le dis depuis que tu es en âge de comprendre, la route du succès ce n'est pas celle-là, c'est l'autre.

- Quelle autre, celle qui est noire de monde ? Avec tous les gens laissés sur le bas-côté ?

- Ce sont les paresseux, les paumés, les prétentieux, les camés au rêve, les faibles qui ont décroché, incapables du moindre sens de la responsabilité. Arrête avec tes passions et tes frissons, ils ne te feront pas bouffer. Le seul chemin qui vaille c'est là-bas, suis les panneaux "Prépa", "BTS", "Diplôme", "Grande école", si tu veux être considérée comme normale et qu'on soit fière de toi, suis les panneaux, sois forte, sois un modèle, fais en sorte qu'on puisse parler de toi avec fierté dans les salons ! Il faut briller Simone !

- Quels salons ? Ceux qui réunissent les amis d'hier ? Nourris au sein de l'artifice et de l'image parfaite ? Et briller pour qui ? Pour quoi ? Tu veux aveugler quand je veux éclairer, tu veux être lisse et passer dans "Jours de France" quand je veux me laisser polir par mes convictions jusqu'à briller comme le diamant que tu ne seras jamais ! J'aime ce que je fais, et ma route, elle est ici.

- Mais je me fous de savoir ce que tu aimes ! Je veux que tu sois quelqu'un ! Que tu épouses un médecin ou un avocat ! Je ne veux pas avoir honte de dire que tu n'as pas pris le chemin qu'il fallait prendre quand on me demandera de tes nouvelles. Alors arrête avec tes mots et fais du chiffre ! Prouve-moi qui tu es, non pas avec le cœur mais avec ta fiche de paie, les compliments de ton patron, une prime de fin d'année. Tu ne vois pas que je veux ton bonheur ? Tu ne vois pas que tu ne l'atteindras jamais avec tes rêves d'un autre âge ?

- Mon bonheur ? C'est mon bonheur que tu veux ? C'est marrant j'aurais juré que c'était le tien ! Tu te fous bien de mon bonheur, il faut juste que je rentre dans tes cases, et peu importe si elles sont trop petites pour moi ! Elles sont poussiéreuses tes cases ! Parce que ça fait des années que tu laisses tout fermé sans rien aérer ! Elles sont pleines des moutons de ta jeunesse. Des rêves devenus poussière parce que tu n'as jamais su leur proposer le ciel !

- Mais on est dans le siècle de la crise là ma petite ! Il faut faire du fric !

- Je me fous du fric, je veux vibrer tu m'entends ? Vibrer !

- Pfff... Une artiste... Mais arrête de rêver enfin ! Les artistes de ce siècle sont des bons à rien, comme tous ceux d'avant et ceux qui viendront ! Il n'y a qu'un art possible aujourd'hui, c'est l'art de réussir. Comment crois-tu qu'on juge une chômeuse aujourd'hui ? Même les tiens douteront de toi, de ta valeur, de tes capacités à y arriver. Prends cette route et tu seras quelqu'un. Tu n'existeras jamais ailleurs. C'est marche ou crève !

- Je crèverais de prendre ta route, autant que de rester ici à écouter tes doutes et ta façon de me prouver tous les trois mots que tu ne me connais pas. Je pars. A la rencontre de la reconnaissance, et d'un peu d'amour. Tu te souviens de ça ? L'amour ? Je te souhaite tout le bonheur du monde, surtout celui dicté par les autres évidemment, le seuil qui vaille, même s'il est impalpable...


Simone claqua violemment le coffre de sa voiture pour le fermer, s'installa au volant et partit en klaxonnant deux fois et en dérapant sur cinquante mètres. Sur sa route, une bonne heure plus tard, elle s'arrêta pour secourir un homme en panne qui faisait de grands signes.

- Bonjour Mademoiselle, je crois que c'est la courroie. Vous pourriez me déposer à la station-service la plus proche ?

- Où allez-vous  ?

- Paris.

- Montez, c'est ma route. Je vais à l'Hôtel de Ville.

- Vous allez à la cérémonie ? C'est fou moi aussi ! Je vais chercher un peu de reconnaissance.

- Dans quelle catégorie ?

- Auto. Oui, je sais, ce n'est pas un bon signe ce voyage...

- Allez savoir, il est des voyages étonnants qui vous emmènent bien plus loin que vous ne pensez...

- Pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté, je m'appelle Raoul.

- Simone, enchantée Raoul.

- J'ai vraiment eu beaucoup de chance de tomber sur vous, très peu de gens prennent cette route. Ils prennent tous la route principale, celle qui permet de ressembler à tout le monde...

- ...mais même si notre route est plus longue et plus risquée, c'est tellement bon d'arriver au bout du chemin qui nous ressemble le plus.

- J'aurais pu dire cette phrase mot pour mot. Vous êtes mon meilleur espoir Simone.

- Si je gagne ce prix, je vous épouse...

 
 
 
Franck Pelé - textes déposés à la SACD - Novembre 2013
 

 

1 commentaire:

  1. Et quand on ne suit pas les "codes imposés" parfois de la société mais son envie profonde, elle nous emporte dans les étoiles ...et le rendez-vous avec le succès est là ...mais pas de la façons que les autres ont écrit le scénario de notre vie : ça s'appelle "Le Pouvoir de l'Intention" et ça peut emmener très loin !!!! ......

    RépondreSupprimer